Article extrait du Plein droit n° 70, octobre 2006
« Le travail social auprès des étrangers (1) »

Le Gisti et le travail social

Violaine Carrère

Intervenante en formation de travailleurs sociaux
Connu essentiellement comme une association « de juristes », en tout cas comme une association qui s’occupe de Droit, qui défend les droits des étrangers, le Gisti entretient avec les acteurs, les institutions et l’ensemble du monde du travail social des relations aussi riches que complexes, et non exemptes d’un certain malaise.

Qui connaît le Gisti n’a pu manquer de lire cette phrase qui a longtemps ouvert toutes ses publications et figure encore en tête des guides : « Le Gisti est né en 1972 de la rencontre entre des travailleurs sociaux, en contact régulier avec les immigrés en France, et des juristes n’ayant pas la même expérience pratique mais apportant leur compétence propre. Cette double approche, à la fois concrète et juridique, fait la principale originalité du groupe. »

De temps à autre, lors d’une réunion, l’un ou l’autre des membres commence « Le Gisti est né de la rencontre… ». Il n’a pas besoin d’aller plus loin ; immanquablement tout le monde sourit mais complète la récitation intérieurement et la phrase résonne comme un rappel de la loi originelle. Quelque chose comme : ne pas s’éloigner du « terrain » , ne pas faire du droit pour faire du droit mais se servir du droit comme une arme. Cette rencontre, à l’origine du Gisti, entre travailleurs sociaux et juristes, a un sens politique.

Quid de la pratique au quotidien ? Quelles relations le Gisti de 2006 entretient-il avec le monde du travail social ? Et pourquoi décide-t-il, cette année, de consacrer deux numéros de sa revue, Plein droit, au travail social ?

En réalité, toutes les activités régulières du Gisti ou presque touchent de fait des travailleurs sociaux.

– Les sessions de formation en droit des étrangers, qu’il s’agisse de stages « en inter » ou « en intra », accueillent pour une part importante des assistants de service social ou des éducateurs issus de collectivités territoriales (conseils généraux, mairies, centres communaux d’action sociale, services de l’aide sociale à l’enfance, …), du milieu hospitalier, de l’administration pénitentiaire ou du secteur associatif, spécialisé ou non, dans l’intervention sociale auprès de migrants.

– La gamme des publications a été voulue – justement pour s’adresser à des juristes comme à des non-juristes – de niveaux d’accès divers, allant de documents très complets sur tel ou tel aspect de la réglementation, destinés à un public de spécialistes, à une série de « notes pratiques », d’un abord plus facile. Là encore, le Gisti compte parmi ses abonnés nombre de travailleurs sociaux et/ou de structures de travail social, et nous savons que nos guides, en particulier, sont des outils précieux dans tous les services amenés à recevoir des étrangers.

– Les permanences de conseil juridique, enfin, sont plus que largement ouvertes aux travailleurs sociaux. Au téléphone ou par courrier, ceux-ci posent des questions d’ordre général sur la réglementation en vigueur, ou exposent la situation d’une personne ou d’une famille en particulier pour demander quelle aide il est possible de leur apporter. Il est fréquent par ailleurs que ce soit sur les conseils d’un travailleur social que des étrangers prennent contact avec le Gisti pour entreprendre des démarches en préfecture, faire une demande de regroupement familial, entamer une procédure de demande d’asile, obtenir l’ouverture de droits sociaux. Au total, sur l’ensemble des dossiers individuels traités au Gisti, un peu plus de 20% par an l’ont été à la suite de l’intervention de ces intermédiaires privilégiés. Des actions collectives à saluer

Outre ces activités au long cours, l’actualité suscite plus ou moins, selon les années, de partenariats avec des travailleurs sociaux. Le dernier exemple en date est l’aventure de RESF (Réseau éducation sans frontières), né lorsque des enseignants, des parents d’élèves et des assistants de service social de collèges et lycées ont découvert que les élèves de leurs établissements menacés d’être renvoyés hors du territoire du fait de l’absence de titres de séjour de leurs parents n’étaient pas des cas isolés. Le Gisti, ainsi que d’autres organisations, a contribué à ce mouvement qui, pour l’instant, a abouti à la circulaire de régularisation de juin 2006.

