Édito extrait du Plein droit n° 88, mars 2011
« Immigration : l’exception faite loi »

Loppsi II : un patchwork répressif

ÉDITO

L’histoire du projet de loi dit Loppsi II [1] – orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure – ressemble fort à celle qu’ont connue certains projets ayant trait à l’immigration. Le texte s’est gonflé au rythme des faits divers et autres incidents jalonnant la vie sociale et politique. Et le voilà qui offre un patchwork de nombreuses mesures répressives et disparates.

Les deux projets – d’un côté Loppsi II, de l’autre immigration et intégration – poursuivent des finalités assez proches (surveiller, punir, stigmatiser certaines catégories de personnes…) et présentent, outre leur genèse et la façon dont ils évoluent au gré des travaux et des discussions parlementaires, des caractéristiques communes.

Ainsi, les deux textes entendent pareillement contourner le juge judiciaire en développant des stratégies soit pour retarder le moment où il est susceptible d’intervenir, soit pour donner directement le pouvoir à l’État – le plus souvent au préfet – d’ordonner des décisions sans contrôle judiciaire préalable. L’autorité préfectorale pourra ainsi mettre en demeure des personnes qui occupent de façon illicite un terrain de quitter les lieux dans les 48 heures et, en cas de nonexécution de l’ordre donné, de procéder à leur expulsion sans qu’aucun juge ne se soit prononcé sur la situation.

Le texte sur la sécurité intérieure s’inscrit aussi, comme la totalité des réformes qui ont modifié le droit des étrangers, dans une logique de suspicion à l’égard des populations concernées. La mesure qui consiste à opérer une fusion des fichiers de police et de gendarmerie – on parle de « logiciels de rapprochement judiciaire » – en témoigne, sachant que ces fichiers non seulement fourmillent d’erreurs, mais de plus conservent le nom de personnes pourtant innocentées. Au nom de la lutte contre la pédopornographie, les internautes vont être placés sous surveillance constante.

Autre point commun, les deux projets se veulent résolument répressifs. Dans la Loppsi II, sont notamment prévues la création de nouvelles infractions et la mise en place de nouvelles pénalités, comme l’extension des peines planchers jusqu’alors réservées aux récidivistes, et des peines « perpétuelles », c’est-à-dire qui ne peuvent donner lieu à un quelconque aménagement. Le législateur, de façon générale, s’interroge rarement pour savoir comment ces mesures peuvent et vont s’appliquer en pratique. Il s’agit avant tout de communiquer et d’afficher sévérité et intransigeance, en prévoyant évidemment des sanctions aggravées à l’égard des assassins de policiers, des parents qui laissent leurs jeunes enfants traîner le soir en violation du couvre-feu instauré entre 23 heures et 6 heures du matin ou encore des étrangers qui bafoueraient nos institutions (comme le mariage).

Le projet sur la sécurité intérieure contient des dispositions qui visent directement les étrangers. C’est le cas du dispositif sur la visioconférence judiciaire, que le gouvernement voulait étendre à tous les détenus ainsi qu’aux étrangers placés en rétention administrative. Dans le texte initial, ce mode de « comparution », sans déplacement au tribunal, était même devenu la règle. Une façon d’éviter les extractions et de faire l’économie des escortes policières. Certes, en l’état actuel, le texte ne parle que de la possibilité de tenir des audiences par visioconférence sans en faire une généralité, mais la mesure demeure néanmoins dangereuse pour la qualité de la défense.

Une autre mesure de la Loppsi II modifie les pouvoirs de juger dont disposent les jurys de cours d’assises. Jusqu’alors, ces derniers ne statuaient que sur la culpabilité et les peines principales. Lorsque la loi Loppsi II entrera en vigueur, ils délibéreront aussi sur l’opportunité d’assortir la condamnation d’une interdiction du territoire français, lorsque celle-ci est encourue. Pourquoi les jurés décideraient-ils de la possibilité pour l’étranger de rester ou non en France, après sa sortie de prison, alors qu’ils ne se prononcent pas sur les autres peines accessoires éventuellement encourues par les prévenus de quelque nationalité qu’ils soient ?

Le texte prévoit également le placement des étrangers sous surveillance électronique mobile sur décision du préfet. Le dispositif intègre un émetteur permettant à tout moment de déterminer la localisation de celui qui le porte. Il concerne les personnes soumises à une assignation à résidence qui ont été condamnées à une interdiction du territoire français pour terrorisme ou qui ont fait l’objet d’une mesure d’expulsion pour comportement lié à des activités terroristes. L’autorité administrative pourra ordonner ce type de mesure sans contrôle du juge pour une durée de trois mois, renouvelable plusieurs fois pendant une période de deux ans maximum. Et qu’importe si des études remettent en cause l’efficacité du bracelet électronique. En miroir de cette disposition, le projet de loi sur l’immigration envisage la possibilité de garder en rétention les étrangers frappés par les mêmes mesures d’éloignement et pour les mêmes faits, pendant une période pouvant dépasser les 18 mois. Plusieurs associations ont dénoncé cette mesure en la qualifiant de « Guantanamo à la française » [2].




Notes

[1Un grand merci à Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature, pour sa présentation critique du projet Loppsi II aux membres du Gisti, dont le présent éditorial s’inspire.


Article extrait du n°88

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Dernier ajout : jeudi 5 septembre 2019, 23:21
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