Article extrait du Plein droit n° 29-30, novembre 1995
« Cinquante ans de législation sur les étrangers »

Quand le droit court après la politique

Danièle Lochak

Professeur de droit à l’Université Paris X Nanterre, Présidente du Gisti
Entre le moment de son édiction et 1980, l’ordonnance du 2 novembre 1945 n’avait subi que des retouches mineures. Entre 1980 et 1995, elle a connu six réformes substantielles – en 1980, 1981, 1984, 1986, 1989, 1993 – et fait l’objet d’une bonne dizaine de modifications de moindre envergure. Cette frénésie législative est bien sûr un effet de l’alternance au pouvoir de majorités empressées de défaire l’œuvre de leurs prédécesseurs ; mais elle reflète également l’importance nouvelle accordée, depuis le début des années 1970, au problème de l’immigration et plus spécifiquement de la « maîtrise des flux migratoires ».

L’ensemble législatif et réglementaire mis en place en 1945 reflétait une volonté politique clairement affirmée : encadrer l’immigration de main-d’œuvre. Mais très vite celle-ci s’est échappée du cadre institutionnel prévu et s’est laissé porter par les besoins économiques. Pendant trente-cinq ans, on n’a guère parlé de l’ordonnance de 1945, connue des seuls spécialistes : en matière d’immigration, la problématique économique restait dominante. De fait, jusqu’à la fin des années 1960, les besoins de main-d’œuvre sont tels que, si la réglementation n’est guère respectée, c’est avec l’assentiment implicite des pouvoirs publics. Ainsi, en dépit des textes qui confèrent à l’Office national d’immigration le monopole du recrutement et de l’introduction en France des travailleurs étrangers et subordonnent le droit au séjour à la production d’un contrat de travail dûment visé par les services de l’emploi, l’immigration spontanée, qu’on appellera plus tard « sauvage », est la règle : les travailleurs étrangers entrent en France sous couvert d’un simple passeport de touriste, ou même clandestinement ; ils trouvent sans peine à s’embaucher, et obtiennent ensuite aisément la carte de séjour et la carte de travail qui régularisent leur situation. L’ordonnance de 1945 n’est invoquée que lorsqu’il s’agit d’expulser les étrangers qui troublent l’ordre public.

Autrement dit, le dispositif législatif, à l’évidence inadapté, est quotidiennement violé, sans que ceci semble le moins du monde tracasser les autorités. Il faut attendre le début des années 1970, lorsque la « maîtrise des flux migratoires » commence à devenir une préoccupation véritable des pouvoirs publics, pour qu’on redécouvre les textes en vigueur. Jusqu’au moment où la persistance de la crise, en laissant peu à peu apercevoir le caractère désormais inadapté de la réglementation au regard des mutations qui ont affecté l’immigration, va provoquer, avec un temps de retard, un mouvement de refonte de l’ordonnance de 1945.

La redécouverte des textes

La première réaction des pouvoirs publics est de revenir à une application stricte de l’ordonnance, en donnant un coup d’arrêt à la procédure de régularisation : tel est l’objet, en 1972, des circulaires dites Marcellin-Fontanet – respectivement ministres de l’intérieur et du travail – qui seront d’ailleurs partiellement annulées par le Conseil d’État trois ans plus tard comme comportant des dispositions réglementaires excédant la compétence des ministres.

La décision de suspendre l’immigration de travailleurs, prise en 1974 à la suite du premier choc pétrolier, conduit logiquement à renforcer le contrôle sur le séjour et le travail des étrangers. Tenant compte du rappel à l’ordre du Conseil d’État, le gouvernement procède cette fois par voie de décrets, qui viennent respectivement réformer en 1975 et 1976 le régime des cartes de travail et des titres de séjour, et réglementer l’immigration familiale, laquelle était régie jusque-là par de simples circulaires [1]. Le décret du 21 novembre 1975 introduit notamment la possibilité, pour l’autorité compétente, de prendre en considération, pour décider de la délivrance ou du renouvellement d’une autorisation de travail, « la situation de l’emploi présente et à venir dans la profession demandée et dans la région » – disposition encore en vigueur aujourd’hui.

