Plainte à la Commission européenne, au Conseil de l’Europe et au Comité des droits de l’Homme de l’ONU sur le refoulement des migrants vers la Libye

Quinze organisations, italiennes françaises et réseaux d’ONGs ont adressé une plainte à la Commission Européenne, au Conseil de l’Europe et au Comité des Droits de l’Homme de l’ONU sur les graves violations des normes nationales, communautaires et internationales commises par les autorités italiennes au mois de mai 2009, dans le cadre des procédures de refoulement de migrants en Libye.

Documents :

Les documents en italien peuvent être consulté aussi sur le site de l’ASGI


Les refoulements des migrants en Libye violent le droit d’asile, les normes nationales, communautaires et internationales

A la Commission européenne

Au Comité des Droits de l’Homme de l’ONU

A la Commission européenne pour les Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe

L’association ASGI

Par compte et au nom aussi de

  • ASSOCIAZIONE CENTRO ASTALLI - JESUIT REFUGEE SERVICE/ITALIA
  • ASSOCIAZIONE PROGETTO DIRITTI
  • ASSOCIAZIONE GRUPPO ABELE ONLUS
  • ASSOCIAZIONE NAZIONALE GIURISTI DEMOCRATICI
  • ANAFE, ASSOCIATION NATIONALE D’ASSISTANCE AUX FRONTIÈRES POUR LES ÉTRANGERS
  • ARCI
  • CASA DEI DIRITTI SOCIALI - FOCUS, - COMUNITA’ DI SANT’ EGIDIO
  • CONSIGLIO ITALIANO PER I RIFUGIATI (CIR)
  • EURO-MEDITERRANEAN HUMAN RIGHTS NETWORK
  • FEDERAZIONE CHIESE EVANGELICHE
  • GISTI - GROUPE D’INFORMATION ET DE SOUTIEN DES IMMIGRÉS
  • JESUIT REFUGEE SERVICE EUROPE
  • LIBERA. ASSOCIAZIONI, NOMI E NUMERI CONTRO LE MAFIE
  • FLARE NETWORK
  • MIGREUROP

Souhaitent porter à l’attention des autorités destinataires la situation tragique qui a cours ces derniers jours en Italie, ainsi que les violations tout aussi graves des droits de l’homme perpétrées et revendiquées comme légitimes par les autorités italiennes.

LES FAITS

Le 7 mai 2009, après avoir intercepté dans les eaux internationales (à 35 miles marins de l’île de Lampedusa) quelques embarcations chargées de migrants voulant accoster sur le territoire européen, les commandants de plusieurs navires militaires italiens ont recueillis à leur bord ces migrants puis les ont ramenés immédiatement en Libye et les y ont consignés aux autorités libyennes.

Des opérations similaires se sont également déroulées les jours suivants, ainsi que l’a déclaré à la presse le Ministre de l’Intérieur italien, qui, le 10 mai 2009, a estimé à environ 500 le nombre de migrants ramenés en Libye, et qui a qualifié cet événement de « résultat historique ».

Pour aucune des personnes transportées en Libye n’ont été vérifiés de façon officielle l’identité, la nationalité, l’éventuel statut de mineur ou de femme enceinte, le besoin de protection internationale (alors que quelques migrants avaient l’intention de la demander) ou encore l’état de santé.

De nombreux témoignages de ces événements ont pu être rassemblés par des acteurs humanitaires ou par des journalistes, ils peuvent être consultés sur les sites Internet de Migreurop (Paris), Picum (Bruxelles), Borderline Europe (Berlin), Europe Forteresse (Rome). Ces témoignages sont confirmés par des rapports d’associations internationales comme Amnesty ou Human Rights Watch, (HRW), eux aussi en ligne sur les sites Internet de ces associations. Il est raisonnable et vraisemblable de penser que beaucoup de ces migrants étaient réfugiés politiques et donc avaient le droit (inviolable) d’accéder à une procédure en Italie leur permettant d’être reconnus comme tels.

