Article extrait du Plein droit n° 88, mars 2011
« Immigration : l’exception faite loi »

Rupture… ou engrenage ?

Danièle Lochak

Professeure émérite de droit, université Paris-Ouest Nanterre-La Défense
À chaque modification du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, on a parlé de rupture et d’une nouvelle atteinte aux droits des étrangers. Mais s’agit-il bien de ruptures ? Ne vaudrait-il mieux pas souligner le caractère répétitif des arguments et des procédés qui aboutissent à une nouvelle législation ? D’un processus continu de dégradation des droits qui tend juste à s’accélérer ces dernières années ?

L’ordonnance du 2 novembre 1945 puis le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) ont été modifiés un nombre incalculable de fois. Si l’on excepte les lois de 1981 et 1984 votées par une majorité de gauche bien disposée à l’égard des immigrés, la loi Joxe de 1989 venant après la première loi Pasqua de 1986 et, dans une moindre mesure, la loi Chevènement de 1998 qui a atténué les méfaits des lois Pasqua de 1993 et Debré de 1997, chacune des réformes successives s’est soldée par une régression de la situation des étrangers. Et chacune a suscité corrélativement des réactions d’indignation – plus ou moins virulentes selon les époques et la conjoncture politique –, dénonçant de façon récurrente la rupture que constituent ces nouvelles atteintes, jamais égalées, aux droits des étrangers.

Mais la métaphore de la rupture est-elle réellement adaptée pour décrire cette répétition dans le temps ? N’est-ce pas là une illusion d’optique, due à une forme d’accoutumance, qui masque la réalité d’un engrenage continu, d’une dégradation inexorable, chaque régression étant suivie à plus ou moins brève échéance d’une autre, puis encore d’une autre. La future loi Besson et les réactions qu’elle a suscitées en fournissent une nouvelle illustration.

On peut déjà noter qu’en dehors du milieu associatif, la disposition qui a suscité les débats les plus vifs – la seule, pratiquement, à avoir été commentée dans les médias – est l’amendement visant à mettre en oeuvre le souhait émis par le président de la République dans son discours de Grenoble que soit introduite dans la législation la possibilité de déchoir de la nationalité française une personne « d’origine étrangère » coupable d’agression sur un policier ou un gendarme. Pendant tout le mois d’août, les ministres de la justice, de l’intérieur et de l’immigration ont fait assaut de zèle, le ministre de l’intérieur allant, dans cette surenchère, jusqu’à proposer la création d’un délit de polygamie de fait.

Comme il était prévisible sinon délibéré, l’émotion suscitée par les différents projets en lice a eu pour conséquence de faire apparaître comme « raisonnable » l’amendement finalement voté par l’Assemblée nationale. Et de même que la polarisation sur l’amendement ADN avait contribué, en 2007, à occulter le reste de la loi Hortefeux, la polarisation sur la déchéance – disposition idéologiquement et politiquement détestable, certes, mais dont les retombées seront des plus limitées – a détourné l’attention du reste de la loi, bien plus inquiétant.

Inquiétant, assurément, ce « nouveau tournant dans la politique d’hostilité aux populations étrangères » [1], qui introduit « pour les étrangers de véritables régimes d’exception » [2]. Faut-il pour autant, comme on est spontanément tenté de le faire au vu du caractère insupportable de beaucoup de dispositions du texte, les interpréter comme autant de « ruptures » ? Si l’on examine les plus saillantes d’entre elles, on constate qu’elles témoignent hélas plus de l’engrenage d’une politique qui se veut, depuis trente ans, toujours plus répressive que de véritables innovations.

Zone d’attente : un scénario déjà expérimenté

On le sait : il suffira désormais qu’un groupe de dix étrangers soit découvert, dans un rayon de dix kilomètres, en dehors d’un point de passage frontalier, pour que se forme autour d’eux une sorte de zone d’attente virtuelle. C’est la réponse au débarquement, sur les côtes corses, en janvier 2010, de 123 Kurdes qu’on avait dispersés dans plusieurs centres de rétention du continent et qui avaient été remis en liberté par les juges de la liberté et de la détention (JLD) en raison des nombreuses irrégularités de procédure. La réforme vise, à l’avenir, à laisser les mains libres à l’administration si des situations similaires devaient se représenter.