Un autre réseau, regroupant celui-là principalement des éducateurs spécialisés, s’est constitué en avril 2004. Le réseau Rime (Rassemblement des intervenants sociaux pour l’insertion des mineurs et jeunes majeurs étrangers) a pour objet l’échange d’informations et la réflexion sur la prise en charge des jeunes étrangers, mineurs ou majeurs isolés. Le besoin de créer un tel réseau s’était fait sentir notamment à cause des effets, sur le travail éducatif auprès des jeunes étrangers isolés, de la réforme du code de la nationalité insérée dans la loi Sarkozy de novembre 2003, la plupart de ces jeunes se trouvant, à la suite de cette réforme, privés de l’accès à la nationalité française qui leur était jusque là ouvert.

Une initiative comme ce réseau Rime est d’autant à saluer que, dans son ensemble, la profession est peu encline à l’action collective ; elle compte d’ailleurs très peu d’organisations associatives ou syndicales. On a pu observer, avec le développement du réseau RESF, l’écart entre leur capacité de mobilisation et celle des enseignants, dotés eux de longue date de structures syndicales fortes. D’une manière générale, les travailleurs sociaux sont très peu représentés dans les mouvements de défense des catégories sociales (les chômeurs, les mal-logés, les sans-papiers…) qu’ils côtoient dans l’exercice de leur profession.

Les motifs de cette maigre implication dans les mouvements sociaux et de la faible structuration collective du secteur sont nombreux et de nature variée. Il serait trop long de les analyser ici. Or la décentralisation de l’action sociale a eu pour effet de placer les intervenants de terrain et leur hiérarchie dans une relation de grande proximité avec les élus, décideurs au niveau des collectivités des missions qui leur sont confiées et des budgets qui leur sont alloués.

Les collectivités ont l’obligation de mettre en œuvre des mesures décidées au niveau national, mais elles ont de fait la possibilité de restreindre l’application de ces mesures, en limitant les budgets, en ne dédiant pas suffisamment de personnel à certaines tâches, en nommant des chefs de service sur lesquels pourront s’exerçer des pressions pour faire diminuer le nombre de bénéficiaires de certains dispositifs, de certaines aides ou prestations, en diffusant des notes qui interprètent de façon restrictive la réglementation, quand ce n’est pas en donnant des consignes contrevenant purement et simplement au respect des textes : ainsi, des règlements internes excluent une part des bénéficiaires potentiels, ou ajoutent des conditions non prévues dans la loi pour bénéficier d’une mesure. La négociation au cas par cas

Les travailleurs sociaux du secteur privé associatif ne sont pas toujours protégés de cette pression, puisque les structures qui les emploient sont souvent liées à des collectivités par des subventions, voire des conventions, et agissent donc en délégation de service public.

Pris en étau entre, d’une part, leur éthique professionnelle et le souci du sens de leur mission et, d’autre part, le cadre institutionnel très hiérarchisé dans lequel ils exercent, contraints bien souvent à agir dans l’urgence plutôt qu’à faire un travail de fond, les travailleurs sociaux peinent à se poser en véritables défenseurs des droits des personnes. Leur culture professionnelle induit par ailleurs des réflexes qui les éloignent facilement d’une attitude militant en faveur du respect du droit : ils ont tendance à préférer la négociation au cas par cas à l’affrontement par le rappel de la réglementation ou par l’usage de la voie judiciaire. Lorsqu’ils se trouvent dans l’impossibilité d’agir ou face aux réticences de leur hiérarchie, ils sont portés à surinvestir les aspects psychologiques ou culturels des situations sociales.

Alors qu’ils font aisément appel à des associations comme la nôtre pour obtenir des conseils juridiques, ils se sentent souvent heurtés par nos prises de position, et le dialogue est parfois difficile. L’histoire qui s’est déroulée, autour de la problématique des mineurs étrangers isolés, entre le Gisti et les travailleurs sociaux est une bonne illustration de la complexité des relations qu’entretient d’une manière générale l’association avec les travailleurs sociaux.

Dans un premier temps, le Gisti, parce qu’il plaidait pour un accueil conforme aux règles de droit commun pour ces mineurs, s’est trouvé en opposition avec d’autres associations mais aussi à des éducateurs de l’aide sociale à l’enfance (Ase) ou de structures accueillant des mineurs étrangers isolés qui s’étaient laissé convaincre que la prise en charge de ces jeunes posait des difficultés telles qu’elle ne pouvait relever que de structures spécialisées. « Les mineurs étrangers isolés sont avant tout des demandeurs d’asile », nous était-il dit. Bien souvent ils ne parlent pas le français, les services sociaux ne sont pas équipés pour pallier ce problème linguistique.

