Édito extrait du Plein droit n° 136, mars 2023
« Étrangers mal jugés »

L’asile à Mayotte : racisme à découvert

ÉDITO

Depuis des mois, des personnes réfugiées, venues pour la plupart de la région des Grands Lacs en Afrique, vivent à la rue, négligées par un État qui contrevient à ses obligations internationales. Elles se regroupent contre les façades de l’immeuble de Solidarité Mayotte, association à laquelle la préfecture a confié la mission d’accueil et d’accompagnement des demandeurs d’asile. Cela se passe à Mamoudzou, chef-lieu d’un département d’outre-mer réputé pour son niveau d’insécurité.

Qu’importe si la loi du 29 juillet 2015 prévoit que soient proposés aux populations demandant la protection internationale un hébergement, des prestations d’accompagnement social et administratif, ainsi que le versement d’une allocation pour demandeur d’asile (ADA) ; qu’importe encore si une mesure dérogatoire propre à Mayotte substitue à l’ADA le versement d’aides matérielles [1] : l’État français s’estime quitte de toute obligation.

C’est ainsi que début février dormaient « à la belle étoile » 82 enfants, 53 parents, dont 4 femmes enceintes, et 50 célibataires. Soit une population totale de 185 personnes [2]. L’aide fournie par l’État se limite à la remise mensuelle d’un bon d’achat de 30 € « par adulte ». Selon une arithmétique hasardeuse, un couple ne fait pas la paire : le groupe « famille avec enfants » recevra un simple supplément de 10 €, relevant l’aide totale à 40 €, attestée sur un petit carnet individuel.

Privé·es des moyens de vivre, les réfugié·es sont de plus harcelé·es par la force publique. Le vendredi 25 novembre, à la suite d’un arrêté pris la veille par le maire de Mamoudzou, le « campement » est démantelé avec le concours de la préfecture. Selon un journal local, « le personnel de la mairie, aidé de camions, a procédé à l’enlèvement des matelas, des chaises, sièges, palettes, tiroirs ou casseroles amassés au fil des mois. […] Aucune solution d’hébergement n’a été envisagée. Livrés à eux-mêmes, les occupants du camp ne devraient pas aller très loin ». « On reviendra à chaque fois », promet le directeur de la police municipale [3].

Bien évidemment les conditions de vie « à la rue » sont aggravées par l’absence de sanitaires, d’accès à l’eau potable. La toilette intime lance un défi quotidien. Les matelas mousse endurent mal les longues pluies tropicales et les frottements : les nids de bactéries qui les colonisent infligent aux corps des dermatoses diverses et aux membres des tumescences douloureuses. Les visages épuisés accusent des souffrances empêchées.

Dans l’intention de mettre fin à cette épreuve et protéger leurs enfants, cinq familles ont déposé des recours devant le tribunal administratif de Mamoudzou les 26 et 27 janvier 2023 : un couple accompagné de ses deux enfants ; une mère isolée et ses trois enfants mineurs ; une jeune femme enceinte de six mois ; un père et sa fille âgée de 11 ans ; une mère de deux enfants mineurs, enceinte de sept mois et demi. Les conditions de vulnérabilité sont dans chaque cas réunies à des degrés divers.

Le lendemain de la première audience, sans même attendre l’ordonnance du juge, la première famille requérante est logée et l’aîné des garçons scolarisé au collège. Les administrations compétentes semblent alors admettre de facto leur manquement aux obligations de protection à l’égard des demandeurs d’asile et y remédier sans délai. Cependant les affaires prennent rapidement un autre tour lors des audiences suivantes.

Le préfet, dans sa défense, décline sa responsabilité, sous le motif que par une convention renouvelable annuellement – celle en cours remonte au 26 juillet 2022 –, l’association Solidarité Mayotte a été missionnée pour l’accueil, l’aide alimentaire et l’hébergement d’urgence. Il précise que « pour l’exécution de cette convention, des crédits ont été mis en place, après évaluation de l’association, à hauteur de la somme de 4 337 492 euros en 2022 ».

L’association est-elle comptable de résultats auprès de la préfecture ? Le préfet, en tant que commanditaire, peut-il se dégager ainsi de tout contrôle ? Ces questions n’intéressent pas le juge.

Le représentant du préfet esquive : il prétend que l’aide alimentaire remise aux demandeurs d’asile s’aligne sur le secours apporté par la Croix-Rouge aux populations nécessiteuses de Mayotte et qu’elle ne peut équitablement lui être supérieure. Il ment sans vergogne quand il ajoute que l’aide est établie selon le barème suivant : un bon de 30 € par adulte et 10 € supplémentaires par enfant. Une telle distribution suivrait effectivement les règles d’une bonne arithmétique, mais ce n’est hélas pas le cas. Lui n’a rien à prouver, il lui suffit d’énoncer pour être cru sur parole. Par contre le requérant doit présenter la copie de son petit carnet pour démontrer qu’il n’en est rien.

Mais le juge des référés a rejeté tous les recours sans exception, faisant valoir que « si les requérants soutiennent qu’ils n’ont bénéficié d’aucun hébergement depuis leur admission, très récente au demeurant, au statut de demandeur d’asile et que les conditions matérielles d’accueil ne sont pas satisfaisantes, il résulte des termes mêmes de l’article 1 de la convention citée au point 10 que l’hébergement, l’accompagnement social et l’aide alimentaire relèvent de la compétence de l’association Solidarité Mayotte qui a reçu délégation de l’État pour ce faire. Par suite, les conclusions de M. X et Mme Y tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet de Mayotte de mettre sans délai à leur disposition un logement adapté à sa situation et leur faire bénéficier des aides matérielles adaptées à leurs besoins, doivent, dès lors, être rejetées. Il y a également lieu de rejeter, par voie de conséquence, les conclusions à fin d’injonction ».

La cinquième requête, concernant une femme enceinte de plus de 7 mois et mère de deux enfants de 3 et 5 ans vivant à la rue, a connu un sort encore plus implacable : le juge a dédaigné de l’entendre. Sa requête a été rejetée sans audience. Elle attendra sous les étoiles ou sous la pluie la perte des eaux.




Notes

[1Ceseda, art. L. 591-4.

[2Comptage réalisé sur place du 23 au 26 janvier par des membres du Gisti.

[3« Le campement des Africains à Cavani démantelé ce vendredi matin », Mayotte Hebdo, 25 novembre 2022.


Article extrait du n°136

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Dernier ajout : mercredi 10 mai 2023, 14:49
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