Admission exceptionnelle au séjour après la circulaire Retailleau
La circulaire Retailleau publiée le 23 janvier 2025 a abrogé la circulaire Valls de 2012 et posé de nouveaux critères pour l’instruction des dossiers d’admission exceptionnelle au séjour.
Afin de recueillir des informations sur la façon dont les préfectures appliquent cette circulaire, et de nourrir une page dédiée à ces pratiques, une adresse mail a été créée : informations-aes@proton.me. Merci de nous y écrire pour nous faire part des pratiques dont vous avez connaissance dans les différentes préfectures ou sous-préfectures.
La note ci-dessous présente les nouveautés concernant les possibilités de régularisation des personnes en situation irrégulière (dites « sans-papiers ») après la circulaire du 23 janvier 2025.
Il est possible de la télécharger en format pdf ici.
I. Quel est le contenu de la circulaire ?
II. Quelles sont les exigences linguistiques posées dans la circulaire ?
III. Qu’est-ce signifie la condition d’absence de menace à l’ordre public ?
IV. Puis-je déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour si une OQTF m’a été notifiée ?
VII. Quelle liste de métiers en tension doit être utilisée ?
XI. Quel droit au séjour pour les conjoints d’étrangers en situation régulière ? Et en cas de Pacs ?
XVI. Quelles sont les conséquences d’une OQTF sur le décompte des années de présence en France ?
Introduction
La circulaire Retailleau du 23 janvier 2025 abroge la circulaire Valls du 28 novembre 2012, qui donnait aux préfets des indications sur la manière d’appliquer l’ancien article L. 313-14 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), devenu article L. 435-1, sur l’admission exceptionnelle au séjour (AES). Pour rappel, une circulaire ne fait que commenter la loi : les articles du chapitre sur l’admission exceptionnelle au séjour du Ceseda (articles L. 435-1, L. 435-2, L. 435-3 et L. 435-4) restent le fondement d’une éventuelle régularisation.
- Ceseda, art. L. 435-1 : article général sur l’AES,
- Ceseda, art. L. 435-2 : concerne les personnes accueillies dans des structures agréées Oacas,
- Ceseda, art. L. 435-3 : concerne les jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) devenant majeurs,
- Ceseda, art. L. 435-4 : personnes travaillant et ayant travaillé dans un métier « en tension » (article introduit par la loi Darmanin du 26 janvier 2024).
Une demande de régularisation ne peut pas s’appuyer uniquement sur une circulaire : elle doit être fondée sur l’un ou l’autre des articles de loi, même s’il est possible de préciser aussi que la situation de la personne correspond aux critères donnés dans la circulaire.
De la même façon, d’ailleurs, une préfecture ne peut se baser uniquement sur les critères figurant dans la circulaire pour rejeter une demande de régularisation (par exemple rejeter d’office un dossier au motif que la personne n’a pas 7 années de présence en France).
À noter : le Conseil d’État a jugé, le 4 février 2015, que la circulaire Valls ne donnait que « des orientations générales », et, le 14 février 2022, qu’une personne ne pouvait pas invoquer la circulaire devant les tribunaux administratifs dans un recours contre un refus de séjour. Ceci vaut aussi pour la circulaire Retailleau.
Pour rappel, l’admission exceptionnelle au séjour (AES) est un dispositif discrétionnaire. Cela veut dire qu’elle autorise le préfet à décider de régulariser telle ou telle personne même si cette personne est dans une situation qui n’est prévue par aucun article du Ceseda sur la délivrance d’un titre de séjour. Le Conseil d’État a réaffirmé à plusieurs reprises le libre pouvoir d’appréciation du préfet.
Sous le terme « admission exceptionnelle au séjour » sont en fait regroupées des dispositions disparates. Certaines, comme celle de l’article L. 435-1, ont des formulations tellement vagues (« considérations humanitaires » ou « motifs exceptionnels ») qu’elles laissent à l’administration un très large champ d’interprétation. D’autres, au contraire, visent une catégorie très précise, par exemple les jeunes confiés à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) entre 16 et 18 ans (article L. 435-3), avec des conditions posées par la loi qui laissent peu de marge d’appréciation aux préfets ; on se rapproche alors des cas de délivrance de droit d’un titre de séjour, où le juge administratif contrôle le bien-fondé des refus de l’administration. Entre les deux, on trouve des dispositions comme celles de l’article L. 435-4 qui comporte à la fois des conditions précises (par exemple, exercer un métier en tension figurant dans une liste fixée par un arrêté) et d’autres qui laissent un large pouvoir d’appréciation à l’administration (« insertion sociale et familiale », « intégration à la société française »). Dans ce dernier cas, le juge administratif exerce un contrôle limité mais il est souvent utile de le saisir en cas de refus, avec l’aide d’un·e juriste ou d’un·e avocat·e spécialisé·e : le juge peut par exemple annuler un refus du préfet pour « erreur manifeste d’appréciation », s’il n’a pas été tenu compte de certains éléments figurant au dossier.
Il est essentiel de garder à l’esprit que l’admission exceptionnelle au séjour est un dispositif toujours aléatoire : on n’est jamais assuré d’avoir une réponse favorable, même pour un dossier qui semblait présenter de très bons atouts. Le risque encouru n’est pas seulement d’être débouté·e de sa demande, mais que le refus de délivrance d’un titre de séjour s’accompagne d’une mesure d’éloignement (OQTF). La circulaire Retailleau n’enlève rien au caractère aléatoire, bien au contraire, et donne comme consigne aux préfets de notifier systématiquement une obligation de quitter le territoire français (OQTF) en cas de refus. Il faut donc bien réfléchir et prendre conseil avant de décider de déposer un dossier.
I. Quel est le contenu de la circulaire ?
La circulaire Retailleau est très succincte (à peine trois pages). Elle insiste sur le caractère dérogatoire et exceptionnel du dispositif de l’admission exceptionnelle au séjour, tout en fixant un cadre plus strict d’examen des demandes.
Plusieurs points à retenir :
- L’insistance sur le caractère « exceptionnel » ... de ce qui s’appelle déjà admission « exceptionnelle » au séjour ; autrement dit, elle marque la volonté du ministre « d’expulser plus et de régulariser moins » (comme il l’avait dit sur TF1 dès le lundi 23 septembre 2024) ; les préfets auront compris qu’ils vont être surveillés sur le sujet. Cela impose donc d’être très prudent⋅e dans le dépôt de dossiers.
- La limitation des critères menant à une régularisation : l’article L. 435-1 parle de « considérations humanitaires » et de « motifs exceptionnels ». La circulaire Valls listait toute une série de catégories de personnes dont les dossiers devaient être examinés avec bienveillance : parents d’enfants scolarisés, conjoint·es d’une personne en situation régulière, jeunes devenus majeur·es, personnes vivant dans une structure agréée organisme d’accueil communautaire et d’activités solidaires (Oacas), victimes de traite, de proxénétisme, de violences conjugales, etc. Elle prévoyait aussi, pour les personnes ayant travaillé sans autorisation de travail, une régularisation possible si elles apportaient la preuve de 5 années, voire seulement 3, de présence en France, et de 8 mois d’activité salariée sur les deux dernières années ou 30 sur les cinq dernières années – sans exigence que l’emploi soit dans un métier en tension – la demande devant être accompagnée d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche.
La circulaire Retailleau : 1) renvoie aux articles du Ceseda qui traitent des divers cas de figure que recensait la circulaire Valls, dont l’article L. 423-23, concernant les personnes qui disposent « de liens personnels et familiaux en France » et de leur « droit au respect de [leur] vie privée et familiale »,
2) pour les régularisations sur la base du travail, elle demande aux préfets de « se recentrer » sur les dossiers de personnes travaillant dans un métier « en tension », c’est-à-dire sur l’article L. 435-4, qui a été inséré dans le chapitre AES du Ceseda par la loi Darmanin du 26 janvier 2024 (voir cet article, qui impose entre autres des critères précis de durée de résidence et d’activité professionnelle).
Les métiers « en tension » à prendre en compte, pour l’application de l’article L. 435-4, sont ceux de la liste (par régions) figurant en annexe de l’arrêté du 21 mai 2025.
Remarque : la liste des métiers en tension est censée être revue et mise à jour chaque année, après examen par les syndicats patronaux et de salariés. Au moment de la publication de la circulaire, le 23 janvier 2025, la liste en vigueur était encore celle figurant dans un arrêté du 1er avril 2021, complétée le 1er mars 2024 pour y inclure des métiers de l’agriculture. Une nouvelle a été publiée le 21 mai 2025. On verra ce qu’il en sera de l’actualisation de cette liste dans le futur.
- Le durcissement des conditions de régularisation, en insistant sur les preuves d’intégration :
- une ancienneté de séjour en France de 7 années (la circulaire Valls parlait de 5 années, voire 3 années) ;
Remarque : Par exception, une ancienneté de séjour de 3 années est suffisante pour les dossiers déposés en application de l’article L. 435-4. - la signature du contrat d’engagement au respect des principes de la République (CERPR), étant devenu obligatoire pour la délivrance de tout titre de séjour (Ceseda, art. L. 412-7) ;
- la maîtrise de la langue française (sans précision d’un niveau de connaissance linguistique particulier).
