Article extrait du Plein droit n° 33, novembre 1996
« Des jeunes indésirables »
Un futur sans-papiers
Il n’existe pas de règle sur le séjour des étrangers mineurs sinon qu’ils ne peuvent faire l’objet d’une mesure d’éloignement. Les étrangers sont soumis à l’obligation de détenir un titre de séjour à partir de l’âge de dix-huit ans. Depuis la modification, en décembre 1994, du statut des ressortissants algériens régi par un accord international, il n’y a plus d’exception à cette règle. On ne peut donc pas parler de situation régulière ou irrégulière à leur sujet. La question du droit au séjour est reportée à l’âge de la majorité, à moins que le jeune étranger ne veuille exercer une activité salariée dès l’âge de seize ans auquel cas un titre de séjour pourra lui être délivré de façon anticipée s’il est potentiellement bénéficiaire d’un titre de séjour à sa majorité.
En revanche, les mineurs étrangers sont soumis aux mêmes règles d’entrée sur le territoire que les adultes. Pour les séjours de courte durée, ils doivent présenter un visa consulaire s’ils ne sont pas ressortissants d’un pays qui en est dispensé. À moins d’avoir un parent français ou apatride, les étrangers mineurs, pour avoir droit à un titre de séjour à leur majorité, doivent être entrés en France par la procédure du regroupement familial. Les enfants de réfugiés ne sont pas concernés par cette procédure si leurs parents se sont mariés avant l’obtention du statut par l’un des deux ; dans le cas contraire, ils y sont soumis dans les conditions de droit commun (voir encadré).
Les mineurs étrangers doivent donc entrer sur le territoire français en passant par la procédure de regroupement familial. Mais encore faut-il que celle-ci soit matériellement possible !
Depuis le coup d’arrêt mis à l’immigration de travailleurs étrangers au milieu des années 1970, cette procédure, conçue à l’origine pour garantir aux familles des conditions d’accueil satisfaisantes, est devenue, au fil des modifications réglementaires puis législatives, un moyen de limiter leur installation sur le territoire français. Les parents qui se heurtent à cet obstacle finissent le plus souvent par faire venir leur enfant en France – avec ou sans visa consulaire – dès lors qu’ils estiment pouvoir lui assurer, à leurs côtés, des conditions de vie décentes, et le plus souvent bien meilleures que dans le pays d’origine.
Regroupement familial de fait et procédure légale ont coexisté sans générer trop de situations dramatiques tant qu’il demeurait possible de régulariser a posteriori la situation des enfants présents sur le territoire français, avant qu’ils atteignent leur majorité. Le décret Dufoix (du nom du ministre des affaires sociales de l’époque) du 4 décembre 1984, a mis fin à cette possibilité en supprimant la procédure dite de « régularisation » des membres de famille entrés hors regroupement familial. Cette disposition a eu pour effet d’exiger des jeunes qu’ils repartent dans leur pays d’origine pour pouvoir revenir dans le cadre de la procédure légale.
Or, à supposer que les parents finissent par remplir les conditions du regroupement familial avant la majorité de leur enfant, la durée de la procédure est devenue un obstacle insurmontable. Comment renvoyer un mineur pour une durée souvent supérieure à un an ?
Les difficultés d’accueil dans le pays d’origine et l’obligation d’interrompre la scolarité en France finissent de dissuader les parents d’envisager une telle solution.
Dans certaines situations, la question du respect de la procédure de regroupement familial ne se pose même pas puisque certains jeunes en sont exclus de par la loi. Il s’agit des jeunes étrangers qui ont rejoint un de leurs parents sur le territoire français sans que l’autre parent, qui demeure hors de France, soit déchu de ses droits parentaux ou décédé, ou encore des jeunes qui sont confiés, en dehors de toute procédure d’adoption, à une personne résidant en France.
Les jeunes qui n’ont pu bénéficier du regroupement familial peuvent séjourner sur le territoire français et y poursuivre leur scolarité. Toutefois, il leur est interdit de fait de sortir du territoire pendant leur minorité sous peine de ne plus pouvoir y rentrer. Mais la question la plus cruciale est celle de leur droit au séjour après leur majorité.
Sélection par l’âge d’entrée en France
Quelques mois avant le décret qui allait interdire le regroupement familial sur place, la loi du 17 juillet 1984 a accordé de plein droit la carte de résident aux enfants résidant en France depuis qu’ils ont atteint au plus l’âge de dix ans. Il s’agissait bien, dans un souci d’humanité, d’éviter que des étrangers arrivés très jeunes en France soient contraints, à leur majorité, de vivre dans la clandestinité ou de repartir vers un pays avec lequel ils n’avaient plus aucun lien. Sauf à priver de tout sens la réglementation sur le regroupement familial des enfants, cette loi a dû limiter la délivrance d’une carte de résident aux seuls jeunes entrés avant l’âge de dix ans.