On a là la reproduction exacte d’un scénario déjà expérimenté dix ans auparavant : lors du débarquement sur les plages de Fréjus, en février 2001, d’un millier de réfugiés kurdes, une zone d’attente ad hoc avait alors été spécialement créée, en toute illégalité, comme avait fini par le reconnaître, bien tardivement, le tribunal administratif de Nice. Avant même que le jugement ne soit rendu, la loi Sarkozy du 26 novembre 2003 avait élargi la définition de la zone d’attente en décidant qu’elle pourrait désormais être créée non seulement dans l’emprise aéroportuaire, portuaire ou ferroviaire, mais également « à proximité du lieu de débarquement ».

Rétention : toujours plus

Tirant argument des possibilités qu’offre la « directive retour », la loi Besson fait passer la durée maximum de la rétention de 32 à 45 jours.

Difficile, ici encore, de parler de rupture, tant la continuité d’un processus engagé de longues dates est patente. La rupture, la vraie, est intervenue il y a déjà trente ans, en 1980, lorsque la loi Bonnet a institutionnalisé une forme d’enfermement dénoncée à l’époque, et pas seulement à gauche, comme la réapparition de l’internement administratif de triste mémoire mais néanmoins validée dans son principe par le Conseil constitutionnel. La gauche, arrivée au pouvoir l’année suivante, a conservé cette possibilité d’enfermement qu’elle avait naguère si âprement critiquée, en la limitant à sept jours et en l’entourant de quelques garanties de procédure supplémentaires.

Par la suite, les dispositions concernant la rétention administrative ont été modifiées à de très nombreuses reprises, mais le débat a porté à chaque fois sur les conditions et la durée de la rétention, jamais sur le bien-fondé du dispositif. Concernant la durée, les limites initialement posées par le Conseil constitutionnel ont progressivement cédé. Dans un premier temps, il avait censuré la disposition de la loi Pasqua de 1986 qui entendait permettre la prolongation de la rétention pendant trois jours supplémentaires au cas où des difficultés particulières feraient obstacle au départ. Mais le législateur est revenu à la charge et la loi Pasqua adoptée en décembre 1993 a finalement permis – après l’invalidation d’une première mouture – de porter la durée de rétention à dix jours soit en cas d’urgence absolue et de menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, soit si l’intéressé n’a pas présenté ses documents de voyage. L’étape suivante est intervenue avec la loi Chevènement, adoptée par une majorité de gauche, qui a porté la durée de la rétention à douze jours : la droite n’avait évidemment pas soulevé ce point dans sa saisine et le Conseil constitutionnel n’a pas estimé devoir s’en saisir d’office.

Et lorsque la loi Sarkozy de 2003 a porté la durée de la rétention de 12 à 32 jours, le Conseil constitutionnel s’est borné à constater que « l’étranger ne [pouvait] être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l’administration devant exercer toute diligence à cet effet ; que l’autorité judiciaire conserv[ait] la possibilité d’interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l’étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient », et que dans ces conditions la privation de liberté répondait aux exigences constitutionnelles…

Sept jours, dix jours, douze jours, trente-deux jours – désormais quarante-cinq jours. Triste continuité, mais continuité quand même. La vraie question est de savoir si et quand s’arrêtera cette fuite en avant. Car l’enfermement des étrangers s’est banalisé, il est devenu un élément « naturel » de toute politique de maîtrise des flux migratoires au point qu’on n’imagine même plus la possibilité d’abolir ce dispositif.

Nouvelle offensive contre les conjoints de Français

L’offensive contre les conjoints de Français est, elle aussi, une histoire ancienne dont la première trace législative remonte à 1986. La loi Besson vient y ajouter sa touche en prétendant pénaliser les « mariages gris ».

Cette offensive, menée sous couvert de lutte contre le détournement supposé de l’institution du mariage, a revêtu trois formes. La première et la plus classique a consisté à restreindre les droits attachés à la qualité de conjoint de Français en subordonnant l’accès au séjour à des conditions supplémentaires ou en ne conférant aux intéressés qu’un droit au séjour précaire (lois Pasqua de 1986 et 1993, loi du 26 juillet 2006 aggravée par la loi Hortefeux en 2007).