Il est à cet égard significatif que l’UNHCR affirme dans un communiqué du 8 mai 2009 que « bien que des informations relatives à la nationalité des migrants ne soient pas disponibles, il est probable que parmi les personnes refoulées il y ait des individus ayant besoin d’une protection internationale. En 2008, environ 75% de ceux qui ont atteint l’Italie par la mer ont déposé une demande d’asile, et 50% d’entre eux ont bénéficié d’une forme de protection internationale. »

De même, les données de la Commission nationale pour le droit d’asile (d’Italie) relatives aux demandes et aux reconnaissances de protection internationale et / ou humanitaire pour l’année 2008 (publiée le 20.02.2009) mettent en évidence que le taux de reconnaissance est plus important dans les Commissions territoriales du Sud (compétentes pour les demandes de protection recueillies sur les embarquements), ce qui prouve que la grande partie des migrants qui arrivent en Italie par la mer sont effectivement des réfugiés.

LES VIOLATIONS

En faisant monter à bord des unités navales italiennes les migrants interceptés dans les eaux internationales, il a été donné compétence territoriale à la juridiction italienne, car elles sont « territoire italien ». Les autorités italiennes étaient donc tenues à appliquer les droits national, communautaire et international.

Il faut rappeler que, en vertu de l’article 4 du code pénal italien, « les bateaux et les aéronefs italiens sont considérés comme territoire de l’Etat », les mêmes termes étant repris par les articles 2, 3, 4 du code de la navigation. Par conséquent, ces migrants embarqués sur les bateaux italiens ont droit d’accéder à la procédure de l’asile dans le territoire de la République italienne au sens de l’article 10 §3 de la Constitution italienne.

De même, sur la base de la Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes, l’Italie devait procéder aux opérations de secours en transportant les migrants au cas où l’état de danger pour leurs embarcations se vérifiait et devait également les ramener en port sûr, c’est-à-dire en port italien, étant donné qu’il s’agissait du lieu le plus proche et du seul lieu où les bateaux italiens pouvaient être autorisés à accoster. Il s’agissait aussi du seul lieu où les migrants auraient été protégés de graves violations des droits humains et auraient pu déposer une demande d’asile politique et de protection internationale.

Les migrants ne pouvaient pas dès lors être remis aux autorités libyennes, non seulement parce qu’il n’existait aucune certitude qu’ils provenaient de Libye, mais également parce que le territoire libyen ne peut être qualifié de « port sûr » étant donné que la Libye ne fait pas partie de l’Union européenne, que ce pays n’a pas ratifié la Convention de Genève sur le statut des réfugiés, ni les principales Conventions en matière de droits humains, et que les rapports établissant les graves violations des droits humains dans ce pays, et notamment à l’égard des migrants, sont nombreux.

Le récent accord italo-libyen ne peut pas non plus légitimer la remise des migrants interceptés dans les eaux internationales à la Libye, étant donné que celui-ci ne prévoit pas la « réadmission » en Libye des immigrants arrêtés par les soins italiens, mais de simples « patrouilles communes » mises en oeuvre aux confins des eaux territoriales libyennes, en vue de faire faire demi-tour aux barques chargées de migrants fuyant la Libye.

De toute façon, un accord de réadmission (et, ainsi qu’il a été dit, cela n’est pas le cas en l’espèce), ne peut pas violer les droits humains ou le droit national, il se contente d’établir une procédure précise à suivre, qui comporterait l’identification des personnes à réadmettre, ce qui dans les faits n’est pas advenu.

N’oublions pas que, comme il a été dit, qu’il n’a pas été établi que les migrants « recueillis et réexpédiés » venaient de Libye.

Par ailleurs, même si, contre toute attente, le transbordement des migrants sur les bateaux italiens n’avait pas conféré une compétence territoriale à la juridiction italienne (ainsi il est soutenu qu’aucun transbordement n’aurait eu lieu), les autorités militaires italiennes avaient l’obligation d’amener ces migrants en Italie afin de leur consentir (ou seulement à certains d’entre eux) d’accéder à une procédure d’asile politique ou de protection internationale.

