Article extrait du Plein droit n° 45, avril 2000
« Double peine »

L’ITF : une peine injustifiable

Maud Hoestland et Claire Saas

Doctorantes à l’Université Paris I
Dans quelle mesure l’interdiction du territoire français répond aux exigences posées par les théories fondamentales de la peine, par la volonté affichée actuellement de personnaliser les peines, le plus souvent dans un but de resocialisation, ou encore par les techniques de prononcé de la peine ? Nous avons tenté de suivre chacune de ces pistes, en espérant découvrir une cohérence cachée. Or, cachée elle est, cachée elle restera. A moins qu’elle ne soit tout simplement inexistante ou à rechercher, non dans la rationalité du droit mais dans une idéologie que l’on affiche moins, peut-être, mais qui reste prégnante, dans la prééminence de l’Etat-nation sur l’Etat de droit.

Retracer, même à grands traits, une histoire du droit pénal et surtout de la sanction serait impossible. Pourtant, un petit détour historique n’est pas inutile, malgré la relative jeunesse de l’interdiction du territoire français.

Un point commun à toute peine, à toutes les époques, peut être trouvé. En effet, la notion de peine emporte l’idée de souffrance. Dans cette perspective, on constate historiquement que la peine entraîne la perte d’un attribut auquel l’époque accorde une valeur particulière. Sous l’Ancien Régime, le corps, attribut le plus évident de la personne humaine, se trouve ainsi particulièrement visé par les diverses formes de pénalités : mutilations, tortures, carcan. Lorsque la philosophie des Lumières met l’accent sur la liberté comme droit fondamental et inaliénable de l’homme, l’emprisonnement devient alors la peine de référence.

Comme toute autre peine, l’interdiction du territoire français se devait de porter atteinte à un attribut fondamental de la personne condamnée. Force est de constater qu’aujourd’hui, aux yeux du législateur français, l’attribut fondamental de l’étranger est l’autorisation de demeurer sur le territoire français. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’interdiction du territoire est de plus en plus utilisée depuis une vingtaine d’années, pendant que le droit au séjour, attribué de plus en plus parcimonieusement, tend à devenir un privilège.

Bien sûr, l’idée d’interdiction du territoire n’est pas récente en droit pénal. On connaissait le bannissement, la relégation, l’interdiction de séjour, le bagne outre-mer… mais pas l’interdiction judiciaire du territoire de l’étranger. Seule une mesure de police administrative, comme l’expulsion, pouvait entraîner les mêmes effets. Cependant, le parallèle entre la peine de bannissement et l’interdiction du territoire français existait, même de manière imparfaite.

Soulignons d’abord que le bannissement ne distinguait pas entre nationaux et étrangers. Il consistait dans l’expulsion – temporaire puisque limitée à dix ans – d’une personne appartenant à l’une des deux catégories suivantes de délinquants : les criminels politiques et les multi-récidivistes. C’est une peine qui touchait le coupable, bien moins dans son corps ou dans sa liberté que dans son appartenance à une société, à un groupe, dans son identité culturelle.

On considérait en effet que ces criminels politiques et ces multi-récidivistes menaçaient directement la cohésion sociale ou politique de la France. Les premiers représentaient un danger pour les structures et les fondements même de l’Etat qu’ils remettaient en cause par leur action, tandis que l’état de dangerosité des seconds mettait en danger les règles de vie en commun et l’existence de la société. Malgré sa sévérité, le bannissement avait une logique.

Au fil du temps, cependant, on est passé d’une logique de protection de l’Etat lui-même et des personnes qui le composent, à une logique de protection de l’identité nationale. Et c’est certainement cette idée qui sous-tend la peine d’interdiction du territoire français : l’étranger en situation irrégulière porte atteinte à l’ordre administratif mis en place par l’Etat souverain, menaçant ainsi son existence, mais également l’identité nationale.

On peut regretter la survivance de cette idée de protection de l’identité nationale, héritée des nationalismes du XIXe siècle, à une époque où l’on voudrait penser que l’Etat de droit prime sur l’Etat-nation. Ce double fondement de l’interdiction du territoire français peut permettre d’éclairer un amalgame bien connu entre étranger et délinquant.