Ils ont des passés d’errance, ils ont appris jeunes à être autonomes, ce qui les rend « inadaptés » (sic) aux modes d’accueil que les services sociaux peuvent leur proposer. Certains éducateurs ne tarissaient pas d’arguments à opposer à la revendication du Gisti, qu’ils accusaient de parler sans connaître la réalité de ces jeunes : ils ne se plient pas aux règlements, ils fuguent, ils se sauvent pour aller travailler, ne veulent pas étudier… Une journée thématique sur la situation des mineurs étrangers isolés que le Gisti avait organisée en janvier 2002 a ainsi donné lieu à des échanges virulents.

En face, le Gisti n’en a pas démordu : il n’y a aucune raison, avons-nous toujours répété, pour écarter ces mineurs du bénéfice des textes sur la protection de la jeunesse en danger. Lors de nos échanges avec divers éducateurs, nous prenions acte du fait que leur prise en charge nécessitait des moyens spécifiques, mais nous posions la question : pourquoi vous refuse-t-on ces moyens ? En quoi le problème des moyens à mettre en œuvre est plus lourd que pour la prise en charge de jeunes qui ont été maltraités par leurs parents, de jeunes toxicomanes, de jeunes délinquants ?

Peu à peu, les choses ont évolué. Les institutions de travail social de nombreux départements se sont dotées des moyens indispensables pour accompagner les mineurs étrangers isolés. Certaines ont même déployé, à la suite de plaidoyers d’éducateurs, des efforts remarquables pour ce type d’intervention.

Au cours de la période qui a suivi, l’association a été beaucoup sollicitée pour des formations sur la réglementation s’appliquant à ces mineurs. Nous étions en train de réfléchir à un module spécial, quand la loi Sarkozy de novembre 2003 est venue modifier l’accès à la nationalité française des mineurs étrangers isolés. Depuis l’entrée en vigueur de cette réforme, ces mineurs ne peuvent acquérir la nationalité française qu’à condition d’avoir été confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance depuis l’âge de quinze ans, alors qu’aucune limite d’âge n’existait auparavant.

Les effets de ces nouvelles dispositions n’ont pas tardé à se faire sentir ; de partout en France, des éducateurs ont contacté le Gisti, affolés, se demandant comment prendre en charge des jeunes dont on ne savait pas s’ils pourraient ou non demeurer en France à leur majorité. Le réseau Rime a été créé. Et ces deux dernières années, le Gisti a multiplié conseils, suivis de dossiers et stages de formation pour des structures de travail social.

Sur des sujets comme celui-ci, si nous avons le sentiment de tenir le même langage que nombre de nos interlocuteurs, il nous arrive néanmoins de trouver parfois surprenantes aussi bien les stratégies que les motivations des stratégies de travailleurs sociaux avec tel ou tel mineur étranger isolé. Ainsi, il n’est pas rare que nous découvrions qu’une démarche pourtant capitale dans l’intérêt du mineur n’a pas été faite, ou que les délais pour l’accomplir n’ont pas été l’objet de suffisamment d’attention. Ici, on accueille des jeunes sans alerter comme il le faudrait le procureur ou le juge des enfants, là on ne demande pas au juge des tutelles de statuer, ailleurs on néglige d’accompagner le jeune qui aurait pu se prévaloir de ce droit dans une procédure de déclaration de nationalité. Lorsque nous manifestons notre étonnement, il nous est bien souvent expliqué que l’intéressé était « en observation », qu’on attendait de savoir « quel était son projet », qu’il fallait « mieux connaître son histoire », élaborer « une relation de confiance », etc. De la compassion et non du droit

Hormis pour les interventions en urgence – cas de maltraitance, de troubles psychiatriques aigus, d’expulsion locative –, le temps du travail social est en effet un temps long, qui suit son calendrier propre et sa logique propre. Et tout pousse les équipes éducatives, dans le contexte exposé plus haut, à agir en faveur des jeunes concernés de façon compassion-nelle (héberger, nourrir, soigner) plutôt que clairement comme des sujets de droit, c’est-à-dire en tant que mineurs relevant du droit à la protection de la jeunesse en danger. Tout pousse à ne se décider à engager la bataille avec la hiérarchie pour obtenir une vraie prise en charge au long cours que pour des cas manifestant un besoin de protection particulièrement aigu. Or la pratique du droit, si elle impose souvent d’attendre des mois, voire des années, le résultat d’une procédure, nécessite de veiller au bon respect de délais : tant de mois, de semaines, parfois d’heures pour entamer une démarche, faire appel d’une décision administrative ou d’une décision de justice.