Il convient de rappeler à ce titre que l’interdiction du refoulement posé par l’article 33 de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951 a un caractère absolu et non-dérogatoire, et qu’il s’applique tant sur le territoire de l’Etat qui a ratifié la Convention (l’Italie en fait partie) que sur les espaces extraterritoriaux.

Mentionnons à l’appui du principe d’extraterritorialité de l’interdiction du refoulement l’avis de l’UNHCR du 26 janvier 2007, dans lequel il est rappelé la jurisprudence constante de la Cour européenne des Droits de l’Homme en matière de juridiction, qui se définit « non pas si une personne se trouve à l’intérieur du territoire de l’Etat au principal, mais si, du fait du comportement en cause, elle se trouve sous le contrôle effectif de cet Etat, ou est affectée par le comportement de ceux qui agissent pour le compte de cet Etat. » (CEDH, Loizidou c. Turquie, requête 15318/89 du 23.03.1995 ; Öçalan c. Turquie requête 46221/99 du 12.03.2003 ; Issa e.a. c. Turquie, requête 3821/96 du 16.11.2004) Il convient, enfin, de rappeler que l’article 13 de la Constitution italienne interdit toute privation de liberté personnelle sans acte émis par une autorité judiciaire, ou, dans des cas exceptionnels d’urgence et de nécessité, par une autorité administrative avec contrôle judiciaire dans les 96 heures maximum.

Dans le cas d’espèce, tous les migrants ont été rapatriés ou plutôt limités dans leur liberté personnelle et ce de façon coercitive (c’est-à-dire contre leur volonté, ce que confirme le simple fait qu’ils se rapprochaient des territoires italiens et maltais), en l’absence de toute mesure judiciaire ou administrative.

Dès lors, il y a eu violation non seulement de l’article 13 mais également de l’article 24 de la Constitution italienne (droit inviolable d’agir pour la défense de ses droits).

Par conséquent, il est incontestable que POUR CHAQUE CAS, avant chaque réadmission (nous admettons mais ne concédons qu’il s’agisse d’une réadmission) ou refoulement, l’Italie était tenue de respecter les normes de droit national et international, telles que :

LE DROIT NATIONAL

1) Si les migrants se trouvaient en état de danger, il était du devoir de l’Italie de les secourir et de les faire monter à bord des unités navales italiennes.

2) Faire monter à bord des bateaux italiens les migrants équivalait à reconnaître l’effectivité de l’état de danger dans lequel ils se trouvaient. En effet, s’il n’y avait pas eu de danger, il s’agirait d’un comportement illicite des autorités maritimes qui auraient, en transbordant les migrants de leur embarcation aux bateaux militaires, exercé une coercition physique illégitime car contre leur volonté ou par le biais de la ruse.

3) Il convient d’exclure que les autorités militaires italiennes aient pu adopter un comportement pénalement répréhensible (et qui le cas échéant pourrait relever de la compétence des autorités judiciaires italiennes), et donc de retenir qu’il existait un péril pour les migrants interceptés dans les eaux territoriales tel que leur accueil sur les unités navales italiennes s’imposait.

4) Dans le cas d’espèce, le refoulement prévu à l’article 10§1du code de l’immigration, décret législatif 286/95 (« La police aux frontières refoule les étrangers qui se présentent aux postes de frontière sans avoir les documents requis par le présent code pour l’entrée sur le territoire italien ») ne peut trouver à s’appliquer car il ne concerne que ceux qui se « présentent » à la frontière et par conséquent celui qui n’entre pas en Italie. De plus, les « postes de frontière » désignent les postes aux frontières terrestres, aériennes et maritimes qualifiés comme tels par le règlement communautaire comme ceux habilités en permanence au transit international des personnes et surveillés par du personnel de police spécialisé ; ce qui n’est pas le cas en l’espèce car il s’agit de mer internationale et d’unités navales italiennes qui ne sont pas dotées d’un pouvoir de police aux frontières.