La seconde méthode destinée à parer aux « détournements » de la loi – qui a été utilisée pour la première fois par la loi Pasqua de 1993 puis à nouveau par la loi Sarkozy de 2003 – a consisté à modifier le code civil pour donner aux maires et aux parquets le moyen de faire obstacle aux mariages qu’ils soupçonnent être de complaisance : possibilité pour le maire de saisir le procureur afin qu’il sursoie à la célébration du mariage ou y fasse opposition ; audition des futurs époux par le maire (sauf s’il apparaît que cette audition n’est pas nécessaire parce qu’il n’existe aucun indice faisant présumer un mariage blanc – autrement dit, parce qu’il s’agit d’un mariage entre deux Français ou entre deux étrangers en situation régulière…).

La troisième méthode est celle de la répression pénale. La loi du 26 novembre 2003 a ainsi créé un délit de mariage de complaisance passible de cinq ans d’emprisonnement. Et comme l’imagination des ministres et des parlementaires n’a pas de limite, la loi du 26 juillet 2006, sur le même modèle, a érigé en délit également passible de cinq ans de prison la reconnaissance d’un enfant effectuée dans le seul but d’obtenir ou de faire obtenir un titre de séjour ou la nationalité française.

Dans ces conditions, on finit par ne plus s’étonner de la disposition – a priori ahurissante – votée par l’Assemblée nationale en octobre 2010, qui prévoit de réprimer les « mariages gris » – ceux qui ont été conclus par un étranger en trompant l’époux (français) sur sa véritable intention (« Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende lorsque l’étranger a contracté mariage, contrairement à son époux, sans intention matrimoniale »). Même si on ne voit guère comment elle pourra s’appliquer autrement que comme instrument de chantage dans un conflit conjugal, puisque la seule façon de débusquer la tromperie découlera des déclarations du conjoint supposément trompé.

L’aimable visage de l’immigration choisie

L’instauration d’une « carte bleue européenne » n’a, elle non plus, rien de très nouveau. Elle représente en quelque sorte la face aimable de la politique d’immigration choisie – et jetable – officiellement promue en France depuis 2003 sur fond de contrôle des flux migratoires, en phase avec la politique préconisée au niveau communautaire. Mais la filiation est bien plus ancienne car la tentation de choisir ses immigrés et de faire appel aux étrangers dans la stricte mesure où on en a besoin pour combler les déficits de maind’oeuvre ne date évidemment pas de ce début du xxie siècle. Même sans remonter très loin dans le temps, on observe qu’en 1975, déjà, au moment même où l’on venait de décider la suspension de l’immigration de main-d’oeuvre et où l’on a introduit dans le code du travail la disposition qui subordonne la délivrance des autorisations de travail à la situation de l’emploi, fonctionnait, au ministère du travail, une « commission des dérogations » chargée de fournir aux grosses entreprises le contingent de main-d’oeuvre étrangère dont elles avaient besoin [3]. Le projet de loi Boulin-Stoléru, contemporain du projet de loi Bonnet, entend lier plus étroitement encore travail et séjour, en prévoyant le retrait du titre de travail après six mois de chômage (le projet sera abandonné en raison d’une conjoncture politique défavorable à son adoption, mais le système sera néanmoins mis en place par la circulaire Stoléru de juin 1980). Ce qui fait dire à Jacques Robert : « On ne peut avouer plus cyniquement que l’étranger ne nous a jamais intéressé que pour sa force de travail » avant de conclure : « "Jeter après usage" est une recommandation publicitaire. Ce n’est point une politique pour des hommes » [4]. Formule qu’aurait pu faire sienne le collectif d’organisations « unies contre l’immigration jetable » en 2006.

Avec la promotion du concept d’« immigration choisie », on en revient donc à la philosophie des années 1970 – qu’on avait déjà vue à l’oeuvre dans l’entre-deuxguerres – qui considère la maind’oeuvre immigrée comme une variable d’ajustement à la conjoncture économique et entraîne inéluctablement la précarisation du statut des salariés étrangers.