Il ne semble pas plus simple de retracer l’histoire du droit pénal en quelques lignes que celle de la peine. Par contre, il est possible, à très grands traits, de mettre en lumière une évolution générale de ce droit. Jusqu’au XIXe siècle, l’acte est au centre de la théorie de la peine : à la gravité de celui-ci correspond la gravité de la peine. On se trouve dans un système pénal dont les peines sont « fixes » ou, du moins, qui laisse une marge de manœuvre réduite aux juges pour apprécier la mesure de la sanction pénale. La méfiance à l’égard des juges perd peu à peu de sa force, l’attention se focalise moins sur le délit que sur le délinquant, potentiellement récidiviste.

Ce mouvement de personnalisation ou d’individualisation des sanctions est pleinement initié par l’école des positivistes. Ceux-ci soutiennent notamment que la société doit se défendre face à l’homme criminel, socialement dangereux, par le biais de mesures de sûreté sociale préventives, rééducatives ou éliminatrices. Au nombre de ces dernières figurent la relégation, le bagne, l’interdiction de séjour.

Peu après la création de la relégation, qui consiste dans l’internement perpétuel des récidivistes dans une colonie française, une loi du 8 août 1893 introduit l’interdiction du territoire français. C’est la première fois que le droit pénal français va faire une distinction entre nationaux et étrangers quant aux peines susceptibles d’être prononcées.

L’interdiction du territoire français est donc née à l’époque des balbutiements de la personnalisation des sanctions. A la fin du XIXe siècle, le juge a, en effet, la possibilité de choisir la nature de la peine, son quantum et ses modalités d’exécution, en fonction notamment de la personnalité du coupable, même si la peine continue, bien entendu, à être principalement indexée sur la gravité de l’acte.

Cette tendance va aller en se renforçant et la notion de personnalisation de la peine connaîtra son heure de gloire en France, de l’après-guerre jusqu’à la fin des années soixante-dix, avec le mouvement de la défense sociale nouvelle. L’axe fondamental de ce mouvement résidait dans la volonté de personnaliser les peines, dans une double perspective : resocialiser le délinquant en lui rappelant les normes à respecter, et défendre la société en neutralisant l’état dangereux du délinquant.

Sous le signe de la défense sociale nouvelle, de nombreuses réformes ont été entreprises, dont celle initiée par la loi du 31 décembre 1970 relative à la lutte contre les infractions à la législation sur les stupéfiants qui a donné à l’interdiction du territoire français une nouvelle impulsion. Outre les peines communes, le projet proposait que les nationaux puissent être déchus de leurs droits civiques pendant un à cinq ans tandis que les étrangers seraient susceptibles d’être interdits de territoire français pour une durée de deux à cinq ans.

Finalement, le texte voté retiendra l’interdiction définitive du territoire et aura pour effet qu’à infraction égale, les peines diffèreront à raison de la nationalité. La nationalité serait-elle véritablement le critère saillant de la personnalité du délinquant à la législation sur les stupéfiants ou, pour ainsi dire, de la personnalité de l’étranger ?

Par rapport à l’objectif de la peine, qui est d’abord de resocialiser et de neutraliser, l’interdiction du territoire français ne répond à aucun de ces deux points : on ne resocialise pas en excluant du groupe, mais en apprenant les règles de fonctionnement de la communauté, et on ne neutralise pas en envoyant un délinquant à l’étranger, à moins de l’emprisonner – mais ça on peut aussi le faire ici. Par un effet pervers, le mouvement de personnalisation a certainement permis la naissance de l’interdiction du territoire français ; il ne lui a cependant imprimé ni ses objectifs ni son esprit d’origine.

En matière de peine, il existe trois théories fondamentales : la rétribution, la dissuasion et la réforme. Avant de mettre l’interdiction du territoire français en rapport avec chacune d’entre elles, en voici une brève présentation.

Les théories de la peine

La théorie de la rétribution repose sur un constat assez simple : par la commission d’une infraction, le délinquant a provoqué un désordre dans la société, a causé un dommage. A ce constat répond une fiction aussi simple, bien que plus contestable : la souffrance infligée par la société au délinquant va compenser, va rétribuer le crime, afin que l’ordre social soit restauré. En d’autres termes, la peine va compenser l’infraction et ainsi restaurer l’équilibre initial.