Pourquoi dix ans et pas neuf ou onze ? Là devait se situer, en 1984, pour le législateur, le juste équilibre entre l’atteinte portée au droit de l’individu – droit de vivre avec les siens, dans le pays où il a été élevé – et le but recherché par la loi – le respect de la procédure de regroupement familial instituée pour une bonne intégration des familles.
Un peu moins de dix ans après cette innovation législative, la loi Pasqua est venue bouleverser cet équilibre. Désormais, pour avoir un avenir en France, le jeune arrivé en France hors regroupement familial doit être entré avant l’âge de six ans. La circulaire d’application du 8 février 1994 justifie cette modification par le fait que l’ancienne disposition « faisait trop directement concurrence, et donc échec, à la procédure normale d’introduction en France des mineurs : le regroupement familial ». Elle ajoute que « toutefois, il a paru nécessaire au législateur de permettre la délivrance de plein droit d’un titre de séjour temporaire à des jeunes étrangers résidant habituellement en France depuis l’âge de six ans et qui y ont donc effectué toute leur scolarité ».
La stabilité du séjour est donc aussi revue à la baisse : la carte de résident est remplacée par la carte de séjour temporaire. Ainsi, douze ans de présence en France au minimum (dix-huit moins six) et toute une scolarité sur les bancs d’une école française ne constituent plus un indice suffisant d’insertion pour « mériter » une carte de résident.
Pour les jeunes entrés hors regroupement familial après l’âge de six ans, la sanction tombera à dix-huit ans. Leurs démarches dans les préfectures se solderont le plus souvent par un refus de séjour et une injonction à quitter le territoire. Après dix-huit ans, la protection contre l’éloignement disparaît, et ces jeunes majeurs peuvent être reconduits à la frontière ou être condamnés pénalement pour séjour irrégulier.
Multiplication des impasses
Quelques uns obtiendront une carte de séjour temporaire avec la mention « étudiant », mais il ne s’agira que d’un court sursis, puisqu’en aucun cas ce titre ne leur permettra de stabiliser leur séjour en France. Dans une certaine mesure, cette « régularisation provisoire » permet aux préfectures de reconduire plus facilement ces jeunes après trois ou quatre ans d’études plutôt que juste après leur majorité, les juges étant moins sensibles à l’argumentation basée sur le droit de vivre en famille pour les jeunes plus âgés qui ont éventuellement pris leur autonomie vis-à-vis du milieu familial.
L’effet cumulé de cette disposition et du renforcement des conditions du regroupement familial résultant de la loi Pasqua a multiplié ce type d’impasse pour de nombreux jeunes étrangers majeurs. Il faut ajouter à ces situations celle des jeunes étrangers nés en France qui ne pourront acquérir la nationalité française par manifestation de volonté. Car la seule naissance en France ne constitue plus une garantie absolue de pouvoir y demeurer. La nationalité française peut être refusée aux jeunes qui ne peuvent prouver leur résidence habituelle sur le territoire national pendant les cinq années qui précèdent leur manifestation de volonté ou à ceux qui ont fait cette démarche après l’âge de dix-huit ans en ayant fait l’objet de condamnations pénales ou d’une mesure d’éloignement toujours en vigueur (arrêté de reconduite à la frontière ou interdiction du territoire). Dans ce cas, aucun droit au séjour n’est prévu pour eux.
La situation des parents d’enfants français, celle des conjoints de français, et plus globalement toutes celles qui touchent à la vie familiale ont démontré les difficultés qu’un gouvernement pouvait rencontrer à tenir une position trop ferme en la matière, compte tenu d’une part des obligations internationales de la France – qui a dû intégrer, dans sa jurisprudence, les principes de la Convention européenne des droits de l’Homme et, notamment, de son article 8 qui protège la vie familiale –, d’autre part de l’opinion publique sensible à ces questions. À cela s’ajoutent les difficultés d’ordre juridique et technique pour renvoyer des jeunes étrangers en les séparant de leur famille.
Il n’est donc pas surprenant que le projet de loi du ministre de l’intérieur portant diverses dispositions sur l’entrée et le séjour des étrangers en France, présenté le 6 novembre 1996 au conseil des ministres, tente de rectifier le tir. Il est ainsi prévu d’accorder un titre de séjour aux jeunes arrivés avant l’âge de dix ans sur le territoire français.
Il ne s’agit pas là d’un simple retour aux dispositions antérieures à la loi Pasqua puisque le texte prévoit la délivrance d’une carte de séjour temporaire et non d’une carte de résident. De plus, le jeune devra justifier « être dans l’impossibilité de poursuivre toute vie familiale dans son pays d’origine ». Outre la précarité du titre de séjour qui permet de refuser son renouvellement à la moindre occasion, cette disposition va permettre de reconduire des jeunes majeurs hors de France, quelle que soit la durée de leur séjour, dès lors qu’un membre de leur famille sera en mesure de les accueillir dans le pays d’origine.
L’objectif principal de cette disposition n’est pas tant de régulariser la situation de ces jeunes que de bien préciser les cas dans lesquels ils pourront être éloignés du territoire.
Les jeunes qui obtiennent de plein droit un titre de séjour
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Les conditions du regroupement familial
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