- une ancienneté de séjour en France de 7 années (la circulaire Valls parlait de 5 années, voire 3 années) ;
- L’exclusion des personnes représentant une menace à l’ordre public, ou vivant en situation de polygamie.
- L’exclusion aussi des personnes ayant une OQTF notifiée depuis moins de 3 ans, et/ou une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF).
- En cas de refus de l’AES, notification systématique d’une OQTF.
II. Quelles sont les exigences linguistiques posées dans la circulaire ?
Le ministre de l’intérieur invite les préfets, dans le cadre de l’examen d’une demande d’admission exceptionnelle au séjour, à tenir compte de l’intégration de la personne concernée par cette demande.
Outre l’obligation de signer le contrat d’engagement à respecter les principes de la République (Ceseda, art. L. 412-7 à L. 412-10), le ministre précise qu’une « attention particulière devra être portée à la maîtrise de la langue française des demandeurs ». À cet effet, il ajoute que « la justification d’un diplôme français ou bien d’une certification linguistique, délivrée par un organisme dûment agréé, ou toute autre preuve d’une maîtrise de la langue française devra être appréciée favorablement ».
Pour rappel, la circulaire Valls du 28 novembre 2012 exigeait une « maîtrise orale élémentaire » de la langue française.
Même si la circulaire Retailleau de 2025 est plus restrictive, il est encore très tôt pour savoir comment les préfectures vont apprécier le niveau de « maîtrise » du français. S’agira-t-il d’une maîtrise orale ? Et quel niveau de maîtrise ? Comment apprécier le niveau de maîtrise lors des échanges à l’occasion du rendez-vous de dépôt de la demande de titre ?
Toujours est-il que la ou le juge administratif apprécie le critère d’intégration de manière globale : le degré de maîtrise de la langue est un critère parmi d’autres au même titre que les liens privés et familiaux en France, l’intégration professionnelle, l’investissement dans la vie locale, associative, etc.
Exemples de jurisprudences favorables :
- « Mme X fait valoir sa présence au quotidien pour sa sœur T, en situation régulière et présente sur le territoire français depuis 2014, qui bénéficie d’une prise en charge pluridisciplinaire du fait de troubles psychiques et d’un lourd handicap moteur causé par une paralysie cérébrale de forme sévère [...]. Cette aide nécessaire est confirmée par des attestations très circonstanciées versées au dossier émanant du médecin traitant de sa sœur, de l’équipe de l’association pour adultes et jeunes handicapés de XX (APAJH) et des proches de la requérante. Par ailleurs, elle fait valoir la présence sur le territoire français de ses deux parents, en situation régulière et présents sur le territoire depuis 2013, en ce qui concerne son père, et depuis 2014 en ce qui concerne sa mère, qui l’hébergent depuis son arrivée en France ainsi que la présence sur le territoire de sa deuxième sœur et de son oncle paternel. En outre, depuis son arrivée sur le territoire français, Mme X justifie avoir suivi des cours de français au cours des années 2020-2021 et 2022-2023, avoir travaillé dans le secteur du maraichage du 1er avril 2021 au 30 juin 2021, avoir suivi une formation « Orientation sociale et emploi » du 19 septembre 2022 au 9 février 2023, ainsi qu’un stage dans le cadre de cette formation au sein de la société XX du 21 novembre au 2 décembre 2022 » (TA Nantes, 19 juin 2024, n° 2314052). Voir dans le même sens : CAA de Paris, 22 octobre 2013, n° 13PA01430 ; 4 juin 2015, n° 14PA01585.
Exemples de jurisprudences défavorables :
- « 12. [...] compte tenu du caractère très récent du séjour en France de M. G... et du fait qu’il ne vivait pas avec son épouse et ne disposait pas d’attaches familiales en France, et alors même qu’il bénéficiait d’un contrat de travail et qu’il maîtrise la langue française, le préfet de la Drôme, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, n’a ni porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a pris sa décision ni entaché cette décision d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de ses conséquences sur la situation personnelle de M. G... » (CAA Lyon, 2 octobre 2014, n° 14LY01620).
Conseil : si la ou le juge administratif n’exige pas un niveau spécifique de maîtrise de la langue française, il est certain que plus la personne a un niveau de connaissance, voire de maîtrise de la langue, plus elle aura de chances d’obtenir un titre de séjour. Il ne faut pas oublier que cela peut être démontré « par tout moyen ». Ce critère s’accompagne d’autres facteurs qui démontrent le niveau d’intégration dans la société française.
Attention ! Il n’est nullement exigé de la personne qu’elle démontre avoir atteint le niveau A2, B1 ou B2 du cadre européen de référence pour les langues. Ces niveaux sont exigés des personnes étrangères souhaitant obtenir la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle (A2), d’une carte de résident (B1) ou pour l’acquisition de la nationalité française (B2). Un décret - qui n’a pas encore été adopté à ce jour et le sera au plus tard le 1er janvier 2026 - doit préciser l’entrée en vigueur de cette exigence. Il n’est donc pas obligatoire de passer un test de connaissance de la langue française. Toutefois, la preuve de l’obtention d’un niveau attesté par un test (ou de cours pris en langue française) peut être considérée comme un « plus » dans le dossier. |
III. Qu’est-ce signifie la condition d’absence de menace à l’ordre public ?
Contexte
Le ministre de l’intérieur rappelle aux préfets que le bénéfice de la circulaire n’est ouvert qu’aux personnes ne constituant pas une menace pour l’ordre public. Il ne définit pas pour autant la notion de menace à l’ordre public mais donne des exemples de circonstances dans lesquelles les préfets devront se montrer vigilants à l’égard des personnes sollicitant un titre de séjour au titre de l’admission exceptionnelle au séjour.
La circulaire Valls prévoyait déjà qu’il soit porté une attention particulière aux personnes dont la présence sur le territoire français constituait une menace à l’ordre public : « Je vous rappelle que sont exclus du bénéfice de la présente circulaire les étrangers dont la présence en France constituerait une menace à l’ordre public ou qui se trouveraient en situation de polygamie sur le territoire national. »
Toutefois, ce texte n’apportait pas de précision quant à la définition et à l’étendue de la notion de menace à l’ordre public (MOP).
Au sens où l’entend l’administration, on peut classiquement considérer qu’une personne peut constituer une MOP dès lors qu’elle a été pénalement condamnée. L’administration peut également avoir une interprétation plus large de la notion de menace à l’ordre public en retenant cette notion à l’encontre de personnes n’ayant pas été condamnées mais étant connues des services de police. Ainsi, on peut néanmoins observer un recours de plus en plus systématique des Préfectures à la notion de menace à l’ordre public et à des tentatives d’en étendre ou d’en contourner le sens. La jurisprudence a tenté de fournir une grille de lecture de cette notion : il convient d’analyser cette condamnation en fonction de son ancienneté, de sa gravité, de son caractère isolé ou non, et du comportement d’intégration ou de réinsertion de l’intéressé depuis les faits. En revanche, une simple interpellation et un placement en garde à vue ne suffisent pas, en principe, à caractériser la menace à l’ordre public.
La circulaire Retailleau va plus loin dans l’appréciation de la notion de la menace à l’ordre public puisqu’elle lie cette notion à la non-exécution de précédentes mesures d’éloignement, ce qui constituerait un dévoiement de la notion de menace à l’ordre public. Textes et jurisprudences utiles :
- une circulaire du ministre de l’intérieur datée du 8 février 1994 définit la menace à l’ordre public de la façon suivante : « Cette mesure doit être appréciée au regard de l’ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant le comportement personnel de l’étranger en cause. Il n’est donc ni nécessaire, ni suffisant que l’étranger ait fait l’objet de condamnations pénales. L’existence de celles-ci constitue cependant un élément d’appréciation au même titre que d’autres éléments tels que la nature, l’ancienneté ou la gravité des faits reprochés à la personne ou encore son comportement habituel. »
- la définition jurisprudentielle de la menace à l’ordre public : il ressort de l’analyse de la jurisprudence administrative que la menace à l’ordre public constitue un concept devant être apprécié au regard de la situation individuelle de la personne à laquelle il est appliqué. En ce sens, la seule existence de condamnations pénales ne permet pas d’établir l’existence d’une menace à l’ordre public. L’existence d’une condamnation pénale n’est d’ailleurs pas indispensable à la caractérisation de la menace à l’ordre public (CE, 2 octobre 1995, n° 153815). En présence d’une condamnation pénale, l’administration doit s’interroger sur l’actualité, l’ancienneté et la gravité des faits à l’origine de cette condamnation pour établir l’existence d’une menace à l’ordre public.
Le Conseil d’État rappelle que l’administration doit également apprécier le comportement de l’administré dans son ensemble et tenir compte de son évolution (CE, 21 janvier 1977, min. de l’intérieur c/Dridi et 11 juin 1982, min. de l’intérieur c/Rezzouk).
- Jurisprudences favorables : Une condamnation ancienne de plusieurs années ne permet pas d’établir l’existence d’une menace à l’ordre public, en particulier lorsque l’intéressé n’a pas commis d’autres faits délictueux depuis cette condamnation (CAA Paris 16 février 2023, n° 21PA04034 ; TA Paris, 13 avril 2023, n° 2300244 ; 26 mars 2024, n° 2318326 et 29 mai 2024, n° 2406702).