Une deuxième théorie intervient également en matière pénale, celle de la dissuasion ou de la prévention. En effet, la peine doit impressionner l’ensemble de la collectivité qui pourrait être tentée de commettre une infraction de telle manière que celle-ci soit dissuadée de passer à l’acte. C’est ce qu’on appelle la prévention générale. De plus, la peine doit dissuader le délinquant, de manière durable, de récidiver dans une perspective de prévention spéciale.

La troisième théorie, qui se situe à mi-chemin entre les deux précédentes, tourne autour de l’idée de réforme. Le délinquant a provoqué un désordre par la transgression d’une norme de vie en collectivité. La réponse pénale apportée vise à la fois une prévention spéciale, en modifiant le comportement du coupable, et également la réforme ou la réadaptation, en transformant « non seulement son comportement mais sa mentalité, sa conception intime des rapports sociaux, et en lui faisant admettre comme bonnes et respectables les valeurs socio-culturelles consacrées par le groupe humain dans lequel on vit »(1). Il s’agit de se conformer à une norme, non par crainte du châtiment, mais par une véritable adhésion à la norme.

Ces trois théories ont toujours coexisté, l’une prenant à certaines périodes plus d’importance que les autres, mais sans jamais les disqualifier totalement dans la pratique.

Si l’on commence par la dernière, on se rend vite compte de l’inadéquation entre objectif de réforme et interdiction du territoire français. L’exclusion d’un étranger de la société française témoigne de l’indifférence profonde de cette dernière à son sujet, à celui de son avenir.

Dans l’hypothèse d’une infraction de droit commun, on ne se préoccupe pas de savoir si la norme a été rappelée, comprise, intégrée. On cherche uniquement à éloigner le délinquant pour qu’en cas de récidive, il commette son infraction ailleurs que sur le territoire français. L’Etat refuse d’accepter sa propre part de responsabilité dans le passage à l’acte du délinquant. Il répugne déjà à le faire lorsqu’il s’agit d’un national, a fortiori quand il s’agit d’un étranger. Tout l’aspect réformateur, éducatif, pédagogique de la peine est complètement occulté. A moins de prendre la théorie de la réforme dans sa dimension totalitaire, qui peut consister dans la volonté de briser l’individu ou, s’il ne se soumet pas, de l’éliminer.

Dans cette optique, on ne peut nier que l’interdiction du territoire français remplit bien une fonction éliminatrice de la vie au sein du groupe social français. S’y apparente alors la réclusion criminelle à perpétuité, quant à sa fonction.

La théorie relative à l’effet dissuasif général de la peine considère que celle-ci doit permettre à un individu tenté de passer à l’acte de ne pas le faire par crainte du châtiment. Prenons les interdictions du territoire français prononcées pour des infractions de droit commun, l’effet dissuasif général commence par ne s’adresser, par définition, qu’aux seuls étrangers, donc n’est général que pour eux.

Dans le cas des interdictions du territoire prononcées en matière d’infractions à la législation sur les étrangers, la situation devient cocasse. Les personnes qui se trouvent en situation irrégulière ont le choix entre respecter les règles relatives à l’entrée ou au séjour pour éviter qu’une interdiction du territoire français soit prononcée à leur encontre – c’est logique mais pas simple à réaliser – ou quitter le territoire afin de ne pas être condamnées pour séjour irrégulier. L’effet préventif est ici tout à fait intéressant : on se soumet à la peine alors qu’elle n’est pas prononcée, afin qu’elle ne le soit pas.

Le germe de la récidive

Quant à l’effet préventif spécial de l’interdiction du territoire français, il laisse tout à fait perplexe. En effet, une peine doit prévenir une récidive de la personne condamnée. Or, l’interdiction du territoire français porte elle-même en germe la récidive. Une personne sous interdiction du territoire français, si elle reste ou revient en France malgré cette peine, transgresse immédiatement les règles sur l’entrée ou le séjour. C’est certainement la seule peine qui ait cet effet. C’est assez troublant mais compréhensible dans la mesure où il y a quasi-identité entre la valeur protégée par le droit pénal (souveraineté de l’Etat quant à la détermination des règles d’entrée et de séjour des étrangers sur le territoire) et la peine prononcée (interdiction d’être en France).