5) Dans le cas d’espèce, en faisant monter les migrants recueillis dans les eaux internationales à bord des unités navales militaires italiennes assimilées au « territoire italien », on les a fait entrer sur le territoire italien.

6) Par conséquent, la reconduite à la frontière n’étant pas applicable, la reconduite dite « différée » pourrait l’être. Elle est effectuée par le Préfet de police dans les cas prévus par l’article 10§2 du code de l’immigration, décret législatif 286/98, et notamment lorsque les migrants sont temporairement admis sur le territoire italien (même s’ils doivent être expulsés) « pour la nécessité du secours public ». Toutefois, dans le cas d’espèce, même cette modalité de reconduite ne semble pas adaptée à la situation, parce qu’aucun préfet de police n’a pris une quelconque mesure écrite et motivée ainsi que les normes en vigueur le prévoient.

7) Durant les opérations de secours, en territoire italien, les règles applicables aux personnes entrées sans visa auraient dû s’appliquer, à savoir :

 Tout migrant avait le droit de présenter une requête d’asile politique s’il estimait en remplir les conditions et ne pouvait pas être refoulé, ainsi que l’article 33 de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951 le garantit (ratifiée par l’Italie par la loi n. 722/54), tandis que l’article 6 du décret législatif 25/2008 (transposant la directive 2005/85/CE relatives à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres) reconnaît un droit d’accès à la procédure et un droit de séjour en Italie pendant toute la période de la procédure (article 7 du décret législatif).

 Rappelons également que le droit d’asile politique est reconnu par l’article 10§3 de la Constitution italienne, de même l’interdiction d’expulser ou de refouler est prévue par l’article 19§1 du code de l’immigration, décret législatif 286/98, selon lequel « en aucun cas une expulsion ou un refoulement vers un Etat dans lequel l’étranger pourrait faire l’objet de persécutions pour des motifs tenant à la race, au sexe, à la langue, à la nationalité, à la religion, aux opinions politiques, aux conditions personnelles ou sociales ou être ensuite renvoyé vers un Etat dans lequel il ne sera pas protégé de ce type de persécutions, ne peut pas avoir lieu. »

 Ce même article 10§4 du code de l’immigration exclut l’applicabilité du refoulement parce qu’ « il ne s’applique pas aux cas prévus par les dispositions en vigueur qui réglementent l’asile politique, la reconnaissance du statut de réfugié ou l’adoption de mesures de protection temporaires pour motif humanitaire ».

 Chaque migrant avait le droit d’être soumis à une visite médicale et d’invoquer la non-expulsion pour motif de santé (décision de la Cour Constitutionnelle n° 252/2001), dans le cas où serait constatée une pathologie telle qu’elle ne pourrait être soignée dans le pays d’origine ou telle qu’elle comporterait un danger pour la santé. Le droit à la santé, même pour les migrants en situation irrégulière, est prévu par l’article 35 du code de l’immigration, décret législatif 286/98.

 L’éventuel état de grossesse de chaque femme migrante devait être contrôlé car, au sens de l’article 19§2-d du code de l’immigration, décret législatif 286/98, cela la rendait inexpulsable (ainsi que son mari, comme l’a jugé la Cour Constitutionnelle dans sa décision n°376/2000).

 L’éventuel état de minorité aurait dû être vérifié pour chaque migrant, ce qui, au sens de l’article 19§2-a du code de l’immigration, décret législatif 286/98, le rendait inexpulsable et lui conférait un droit à une tutelle et à la protection à charge de l’Etat italien. Aucune des obligations décrites ci-dessus n’a été respectée par les autorités italiennes, qui se sont contentées de transférer à la Libye les migrants « recueillis temporairement » sur les bateaux italiens, ce qui entraîne la violation du droit national exposé ci-dessus. *

Même dans le cas où il serait retenu - de manière infondée car des documents photographiques ci-joints montrent que le transbordement des migrants sur les bateaux militaires italiens a bien eu lieu - que la marine militaire italienne se soit limitée à repousser vers la Libye la ou les embarcations de migrants trouvées dans les eaux internationales, l’Italie aurait de toute façon violé les dispositions normatives suivantes :