Les faits soulevés à l’encontre d’un individu doivent être établis. Le placement en garde à vue, l’existence d’une interpellation ou l’inscription dans un fichier d’antécédents judiciaires ne suffisent pas à eux seuls à établir la menace à l’ordre public (TA Paris, 29 mai 2024, n° 2406702 ; CAA Paris, 6 mars 2024, n° 23PA00197).
Conseil : Si une condamnation pénale peut être considérée comme une menace à l’OP, il conviendra de tenter de demander l’effacement du casier judiciaire et du fichier TAJ avant d’envisager un dépôt de dossier en préfecture. Si cet effacement est impossible, il conviendra de jauger la gravité et la nature de l’infraction pour laquelle la personne a été condamnée et l’ancienneté de cette condamnation au regard du parcours réalisé sur le territoire français depuis l’infraction. La notion de menace à l’ordre public est d’ores et déjà laissée à l’appréciation de la préfecture avec le risque accru d’une application étendue et différenciée en fonction des départements. Il est recommandé de demander conseil à un juriste ou à un avocat afin de savoir s’il est opportun ou non de déposer une demande de titre de séjour malgré une condamnation antérieure.
La circulaire prévoit que la menace à l’ordre public peut également être caractérisée en raison d’une précédente mesure d’éloignement qui n’aurait pas été exécutée. Il conviendra alors de savoir si cette mesure d’éloignement est ancienne ou non (antérieure à 3 ans ou non) et si l’inexécution de la mesure d’éloignement permet de qualifier à elle seule le trouble à l’ordre public. De nouveau, il est recommandé de demander conseil à un juriste ou à un avocat en la matière [voir « Puis-je déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour si une OQTF m’a été notifiée ? » et « Quelles sont les conséquences d’une OQTF », ci-dessous].
IV. Puis-je déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour si une OQTF m’a été notifiée ?
- Quel est l’impact d’une obligation de quitter le territoire (OQTF), quelle que soit la date de son édiction, sur les demandes de titres de séjour depuis la loi du 26 janvier 2024 ?
L’incidence d’une OQTF sur l’instruction d’une nouvelle demande de titre de séjour a été considérablement modifiée, et il est important de bien mesurer l’impact d’une telle mesure avant d’envisager de déposer une demande de titre de séjour.
À cet égard il est très important de connaître précisément le parcours administratif de la personne depuis son arrivée en France, les démarches effectuées, les mesures dont elle a éventuellement fait l’objet.
D’une part, l’article L. 731-1 du Ceseda a été modifié s’agissant du délai pendant lequel cette mesure reste exécutoire, le faisant passer de 1 an à 3 ans. Ceci veut dire qu’une obligation de quitter le territoire peut être exécutée pendant 3 ans à compter de la date à laquelle elle a été prise. Pendant cette période, la personne peut être assignée à résidence ou placée en rétention. Attention : cela concerne aussi les obligations de quitter le territoire notifiées avant la loi du 26 janvier 2024.
Outre le fait qu’une démarche en préfecture peut, dans cette hypothèse, conduire à ce que la personne soit assignée à résidence ou placée en rétention administrative, on constate que les préfectures exigent que les personnes justifient d’éléments nouveaux pour instruire une nouvelle demande intervenant dans le délai de 3 ans suivant une obligation de quitter le territoire. Pour les personnes ayant eu un rendez-vous et ayant pu déposer leur nouvelle demande malgré l’existence d’une OQTF de moins de 3 ans, il n’est pas rare qu’une nouvelle mesure d’éloignement assortie d’une interdiction de retour soit notifiée.
D’autre part, l’article L. 432-1-1, alinéa 1 du Ceseda prévoit un nouveau motif de refus de délivrance ou de renouvellement de carte de séjour à tout étranger : « 1° N’ayant pas satisfait à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français dans les formes et les délais prescrits par l’autorité administrative… » À cet égard la circulaire précise que les préfectures devront « porter une attention particulière aux demandes d’AES d’étrangers n’ayant pas satisfait à l’obligation qui leur a été faite de quitter le territoire ».
Pour les personnes ayant fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire par le passé, il convient d’être particulièrement vigilent et plus particulièrement si cette mesure date de moins de 3 ans et, dans ce cas, en l’absence d’éléments nouveaux il est déconseillé d’envisager une nouvelle demande. [voir ci-dessous s’agissant de la notion d’éléments nouveaux].
- Comment savoir si on a déjà fait l’objet d’une OQTF ?
Si les personnes ont fait, par le passé, des démarches auprès de la préfecture, qu’il s’agisse d’une demande de titre de séjour ou d’une demande d’asile, il est possible, notamment en cas de changement d’adresse, qu’elles se soient vues notifier une obligation de quitter le territoire mais qu’elles ne l’aient jamais reçu.
En cas de doute sur l’existence d’une telle mesure, il est recommandé de demander à la préfecture qui était en charge de la demande l’accès à son dossier administratif en se basant sur les articles L. 311-1 et suivants du Code des relations entre le public et l’administration. Cette demande peut être adressée par mail ou courrier recommandé à la préfecture auprès de laquelle la personne était domiciliée à l’époque de cette démarche en précisant son état civil complet et son numéro étranger. La personne peut faire la demande elle-même ou mandater quelqu’un pour le faire (dans ce cas, il faudra ajouter le mandat à la demande). Elle peut aussi demander à un ou une avocate de le faire.
Une attention particulière doit être portée quand les personnes se sont vues notifier des obligations de quitter le territoire assorties d’une interdiction de retour.
Bien sûr, l’autorité préfectorale ne peut refuser d’enregistrer une demande de titre de séjour du seul fait que la personne soit sous le coup d’une ancienne OQT ou d’une décision d’interdiction de retour comme l’a par exemple rappelé le tribunal administratif de Montreuil, 11ème Chambre, 23 janvier 2025, 2408933.
Il en résulte qu’en dehors du cas d’une demande à caractère abusif ou dilatoire, l’autorité administrative chargée d’instruire une demande de titre de séjour ne peut refuser de l’enregistrer, et de délivrer le récépissé de dépôt, que si le dossier est incomplet. Le caractère abusif ou dilatoire de la demande doit s’apprécier compte tenu des éléments circonstanciés. Dès lors que le préfet dispose toujours de la faculté de faire usage de son pouvoir discrétionnaire en vue de régulariser la situation d’un ressortissant étranger et de prononcer l’abrogation d’une interdiction de retour, le simple fait que l’étranger a fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français exécutoire ou que l’interdiction de retour prononcée à son encontre produisait encore ses effets ne suffit pas à caractériser le caractère abusif ou dilatoire d’une demande de titre de séjour. en cas d’interdiction de retour, il est vivement conseillé de se rapprocher d’une association ou d’un⋅e avocat⋅e compte tenu de l’impact d’une telle mesure sur l’instruction et l’issue d’une nouvelle demande.
V. L’article L. 423-23 du Ceseda (attaches privées ou familiales en France) : est-ce une forme d’admission exceptionnelle au séjour ? Si ma situation relève de cet article, quelle demande dois-je faire ?
La circulaire Retailleau évoque dans une note de bas de page le cas des « étrangers justifiant de liens personnels et familiaux en France (L. 423-23) » en ajoutant que pour ces personnes, « des circonstances exceptionnelles caractérisées devront être présentées ou des considérations strictement humanitaires ». Ces consignes données aux préfets posent problème ; plusieurs organisations ont d’ailleurs déposé un recours en annulation contre la circulaire pour contester cette formulation qui impose des conditions qui ne figurent nullement dans le texte même de l’article L. 423-23.
Il existe une confusion entre les articles L. 435-1 à L. 435-4 qui constituent le chapitre « Admission exceptionnelle au séjour » du Ceseda et cet autre article du même code, L. 423-23 (anciennement L. 313-11, 7°), qui permet à toutes les personnes qui ont développé en France de fortes attaches privées et familiales de demander un titre de séjour sur ce fondement. Cet article fait directement écho à la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH, art. 8) sur le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale.
La circulaire Valls de 2012 est elle-même à la source de cette confusion puisque pour toute une série de situations (parents d’enfants scolarisés, conjoints entrés hors regroupement familial, jeunes majeurs), elle s’était contentée de reprendre les conditions reprises par les tribunaux et cours administratives pour l’application de cet article. Or, comme l’indique l’article 8 de la CEDH, il s’agit bien d’un droit à la vie privée et familiale et non d’une disposition que l’administration peut utiliser de façon discrétionnaire pour régulariser des personnes.
Il est vrai que la frontière entre droit au séjour en raison d’attaches personnelles et familiales en France et admission exceptionnelle au séjour est parfois difficile à distinguer pour une raison : à défaut d’une définition très précise de ce qui constitue une vie privée et familiale en France digne d’être protégée (durée, intensité, existence d’attaches au pays d’origine, possibilité de reconstitution de la cellule familiale à l’étranger, etc.), l’administration dispose, de fait, d’un large pouvoir d’appréciation pour délivrer ou non un titre de séjour. À tel point que, dans beaucoup de préfectures, les demandes de titre de séjour en application de l’article L. 423-23 sont traitées comme des demandes d’AES.
