action collective

Lettre ouverte au Préfet de police demandant le retrait des OQTF délivrées aux exilé⋅es du canal Saint-Denis

Monsieur le Préfet de police,

Nous revenons une nouvelle fois vers vos services afin de demander le retrait pur et simple des obligations de quitter le territoire (OQTF) prises les 26, 27 et 28 juillet 2020 à l’encontre d’exilé⋅es présent⋅es le long du canal Saint Denis. Ces OQTF, prises à quelques heures de l’évacuation des campements le long du canal, nous apparaissent clairement comme étant une manœuvre déloyale de la part de l’administration : nul n’ignore en effet que ces personnes, venant notamment d’Afghanistan, du Soudan, d’Érythrée, d’Éthiopie, du Tchad, de Guinée... sont en attente de l’enregistrement de leur demande d’asile.

Nous n’avons pas besoin de vous rappeler que la « situation irrégulière » mentionnée sur les OQTF qui leur ont été notifiées n’est pas de leur fait, mais est due à ce que ces personnes ne peuvent pas faire enregistrer leur demande d’asile en raison du dysfonctionnement notoire du dispositif mis en place en Île-de-France, sous-dimensionné depuis de très nombreuses années. La préfecture de police a d’ailleurs été rappelée à l’ordre plusieurs fois par la justice à ce sujet. Le Conseil d’État a notamment rappelé qu’en la matière elle est soumise à une obligation de résultat et doit enregistrer les demandes d’asile dans un délai de 3 jours (ou 10 jours maximum en cas de circonstances particulières).

De même, faut-il vous rappeler que le tribunal administratif de Paris, à la suite d’un référé-liberté déposé en février 2019 par dix associations et dix demandeurs d’asile, avait enjoint au directeur général de l’Ofii « de renforcer, à compter du 28 février 2019, d’au moins deux agents à temps complet le dispositif d’accueil de sa plate-forme téléphonique, le nombre d’agents devant être adapté en fonction des volumes d’appels entrants non honorés » [1]. Cette injonction n’ayant pas été suivie d’effet, un second référé-liberté a été déposé le 19 novembre 2019 par une vingtaine d’exilés et treize associations, pour tenter de sortir de l’impasse où se trouvent les demandeurs d’asile [2]. Après avoir constaté la réalité des faits évoqués dans la requête, le tribunal en déduit qu’il en résulte une atteinte grave et manifestement illégale au droit de demander l’asile, qui a de surcroît pour effet de priver les personnes concernées la privation des conditions matérielles d’accueil. Il vous a enjoint d’enregistrer les demandes d’asile des requérants individuels dans un délai de dix jours, d’augmenter le nombre de rendez-vous fixés au Guda, de 81 à 100 rendez-vous. Il a enfin, demandé à l’Ofii de reprendre la négociation avec l’Arcep dans un délai de trois jours afin de mettre en place une gratuité effective des appels vers sa plateforme téléphonique.

D’autres contentieux de ce type ont suivi. Mais l’accès aux guichets ne s’est pas amélioré, et on continue à délivrer des OQTF à des personnes qui se heurtent à l’impossibilité matérielle de faire enregistrer leur demande d’asile. À de nombreuses reprises, nous vous avons interpellé à ce sujet. C’était notamment le cas en 2016, lorsque les campements d’exilés se trouvaient dans le 18e arrondissement de Paris [3]. Des opérations policières étaient alors régulièrement menées contre ces personnes qui, déjà, se voyaient notifier des mesures d’éloignement alors qu’elles ne parvenaient pas à faire enregistrer leur demande du fait de la saturation du dispositif d’accueil à Paris. Les associations signataires du courrier avaient eu connaissance de 209 cas. Ces opérations n’ont depuis lors jamais cessé, dans le 18e arrondissement et autour des lieux de regroupement forcé des exilé⋅es tels que les campements.

A ce jour, nous avons eu connaissance de 8 OQTF délivrées à des personnes présentes aux abords des campements le long du canal Saint-Denis ; au vu des récits que nous avons recueillis, nous sommes convaincu.es qu’il y en a bien plus. La mesure d’OQTF qui frappe ces personnes aura pour effet, lorsqu’elles pourront enfin déposer l’asile, d’entraîner leur placement en « procédure accélérée » qui n’apporte pas les mêmes garanties que la procédure dite « normale ». Par ailleurs, jusqu’à l’annulation prévisible de l’OQTF par le tribunal administratif, l’OFII refusera de leur attribuer les conditions matérielles d’accueil. Elles se retrouveront alors sans hébergement et sans allocation pendant toute la durée de leur procédure d’asile. En cas de nouveau contrôle de police, elles pourront aussi se trouver immédiatement en centre de rétention et risquer un éloignement.

Outre le retrait de toutes les OQTF prises contre des exilé·es qui se trouvaient jusqu’à hier sur les berges du canal Saint-Denis, nous réitérons notre demande de prendre toutes les dispositions nécessaires afin que l’ensemble des exilé·es qui cherchent une protection puisse faire enregistrer immédiatement leur demande d’asile, comme le prévoient la loi et la réglementation européenne.

Dans cette attente, croyez, Monsieur le Préfet de police, à nos salutations les meilleures.

Paris, le 3 août 2020

Organisations signataires :

  • Gisti
  • Utopia 56

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Dernier ajout : vendredi 9 octobre 2020, 12:26
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