La confrontation de l’interdiction du territoire français à la théorie de la rétribution présente une certaine cohérence, puisque l’interdiction du territoire est bien une mesure afflictive. Néanmoins, la rétribution suppose en principe, depuis qu’on a dépassé le système primitif de la vengeance privée, une proportionnalité entre la gravité de l’acte et la peine prononcée, entre le dommage causé et la souffrance infligée.

Une double disproportion

Dans l’hypothèse d’infractions de droit commun, le dommage causé serait donc différent selon qu’il s’agit d’un national ou d’un étranger. Seule cette idée pourrait justifier une « double peine » : l’étranger qui est condamné pour atteintes volontaires à l’intégrité physique serait doublement coupable, d’abord de transgresser une règle et ensuite de la transgresser en tant que « visiteur ». On n’est pas forcé d’adhérer à ce point de vue.

En matière d’infraction à la législation sur les étrangers, le problème se pose légèrement différemment. Il ne s’agit pas de discrimination à raison de la nationalité quant au prononcé de la peine, mais de discrimination quant à l’incrimination de séjour irrégulier. Le droit pénal intervient, en principe, pour protéger une valeur par le biais d’une infraction. L’incrimination du séjour irrégulier est le négatif du droit des Français de déterminer qui a le droit de venir et de rester et à quelles conditions.

Le recours à la sanction pénale, à l’interdiction du territoire, est plus que le simple fait de pallier l’inefficacité de l’administration à faire respecter ses règles, à faire exécuter ses mesures d’éloignement. Il y a un recours au pénal pour marquer une culpabilité, pour stigmatiser l’étranger – comme s’il ne l’était déjà pas suffisamment. Par le biais de l’interdiction du territoire français, on le stigmatise doublement. Dire si un séjour irrégulier et une interdiction du territoire français d’un an sont proportionnées ou non ne relève pas du possible. Par contre, le recours au pénal pour une simple transgression de normes administratives ne semble pas justifié. La disproportion réside d’abord dans l’incrimination, puis, par ricochet, dans la peine.

On a insisté, dans le nouveau code pénal, sur les différents modes de personnalisation de la peine, qui doivent permettre d’adapter les modalités de prononcé et d’exécution des peines en fonction de la situation de l’intéressé. Parmi ces possibilités, on trouve le sursis simple ou avec mise à l’épreuve, la semi-liberté, le fractionnement des peines, la dispense de peine, l’ajournement du prononcé de la peine. Les modalités de prononcé des peines semblent être complètement adaptées à la situation d’un étranger en situation irrégulière.

En effet, elles permettent à l’intéressé, une fois qu’il a été reconnu coupable, de ne pas voir de peine prononcée, tant qu’il acceptera d’entreprendre les démarches de régularisation auprès de l’administration. En cas de réponse positive de la part de celle-ci, il devra être dispensé de peine. Ces deux possibilités d’ajournement du prononcé de la peine et de dispense de peine sont utilisées très parcimonieusement par les juridictions, qui les ressentent comme un moyen de classement judiciaire des poursuites, correctif d’une poursuite « abusive » du Parquet.

De la même façon, les modalités d’exécution de la peine ne sont que difficilement envisageables en matière d’interdiction du territoire français. Imaginons une interdiction du territoire français fractionnée : l’intéressé irait passer chaque année ses deux mois de vacances à l’étranger, jusqu’à ce que le quantum de la peine soit atteint. On peut penser également à une semi-liberté où l’intéressé travaillerait en France mais résiderait à l’étranger. Mais ces deux possibilités sont limitées aux peines d’emprisonnement.

L’interdiction du territoire français est l’une des rares peines qui, bien qu’issue du mouvement de personnalisation des peines, ne peut faire l’objet d’une personnalisation

judiciaire. Elle fait cependant l’objet d’une personnalisation légale. A la première distinction entre nationaux et étrangers, est en effet venue s’ajouter celle entre étrangers protégés et étrangers non protégés.