Pour autant, il existe une distinction fondamentale entre l’article L. 423-23 et les autres articles relatifs à l’admission exceptionnelle au séjour : c’est l’intensité du contrôle opéré par la juridiction administrative (tribunaux administratifs et cours administratives d’appel). Dès que le droit à la vie privée et familiale est invoqué, l’appréciation de l’administration sera pleinement contrôlée par celle-ci. Il y a donc presque toujours un intérêt à déposer un recours en cas de refus. À l’inverse, s’il s’agit d’une demande d’admission exceptionnelle au séjour, le contrôle du juge est très variable. Selon l’article du chapitre sur l’AES invoqué, il peut s’agir d’un contrôle complet des conditions prévues par le texte (par exemple, pour l’article L. 435-2 concernant les jeunes isolé⋅es sortant de l’ASE), ou quasi inexistant (par exemple, pour l’article L. 435-1 « considérations humanitaires et motifs exceptionnels »).
- Article L. 435-1 ou L. 423-23 : comment savoir sur quel fondement déposer sa demande de titre de séjour ?
L’article L. 423-23 prévoit de délivrer une carte de séjour mention « vie privée et familiale » « à l’étranger qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ». L’article précise que « les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d’origine ».
La Cour européenne des droits de l’Homme a rappelé à de nombreuses reprises que le droit au respect de la vie privée et familiale protège non seulement la vie familiale dans son acception la plus étroite, mais aussi l’ensemble des relations sociales et des attaches personnelles qui participent au développement de l’identité et de l’autonomie individuelle (voir notamment CourEDH, 4 décembre 2008, S. et Marper c/Royaume-Uni, nos 30562/04 et 30566/04, § 66).
Conseil : pour savoir si on a un « bon » dossier L. 423-23, il faut donc se demander :
- est-ce que je réside en France depuis longtemps (une ancienneté de présence d’au moins 5 ans sera considérée comme un indice de liens avec la France non suffisant mais nécessaire) ?
- en cas d’union (mariage, Pacs ou concubinage), est-ce que cette union date de plusieurs années ? Quelle est la situation administrative de l’autre membre du couple ?
- est-ce que j’ai des moyens de justifier de la réalité et d’une durée importante de la communauté de vie ?
- si j’ai des enfants, est-ce que tous vivent avec moi, ou en tous cas en France ?
- est-ce que j’ai d’autres proches (parents, grands-parents, frères et soeurs) en France ? Sont-ils en situation régulière ? Ou de nationalité française ?
- est-ce qu’une partie de ma famille réside à l’étranger ? Si oui, quels liens est-ce que j’entretiens avec ces personnes ?
- est-ce que mes ressources (revenus liés à mon activité professionnelle, autres revenus) proviennent de France ? est-ce que c’est en France que je paie mes impôts ?
- est-ce que j’ai une bonne connaissance de la langue française ?
- est-ce que mes enfants sont scolarisé·es en France, ou font des études en France ? Depuis combien de temps ?
- est-ce que j’ai en France des activités non professionnelles (vie associative, de quartier, syndicale, sportive, artistique, de loisirs, etc.) ? Depuis combien de temps ? À quelle fréquence ? Avec quelle forme d’engagement, quelles responsabilités ?
Si je suis en mesure de démontrer que je réside en France depuis plusieurs années, et que l’essentiel de mes attaches familiales, ressources, activités sont en France et ce également depuis plusieurs années, alors je peux envisager de bénéficier de cet article L. 423-23, qui pose un plein droit à un titre de séjour, et je n’ai aucun intérêt à déposer une demande d’admission exceptionnelle au séjour sur le fondement de l’article L. 435-1.
Pour plus de précisions concernant les parents d’enfants scolarisés et les personnes mariés ou pacsés, voir les questions sur ces points dans cette page.
VI. Puis-je encore déposer une demande de régularisation par le travail hors métiers « en tension » ?
On l’a dit, une circulaire ne peut abroger un article de loi, et donc, d’un point de vue strictement juridique, l’ensemble des articles du Ceseda au chapitre de l’admission exceptionnelle au séjour continuent de s’appliquer.
S’agissant des régularisations sur la base du travail, cependant, le ministre de l’intérieur demande aux préfets de « se recentrer » sur le mode de régularisation prévu à l’article L. 435-4, c’est-à-dire qu’il leur demande de privilégier les demandes de personnes ayant exercé et exerçant un métier « en tension » . Ceci ne signifie pas pour autant que seuls les travailleurs et travailleuses de ces métiers peuvent espérer être régularisé·es : au cours de la réforme de l’article L. 435-1 du Ceseda (qui s’appelait alors L. 313-14), en 2007, le travail avait été ajouté par les parlementaires comme l’un des « motifs exceptionnels » que l’étranger peut faire valoir pour demander à être régularisé. Depuis, dans les faits, les dossiers de demande d’AES étaient instruits sans référence systématique à la situation de l’emploi, mais les employeurs avaient tout de même à justifier avoir eu des difficultés pour pourvoir le poste sur lequel la personne sans-papiers avait été embauchée.
Même si le métier exercé ne figure pas dans les listes de métiers en tension [voir dans cette page la question sur ces listes], il n’y a pas lieu de renoncer d’emblée à déposer un dossier d’AES en invoquant non pas l’article L. 435-4 mais l’article L. 435-1.
Reste qu’on ne peut entreprendre cette démarche sans une grande prudence ; on ne sait pas encore comment les préfets vont traiter les demandes après la publication de la circulaire Retailleau, mais tout laisse à penser que beaucoup ne vont instruire que les dossiers relevant de travail dans un métier en tension.
Conseil : il convient d’examiner quels éléments, en dehors des preuves de l’activité salariée, peuvent être mis en avant.
- La nature du ou des emplois occupés : s’il n’y a pas de raison d’écarter a priori les activités salariées de brèves durées, ou le travail en interim, ou le changement fréquent d’employeurs, on a davantage de chances d’avoir une issue favorable si le travail a été d’une longue durée, dans le même secteur d’activité, chez le même employeur ;
- Le rôle de l’employeur est toujours prépondérant dans un dossier d’AES par le travail : ce rôle devient encore plus important désormais. Il est impératif que l’employeur de la personne explique dans un courrier détaillé les difficultés qu’il a rencontrées pour pourvoir le poste concerné, comment il a été amené à embaucher une personne sans-papiers, en citant par exemple ce que disent la presse professionnelle et/ou les syndicats patronaux de son secteur d’activité, en exposant les conséquences qu’aurait pour son entreprise de devoir se séparer de ce ou cette salariée, etc. ;
- L’ancienneté de présence en France : la circulaire Retailleau parlant d’une durée de présence en France d’au moins 7 ans comme d’« un indice d’intégration pertinent », il est plus prudent de ne déposer une demande de régularisation par le travail que lorsqu’on peut justifier d’au moins 7 années de résidence sur le territoire français ;
- Les éléments d’« intégration » : il est déconseillé de déposer un dossier s’il n’y a pas d’autres arguments à faire valoir que le travail salarié. Il est nécessaire de pouvoir justifier d’un ou plusieurs des éléments dits d’intégration : bonne maîtrise de la langue française, enfants scolarisé·es en France, proches installés en France, investissement dans du bénévolat, une activité non-professionnelle, et, bien sûr, situation fiscale à jour, etc. ;
En résumé, rien n’interdit a priori de continuer de déposer des dossiers de demande d’AES sur la base du travail hors métiers en tension, mais la plus grande prudence est de rigueur. Mieux vaut attendre d’être dans une situation plus favorable que prendre le risque d’un refus accompagné d’une OQTF.
VII. Quelle liste de métiers en tension doit être utilisée ?
Un métier est dit « en tension » quand il y a davantage d’employeurs qui cherchent à recruter dans ce métier que de personnes en recherche d’un emploi pour ce même métier.
Il existe en France plusieurs sources sur les difficultés rencontrées par les employeurs pour trouver la main-d’oeuvre dont ils ont besoin. Par exemple, les enquêtes annuelles de France Travail Besoins en main-d’oeuvre.
Cependant, une seule référence est à prendre en compte, que ce soit pour les autorisations de travail ou pour l’application de l’article L. 435-4 du Ceseda : celle qui figure en annexe de l’arrêté du 21 mai 2025 « fixant la liste des métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement » (NOR : TSSD2508346A). Il s’agit en fait non pas d’une liste nationale mais de listes par régions.
Ces listes régionales remplacent celles en annexe d’un précédent arrêté, du 1er avril 2021, « relatif à la délivrance, sans opposition de la situation de l’emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse » (NOR : MTRD2109963A).