Le dossier des mineurs étrangers isolés nous montre à quel point, s’agissant de mineurs plus encore que pour les adultes, de nombreux travailleurs sociaux manifestent une culture professionnelle privilégiant l’attention aux problématiques sociales, psychologiques, culturelles. Alors même que le discours du travail social met en avant l’accompagnement vers l’accès aux droits, le Droit n’est très souvent que la dernière roue du carrosse, pour des professionnels peu ou mal formés aux matières juridiques.

Au quotidien, c’est bien souvent après une décision administrative négative que le Gisti est consulté. Nous conseillons alors éventuellement de faire un recours. L’expérience nous a appris que rares sont les travailleurs sociaux qui, spontanément, se livrent à cet exercice, et encore plus rares ceux qui se lancent dans des recours contentieux. Nous recevons tous les jours des copies de lettres adressées par des assistants de service social à des administrations, lettres qui sont souvent des plaidoyers, ou des suppliques, égrenant des arguments humanitaires ou compassionnels : « M. X. est un homme sérieux, courageux, bien intégré », écrit l’assistante sociale, qui demande au préfet de bien vouloir examiner avec bienveillance le cas de ce monsieur et de lui délivrer un titre de séjour. Rien n’est dit sur le droit de M. X. à se voir délivrer le titre demandé, aucun texte réglementaire n’est mentionné, et nulle part ne figure l’annonce qu’en cas de rejet les tribunaux pourraient être saisis.

Autre exemple, celui des modèles de recours proposés dans les publications du Gisti. De nombreux travailleurs sociaux, à l’instar d’ailleurs de permanents associatifs, à qui nous suggérons de s’inspirer de ces lettres-types s’inquiètent de leur ton : la préfecture (ou la Caf, la CPAM ou l’Ofpra) ne va-t-elle pas être heurtée par le ton revendicatif d’un tel courrier ? Ne risque-t-on pas de l’indisposer et, ce faisant, de nuire aux intérêts de l’étranger que l’on souhaite défendre ? Les raisons d’un hiatus

À la crainte de faire du tort à l’intéressé s’ajoute bien sûr la prévision de la difficulté de mise en œuvre : comment en effet convaincre le supérieur hiérarchique, qui aura à signer le recours, de la nécessité de cet acte qui le place en opposition frontale avec une autre administration ou avec le préfet ? Là est le hiatus principal de nos relations avec beaucoup des travailleurs sociaux, voire la plupart. Tandis qu’au Gisti on se demande si telle personne veut ou non obtenir tel statut, ou telle prestation, et si elle peut ou non y prétendre, les travailleurs sociaux ont tendance à se poser une foule de questions préalables. Bien sûr, il est nécessaire d’évaluer le risque encouru par l’étranger que l’on soutient. Mais leurs interrogations vont bien au-delà. Ils s’interrogent sur le bien-fondé de la démarche, sur son sens, sur la façon dont l’intéressé(e) va la vivre…

Tous ces questionnements ont certes leur valeur dans les faits, mais ils nuisent parfois à la réflexion juridique, quand ils ne sont pas tout simplement contraires au respect de la liberté de la personne concernée. Ainsi, on entend des assistants de service social se demander s’il est vraiment souhaitable que tel étranger fasse venir sa famille en France. On entend certains formuler des réserves sur l’intérêt pour un étranger de chercher à se maintenir sur le territoire après un refus de titre de la préfecture, ou s’inquiéter de la valeur symbolique de l’obtention de la nationalité française par un jeune, ou encore évaluer le risque de réveil de traumatismes lié à une procédure de demande d’asile.

Si les soucis de cette nature honorent évidemment les professionnels qui les expriment, ils peuvent coïncider cependant avec l’ambiance de réticence, voire d’hostilité générale, des institutions à œuvrer dans le respect des droits des étrangers. Les interrogations exprimées se heurtent bien souvent à des réalités objectives, d’une part, et à des constats incontournables, d’autre part. Il est en effet bien réel qu’on vit mieux en France avec la nationalité française que sans, avec le statut de réfugié que sans. Force est en outre de constater que nombreux sont les étrangers qui préfèrent vivre dans la précarité en Europe que retourner dans leur pays, qui préfèrent vivre entourés des leurs, même dans des conditions matérielles difficiles, que laisser au loin les membres de leur famille.