La gravité de l’infraction

Il a fallu attendre une loi du 31 décembre 1991, qui a par ailleurs accru le nombre de cas dans lesquels une interdiction du territoire français pouvait être prononcée, pour que les étrangers dont les liens avec la France sont privilégiés soient protégés, à moins qu’ils n’aient commis une infraction grave à la législation sur les stupéfiants. On personnalise donc, de manière légale.

On personnalise tellement que la loi du 24 août 1993 recentre le débat. C’est la gravité de l’infraction commise qui prime et qui entraîne une interdiction du territoire français. Certes, la personnalité de l’individu doit être prise en compte, déjà simplement pour que le critère étranger puisse être retenu, mais il ne faudrait pas que la situation personnelle de l’intéressé – qui est pourtant la caractéristique essentielle de la personnalisation des peines – puisse faire échec au prononcé d’une peine éliminatrice. Par conséquent, on peut prononcer une interdiction du territoire français à l’égard de tout étranger, quelle que soit sa situation personnelle, pourvu que le juge motive spécialement sa décision au regard de la gravité de l’infraction. Une phrase stéréotypée satisfait à cette exigence.

Heureusement, la loi du 11 mai 1998 est venue améliorer très sensiblement la situation des personnes protégées. Aujourd’hui, la motivation spéciale doit être fondée sur deux critères : la gravité de l’infraction et la situation personnelle de l’intéressé. Or, c’est précisément ce dernier critère qui fait rentrer l’étranger dans une catégorie protégée. On devrait donc purement et simplement supprimer la possibilité de prononcer des interdictions du territoire français à l’encontre des personnes protégées, la gravité de l’infraction étant contrebalancée par les liens privés ou familiaux de l’étranger avec la France. L’impression de tourner en rond est forte. La logique du droit administratif en matière de droit des étrangers aurait-elle déteint sur le droit pénal ?

Interdiction du territoire et idéologie sécuritaire

A la fin des années soixante-dix, le mouvement pénal dominant est celui de l’idéologie sécuritaire. Il va marquer toute l’évolution du droit pénal au cours de années quatre-vingt et quatre-vingt dix. On multiplie les infractions, les recours au droit pénal pour faire respecter des règles établies par d’autres branches du droit (environnement, travail, responsabilité civile, droit des étrangers), les moyens coercitifs (plus d’emprisonnement et plus d’emprisonnement de longue durée).

En même temps, se développe une idéologie « droits de l’hommiste », qui peine face aux pressions sécuritaires. Les interdictions du territoire français se trouvent pleinement sous le signe de ce double mouvement. L’influence de l’idéologie sécuritaire se ressent à plusieurs niveaux : on commence par distinguer entre étrangers et nationaux quant aux peines prononçables ; on a ensuite recours au droit pénal pour sanctionner le non-respect des normes administratives ; les cas de figure dans lesquels on peut prononcer une interdiction du territoire français se multiplient, notamment avec le nouveau code pénal qui n’a pas lésiné ; les règles techniques permettant de contourner ou d’adoucir cette mesure sont soit inapplicables, comme les modes de personnalisation des peines, soit d’une trop grande dureté, comme les modalités du relèvement.

En même temps, on prétend que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme doit être respecté. Il est certainement à l’origine de la loi de 1991 instituant des catégories protégées. Mais il est, petit à petit, vidé de sa substance, la gravité de l’infraction prenant le pas sur le droit de l’étranger à vivre en famille, l’idéologie sécuritaire sur les droits de l’homme.

La peine d’interdiction du territoire français est parfois paradoxale ou inique, toujours curieuse ou dérangeante quand on la confronte à l’histoire ou aux théories du droit pénal. Qu’il s’agisse d’infractions de droit commun ou d’infractions à la législation sur les étrangers, l’interdiction du territoire français ne se justifie pas dans un Etat de droit. Sa seule cohérence tourne autour de la nationalité. Il en faut un peu plus en droit pénal pour qu’une peine ait un fondement et des effets autres que ceux souhaités par un Etat-nation.


Notes

(1) Traité de droit criminel – Problèmes généraux de la science criminelle. Droit pénal général, Roger Merle et André Vitu, Editions Cujas, 6ème édition, 1984.



Article extrait du n°45

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Dernier ajout : jeudi 20 mars 2014, 15:01
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