La réforme du droit des étrangers du 26 janvier 2024 a prévu que la liste de métiers en tension soit actualisée chaque année (Ceseda, art. L. 414-13). Mais la liste publiée en avril 2021 n’avait été modifiée que par l’arrêté du 1er mars 2024 (NOR : TSSD2406159A), qui avait ajouté aux listes régionales, pour l’ensemble du territoire national, quatre métiers de l’agriculture. La nouvelle liste n’a été transmise par le gouvernement aux organisations patronales et aux syndicats de travailleurs que le 21 février 2025, avant sa publication le 21 mai. On verra ce qu’il en sera de son actualisation…
On est généralement surpris de constater, dans les listes de métiers en tension, que la plupart des métiers qu’exercent de fait les travailleurs et travailleuses immigré·es sans papiers ne s’y trouvent pas. C’est à nouveau le cas pour plusieurs métiers dans les différentes régions, et c’est particulièrement le cas pour la région Ile-de-France. Plusieurs éléments d’explication à cela : entre autres le fait que les entreprises ou les personnes qui emploient des sans-papiers ne déposent généralement pas leurs offres d’emploi à France travail. Les statistiques qui remontent au ministère du travail sont ainsi biaisées. Par ailleurs, justement parce que ces métiers sont occupés de façon importante par des sans-papiers, ils n’apparaissent pas comme présentant des difficultés de recrutement !
Ne pas oublier de faire valoir également, le cas échéant, pour les nationalités concernées, les métiers figurant dans les « accords de gestion concertée des flux migratoires » (voir sur le site du Gisti les accords de ce type signés avec le Sénégal, le Gabon, le Congo-Brazzaville, le Bénin, la Tunisie, le Cap-Vert, le Burkina-Faso, le Cameroun, l’Île Maurice). Il est conseillé aux personnes ayant l’une de ces nationalités de se faire aider d’un·e juriste car ces accords sont tous différents et n’offrent pas les mêmes perspectives. Ne pas oublier non plus que la circulaire d’application de l’article L.435-4 (circulaire Darmanin du 5 février 2024) précise qu’en cas de changement de la liste de métiers en tension au cours de l’instruction de la demande d’AES, l’administration doit « tenir compte de la disposition la plus favorable au demandeur ».
VIII. Les anciens dossiers vont-ils être étudiés par les préfectures sur la base de la nouvelle circulaire ?
Contexte
Des personnes ont déposé des dossiers de premières demandes de titre de séjour au titre de l’admission exceptionnelle au séjour avant le 23 janvier 2025, date d’entrée en vigueur de la circulaire Retailleau, et n’ont toujours pas reçu de réponse.
Ces demandes se fondaient souvent sur les critères posés par la circulaire Valls qui prévoyait des possibilités de régularisation qui ne figurent plus dans la circulaire Retailleau. Les personnes ayant leurs dossiers en cours d’instruction ne répondent donc plus aux critères posés par la nouvelle circulaire.
Textes et jurisprudences utiles
« L’étranger dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention “salarié”, “travailleur temporaire” ou “vie privée et familiale”, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1.
Lorsqu’elle envisage de refuser la demande d’admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l’autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l’article L. 432-14.
Les modalités d’application du présent article sont définies par décret en Conseil d’État. » (Ceseda, art. L. 435-1).
Conseil : si la personne est en mesure de le faire, il faudra compléter le dossier avec des éléments permettant de mettre son dossier en conformité avec les nouvelles exigences posées par la circulaire Retailleau, notamment en ce qui concerne le niveau de langue et l’absence de menace à l’ordre public. Il conviendra ainsi de passer un test linguistique et de signer le contrat d’engagement à respecter les principes de la République.
Si un refus de délivrance de titre de séjour, éventuellement assorti d’une mesure d’éloignement, est notifié, il conviendra de le contester en indiquant, dans le cadre du contentieux devant le tribunal administratif, qu’une circulaire n’est pas opposable et donc que les nouveaux critères posés par la circulaire ne sont pas invocables devant le juge administratif. Il conviendra d’insister sur la complétude du dossier et sur le fait que la personne peut se prévaloir de l’article L. 435-1 du Ceseda qui reste toutefois très vague concernant les cas d’admission exceptionnelle au séjour.
Il convient de préciser que si une personne a obtenu, avant le 23 janvier 2025, un rendez-vous en préfecture prévu dans les semaines ou les mois à venir sur la base d’anciens critères prévus par la circulaire Valls, il est conseillé à cette personne de ne pas honorer son rendez-vous en préfecture puisqu’il existe désormais de fortes chances pour que sa demande de titre de séjour fasse l’objet d’un refus assorti d’une mesure d’éloignement.
IX. Je suis parent d’un·ou d’une enfant scolarisée en France depuis plusieurs années, est-ce que je peux encore déposer une demande de régularisation ?
Contexte
La circulaire Valls prévoyait une possibilité de régulariser les personnes installées en France depuis au moins 5 ans avec un ou plusieurs enfants scolarisé·es depuis au moins 3 années.
Il n’y a pas de disposition équivalente dans la circulaire Retailleau. Pour autant, cela ne signifie pas que les familles avec enfants scolarisé·es ne peuvent plus obtenir un titre de séjour au regard des liens personnels et familiaux qu’elles ont pu tisser en France. Dans certaines hypothèses, les parents peuvent encore prétendre obtenir une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » en se fondant sur l’article L. 423-23 du Ceseda.
Texte et jurisprudences
Ceseda, art. L. 423-23 : « L’étranger qui n’entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” d’une durée d’un an, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1.
Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d’origine.
L’insertion de l’étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République » (Ceseda, art. L. 423-23).
- Porte une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale, garanti par l’article 8 de la CEDH, le refus de séjour opposé à un couple dès lors qu’ils « résident en France de manière continue depuis plus de dix ans, qu’ils s’y sont mariés, et que leurs enfants, nés en France en 2013, 2015 et 2017, un quatrième enfant étant né en 2021, postérieurement aux décisions litigieuses, y ont toujours vécu, y sont scolarisés et parfaitement intégrés » (CE, 24 mars 2023, n° 453493). Dans le même sens, voir CAA de Douai, 3 mars 2022, n° 21DA00971 ; CAA de Marseille, 30 mars 2021, n° 20MA0391.
> Ces jurisprudences ainsi que d’autres allant dans le même sens sont consultables sur le site Dequeldroit.
Conseil : ces décisions font apparaître que la scolarisation d’un ou plusieurs enfants en France est un élément important mais pas déterminant pour prétendre obtenir une carte « vie privée et familiale ». Il n’est plus suffisant de remplir les conditions qui étaient prévues par la circulaire Valls, en se contentant notamment pour les parents de justifier de 5 ans de présence en France. Dans la plupart des décisions favorables, la durée de séjour en France d’au moins un des parents est souvent supérieure à 10 ans. Seules des circonstances particulières (forte intégration sociale et /ou professionnelle, régularité du séjour d’un des parents, risques particuliers en cas de retour dans le pays d’origine, etc.) peuvent permettre d’envisager de déposer une demande dans un délai plus bref. Dans tous les cas, il est important de prendre l’avis d’un ou d’une avocate ou juriste d’une association avant de déposer un dossier.
X. Quelle possibilité de régularisation pour les jeunes entrés hors de la procédure de regroupement familial et scolarisés en France ?
Contexte
Pour cette catégorie de jeunes entrés en dehors de la procédure de regroupement familial en vue de rejoindre un ou plusieurs membres de leur famille en France, en y étant généralement scolarisés, la circulaire Valls renvoyait à l’application de l’article L. 313-11, 7° du Ceseda (devenu l’article L. 423-23). Elle s’appuyait sur plusieurs décisions de tribunaux pour dégager des critères de régularisation habituellement retenus par la jurisprudence : au moins 2 années de présence à la date de leur 18 ans, un parcours scolaire assidu et sérieux, des attaches familiales principalement situées sur le territoire français et une prise en charge effective par ces mêmes membres de famille résidant en France.
La circulaire ajoutait que quand l’ensemble de la famille proche est en France (donc en principe les deux parents et, le cas échéant, les frères et sœurs) et que le ou la jeune est déjà engagée dans un parcours scolaire assidu et sérieux, un titre de séjour « vie privée et familiale » devait lui être délivré même s’il ou elle était entrée après ses 16 ans.
En droit, l’abrogation de la circulaire Valls ne devrait avoir aucune incidence pour cette catégorie de jeunes puisque ce texte se contentait de renvoyer vers une disposition du Ceseda qui reste inchangée.
Dans les faits, il est évident que les préfectures sont d’autant plus disposées à se plier aux principes dégagés par la jurisprudence que le ministre de l’intérieur – leur supérieur hiérarchique – leur demande de les respecter. La circulaire permettait aussi d’unifier, voire de systématiser, des critères de régularisation. Avec son abrogation, chaque préfecture procède, à nouveau, à sa propre interprétation en optant, le plus souvent, pour la plus restrictive.
À noter : La situation des enfants entrés en France hors regroupement familial avant l’âge de 13 ans pour y rejoindre au moins un de leurs parents est réglée par l’article L. 423-21 qui prévoit la délivrance d’une carte « vie privée et familiale » de plein droit [voir ci-dessous]. Leur droit au séjour à leur majorité est assuré. Ils ne sont donc pas concernés par tous ces développements.
Textes et jurisprudences utiles
- « Dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s’il entre dans les prévisions de l’article L. 421-35, l’étranger qui justifie par tout moyen avoir résidé habituellement en France depuis qu’il a atteint au plus l’âge de treize ans avec au moins un de ses parents se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” d’une durée d’un an. La condition prévue à l’article L. 412-1 n’est pas opposable » (Ceseda, art. L. 423-21).