Ce qu’on pourrait appeler la « philosophie » du Gisti réside dans la lutte pour un État de droit, c’est-à-dire une société dans laquelle les citoyens ne sont pas soumis à des décisions arbitraires ou discrétionnaires, ne sont pas des pions au service des intérêts économiques ou politiques des pays, avec le présupposé que, dans une telle société, les personnes font librement des choix dont nul ne peut dire, mieux qu’elles-mêmes, si ce sont ou non les meilleurs choix. On voit bien où et comment naissent les malentendus entre les deux cultures, celle du Gisti et celle du secteur du travail social. Un rôle nouveau

Ces riches mais difficiles relations auraient pu se poursuivre sans que nous nous y arrêtions davantage, la « cause » étant d’une certaine manière entendue : les travailleurs sociaux utilisent le Gisti, lequel bénéficie de leur incomparable proximité avec les réalités de la vie des étrangers, et tout est pour le mieux. Or la donne est en train de changer. Plusieurs réformes législatives au cours des dernières années concourent à donner aux services sociaux un rôle nouveau et considérable dans le domaine du droit à l’entrée et au séjour des étrangers. On assiste aussi depuis plusieurs mois – est-ce une simple coïncidence ? –, à d’importantes transformations dans l’univers des institutions chargées du travail social auprès des migrants.

Parmi les évolutions législatives les plus notables, il faut évoquer la généralisation du Contrat d’accueil et d’intégration (CAI), et surtout le fait que l’« intégration républicaine » qu’est censée attester l’adhésion à ce CAI soit devenue, depuis novembre 2003, une condition pour l’obtention de la carte de résident et, en juillet dernier, pour bénéficier du droit au regroupement familial.

D’autres évolutions de la réglementation touchent de près les structures de service social, comme la recherche de relations de « partenariat » entre les structures d’accueil de demandeurs d’asile et les préfectures, ou l’annonce de possibles interpellations d’étrangers dans des services médicaux ou sociaux…

Il est nécessaire d’évoquer par ailleurs le rôle que sont maintenant amenés à jouer, au travers d’enquêtes sociales et de rapports sociaux, les acteurs des services sociaux dans des procédures de plus en plus nombreuses : si un résident en France veut faire venir un étranger pour une visite de courte durée et s’il a donc besoin d’obtenir une attestation d’accueil, si un étranger résidant en France veut être rejoint par les membres de sa famille, si un Français ou un étranger veut se marier avec un étranger, si un jeune étranger accueilli en France veut y préparer un diplôme en alternance, ou y rester légalement après sa majorité. Changement de visage

Pendant que se mettent en place ces nouveaux dispositifs, une grande restructuration des services de l’État liés aux migrants a eu lieu, dont on ne peut aujourd’hui qu’entrevoir quelques uns des effets. L’Omi (Office des migrations internationales) a absorbé le SSAE (Service social d’aide aux étrangers) avec la création de la nouvelle Anaem (Agence nationale d’accueil des étrangers et des migrations). Des évolutions sont en cours également au sein du Fasild. C’est toute une orientation de politiques publiques et de budgets publics qui change de visage.

Défendre le droit des étrangers, dans cette nouvelle configuration réglementaire et institutionnelle, passe nécessairement, pour une association comme le Gisti, par un effort de réflexion sur la place des travailleurs sociaux, par l’intensification et peut-être la réforme de ses actions de formation, le cas échéant par l’interpellation de ceux-ci quant à l’usage qu’ils entendent faire de leurs nouveaux pouvoirs.

Ce dialogue est à mener avec l’ensemble des institutions qui sont chargées de l’intervention sociale, y compris avec les responsables des services sociaux dans la fonction publique territoriale et avec les élus des collectivités, mais les plus sûrs garants du respect des droits des personnes sont les travailleurs sociaux. Quelle résistance opposeront-ils demain à des consignes qui risquent d’entrer en contradiction avec des axes forts de leur métier : le secret professionnel, le souci avant tout de l’intérêt de la personne, le respect de son autonomie, la non-discrimination ?

Si, depuis des décennies, l’ambiguïté entre travail social et contrôle social est au cœur des débats sur tous les « sujets » du travail social, la question, s’agissant des étrangers, est en train de devenir d’une actualité qu’on pourrait dire bruyante… si seulement elle faisait un peu de bruit !



Article extrait du n°70

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Dernier ajout : mardi 2 juin 2015, 18:15
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