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À Calais, Abdulfatah Hamdallah, victime des politiques migratoires européennes

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Le 19 août dernier, Abdulfatah Hamdallah, un exilé soudanais originaire du Kordofan occidental, a été retrouvé mort sur une plage de Sangatte, dans le Pas-de-Calais, après avoir tenté de traverser le détroit qui sépare le Royaume-Uni de la France à bord d’une embarcation de fortune [1].

Encore un mort. Un mort de plus.

Abdulfatah Hamdallah n’est pas le premier à avoir trouvé la mort en tentant de rallier l’Angleterre. À Calais comme ailleurs dans l’Union européenne (UE) [2] et aux portes de celle-ci, des hommes, des femmes, des enfants meurent en essayant de franchir les frontières dans l’espoir d’échapper à la guerre, aux persécutions, à la misère ou tout simplement à la recherche d’une vie meilleure. Les militant-es présent-es sur le terrain ont calculé que, depuis 1999, au moins 275 personnes étaient mortes dans cette zone transfrontalière : mortes noyées en tentant de traverser la Manche ou de monter à bord d’un ferry dans le port de Calais, mortes écrasées par la cargaison d’un camion dans lequel elles s’étaient cachées, électrocutées par les caténaires de l’Eurostar ou tout simplement victimes des défaillances dans l’accès aux soins ou de l’absence de dispositifs d’accueil [3].

Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté, a cru bon réagir sur les réseaux sociaux et a tweeté : « Ce drame insupportable nous mobilise encore + avec @GDarmanin contre les passeurs qui profitent de la détresse d’êtres humains ! » [4]. La ministre de l’intérieur britannique, Piri Patel, lui a emboîté le pas en déclarant : « Il s’agit de la perte bouleversante et tragique d’une jeune vie. Cet horrible incident nous rappelle brutalement l’existence des odieux gangs criminels et des passeurs de clandestins qui exploitent les personnes vulnérables. En travaillant ensemble, nous sommes déterminés à les arrêter » [5].

D’une pierre, deux coups. À l’unisson, gouvernements britannique et français usent des mêmes arguments. Non seulement ils se dédouanent de leur responsabilité dans le décès d’Abdulfatah Hamdallah, mais ils mobilisent - une fois de plus - la figure du « passeur » pour désigner l’unique coupable des « drames de l’immigration ».

Or, il serait bon de rappeler quelques évidences. « Les passeurs » et autres « odieux gangs criminels » n’existent que parce que des personnes en exil, fuyant guerres et pouvoirs autoritaires, crises économiques et écologiques, sont privées de leur liberté de circuler. Depuis près de 30 ans, l’UE et ses États membres n’ont eu de cesse, par tous moyens, de vouloir refouler toujours plus loin les « indésirables » en quête de protection. Ce qui se passe dans le détroit du Pas-de-Calais n’est qu’une sinistre reproduction des situations en Méditerranée ou la mer Égée.

La frontière franco-britannique n’est donc pas une exception. Une succession de textes et d’accords bilatéraux [6], ont transformé cet espace transfrontalier en zone fortifiée, toujours davantage contrôlée, entravant toujours plus les tentatives désespérées des exilé⋅es. Après l’érection de barrières au niveau du site et de la rocade portuaire en 2014 [7], est venue la fortification du site Eurotunnel en 2015 [8], puis la construction d’un « mur végétalisé » destiné à empêcher toute tentative d’intrusion sur la rocade portuaire. Ces derniers jours, face à l’arrivée de plusieurs bateaux depuis les côtes françaises, les autorités britanniques ont fait assaut d’imagination, pour rendre cette traversée « impraticable » selon les termes du premier ministre britannique [9] jusqu’à envisager de déployer des navires de la marine, des drones et même des avions.

La dissuasion violente comme seule perspective politique. Pour les personnes exilées bloquées à Calais, la situation est devenue un enfer au quotidien [10] : soumises à des conditions de vie indignes et en butte quotidiennement aux intimidations et aux violences policières [11].

La mort d’Abdulfatah Hamdallah, pas plus que toutes les autres, n’est un « drame humain » due à d’« odieux gangs de criminels et de passeurs ». Elle est la conséquence des politiques migratoires meurtrières de l’UE et des États membres qui ne laissent comme seule alternative aux exilé⋅es que la prise des risques inconsidérés afin de chercher une protection ou un avenir meilleur que ni leur pays, ni l’Europe ne veulent leur offrir.

Paris, le 28 août 2020

Signataires

  • Actes & Cités
  • ADRA France – Antenne de Dunkerque
  • L’Auberge des Migrants
  • Association ACCMV (Grande-Synthe)
  • Cimade Nord Picardie
  • Gisti
  • Human Rights Observers
  • Migraction59, Plateforme d’hébergement citoyen
  • Migreurop
  • MRAP - Littoral dunkerquois
  • Oxford Against Immigration Detention
  • Salam Nord Pas-de-Calais
  • Solidarity Border
  • Statewatch
  • Terre d’errance – Norrent-Fontes
  • Utopia 56 Grande-Synthe

[1The Guardian, 20 août 2020, « Drowned Sudanese refugee identified as Abdulfatah Hamdallah ».

[2Cartographie #Theborderkills.

[6Du protocole de Sangatte (1991) au Traité du Touquet (2003), en passant par le Traité de Sandhurst (2018)

[7Les barrières à l’intérieur du site portuaire sont doublées ; sur une distance de deux kilomètres le long de la rocade accédant à la zone portuaire, une double clôture est érigée, l’une de 4 mètres de haut et l’autre d’un peu moins de 3 mètres, équipée d’une rampe d’accès incurvée pour éviter qu’on ne s’y s’agrippe, et surmontée d’un fil barbelé. Entre les deux clôtures, un espace de détection infrarouge a été installé.

[829 kms de barrières sont érigées pour « sécuriser » le site, une centaine d’hectares boisés sont rasés et Eurotunnel acquiert des drones pour faciliter la détection des « intrus ».

[10L’Humanité, 11 août 2020, « Calais : l’État aggrave la situation des exilés »

[11Ouest France, 14 août 2020, « Migrants. Des associations de Calais saisissent la Défenseure des droits et des rapporteurs de l’ONU - 13 associations d’aide aux migrants basées à Calais ont saisi ce vendredi 14 août la Défenseure des droits et des rapporteurs de l’ONU pour « dénoncer les exactions récurrentes commises par les pouvoirs publics ».

Voir notre dossier « Jungles, campements et camps d’exilés en France »

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Dernier ajout : jeudi 1er février 2024, 16:19
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