- « L’étranger qui n’entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” d’une durée d’un an, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1. Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d’origine. L’insertion de l’étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République » (Ceseda, art. L. 423-23).
- « Considérant toutefois qu’il ressort des pièces du dossier que Mlle X..., née en 1980, a vécu en Haïti avec trois de ses jeunes frères et sœurs auprès de ses grands-parents maternels depuis le décès de leur mère en 1993 ; qu’après le décès de ses grands-parents en 1997 et 1998, elle est partie, en juillet 2000, rejoindre son père résidant régulièrement en France ainsi que sa belle-mère et deux demi-frères ; que ses trois jeunes frères et sœurs, avec lesquels elle vivait en Haïti, et dont elle s’était occupée après le décès de ses grands-parents, ont bénéficié du regroupement familial en France, procédure dont, étant majeure, elle se trouvait écartée ; qu’ainsi, l’intéressée, qui est d’ailleurs à la charge de son père, doit être réputée avoir ses attaches familiales en France ; que, dans ces conditions, et alors même qu’elle est majeure, l’arrêté contesté a porté au respect dû à sa vie familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris » (CE, 28 décembre 2001, n° 230424). Dans le même sens, voir CE, 29 décembre 2004, n° 264286, citée par la circulaire Valls ; CAA Douai, 5 juin 2018, n° 17DA01996).
Conseil : il n’est plus possible d’espérer que les préfectures appliqueront de façon mécanique les critères de la circulaire Valls même si ces derniers sont tirés de la jurisprudence. Il est évident que plus le ou la jeune sera entrée tôt sur le territoire français, plus ses chances d’obtenir sa régularisation à la majorité seront importantes. Pour ceux et celles entrées à 13, 14 ou 15 ans et qui auront vécues de façon continue avec au moins un de leurs parents sur le territoire français en y étant scolarisées, il faut continuer à leur conseiller de déposer, dès leur majorité, une demande de titre de séjour sur le fondement de l’article L. 423-23 du Ceseda. Pour ceux et celles entrées à 16 ou 17 ans, la situation est plus nuancée. Les préfectures, même en cas de scolarisation réelle et sérieuse, considèrent souvent que leur durée de présence en France est faible et que les attaches avec leur pays d’origine sont fortes dès lors qu’ils et elles y ont été élevées par d’autres personnes que leur parents résidant en France. C’est seulement dans le cas d’une histoire familiale particulière (décès de la personne les ayant élevé·es au pays, maltraitance, etc.) avec un risque d’isolement total au pays que ces jeunes peuvent espérer obtenir leur régularisation. Dans tous ces cas, il est important de prendre l’avis d’un⋅e avocat⋅e ou juriste d’une association avant de déposer un dossier.
Attention ! Dans tous les cas, le ou les parents doivent continuer à prendre en charge leur enfant devenu majeur et être, eux-même, en situation régulière sur le territoire français. Il n’est plus envisageable de déposer une demande de régularisation si toute la famille est sans papiers. |
XI. Quel droit au séjour pour les conjoints d’étrangers en situation régulière ? Et en cas de Pacs ?
Contexte
La circulaire Valls recommandait aux préfets d’examiner les demandes d’admission au séjour des personnes venues rejoindre, sans passer par la procédure de regroupement familial, leur conjoint étranger résidant régulièrement en France. Elle renvoyait pour cela à l’application de l’article L. 313-11, 7°, devenu l’article L. 423-23 du Ceseda (droit au respect de la privée et familiale), et à la jurisprudence dans ce domaine. Elle ajoutait « de manière indicative » qu’une durée de 5 ans de présence en France et 18 mois de vie commune consituaient « des critères d’appréciations pertinentes » pour admettre au séjour le conjoint, en prenant aussi en compte ses conditions d’existence, son insertion et une maîtrise élémentaire du français.
Texte et jurisprudences utiles
- « L’étranger qui n’entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” d’une durée d’un an, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1.
Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d’origine. L’insertion de l’étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République » (Ceseda, art. L. 423-23).
Conseil : même après l’abrogation de la circulaire Valls, le ou la conjointe entrée hors regroupement familial peut toujours envisager de demander un titre de séjour. Mais outre la durée de sa présence en France et de la vie commune, l’existence d’un ou plusieurs enfants scolarisés en France s’avère déterminante. Sans enfants, les juridictions administratives ont tendance à considérer qu’un refus de séjour ne porte pas atteinte à la vie familiale du couple dès lors que le conjoint en situation irrégulière est en mesure de repartir au pays pour bénéficier d’une procédure de regroupement familial. En revanche, si le couple a des enfants et que le conjoint en situation irrégulière peut justifier d’une durée de présence et de vie commune en France importante (au moins égale ou supérieur à celle précédemment prévue par la circulaire Valls), une demande de titre peut être envisagée. Mieux vaut dans cette hypothèse pourvoir aussi justifier d’une bonne maîtrise de la langue française. Dans tous les cas, il faut préalablement prendre conseil auprès d’une association ou d’un⋅e avocat⋅e avant de déposer son dossier.
En cas de Pacs : pour les étrangers en situation irrégulière pacsé·es avec un ou une titulaire d’un titre de séjour, les conditions de régularisation sont sensiblement différentes de celles exigées des conjoint⋅es marié·es. En effet, il n’existe pas de possibilité de regroupement familial pour les personnes pacsées. Leur demande de titre de séjour doit donc obligatoirement se fonder sur l’article L. 423-23. Ils et elles doivent en principe justifier d’au moins une année de vie commune. Peu importe que celle-ci se soit déroulée en toute ou partie avant ou après la conclusion du Pacs, l’important étant de pouvoir justifier de son existence par des preuves suffisantes.
>Pour en savoir plus, voir Pacs et concubinage : les droits des personnes étrangères, coll. Les notes pratiques, novembre 2015.
XII. Je suis accueilli·e dans une communauté Emmaüs ou un autre organisme d’accueil communautaire et d’activités solidaires (Oacas), est-ce que la circulaire Retailleau m’empêche de demander une régularisation ?
Contexte
La situation des personnes accueillies au sein d’un organisme agréé Oacas – dont les communautés Emmaüs – est prévue explicitement par l’article L. 435-2 du Ceseda (introduit par la loi de septembre 2018), et la circulaire du 28 février 2019. Cette disposition précise les critères dont doit tenir compte l’administration : 3 ans d’activité au sein d’un Oacas, caractère réel et sérieux de l’activité et perspectives d’intégration. C’est surtout sur ce dernier point que la ou le préfet disposent d’un pouvoir d’appréciation sous le contrôle du juge administratif (qui peut sanctionner la décision de refus pour « erreur manifeste d’appréciation »). Celui-ci va tenir compte du degré d’intégration au sein de l’organisme d’accueil, l’investissement de la personne concernée, les formations qu’elle a suivies, ses liens personnels et familiaux en France et les attaches qu’elle a pu conserver dans le pays d’origine.
Texte et jurisprudence
- « L’étranger accueilli par les organismes mentionnés au premier alinéa de l’article L. 265-1 du code de l’action sociale et des familles et justifiant de trois années d’activité ininterrompue au sein de ce dernier, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d’intégration, peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention “salarié”, “travailleur temporaire” ou “vie privée et familiale”, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1. » (Ceseda, art. L. 435-2)
- « 4. Outre une attestation d’activité des responsables de la communauté Emmaüs-Peupins de Mauléon, faisant état de son hébergement à titre humanitaire depuis le 19 juillet 2018, de sa participation aux activités économiques et sociales de cette communauté en qualité de compagnon, donnant lieu au versement de cotisations sociales, de ses qualités relationnelles, de son esprit communautaire, de ses activités de bénévolat et de ses talents de sportif, de dessinateur et d’animateur, M. T produit devant la cour de nombreux documents justifiant de ses perspectives d’intégration. Selon une attestation de la directrice du centre socio-culturel de Bressuire du 8 décembre 2019, il a participé aux activités de ce centre en qualité d’adhérent, mais aussi de bénévole dans plusieurs ateliers, et d’administrateur du 22 mars 2017 au 11 avril 2019. À son arrivée à Mauléon en 2018, il s’est investi dans les activités du centre socio-culturel du Mauléonais, dont la directrice précise qu’il a animé des séances de judo et de dessin dans le cadre des ateliers périscolaires, et qu’il a intégré le conseil d’administration de ce centre en 2019. Des témoignages, des articles de presse et des affiches réalisées par M. T, produits pour la première fois en appel, démontrent la diversité de ses activités de bénévolat, ses talents d’animateur et de dessinateur, et ses capacités d’adaptation et de travail en équipe. Dans ces circonstances, et alors que l’appréciation globale de la situation de l’intéressé n’avait pas à tenir compte de ce qu’il n’avait pas déféré à l’obligation de quitter le territoire français du 2 mars 2021, dont l’exécution avait été suspendue par un recours contentieux ; M. T est fondé à soutenir que le refus de titre de séjour du 11 mai 2022 est entaché d’une erreur manifeste dans l’appréciation de sa situation au regard des dispositions de l’article L. 435-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile » (CAA Bordeaux, 26 octobre 2023, n° 23BX00859).