Politisation : acte I

Mais bientôt ces aménagements apparaissent comme insuffisants : c’est ainsi que l’on va, pour la première fois, amender de façon substantielle l’ordonnance de 1945. Le recours à la voie parlementaire, imposé par des considérations juridiques puisque les dispositions de l’ordonnance ont valeur législative, signifie aussi que le gouvernement accepte, voire même revendique la politisation de la question de l’immigration.

À tous égards, la loi du 10 janvier 1980, dite « loi Bonnet », ouvre donc une ère nouvelle dans l’histoire de l’ordonnance de 1945 comme dans celle de la politique d’immigration. Adoptée dans un contexte marqué autant par les préoccupations « sécuritaires » que par le souci de lutter contre l’immigration clandestine, elle apporte au texte initial de l’ordonnance des modifications importantes. D’abord, elle rend plus strictes les conditions d’entrée sur le territoire : l’étranger qui ne vient en France ni pour travailler ni dans le cadre du regroupement familial, doit désormais fournir des « garanties de rapatriement » ; et l’étranger refoulé à la frontière qui n’est pas en mesure de quitter immédiatement le territoire français peut être « maintenu » dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire pendant le temps strictement nécessaire à son départ.

Ensuite, la loi fait de l’entrée ou du séjour irrégulier un motif d’expulsion au même titre que la menace pour l’ordre public, et permet par conséquent d’éloigner du territoire les « clandestins » ou ceux dont le titre de séjour n’a pas été renouvelé (il faut avoir conscience qu’il n’existait jusque-là aucune procédure permettant de procéder – du moins légalement... – à cet éloignement, l’entrée et le séjour irréguliers étant simplement passibles de sanctions pénales).

Enfin, pour donner à l’administration les moyens d’assurer l’effectivité des mesures d’expulsion, la loi lui confère la double faculté de reconduire l’étranger expulsé à la frontière et de le détenir dans un établissement pénitentiaire pendant un délai pouvant aller jusqu’à sept jours s’il n’est pas en mesure de quitter immédiatement le territoire. En fait, ces deux dispositions visent à donner un fondement légal à des pratiques qui s’opéraient jusque là en marge de la loi, et qu’avait permis de dévoiler la découverte d’un camp clandestin à Arenc, près de Marseille, où étaient détenus les étrangers qui ne pouvaient repartir immédiatement dans leur pays.

Un mouvement de balancier

Toutes ces mesures sont vigoureusement contestées par la gauche, alors dans l’opposition, qui dénonce le caractère excessivement répressif du dispositif mis en place : il n’est donc pas surprenant qu’aussitôt arrivée au pouvoir, elle décide de mettre en chantier une nouvelle réforme de l’ordonnance de 1945. Un mouvement de balancier est ainsi amorcé, qui se poursuivra avec l’adoption de la loi du 9 septembre 1986 puis celle du 2 août 1989. Mais l’image du balancier ne doit pas tromper : le retour du balancier ne va jamais jusqu’au bout et laisse à chaque fois subsister une partie des dispositions adoptées par la majorité précédente.

La loi du 29 octobre 1981 prend sur beaucoup de points le contre-pied de la loi Bonnet. Les étrangers en situation irrégulière ne peuvent plus être expulsés par la voie administrative : ils doivent être déférés devant le juge correctionnel, et c’est au juge qu’il appartient de décider, en tenant compte de la situation personnelle et professionnelle de l’intéressé, la reconduite à la frontière éventuelle de l’étranger coupable d’être entré ou d’avoir séjourné illégalement sur le territoire. La reconduite à la frontière change donc de nature pour devenir une peine complémentaire facultative, perdant du même coup son caractère d’automaticité. Toutefois, le juge peut prononcer cette sanction comme peine principale, se substituant à la peine d’emprisonnement ou d’amende ; dans ce cas, la peine de reconduite à la frontière est immédiatement exécutoire, nonobstant appel, ce qui, dans la pratique, redonnera souvent à la procédure judiciaire un caractère expéditif.

L’expulsion, de son côté, ne peut plus désormais sanctionner qu’une menace grave pour l’ordre public, et elle est subordonnée à l’existence d’une condamnation pénale au moins égale à un an de prison ferme (la loi de 1984 transformera cette condition en : une ou plusieurs condamnations pénales dont le total est égal à un an de prison ferme) ; les garanties de procédure qui l’entourent sont accrues ; enfin et surtout, les étrangers mineurs ou ayant des attaches personnelles ou familiales en France ne peuvent plus être expulsés, ni d’ailleurs reconduits à la frontière. Néanmoins, l’ensemble de ces garanties disparaît en cas d’urgence absolue, lorsque l’expulsion constitue « une nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou pour la sécurité publique ».

