Article extrait du Plein droit n° 45, avril 2000
« Double peine »
La question cruciale de l’entretien
Le cas de T.B., auquel était consacré notre éditorial du n° 44 de Plein Droit et qui nous a valu une demande de rectification de la part de la préfecture de police de Paris éclaire bien l’importance du problème posé par le moment auquel doit avoir lieu l’entretien ainsi que le point sur lequel porte notre divergence d’appréciation avec la préfecture.
Rappelons d’abord les textes.
Aux termes de l’article 1er du décret du 23 juin 1998, « l’étranger qui demande l’asile territorial est tenu de se présenter à la préfecture […]. Il y dépose son dossier, qui est enregistré. Une convocation lui est remise, afin qu’il soit procédé à son audition ».
La circulaire du 25 juin 1998, dans ses dispositions non annulées par le Conseil d’État, détaille les étapes de la procédure. Elle précise que lorsqu’il se présente à la préfecture, l’intéressé remplit un formulaire de demande de carte de séjour temporaire sur lequel est apposée la mention « asile territorial » et qui vaut à la fois demande d’asile territorial et demande de titre de séjour. La circulaire dit aussi qu’il doit fournir à l’appui de sa demande une série d’indications et de documents. Enfin, elle indique qu’une convocation est remise à l’étranger en vue d’un entretien avec le chef du bureau des étrangers ou l’un de ses collaborateurs.
Concernant cet entretien, la circulaire précise qu’il appartient aux préfets de confier l’instruction du dossier à un agent de la préfecture chargé de l’application du droit des étrangers, et elle ajoute qu’il est souhaitable de désigner des agents qui seront spécialement chargés de ces auditions, pour lesquelles une formation spéciale est prévue.
S’agissant de T.B., la chronologie a été la suivante :
- entré en France le 23 janvier 1999, l’intéressé s’est rendu dans les jours qui suivent au centre de réception des étrangers(1) de la rue d’Aubervilliers, où on lui a remis un premier formulaire « Asile territorial » à remplir, sans lui proposer de rendez-vous ;
- le 8 février, il est revenu au même centre de réception déposer son formulaire rempli, et on lui a alors donné un rendez-vous pour le 23 février, au 9e bureau de la préfecture de police de Paris, 36 rue des Morillons, pour qu’il dépose sa demande. Sur le document qu’on lui a remis figurait la liste des pièces à fournir (identité, domicile, récit des motifs de la demande d’asile, quatre photos…). Sous la liste, il était indiqué qu’« il sera procédé à un entretien personnel […] » ;
- le 23 février, il s’est rendu rue des Morillons avec les documents requis. Et il a été interrogé par un fonctionnaire.
Si, par conséquent, nous donnons acte à la préfecture de ce qu’un entretien a eu lieu, nous estimons que cet entretien n’était conforme ni à la lettre, ni à l’esprit des textes que nous venons de rappeler, non plus qu’à la position prise par le Conseil d’État dans son arrêt du 26 janvier,
> En ce qui concerne le moment où a eu lieu l’entretien, la préfecture estime que le fait de procéder à l’entretien lors de la première venue de l’intéressé rue des Morillons est conforme à la position du Conseil d’État : le dépôt de la demande, selon elle, aurait lieu au moment où l’intéressé remet au centre de réception son formulaire rempli. A notre sens, le dépôt de la demande se fait lorsque l’intéressé remet l’ensemble des documents, avec le récit des motifs de sa demande d’asile qu’il est d’ailleurs invité à motiver en remplissant un formulaire intitulé « Questionnaire relatif à une demande d’asile territorial ». On ne saurait mieux dire. Et la circulaire elle-même évoque la remise de la convocation après avoir évoqué la remise des documents.
La circulaire parle bien, par ailleurs, d’instruction du dossier. Or il ne peut y avoir d’instruction sérieuse si le fonctionnaire prend connaissance du dossier au moment même où l’entretien a lieu. Il paraît logique qu’avant de procéder à l’entretien le fonctionnaire désigné à cet effet ait eu le temps d’étudier le dossier – et le cas échéant de se renseigner sur la situation que l’intéressé décrit – afin de pouvoir lui poser les questions pertinentes.
Enfin, il faut que les délais laissés à l’intéressé lui permettent, selon la formule du Conseil d’État, de « disposer d’un délai suffisant pour préparer utilement son audition et user des droits [que les dispositions du décret] lui confèrent », ce qui n’est pas le cas lorsqu’il est immédiatement interrogé, au moment même où il remet l’ensemble de son dossier.
Tout ceci entraîne que, de toute évidence, l’entretien doit avoir lieu dans un second temps et pas sur-le-champ.
> Ce qui est en jeu, derrière la question du moment où est réalisé l’entretien, ce sont les conditions concrètes permettant à un demandeur d’asile de bénéficier de garanties réelles.
Là encore, le cas de T.B.est significatif. Car, en dépit de ce qui était indiqué sur sa convocation et en dépit du fait qu’il a été interrogé par un fonctionnaire de la préfecture, il a cru de bonne foi qu’il n’avait pas eu l’entretien prévu par les textes. Il n’a pas réalisé que les questions que lui a posées le fonctionnaire désigné à cet effet constituaient le fameux « entretien » auquel ont droit les demandeurs d’asile territorial. La conversation lui a paru improvisée et lui-même n’avait pas préparé cet entretien.
Nous pensons donc que la question des conditions dans lesquelles se déroule l’entretien des demandeurs d’asile territorial est cruciale – comme elle l’est devant l’OFPRA pour les demandeurs du statut de réfugié.
Il appartient aux préfectures de tout mettre en œuvre pour que ces entretiens donnent aux demandeurs une véritable possibilité d’être écoutés et qu’ils aient lieu dans des conditions le moins « bureaucratiques » possible – ce qui est évidemment un défi pour les préfectures, et plus encore pour les services qui reçoivent les étrangers.
Notes
(1) Ce type de service préfectoral, doté d’une appellation aussi poétique que signifiante, n’existe, à notre connaissance, qu’à Paris. Ailleurs, les étrangers s’adressent directement à la préfecture.
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