  • Article 33 de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951, ratifiée par l’Italie par la loi n°722/54, selon lequel chaque Etat partie ne refoule « en aucun cas » celui qui veut demander le refuge politique (aujourd’hui la protection internationale). Le terme « en aucun cas » renvoie à toute mesure - matérielle ou formelle- qui empêche un demandeur d’asile d’entrer sur le territoire national afin d’y demander protection. Voir l’avis précité de l’UNHCR de janvier 2007.
  • L’article 10§3 de la Constitution italienne, qui pose l’obligation d’offrir l’asile politique à l’étranger auquel on refuse l’exercice effectif des libertés démocratiques garanties par la Constitution italienne dans son pays
  • L’article 19
  • L’article 6 du décret législatif n° 25/2008 (transposant la directive 2005/85/CE) qui établit comme « principe fondamental » le droit d’accès à la procédure de reconnaissance d’une protection internationale.
  • L’article 10§1 et 4 du code de l’immigration décret législatif n° 286/98 en vertu duquel le refoulement (sous quelque forme que ce soit) est interdit « dans les cas prévus par les dispositions en vigueur régissant l’asile politique, la reconnaissance du statut de réfugié ou l’adoption de mesure de protection temporaire pour des motifs humanitaires ».
  • L’article 19§1 du code de l’immigration décret législatif 286/98 aux termes duquel « en aucun cas ne peuvent être mis en œuvre une expulsion ou un refoulement vers un Etat dans lequel l’étranger pourrait faire l’objet de persécutions à raison de sa race, de son sexe, de sa langue, de sa nationalité, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa situation personnelle ou sociale, ou dans lequel il risquerait d’être renvoyé vers un Etat ne lui garantissant pas une protection contre ces persécutions ».

LE DROIT COMMUNAUTAIRE ET INTERNATIONAL

L’Italie est constitutionnellement obligée de respecter le droit communautaire et international (article 117 de la Constitution italienne) et de réglementer le statut juridique de l’étranger en conformité avec les normes et Traités internationaux (article 10§1 et 2 de la Constitution italienne).

Suite aux actions décrites ci-dessus, il apparaît que l’Italie a violé les dispositions internationales ou communautaires suivantes :

1. Le règlement CE n°562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006

Le transbordement de centaines de migrants sur les navires militaires italiens et leur remise aux autorités libyennes ont violé le règlement CE n° 562/2006 (qui met en place un code commun relatif au régime du franchissement des frontières par les personnes physiques) en ce que :

 Au paragraphe 7 du préambule, il est établit que « les opérations de contrôle aux frontières devront être effectuées dans le plein respect de la dignité humaine. Le contrôle des frontières devra être accompli de façon professionnelle, respectueuse et proportionnée aux objectifs poursuivis ».

Dans le cas d’espèce, la dignité des migrants n’a pas été respectée, étant donné qu’ils ont été remis aux autorités libyennes malgré le fait qu’ils ne sont pas ressortissants de cet Etat et qu’ils y ont probablement été soumis à des traitements inhumains et dégradants du simple fait de leur statut de migrants irréguliers, ainsi que de nombreux rapports internationaux l’affirment de façon unanime.

 Au paragraphe 20 du même préambule il est mentionné que « le présent règlement respecte les droits fondamentaux et les principes reconnus, en particulier par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il devrait être mis en œuvre dans le respect des obligations qui incombent aux Etats membres en matière de protection internationale et de non refoulement ».

Dans le cas examiné, aucun des droits fondamentaux reconnus par le droit communautaire comme par la Charte européenne n’a été respecté, étant donné qu’aucun des migrants interceptés et renvoyés en Libye n’a pu se voir offrir l’accès à la procédure de protection internationale et que ne se vérifient pas en Libye le respect du droit à la dignité humaine (article 1), à l’intégrité de la personne (article2), à ne pas être soumis à la torture et à des traitements inhumains et dégradants (article 4), à la liberté et à la sécurité (article 6), au respect de la vie privée et familiale (article 7), à l’asile politique (article 18).