1981-1984 : « Ils resteront »

Cette immunité contre l’expulsion concrétise la reconnaissance, à certaines catégories d’étrangers, d’un véritable droit de demeurer sur le territoire français – un droit qui sera encore conforté par l’adoption de la loi du 17 juillet 1984. L’innovation la plus importante de cette loi, qui supprime la dualité des cartes de séjour et de travail, réside dans la création d’une carte de résident valable dix ans, qui donne le droit d’exercer sans autorisation, sur l’ensemble du territoire, la profession de son choix, et qui, dans la mesure où son renouvellement est automatique, confère à son titulaire un droit au séjour quasiment inconditionnel (aussi longtemps, du moins, qu’il ne menace pas l’ordre public).

L’impact de la réforme est d’autant plus important qu’elle concerne une très large majorité de la population immigrée : la loi prévoit en effet que tous les étrangers résidant en France régulièrement depuis plus de trois ans au moment de sa promulgation seront mis d’office en possession d’une carte de résident ; elle prévoit également, dans la logique des dispositions adoptées en 1981, que certaines catégories d’étrangers dont la liste recouvre en gros la liste de ceux qui sont protégés contre l’expulsion et la reconduite à la frontière, obtiendront cette carte de plein droit, en raison de l’ancienneté de leur séjour en France ou des liens familiaux qu’ils y ont noués.

Au-delà de son caractère protecteur, cette loi a aussi une importance symbolique. Elle traduit, dans les textes, la reconnaissance du caractère durable de l’installation en France de la population immigrée ; la dissociation du droit au séjour d’avec l’occupation d’un emploi signifie que la population immigrée n’est plus considérée simplement comme un volant de main-d’œuvre compressible au gré des nécessités économiques.

Mais parallèlement à l’adoption de ces mesures qui rendent plus confortable la situation des étrangers installés en France, la gauche maintient en vigueur, en 1981, deux des dispositions les plus contestées de la loi Bonnet : l’exécution forcée des mesures d’expulsion, et surtout la « rétention » des étrangers en instance de départ forcé. Reprenant à son compte l’objectif de fermeture des frontières et de lutte contre l’immigration clandestine, elle n’estime pas opportun de se priver d’un moyen supplémentaire d’assurer l’effectivité des mesures de reconduite à la frontière ; elle se borne donc à entourer l’exercice de ces prérogatives exorbitantes de quelques garanties de procédure supplémentaires, souvent illusoires au demeurant. La loi ajoute à l’ordonnance un article 35 bis, qui unifie les conditions du maintien administratif, qu’il soit consécutif à un refus d’entrée ou à une mesure d’éloignement du territoire. Il a lieu désormais toujours en dehors des établissements pénitentiaires (c’est-à-dire en pratique dans des locaux de police ou de gendarmerie, dans des hôtels d’aéroports réquisitionnés à cette fin, ou encore dans des « centres de rétention » nouvellement créés à proximité des aéroports). Le magistrat du siège, saisi au bout de vingt-quatre heures et non plus de quarante-huit heures, a le choix entre trois solutions : l’assignation à résidence, la mise en liberté avec remise des documents d’identité à un service de police ou de gendarmerie, enfin la prolongation du maintien forcé, mais à titre exceptionnel dit la loi. L’expérience a montré, il est vrai, que la prolongation du maintien forcé était plus la règle que l’exception.

Pasqua, Marchand, Joxe...