> Pour d’autres décisions, consulter la rubrique « Admission exceptionnelle au séjour - Pour la personne accueillie dans un OACAS - article L. 435-2 du Ceseda » du site dequeldroit.fr.
Conseil : même si le préfet dispose d’un pouvoir large d’appréciation, les personnes accueillies au sein d’un organisme Oacas doivent continuer à déposer des demandes de régularisation dans les conditions prévues par l’article L. 435-2 et ne pas hésiter à former un recours auprès du juge administratif en cas de refus.
XIII. Est-ce que l’abrogation de la circulaire Valls modifie les conditions de régularisation des mineurs isolés une fois qu’ils ou elles atteignent leur majorité ?
Contexte
Le circulaire Valls n’abordait que très partiellement le droit au séjour des mineurs isolés . Elle se contentait de rappeler l’existence des dispositions de l’ancien article L. 313-15 du Ceseda (devenu L. 435-3) qui prévoit, sous certaines conditions, la délivrance « à titre exceptionnelle » d’une carte « travailleur temporaire » ou « salarié » aux jeunes confiés aux services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) entre 16 et 18 ans (ceux et celles confiées avant cet âge pouvant prétendre à une carte « vie privée et familiale » de plein droit en application de l’article L. 423-22 du Ceseda).
L’abrogation de cette circulaire ne change donc rien aux conditions de régularisation de cette catégorie de jeunes. Il faut continuer de se référer aux dispositions de l’article L. 435-3 pour connaître les conditions de délivrance d’une carte de séjour (voir textes et jurisprudences ci-dessous).
À noter : la circulaire Valls ajoutait toutefois 2 précisions ne figurant pas dans le Ceseda :
- concernant la condition relative à « la nature [des] liens [gardés par le jeune] avec sa famille restée dans le pays d’origine » prévu à l’article L. 435-3 de Ceseda, il était précisé que leur existence ne devait pas être systématiquement opposée pour refuser le séjour dès lors qu’ils étaient « ténus ou profondément dégradés » ;
- pour les jeunes ne poursuivant pas une « formation destinée à apporter une qualification professionnelle » telle que prévue par l’article L. 435-3 mais des études secondaires ou universitaires, les préfets avaient pour instruction de leur délivrer une carte de séjour portant la mention « étudiant ». Ces deux dispositions ayant été reprises par une autre circulaire non abrogée (circulaire interministérielle du 29 janvier 2016, voir ci-dessous), elles peuvent toujours être invoquées dans le cadre d’une demande de régularisation adressée aux services préfectoraux.
Textes et jurisprudences utiles
- « À titre exceptionnel, l’étranger qui a été confié à l’aide sociale à l’enfance ou à un tiers digne de confiance entre l’âge de seize ans et l’âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention “salarié” ou “travailleur temporaire”, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil ou du tiers digne de confiance sur l’insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l’article L. 412-1 n’est pas opposable » (Ceseda, art. L. 435-3).
- « L’appréciation des liens avec les parents dans le pays d’origine reposera sur les éléments produits par le demandeur (actes de décès, perte de l’autorité parentale…). Sur ce point, conformément à la circulaire du 28 novembre 2012, il ne sera pas opposé systématiquement le critère tiré de la nature des liens avec le pays d’origine dès lors que ceux-ci semblent ténus ou profondément dégradés » (Annexe 10 de la circulaire interministérielle du 29 janvier 2016).
- Formations destinées à apporter une qualification professionnelle listées par l’annexe 10 de la circulaire interministérielle du 29 janvier 2016 : CAP, BEP, Bac professionnels, DUT, licence et master lorsqu’ils sont suivis en alternance .
- « Cas du mineur isolé inscrit dans des études secondaires ou universitaires La circulaire du 28 novembre 2012 prévoit la possibilité de délivrer un titre de séjour aux mineurs isolés poursuivant avec sérieux et assiduité des études secondaires ou universitaires, sous réserve du respect des autres critères mentionnés à l’article L. 313-15 [devenu L. 435-3] » (Annexe 10 de la circulaire interministérielle du 29 janvier 2016).
- « Lorsqu’il examine une demande d’admission exceptionnelle au séjour en qualité de “salarié” ou “travailleur temporaire”, présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d’abord que l’étranger est dans l’année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu’il a été confié à l’aide sociale à l’enfance entre l’âge de seize ans et dix-huit ans, qu’il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l’ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l’intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d’origine et de l’avis de la structure d’accueil sur l’insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n’a pas commis d’erreur manifeste dans l’appréciation ainsi portée » (CE, 11 décembre 2019, n° 424336).
Conseil : il faut continuer de déposer des demandes de régularisation pour les jeunes qui entrent dans les conditions prévues par l’article L. 435-3 et contester systématiquement les refus des préfectures devant les tribunaux administratifs. Même s’il s’agit d’une régularisation « à titre exceptionnelle », la marge d’appréciation des préfets est, de fait, très encadrée par le jurisprudence : on constate que si les conditions principales que sont la prise en charge par l’ASE et le suivi d’une formation professionnelle sont remplies, les juges administratifs annulent la plupart des refus des préfectures et les contraignent à délivrer un titre. En cas de résultats scolaires médiocres, il faut absolument tenter de fournir des éléments explicatifs (problème de santé, peu ou pas de scolarisation avant l’arrivée en France, enfant non francophone, etc.), et parallèlement produire des attestations favorables des professeurs sur l’investissement du jeune dans ses études. Attention, à ne pas déposer des demandes après le 19e anniversaire car l’article L. 435-3 n’est alors plus applicable. Enfin, il faut être particulièrement vigilant sur les documents d’état civil et de nationalité fournis à la préfecture. La majorité des refus est maintenant motivée par la contestation de la validité de ces documents.
XIV. J’ai 10 ans de présence en France, est-ce que je peux toujours déposer un dossier sur ce fondement ?
La loi du 24 juillet 2006 a abrogé les dispositions qui permettaient aux personnes présentes de manière habituelle en France de se voir délivrer de plein droit une carte de séjour.
Toutefois, dans le cadre de l’admission exceptionnelle cette durée de présence depuis plus 10 années, oblige l’autorité administrative « lorsqu’elle envisage de refuser la demande d’admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans » à soumettre son dossier à la commission du titre de séjour (article L. 435-1 alinéa 2).
Cette commission doit convoquer la personne et rendre un avis.
À titre d’exemple : « Si le préfet fait valoir que la requérante ne justifierait pas de sa présence en France avant l’année 2014 au cours de laquelle Mme B... a été titulaire d’une carte de séjour, les différentes pièces produites au dossier, notamment d’ordre médical, sont suffisantes pour établir que l’intéressée résidait sur le territoire depuis au moins le mois de décembre 2012, soit depuis plus de dix ans à la date de l’arrêté du 12 décembre 2022. Dès lors, le préfet de la Seine-Saint-Denis était [tenu] de saisir la commission du titre de séjour avant de se prononcer sur la demande de l’intéressée. La requérante est ainsi fondée à soutenir que la décision est entachée d’un vice de procédure, et à demander, pour ce motif, l’annulation de la décision lui refusant la délivrance d’un titre de séjour ainsi que, par voie de conséquence, celle des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination de la mesure d’éloignement et portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. » (CAA Paris, 12 février 2025 24PA02117 ou CAA Paris, 18 décembre 2024 n°24PA01490)
L’avis de cette commission n’est que facultatif et ne s’impose donc pas à la préfecture.
Pour que la préfecture soit obligée de réunir la commission du titre de séjour la personne doit démontrer année par année qu’elle est présente sur le territoire français depuis plus de 10 ans : pour ce faire, elle devra produire des pièces pour chaque année. À cet égard la caractère probant des pièces varie en fonction de leur nature comme cela était rappelé dans la circulaire Valls [voir ci-dessous sur la nature des pièces].
Pour autant, même si la personne démontre sa présence pendant dix années et que cet élément doit conduire à la saisine de la commission du titre de séjour, cet élément ne suffira pas, et elle devra également démontrer que sa demande répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels : intégration sociale, professionnelle, formations suivies, maîtrise de la langue, éléments d’ordre personnels, etc. À cet égard la circulaire du 23 janvier 2025 ne change pas les choses.
Il est par ailleurs rappelé que les demandes de titre de séjour des personnes de nationalité algérienne, sont régies par l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié. Cet accord prévoit (art. 6, al. 1) la délivrance de plein droit au ressortissant algérien « qui justifie par tout moyen résider en France depuis plus de dix ans ou plus de quinze ans si, au cours de cette période, il a séjourné en qualité d’étudiant ».
Les ressortissantes et ressortissants algériens présents depuis plus de 10 ans (ou 15 ans si ils ou elles ont séjourné en tant qu’étudiant·es) ne relèvent donc pas de l’admission exceptionnelle et peuvent toujours prétendre à la délivrance de plein droit d’une carte de séjour sans qu’il leur soit nécessaire de démontrer autre chose que leur présence habituelle par tous moyens.