La carte bleue, si elle fait un sort apparemment plus enviable à ceux qui l’obtiendront, s’inscrit néanmoins parfaitement dans le prolongement de cette politique. D’une part, elle sera réservée à quelques « happy few », puisqu’elle est destinée à attirer des travailleurs qualifiés ou hautement qualifiés touchant une rémunération brute mensuelle de 4 000 euros au moins, d’autre part, sa durée – trois ans au maximum – restera pour eux aussi indexée sur l’existence et la durée du contrat de travail.

Neutraliser les pouvoirs du juge

Un autre aspect très remarqué de la loi Besson réside dans les dispositions qui visent à neutraliser le contrôle du juge sur la rétention. Là encore, ces dispositions ne sont que l’ultime étape – il faudrait dire, plus prudemment, une étape supplémentaire, puisqu’on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve – d’une évolution qui a conduit, à partir de 1981, au grignotage progressif des pouvoirs du juge.

La loi de 1981 s’était voulue très protectrice en conférant aux étrangers de multiples garanties tout au long du processus d’éloignement. Ainsi, l’expulsion ne pouvait être prononcée que si l’étranger avait été condamné à une peine au moins égale à un an de prison ferme et le ministre ne pouvait passer outre à un avis négatif de la commission d’expulsion, composée de magistrats. La reconduite à la frontière d’un étranger en situation irrégulière intervenait sur décision d’un juge et non plus par la voie administrative. Enfin, lorsqu’un étranger était placé en rétention, le magistrat du siège, saisi au bout de 24 heures, avait le choix entre trois solutions : l’assignation à résidence, la mise en liberté avec remise des documents d’identité à un service de police ou de gendarmerie, ou, à titre exceptionnel disait la loi, la prolongation du maintien forcé qui ne pouvait durer au total plus de sept jours. Ces garanties ont certes montré leurs limites (dans la pratique la prolongation du maintien forcé, par exemple, est vite redevenue la règle), mais elles témoignaient malgré tout de l’acceptation d’un contrôle du juge sur les mesures administratives. C’est ce contrôle qui s’est progressivement délité.

La loi de 1986 a donné aux préfets le droit de prononcer la reconduite à la frontière sans aucune procédure permettant l’exercice des droits de la défense ni aucun recours suspensif ; elle a rétabli le régime de l’expulsion tel qu’il existait antérieurement à 1981. La loi Pasqua de 1993, après l’intermède de la loi Joxe qui a créé un recours suspensif contre la reconduite à la frontière et redonné ses pouvoirs à la commission d’expulsion, est revenue en gros à la loi de 1986. En matière de rétention, elle a restreint les pouvoirs du juge judiciaire en ne lui laissant plus d’autre alternative que de prolonger la rétention, puisque la remise en liberté n’est pas prévue par le texte et que l’assignation à résidence ne peut intervenir qu’à titre exceptionnel et si l’étranger dispose des garanties de représentation. Le Conseil constitutionnel ne s’est pas ému de ce paradoxe qui veut qu’un juge censé garantir la liberté individuelle n’ait pas le pouvoir de remettre une personne en liberté. En 1997, la loi Debré a reculé l’intervention du juge qui ne doit plus être saisi qu’au bout de 48 heures et donné au parquet la possibilité de demander que l’appel d’une décision refusant le prolongement de la rétention soit suspensif, de façon à ce que l’intéressé ne soit pas remis immédiatement en liberté.

Désormais, avec la loi Besson, le JLD ne sera saisi qu’au bout de cinq jours au lieu de 48 heures. Si des irrégularités ont été commises elles n’entraîneront la nullité de la procédure que si elles ont eu pour effet de porter atteinte aux droits de l’étranger et elles ne pourront plus être soulevées en appel. Ces innovations visent à contrer les pratiques jugées trop libérales des juges, mais elles remettent aussi frontalement en cause la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait admis qu’en dépit de la lettre du texte, le juge pouvait et même devait refuser de prolonger la rétention s’il constatait des irrégularités à un quelconque moment de la procédure ayant abouti au placement en rétention. Elles s’inscrivent dans la lignée du grignotage des pouvoirs du juge entamé dès 1986.