Nouveau retour du balancier avec la loi du 9 septembre 1986, dite « loi Pasqua », qui revient sur un grand nombre de dispositions adoptées par la gauche : elle rend aux préfets, statuant seuls et sans aucune procédure permettant l’exercice des droits de la défense, le droit de prononcer la reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière ; elle rétablit le régime de l’expulsion tel qu’il existait antérieurement à la loi du 29 octobre 1981 ; elle restreint la liste des étrangers protégés contre les mesures d’éloignement du territoire et, par voie de conséquence, la liste des étrangers qui obtiennent de plein droit une carte de résident. Pour autant, la loi ne remet pas en cause un certain nombre de principes fondamentaux introduits dans la législation par les lois du 29 octobre 1981 et du 17 juillet 1984 (celle-ci avait d’ailleurs été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale). Au premier rang de ces principes, qu’on pouvait donc considérer comme acquis avant qu’une nouvelle loi Pasqua, en 1993, n’en réduise singulièrement la portée, figurent l’impossibilité d’expulser les mineurs et la reconnaissance à certaines catégories d’étrangers d’un véritable droit de demeurer en France fondé sur l’ancienneté du séjour ou sur les liens familiaux noués avec des citoyens français.

À son tour, la loi du 2 août 1989, dite « loi Joxe », adoptée après le retour de la gauche au pouvoir – non sans de longues hésitations – est loin d’abroger l’intégralité des dispositions introduites par la loi Pasqua : elle maintient en particulier pratiquement inchangées les règles relatives à l’entrée sur le territoire français. Sur d’autres points, en revanche, la loi revient à l’esprit – et souvent à la lettre – de la loi du 29 octobre 1981, en libéralisant les règles relatives au séjour et à l’expulsion. Enfin, elle recule jusqu’à 18 ans l’âge auquel les jeunes étrangers doivent être en possession d’un titre de séjour, et elle instaure deux nouvelles garanties de procédure non négligeables : d’une part la consultation préalable d’une « commission du séjour des étrangers » avant tout refus de délivrance d’une carte de résident à un étranger qui peut prétendre l’obtenir de plein droit ou avant tout refus de renouvellement d’une carte de séjour temporaire ; d’autre part la possibilité de former un recours suspensif devant le tribunal administratif contre les mesures de reconduite à la frontière (dans la version initialement votée par le Parlement, il était prévu que le recours serait formé devant la juridiction judiciaire ; mais cette disposition ayant été invalidée par le Conseil constitutionnel, la loi du 10 janvier 1990, complétant la loi du 2 août 1989, a attribué compétence au juge administratif).

Entre 1989 et 1993, l’ordonnance connaîtra encore d’autres modifications, qui iront cette fois à nouveau dans un sens restrictif. C’est le cas de la loi du 31 décembre 1991 « renforçant la lutte contre le travail clandestin » qui aggrave les sanctions encourues pour les délits d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers. Ou encore de la loi du 26 février 1992 qui, sous couvert de mettre la législation française en conformité avec la convention de Schengen, instaure des sanctions contre les transporteurs qui débarquent sur le territoire français des personnes démunies de passeport ou de visa et facilite la reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière.

C’est au cours de la discussion parlementaire de ce texte que le gouvernement avait tenté d’introduire un amendement à son propre projet, dit « amendement Marchand », en vue de donner un fondement légal au maintien, dans la zone internationale des ports et aéroports, des étrangers non admis sur le territoire ainsi qu’aux demandeurs d’asile pendant l’examen de leur demande, qui s’opérait jusque là en marge de toute légalité. Le Conseil constitutionnel ayant invalidé cette disposition, le gouvernement dut réécrire sa copie ; il en résulta la loi du 6 juillet 1992 sur les zones d’attente qui prévoit certes l’intervention du président du tribunal de grande instance pour prolonger le maintien d’un étranger dans ces zones au-delà de quatre jours, mais permet finalement de retenir pendant vingt jours des étrangers dans des hypothèses où la durée maximale de la rétention était jusque-là de sept jours.

Pasqua bis, ter, quater...

Lorsque la gauche, battue aux élections, quitte le pouvoir en 1993, l’esprit libéral de la loi Joxe est donc depuis longtemps oublié. Malgré tout, ses dispositions sont encore en vigueur ; et, comme en 1986, mais avec plus de fougue encore, la droite revenue au pouvoir va s’empresser de les faire disparaître.