Remarque : Il faut toutefois noter que certaines préfectures ne prévoient pas de procédure spécifique pour enregistrer les demandes des Algérien·nes présent·es depuis au moins 10 ans sur le territoire français, et les contraignent à passer, comme les ressortissants d’autres nationalités, par une demande d’admission exceptionnelle au séjour.
XV. Dans quelles conditions peut-on faire valoir des « éléments nouveaux » après un premier refus de séjour avec OQTF ?
Contexte
Avant l’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024, les OQTF restaient exécutoires pendant une durée d’1 an, c’est-à-dire qu’une OQTF pouvait servir à fonder juridiquement un placement en centre de rétention ou un éloignement dans les 12 mois qui suivaient sa notification à la personne concernée. Passé ce délai, l’administration était contrainte de prendre une nouvelle décision si elle souhaitait éloigner ou placer en rétention une personne. En tout état de cause, passé ce délai d’1 an, il redevenait possible de déposer un dossier de demande de titre de séjour auprès de la préfecture.
La loi du 26 janvier 2024 a augmenté le délai pendant laquelle une OQTF reste exécutoire, le faisant passer d’un à trois ans (Ceseda, art. L. 731-1 1°).
La loi précise également qu’une OQTF antérieure et non exécutée peut, sur décision motivée de l’administration, fonder une décision de refus de délivrance d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle (Ceseda, art. L. 432-1-1).
La circulaire Retailleau rappelle expressément les critères posés par la loi Darmanin : « Je vous rappelle à cet égard que la loi du 26 janvier 2024 a porté à trois ans la durée pendant laquelle une OQTF est susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée (1° de l’article L. 731-1 CESEDA). »
La circulaire ajoute que la simple existence d’une OQTF antérieure qui n’aurait jamais été exécutée pourrait justifier un refus de délivrance d’une carte de séjour temporaire. (Ceseda, art. L. 432-1-1). Elle vient ainsi restreindre davantage les critères posés par la loi du 26 janvier 2024 en n’indiquant pas de délai pendant lequel une OQTF antérieure pourrait fonder un refus de délivrance de carte de séjour temporaire. La circulaire pondère partiellement cette restriction en indiquant que si des éléments de droit ou de fait nouveaux subviennent depuis la notification de l’OQTF, l’administration pourra apprécier la situation de l’étranger à la lumière de ces nouveaux éléments : « À cet égard, et pour la durée d’exécutabilité d’office d’une mesure d’éloignement, il revient à l’étranger d’attester d’éléments de fait ou de droit nouveaux depuis la notification de l’obligation de quitter le territoire français. »
Il appartient à la personne concernée d’apporter des justificatifs attestant d’un élément nouveau d’une part, et d’apporter la preuve que cet élément nouveau ne pouvait être connu avant la notification de l’OQTF.
Textes et jurisprudences utiles
- « L’autorité administrative peut assigner à résidence l’étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l’éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L’étranger fait l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins de trois ans auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n’a pas été accordé… » (Ceseda, art. L. 731-1, 1°)
- « La délivrance ou le renouvellement d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle peut, par une décision motivée, être refusé à tout étranger : 1° N’ayant pas satisfait à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français dans les formes et les délais prescrits par l’autorité administrative… » (Ceseda, art. L. 432-1-1).
Conseil : le dépôt d’une nouvelle demande de titre de séjour est à proscrire lorsqu’une OQTF a été notifiée depuis moins de trois ans et qu’aucun élément nouveau de fait ou de droit n’est survenu.
La circulaire Retailleau évoque la possibilité de pouvoir déposer une nouvelle demande de titre de séjour dans les cas où un élément nouveau de fait ou droit serait survenu et aurait été porté à la connaissance de la personne concernée postérieurement à la notification d’une OQTF qui n’aurait pas atteint une antériorité de 3 années. Cette possibilité n’est pas prévue par la loi.
Compte tenu de la valeur juridique d’une circulaire, il subsiste un risque important de refus de délivrance d’un titre de séjour, assorti d’une nouvelle mesure d’éloignement et d’une éventuelle interdiction de retour sur le territoire français, même dans le cas où un élément nouveau serait apparu postérieurement à la notification d’une OQTF. Il faudra donc apprécier la portée de l’élément nouveau survenu.
XVI. Quelles sont les conséquences d’une OQTF sur le décompte des années de présence en France ?
Contexte
La circulaire prévoit que des dossiers de demandes de titre de séjour au titre de l’admission exceptionnelle pourront être déposées dès lors que la durée de séjour sur le territoire français aura atteint une durée significative. Elle prévoit qu’une durée de présence peut être considérée comme étant un signe significatif d’intégration sur le territoire français à partir de 7 années, là où la circulaire Valls prévoyait une durée de résidence sur le territoire entre 3 et 5 années en fonction des cas.
Au cours de ces années, il possible que la personne qui souhaite déposer une demande de titre de séjour ait fait l’objet d’une ou plusieurs OQTF. Or, certaines préfectures refusent de décompter les années passées sous le coup d’une mesure d’éloignement comme des années effectives de présence sur le territoire français et pouvant donc entrer dans le calcul d’une présence continue.
Textes et jurisprudences utiles
- « 3. M. A. est entré en France le 2 novembre 2009 en qualité d’étudiant. Après avoir suivi des enseignements de français, il a été inscrit en licence de mathématiques – informatique au cours des années universitaires 2010-2011 et 2011-2012. Le renouvellement de son titre de séjour lui a été refusé par une décision du préfet des Bouches-du-Rhône du 15 janvier 2013, l’obligeant également à quitter le territoire. Il ressort néanmoins des pièces du dossier, notamment de ses relevés de compte-bancaire français faisant apparaître de nombreux mouvements depuis le territoire, dont les débits correspondant au paiement de son loyer à Grenoble, des quittances correspondantes, des commandes de billets de train, de bus ou des factures téléphoniques, que M. A. s’est maintenu sur le territoire, particulièrement durant les années 2013 à 2016 au cours desquelles le préfet conteste sa présence. Au cours de l’année 2016-2017, il a suivi un cursus de formation à Montpellier, en “game design”. Une nouvelle décision portant refus de droit au séjour et obligation de quitter le territoire lui a été opposée le 7 décembre 2017. M. A. est toutefois resté en France, se ré-orientant au cours des années universitaires suivantes 2017-2018, 2018-2019 et 2019-2020, avec davantage de succès, vers des études en “architecture intérieure et second œuvre-décoration”. 4. Il résulte de l’ensemble de ces éléments que M. A. justifie résider en France habituellement depuis plus de dix ans à la date de la décision litigieuse. Dès lors, le préfet, qui a examiné cette demande au regard des dispositions de l’article L. 313-14 [devenu l’article L. 435-1] du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, aurait dû saisir pour avis la commission du titre de séjour. En ne saisissant pas ladite commission, il a entaché sa décision d’un vice de procédure, lequel a privé le requérant d’une garantie. L’arrêté du 19 novembre 2019 doit dès lors être annulé et M. A. est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande » (CAA Marseille, 21 juin 2021, n° 20MA04198).
- S’agissant d’une OQTF assortie d’une IRTF, certaines juridictions ont une interprétation très restrictive du décompte des années de présence en France : « Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A..., qui soutient qu’il réside en France depuis plus de dix ans, a fait l’objet de cinq décisions portant obligation de quitter le territoire les 29 septembre 2009, 22 septembre 2011, 29 novembre 2013, 29 avril 2016 et 12 mars 2019, les deux dernières étant assorties d’une interdiction de retour de deux ans. En jugeant que les périodes durant lesquelles l’intéressé faisait l’objet d’une interdiction de retour en France, alors même qu’il a continué à séjourner sur le territoire national sans respecter cette interdiction, ne peuvent être prises en compte pour l’appréciation de la durée de résidence mentionnée au 1° de l’article 6 de l’accord franco-algérien, le président de la 1ère chambre de la cour administrative d’appel de Marseille, qui n’a pas dénaturé les pièces du dossier, n’a pas commis d’erreur de droit » (CE, 30 juill. 2024, n° 473675)
Conseil : bien que certaines préfectures et juridictions administratives remettent en cause les années de présence passées sous le coup d’une mesure d’éloignement toujours exécutoire, il faut continuer à déposer des dossiers de demande de titres de séjour au titre de l’admission exceptionnelle. En effet, la jurisprudence semble indiquer que, dès lors que la personne apporte des preuves de sa présence sur le territoire français, même pendant une période d’exécutabilité d’une mesure d’éloignement, cette présence peut être considérée comme étant continue pendant la période considérée.
Les preuves de présence peuvent être classées comme suit :
- preuves certaines : documents émanant d’une administration publique (préfecture, service social et sanitaire, établissement scolaire, juridiction, attestation à l’aide médicale d’État, documents Urssaf ou France Travail, avis d’imposition, facture de consultations médicales etc.)
- documents à valeur probante réelle : documents remis par une institution privée (bulletins de salaire, contrat de mission, relevé bancaire présentant des mouvements, certificat médical de médecine de ville ou de médecine du travail etc.)
- documents à valeur probante limitée : documents personnels (enveloppe avec adresse libellée au nom du demandeur, attestation d’un proche, etc.).
titre documents joints
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info document (PDF - 262.6 kio)
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