Article extrait du Plein droit n° 62, octobre 2004
« Expulser »
« Se donner les moyens de sa politique »
Nathalie Ferré
Comment s’organise concrète
ment le départ ?
On reçoit de la division centrale de la PAF un télégramme nous informant de l’arrivée d’une escorte et un point de rendez-vous est ainsi fixé quelques heures avant l’embarquement. Conformément à l’organisation des services dont je vous ai parlé en commençant, la division immigration fournit une escorte uniquement pour les personnes non admises. Elle se charge également d’informer la police du pays de destination de l’arrivée des escortés et entend s’assurer, lorsque des mineurs sont concernés, de la présence de membres de famille pour les accueillir.
Pour l’autre procédure, l’escorte est constituée soit par l’UNESI, soit par la direction qui a procédé à l’interpellation. A Paris, c’est souvent le service des renseignements généraux de la préfecture de police. Nous recevons très peu d’informations sur les personnes éloignées car l’aéroport ne constitue qu’un point de passage ; en gros seule l’identité et les raisons du départ forcé sont données. Ce sont les escorteurs qui disposent du fond du dossier. En attendant d’être embarqués, les étrangers sont placés dans un local de police se trouvant sur la plate-forme aéroportuaire. Ils sont installés dans l’avion deux heures avant le décollage et avant l’arrivée des passagers. Le placement dans l’avion est indifférent, étant entendu que les sièges de devant demeurent libres pour les questions de sécurité.
En revanche – et c’est là la principale différence entre les deux procédures évoquées plus haut – pour les non-admissions, le recours à une escorte est rare (10 % des cas). Les personnes ne sont pas dans le même état d’esprit : elles ont tenté leur chance, ont perdu et acceptent de repartir. C’est seulement après deux ou trois refus de monter dans l’avion que je mettrai en place une escorte. Pour moi, il s’agit d’un recours ultime pour réussir l’éloignement. Au début, on essaie de convaincre. Si le délai est court – concrètement s’il y a peu d’avions sur la destination –, c’est à la deuxième présentation à l’avion que je fais appel à des escorteurs. Chez les étrangers non admis à entrer en France, il y a davantage de résignation, ce qui n’empêche pas parfois le désespoir notamment à cause de l’endettement produit par le coût du voyage. Les « éloignés » sont plus revendicatifs et donc plus difficiles à reconduire. Comme je l’ai dit, c’est compréhensible car directement lié avec le nombre d’années passées en France.
En principe, il y a trois agents escorteurs pour un escorté. Deux sont directement chargés de la maîtrise de la personne éloignée. Le troisième – le chef de mission – est libre. Son rôle est de jouer l’interface avec les passagers et le commandant de bord. S’il y a trois personnes à reconduire, six agents sont occupés à leur maîtrise, et sont « chapeautés » par un chef de mission et ainsi de suite. Ce dernier a en charge la pédagogie avec les passagers, et entre en contact avec les policiers locaux, déjà avertis. Les policiers français ne restent pas sur place : sur les petites distances, ils font l’aller-retour.
Il est normal que les passagers s’inquiètent du sort des personnes et s’interrogent. Les questions posées au chef de mission sont souvent guidées par la peur – les êtres humains sont assez égoïstes. L’objectif est alors de les rassurer, de leur expliquer que ces étrangers ne sont pas des dangereux malfaiteurs. Il s’agit tout simplement de rétablir la vérité.
Les personnes directement intéressées sont-elles aussi informées de leur sort ?
L’agent de mission les prend en charge et leur explique ce qui va se passer, notamment au moment où elles sont installées dans le local de la plate-forme aéroportuaire. On sait que la montée sur la passerelle de l’avion est particulièrement délicate, certains escorteurs l’ayant descendue sur le dos. Aussi, l’agent de mission va expliquer à la personne concernée qu’elle peut monter et s’installer librement et dignement dans l’avion. Mais, dès lors qu’elle se débat, et qu’elle met en danger sa vie et celle des agents escorteurs, le chef de mission peut, à sa libre appréciation, décider de recourir à des moyens de contrainte. On utilise des bandes velcro assez larges pour ne pas blesser, et placées à hauteur des genoux, ou encore des menottes en textile, moins blessantes et plus discrètes. Tout est retiré dans l’avion quand les gens se calment. Je voudrais ici préciser que les escorteurs sont toujours en civil, là encore par discrétion.
Existe-t-il des dispositifs particuliers pour les femmes et les enfants ?
L’ordonnance de 1945 traite pareillement les hommes et les femmes. Aussi, nous ne faisons pas de différence. Face à une femme avec un ou des enfants, on recherchera des escorteurs femmes. Il y a assez peu de femmes reconduites ; en revanche, les cas de femmes non admises sont plus fréquents.
Comment se passent les négociations avec les compagnies aériennes ?
Pour les reconduits à la frontière, c’est le bureau « éloignement » de la direction centrale de la PAF qui s’en occupe. La Compagnie des wagons-lits sert d’intermédiaire et agit comme prestataire de services en réservant les places d’avion. En tout état de cause, c’est l’Etat qui paie. Il existe des quotas par avion, en général trois personnes. Des accords ont été passés avec Air France portant sur le ratio escorteurs/escortés.
En revanche, il n’est pas question de quota pour les INAD puisque ce sont les compagnies aériennes qui ont acheminé les personnes démunies de visas ou ne remplissant pas les conditions d’entrée en France qui sont responsables [2]. Ces personnes sont bloquées à la sortie des avions, et les compagnies par lesquelles elles sont venues doivent les renvoyer d’où elles viennent. Nous pouvons même exiger de ces compagnies qu’elles débarquent des passagers payants pour prendre à leur bord des étrangers non admis.
Notes
[1] Article 35 quater de l’ordonnance du 2 novembre 1945.
[2] En effet, l’article 20 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 stipule que « Est punie d’une amende d’un montant maximum de 10 000 F. l’entreprise de transport aérien ou maritime qui débarque sur le territoire français, en provenance d’un autre Etat, un étranger non ressortissant d’un Etat membre de la Communauté européenne et démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi [...] ».
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