Édito extrait du Plein droit n° 75, décembre 2007
« Femmes, étrangers : des causes concurrentes ? »
Du plombier polonais au géomètre malien
ÉDITO
DEPUIS plus d’un an, on attendait, non sans une certaine curiosité, la forme qu’allait prendre la relance légale de l’immigration (de travail et donc utile), telle qu’elle a été orchestrée par la loi du 24 juillet 2006, adoptée dans l’urgence. Nous voilà donc presque arrivés au terme du processus.
Il y a eu d’abord l’étape du décret d’application sur les autorisations de travail du 13 mai 2007. On mesure à sa lecture les difficultés techniques que son élaboration a suscitées. Il décline les différents statuts, en prenant soin de ne laisser aucune brèche permettant de passer d’un statut à un autre et, pire, de demeurer en France alors que la personne est devenue sans utilité économique. On prévoit avec soin les mentions à écrire sur les titres, afin que l’étranger soit dans la plupart des cas confiné à un métier et à une zone géographique. Tout est calibré ; tout doit marcher comme sur des roulettes pour répondre aux besoins exprimés des entreprises.
Il ne manquait donc que la liste des métiers pour lesquels il existe des difficultés de recrutement, comme l’annonçait vaguement la loi précitée. Du côté des organisations syndicales, on ne sait rien sur la fabrication de ladite liste. La consultation prévue par la loi se fera sans doute plus tard, quand tout sera bouclé. Et puis un beau matin, on découvre le scoop de Libération, l’existence de deux listes, une pour les ressortissants de l’Union européenne, une seconde pour les étrangers issus de pays tiers. Certes, à l’heure où nous écrivons ces lignes, rien ne serait définitif et les listes susceptibles encore d’évoluer, mais le tempo est donné.
POUR les premiers, une liste longue de près de cent cinquante-deux métiers, dans l’ensemble peu qualifiés, du moins ne demandant pas des diplômes de l’enseignement supérieur. On a ainsi cité cuisiniers, serveurs, intervenants auprès d’enfants ou encore laveurs de vitre (sic !). Les Communautaires, qui ne peuvent pas encore bénéficier de la libre circulation accompagnée du droit d’exercer n’importe quel emploi dans l’Union européenne (les huit pays de la vague 2004, plus la Bulgarie et la Roumanie), sont en principe soumis, comme tous les autres étrangers, au régime des autorisations de travail. Ils obtiendront cette autorisation s’ils disposent d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche correspondant à l’un des cent cinquante-deux métiers listés.
Pour les autres, l’ouverture est étroite, mais la procédure identique. La liste comprendrait seulement trente métiers demandant, pour la plupart cette fois, une formation et des diplômes de l’enseignement supérieur (informaticien expert, conducteur de travaux ou encore géomètre [1]) sauf pour cinq métiers « ouvriers » [2]. Les personnes qui semblent correspondre à ce profil pourraient de prime abord être les mêmes que celles qui sont susceptibles de prétendre à une carte « compétences et talents » [3]. À quoi bon faire alors une telle liste restrictive pour faire venir des étrangers hautement qualifiés ? Dans le dispositif légal, cette liste renvoie en effet à deux statuts – « salarié » et « travailleur temporaire » – dont le caractère attractif ne saute pas aux yeux… Le droit des étrangers n’est pas à une incohérence près si cela sert à communiquer. Par ailleurs, concernant la liste des trente, les besoins sont précisés par région (ainsi en Île-de-France, on manquerait de 26 500 informaticiens d’études). Pour autant, il ne serait pas établi de quotas proprement dits, ces éléments chiffrés servant à examiner les demandes au regard des deux facteurs prévus par la loi, le métier et la zone géographique, entendue ici comme région.
L’EXISTENCE de ces deux listes revêt un caractère discriminatoire qui a heurté plusieurs organisations syndicales. Ainsi, la CGT demande que « pour le moins, toute discrimination soit éliminée des listes de métiers ouverts aux travailleurs migrants », alors que FO condamne de façon générale tout pilotage de la politique migratoire en fonction des seuls besoins économiques.
Cette ouverture à deux vitesses est à relier à une nouvelle disposition légale, se nichant dans la loi Hortefeux. L’article43, dit « amendement Lefebvre »,prévoit de donner une carte, au titre de l’admission exceptionnelle au séjour, à des sans-papiers exerçant un métier de la liste. Or les préfectures disposent déjà d’un pouvoir discrétionnaire pour délivrer, dans ce cadre, un titre de séjour. Et ce n’est pas la présence d’une commission nationale d’admission exceptionnelle au séjour, pouvant être saisie par les préfets, qui apporte des garanties sérieuses d’équité et d’égalité dans le traitement des dossiers. Par ailleurs, au regard des métiers qui y figurent et de la réalité des emplois occupés par les étrangers en situation irrégulière, les chances d’obtenir une régularisation sont bien minces. Cet amendement Lefebvre, c’est « du vent », comme l’écrit la CGT. En tout cas, ce n’est pas lui qui permettra effectivement à des dizaines de milliers de sanspapiers travaillant dans les hôtels, cafés, restaurants, ateliers ou encore sur les chantiers de voir le bout du tunnel. Peu sont géomètres, informaticiens experts ou conducteurs de travaux. Ce n’est aucunement du reste un problème de qualification, de compétences ou encore de qualités ; cela a juste à voir avec la réalité du marché des emplois « offerts » aux travailleurs sans-papiers. Et, une fois de plus, des sans-papiers vont être leurrés en espérant vainement la régularisation ; ils vont, dans le même temps, prendre à nouveau le risque d’être expulsés en livrant aux autorités les éléments nécessaires pour mettre en marche la procédure d’éloignement, à savoir principalement domicile et lieu de travail.
Notes
[1] Notons au passage que la profession de géomètre expert (pas « simple » géomètre) est… fermée aux étrangers depuis 1946 et n’a été ouverte aux ressortissants de l’Union européenne que récemment.
[2] Le Gisti n’a pas pu se procurer les fameuses listes, présentées par le ministère de l’immigration comme des documents préparatoires.
[3] Créée par la loi du 24 juillet 2006 et symbole de l’immigration choisie, la carte « compétences et talents » est toujours dans les tiroirs ; aucune n’a encore été délivrée.
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