Bannissement

Reste la disposition – l’une des plus redoutables, sans aucun doute – de la loi Besson : celle qui, transposant la « directive de la honte », prévoit la possibilité – et dans certains cas l’obligation – d’accompagner une décision d’éloignement d’une interdiction de retour d’une durée modulable mais qui peut aller jusqu’à cinq ans et à laquelle seules des « raisons humanitaires » sont susceptibles de faire obstacle. Il n’est pas exagéré de dire que cette mesure est assimilable à un véritable bannissement, d’autant qu’elle interdit le retour non seulement en France mais sur l’ensemble de l’Union européenne.

Rupture, alors ? Pas si sûr, en dépit des apparences. Car il a existé et existe encore dans notre arsenal législatif des mesures d’effet équivalent. Laissons de côté la possibilité donnée aux préfets par la loi Pasqua de 1993 d’assortir une mesure de reconduite à la frontière d’une interdiction administrative du territoire français (ITF) : l’interdiction n’avait qu’une durée d’un an et était limitée au territoire français ; peu utilisée, elle a été supprimée définitivement par la loi Chevènement en 1998. La loi Sarkozy de 2006 a prévu à son tour que la mesure d’éloignement prononcée à l’encontre d’un étranger pour des motifs d’ordre public ou parce qu’il a travaillé sans autorisation pendant la durée de validité de son visa lui interdit de revenir en France pendant un an. C’est encore peu de chose, à côté du système nouvellement mis en place.

Mais l’ITF, elle, existe depuis longtemps et a progressivement été généralisée, non seulement en cas de condamnation pour crime ou délit de droit commun, mais aussi pour infractions à la législation sur le séjour. Depuis la loi Pasqua de 1986, l’étranger entré ou ayant séjourné irrégulièrement en France est susceptible d’être condamné, en sus d’une peine d’emprisonnement, à une interdiction judiciaire du territoire qui peut aller jusqu’à trois ans. Et s’il tente de se soustraire à une mesure d’éloignement, l’ITF peut aller jusqu’à dix ans.

Certes, il s’agit de mesures prononcées par un juge, mais l’expérience a montré que ceux-ci n’étaient pas toujours plus sensibles que l’administration à des considérations humanitaires ni très empressés de faire respecter l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Or si la loi Joxe avait introduit une protection contre l’ITF pour les étrangers ayant des attaches personnelles ou familiales en France, elle a été privée d’effet par la loi Pasqua de 1993 qui a transformé cette protection en une simple obligation pour le juge de motiver spécialement la mesure prise. La réforme de la « double peine » par la loi Sarkozy de 2003 n’a pas fondamentalement modifié cette situation, sauf pour quelques catégories d’étrangers bénéficiant d’une protection quasi absolue contre l’éloignement.

Et puis, on ne saurait oublier les retombées dévastatrices – et déjà anciennes – de la mise en place de l’espace Schengen qui a pour conséquence qu’une personne qui a fait l’objet d’un signalement au Système d’information Schengen (SIS), quel qu’en soit le motif, de la part d’un État partie, ne peut se voir délivrer de titre de séjour dans aucun autre pays de l’espace Schengen, sauf pour des motifs humanitaires ou pour se conformer à des obligations résultant de conventions internationales (convention de Genève, art. 8 CEDH).

La démonstration à laquelle on vient de se livrer n’a évidemment pas pour but de minimiser la gravité des réformes introduites par la loi Besson, mais seulement de rappeler que c’est là l’aboutissement – ou plus probablement une étape supplémentaire – d’une longue dégradation des droits des étrangers. Et si la dénonciation des méfaits de chaque nouvelle loi est légitime et nécessaire, il ne faut pas que la vigueur de la dénonciation dirigée contre le dernier texte en date fasse oublier ce que le précédent avait – déjà – d’inacceptable et d’insupportable, comme si on s’était déjà accoutumé à cet inacceptable, résigné à cet insupportable.




Notes

[2UCIJ, « Pourquoi il faut combattre le projet de loi Besson », juillet 2010

[3Ceci est rapporté par André Legouy, membre du Gisti, dans Le Monde du 22 mai 1975 : « La politique d’immigration ou le temps des illusionnistes ».

[4« Des bouches inutiles », Le Monde, 18 octobre 1979.


Article extrait du n°88

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Dernier ajout : lundi 7 avril 2014, 20:43
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