 L’article 7 du règlement n°562/2006 prévoit que « quiconque franchit la frontière est soumis à une vérification minimale permettant d’établir son identité via la production d’un document de voyage ». Il n’est pas établit dans le cas d’espèce que les autorités italiennes aient vérifié si et de quels documents étaient munis les migrants ramenés en Libye ou s’ils ont été identifiés par un autre moyen. Dès lors, l’Italie a omis d’effectuer les vérifications minimales nécessaires pour identifier le pays d’origine des migrants et donc pour avoir des éléments certains que le renvoi de la Libye vers ces pays d’origine ne constituerait pas une violation des droits humains.

 L’article 13 du règlement 562/2006 reconnaît aux Etats le droit d’expulser les étrangers qui ne satisfont pas aux conditions d’entrée, mais mentionne que « ceci ne porte pas préjudice à l’application des dispositions spécifiques relatives au droit d’asile et à la protection internationale » et rappelle que « l’expulsion ne peut être mise en œuvre que par une mesure motivé qui en indique les raisons précises. Cette mesure est prise par une autorité compétente en vertu de la législation nationale et est d’application immédiate ». L’alinéa suivant précise en outre que « les personnes expulsées ont le droit de former un recours. Les recours sont régis conformément à la législation nationale ».

Dans le cas d’espèce, il n’est pas établi que des mesures motivées et écrites aient été prises, ce qui constitue une violation du règlement communautaire.

A ce titre, rappelons que les règlements communautaires ont une intensité normative pleine sur le territoire de l’Etat et partout où il exerce des pouvoirs découlant de sa souveraineté ou de sa compétence juridictionnelle territoriale.

En vertu de l’article 117 de la Constitution (modifié par la loi constitutionnelle n°3/2001), les principes et obligations dérivant de l’ordre juridique communautaire et international constituent des limites incontournables à la puissance législative de l’Etat.

Ce que prévoient les règlements communautaires contraint ainsi de façon directe le comportement des autorités de police, des forces armés et de tous les agents de l’Etat, y compris les Ministres de la République dans l’exercice de leurs fonctions.

2. La convention européenne des droits de l’homme

Article 3

L’Italie (déjà condamnée à plusieurs occasions par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de l’article 3 CEDH) a violé l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme étant donné qu’elle a remis aux autorités libyennes un nombre imprécis de migrants sans vérifier et sans avoir d’éléments probants excluant que ces personnes aient été soumises à des traitements inhumains et dégradants dans ce pays et / ou y risquaient leur vie. Et ceci bien que les conditions inhumaines dans lesquelles sont maintenus les migrants dans des camps ou des prisons en Libye (comme pays de transit ou de destination) sont de notoriété publique, et dont ils sont souvent relâchés sans moyens ni ressources vers le désert, c’est-à-dire vers une mort certaine.

Selon une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’interdiction posée à l’article 3 de la CEDH vaut aussi bien à l’égard de l’Etat d’appartenance qu’à l’égard des Etats qui ne protègent pas contre un refoulement vers des pays qui pratiquent les traitements interdits par l’article 3 (cf. Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, 30.10.1991 Vilvarajah c. RU ; 20.03.1991 Cruz Varas c. Suède ; mars 2008, Saadi c. Italie, et autres).

Article 5

L’expulsion arbitraire de centaines de migrants, mise en œuvre en l’absence du respect des conditions posées à l’article 10 du code sur l’immigration, décret législatif 286/98, emporte la violation de l’article 5 CEDH étant donné que des centaines de personne ont été privées de leur liberté sans qu’aucune mesure (administrative ou judiciaire) ne le prévoit et sans qu’il soit possible à l’étranger d’être présenté le plus vite possible à un juge (article 5§3 CEDH). Ceci étant d’ailleurs prévu par l’article 13 de la Constitution italienne.