Encouragé par sa victoire électorale, mais à court de propositions concrètes susceptibles de résoudre les problèmes qui menacent véritablement la cohésion de la société française, à savoir le chômage et la pauvreté, le gouvernement s’empare de la question de l’immigration et fait adopter précipitamment par le Parlement trois textes : la loi du 22 juillet 1993 réformant le code de la nationalité, la loi du 10 août 1993 facilitant les contrôles d’identité, la loi du 24 août 1993 enfin, qui procède à une véritable refonte de l’ordonnance de 1945, dans laquelle figurent désormais un chapitre consacré au regroupement familial et un autre aux demandeurs d’asile. La réforme sera complétée ultérieurement par la loi du 30 décembre 1993 qui réintroduit dans l’ordonnance, sous une forme éventuellement amendée, les dispositions primitivement censurées par le Conseil constitutionnel, et par la loi du 27 décembre 1994 qui donne notamment la possibilité de créer des zones d’attente dans les gares internationales.

Les lois Pasqua ne se bornent du reste pas à modifier l’ordonnance de 1945 : elles n’hésitent pas à revoir aussi de nombreuses dispositions figurant dans le code pénal (limitation des immunités contre l’interdiction du territoire accordées aux étrangers ayant des attaches en France), le code civil (nouveaux pouvoirs donnés aux maires pour faire obstacle aux mariages qu’ils soupçonnent d’être de complaisance), le code de la sécurité sociale et le code de l’aide sociale (subordination de l’accès à la protection sociale à la régularité du séjour)...

Si l’on s’en tient à l’ordonnance de 1945, les lois Pasqua renforcent en premier lieu le dispositif répressif visant à éloigner du territoire les étrangers en situation irrégulière : allongement de la durée de la rétention, limitation des pouvoirs du juge auquel le texte ne laisse pratiquement plus d’autre choix, lorsqu’il est saisi, que d’autoriser la prolongation de la rétention, possibilité pour le préfet d’assortir la reconduite à la frontière d’une interdiction du territoire, restriction des catégories protégées contre l’éloignement, création d’une nouvelle modalité d’éloignement – la « remise » aux autorités d’un État membre de la Communauté européenne – qui n’est entourée d’aucune des garanties de procédure normalement prévues, etc.

Une course sans fin

Le second « apport », si l’on peut dire, des lois Pasqua est de limiter le droit au séjour de nombreuses catégories d’étrangers : le regroupement familial est rendu plus difficile et des sanctions sévères menacent ceux dont la famille se maintient irrégulièrement sur le territoire ; la délivrance soi-disant « de plein droit » de la carte de résident n’est plus qu’un faux-semblant dès lors qu’elle est subordonnée à la régularité du séjour et à l’absence de menace pour l’ordre public ; les conjoints de Français et les conjoints de réfugiés n’ont plus automatiquement accès à la carte de résident ; les personnes entrées en France alors qu’elles étaient enfants se voient retirer la garantie de pouvoir y demeurer après leur majorité ; les hypothèses de retrait ou de non-renouvellement des titres de séjour se multiplient, etc. Les demandeurs d’asile eux-mêmes doivent obtenir des préfectures une autorisation de séjour avant de pouvoir présenter leur demande à l’OFPRA.

Le gouvernement s’étant donné les moyens de sa politique et un changement de majorité étant improbable dans un avenir proche, on pourrait être tenté de pronostiquer une accalmie de la frénésie législative qui a marqué les quinze années écoulées : parvenue à la cinquantaine, alourdie, enlaidie, méconnaissable, certes, mais encore – ô combien – vivace, l’ordonnance de 1945 connaîtrait alors un moment de répit à la faveur d’une pause des réformes. En fait, si répit il y a, il risque d’être de courte durée : car, pour les autorités, les textes ne sont jamais assez répressifs [2] ; et l’expérience montre que toute brèche, même minime, dans le dispositif, qui permettrait à un étranger de revendiquer le bénéfice d’un droit ou d’une garantie qu’il n’était pas dans l’intention des pouvoirs publics de lui accorder, suscite immédiatement une proposition de réforme visant à colmater cette brèche.

Lorsque le droit court après la politique, il s’engage nécessairement dans une course sans fin.




Notes

[1Voir l’article « Des familles selon les besoins » dans ce même numéro.

[2Soucieux d’épauler le gouvernement dans sa politique de lutte contre l’immigration et de l’inciter à prendre de nouvelles mesures répressives, les députés RPR et UDF ont mis en place, en octobre 1995, une commission parlementaire sur l’immigration clandestine...


Article extrait du n°29-30

→ Commander la publication papier
S'abonner

[retour en haut de page]

Dernier ajout : mardi 19 août 2014, 11:24
URL de cette page : www.gisti.org/article3851