Article 13

Aucune des personnes (sur des centaines) ramenées en Libye contre leur gré n’a pu présenter une demande d’asile politique (article 1 de la Convention de Genève de 1951 et articles 1 et suivants des décrets législatifs 251/2007 et 25/2008) et / ou de protection contre des traitements inhumains et dégradants (article 3 Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales) ou de protection contre le risque de perdre la vie (article 2 CEDH). Vue l’impossibilité de présenter une demande de protection pour l’un des risques mentionnés ci-dessus, il y a eu violation du droit à un recours effectif contre une mesure privative de liberté, qui, comme le refoulement et l’expulsion, empêche l’exercice du droit à la protection (cf. jurisprudence CEDH dans les affaires : Gebremedhin c. France, requête 25389/05 dans une hypothèse de refoulement à la frontière d’un demandeur d’asile ; Conka c. Belgique, requête 51564/99).

3. La convention de Genève de 1951 sur les réfugiés

Articles 1 et 33

En ramenant des centaines de migrants en Libye, l’Italie a également violé la Convention de Genève de 1951 car elle n’a permis à aucun d’entre eux de déposer une demande d’asile politique au sens de l’article 1 de la Convention de Genève.

Mais pas seulement. L’Italie a enfreint l’interdiction de refouler posée par l’article 33 de la Convention de Genève, bien qu’il y figure que « aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques », avec pour seule exception, qui n’est pas pertinente pour le cas d’espèce, qu’il s’agisse d’une personne mettant en danger la sécurité de l’Etat ou qui ait été condamné pour des délits particulièrement graves.

Il convient de répéter l’importance, en l’espèce, des affirmations suivantes de l’UNHCR parues dans un communiqué du 8 mai 2009 : « Bien qu’aucune information relative à la nationalité des migrants ne soit disponible, il est probable que parmi les personnes refoulées, il y ait des individus ayant besoin d’une protection internationale. En 2008, environ 75% de ceux qui ont rejoint l’Italie par la mer ont déposé une demande d’asile, et 50% d’entre eux ont bénéficié d’une forme de protection internationale ».

Ceci est corroboré par les données de la commission nationale pour le droit d’asile italienne relatives aux demandes et aux reconnaissances de protection internationale et / ou humanitaire pour l’année 2008 (publiée le 20.02.2009) dont il ressort que, surtout dans les Commissions territoriales du sud (compétentes pour les demandes de protection recueillies auprès des naufragés), il y a un fort taux de reconnaissance, ce qui atteste qu’une grande partie des migrants qui accostent en Italie sont effectivement des réfugiés.

4. La directive 2005/85/CE relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres

Au paragraphe 13 du préambule de la directive est prévu que le demandeur d’asile doit avoir un « accès effectif à la procédure », doit disposer de « garanties procédurales suffisantes pour faire valoir ses propres droits à chaque phase de la procédure », et enfin le « droit de rester dans l’attente d’une décision de l’autorité compétente ». Ces principes et droits sont aussi consacrés par les articles de la directive, et notamment les article 6, 7 et 35, celui-ci posant une obligation à charge de chaque Etat membre d’autoriser le demandeur d’asile à se maintenir dans la zone frontalière aux fins de l’admettre à la procédure de l’asile. L’Italie a violé cette directive car elle a accueilli sur son territoire national (les bateaux italiens) ces migrants mais ne leur a pas permis d’accéder à quelque procédure que ce soit relative à l’asile politique.

5. Le protocole n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme

L’article 4 du Protocole n° 4 de la CEDH interdit les expulsions collectives d’étrangers. Dans le cas présent, une telle interdiction a été violée de manière manifeste, et ce bien que l’Italie n’ait pas adopté de mesures administratives formelles au sens des articles 10 et 13 du code sur l’immigration, décret législatif 286/98. Le comportement matériel même de l’Etat est susceptible d’entrer dans le champ d’application de l’article 4 du Protocole 4 car il a pour conséquence le renvoi en masse d’étrangers (selon le Ministre de l’Intérieur plusieurs centaines) vers un pays considéré comme celui d’origine.

Or, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits humains, constitue une expulsion collective tout mesure qui oblige des étrangers « en tant que groupe » de quitter un pays. Si cette interdiction pèse sur les expulsions décidées en présence d’une mesure administrative formelle, elle ne peut que peser lorsque la même finalité est obtenue au travers d’un simple comportement de fait des autorités publiques.

>> Une ultime considération est à développer.

Les refoulements illégaux effectués par l’Italie à partir du 7 mai dernier ne peuvent trouver de justification :

  • Ni en référence au décret du Ministre de l’Intérieur du 19 juin 2003 relatif aux mesures d’activité de lutte contre l’immigration illégale par la mer. Celui-ci en effet autorise des activités de patrouille d’unité navales italiennes ayant également pour but de renvoyer des embarcations sans drapeau dans leurs ports de provenance (et non dans n’importe quel port), mais en respectant des procédures déterminées et en ayant pour objectif « de sauvegarder des vies humaines et le respect de la dignité humaine » (article 7). Cet objectif s’ajoute au respect des droits humains tels que définis par le droit national, communautaire et international, qui ont été exposés ci-dessus.
  • Ni en référence au Traité Italie-Libye signé fin août 2008 et ratifié début mars 2009, qui prévoit une coopération bilatérale en matière d’immigration et qui se réfère à l’accord pour la coopération dans la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, le trafic illégal de stupéfiant de substances psychotropes et l’immigration clandestine, signé ) Rome le 13 décembre 2000 (publié au J.O. n°111 S.O du 15.05.2003) et aux protocoles additionnels de coopération signés à Tripoli le 27 décembre 2007. Sur le site Internet du Ministre de l’Intérieur est mentionné un autre protocole signé en Libye le 4 février 2009, qui n’est pas officiel à ce jour. Les accords italo-libyen en matière d’immigration et de contrôle maritime conclu en 2000, 2007 et 2009 sont des accords de nature politique et qui impliquent des dépenses budgétaires. Ils ont donc été conclus en forme simplifiée en violation de l’article 80 de la Constitution qui impose qu’une loi autorisant la ratification soit adoptée pour ce type d’accord ; et en violation de l’article 13 du code de promulgation des lois, de l’émission des décrets présidentiels et les publications officielles de la République italienne, approuvé par D.P.R. le 28 décembre 1985, n°1092, qui impose que le texte de ces accords soit publié au Journal Officiel. En tout cas, ces accords ne prévoient pas la réadmission vers la Libye et ne pourraient JAMAIS obliger les autorités italiennes à violer les normes constitutionnelles, communautaires ou internationales.

>> Pour toutes ces raisons, les associations signataires demandent aux autorités destinataires, chacune dans leur domaine de compétence :

  • De condamner l’Italie pour la très grave violation des droits humains, du droit communautaire et des Conventions internationales ;
  • D’ouvrir un recours en manquement contre l’Italie pour violation de la directive 2005/85/CE, notamment sous l’angle du droit à un accès effectif à la procédure de protection internationale (articles 2 - k), 3, 6, 7, 10, 17, 18, 24, 26, 27, 31 et 35), pour violation du règlement CE n°562/2006 et pour avoir organisé une expulsion collective vers la Libye pour un nombre imprécis de migrants sans avoir auparavant adopté de mesures écrites et motivées et sans avoir ouvert de recours devant une autorité juridictionnelle.
  • D’envoyer une mission en Italie afin de contrôler le respect ou la violation de la part de l’Italie des droits fondamentaux garantis par le droit communautaire et par les conventions internationales qu’elle a ratifiées.
  • De demander que l’Italie divulgue la nature et le contenu des accords conclus avec la Libye en matière de contrôle de l’immigration irrégulière par la mer, en vue d’en vérifier la conformité avec le droit communautaire et international.
Torino, le 16 juin 2009

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Dernier ajout : lundi 9 juillet 2018, 16:09
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