Article extrait du Plein droit n° 32, juillet 1996
« Sans frontières ? »

L’Église allemande s’engage dans la désobéissance civile : « Asyl in der Kirche »

L’accueil des demandeurs d’asile dans les églises en Allemagne est devenu, au fil des années, face au durcissement de la réglementation à l’encontre des réfugiés, une action œcuménique très organisée qui touche plusieurs centaines de personnes et affiche au grand jour, dans la « charte de Groningen », son engagement pour la défense des droits de l’Homme.

« L’engagement commun des églises aux côtés des réfugiés a toujours été une réalité. Dernièrement, la déclaration conjointe de la conférence épiscopale allemande et du synode de l’église évangélique du 26 novembre 1992 l’a rappelé. Cet engagement signifie une attention particulière à l’évolution juridique, sociale et humanitaire de l’État et de la société, notamment après l’entrée en vigueur des nouvelles règles régissant le droit d’asile et le droit des étrangers. Nous prenons la parole aujourd’hui parce que les expulsions de réfugiés nous inquiètent et nous préoccupent ».

C’est par ces phrases que débute la déclaration des porte-parole du conseil de l’Église évangélique et de la conférence épiscopale sur « la pratique des expulsions et l’accueil des réfugiés », faite le 7 mars 1994.

Depuis le début des années 1980, le droit d’asile est redevenu une priorité pour l’Église. Pour bon nombre de chrétiens en Allemagne, il s’agit d’une tradition ancienne dont la renaissance accompagne les mouvements massifs de population dans le monde entier qui ont fait de la demande d’asile une question politique centrale. D’autant que les modifications législatives récentes [1] entraînent l’expulsion de 30 à 40 000 réfugiés chaque année, alors que, dans le même temps, les rapports sur les pratiques illégales et les atteintes aux droits de l’Homme se multiplient. La résistance qui se manifeste s’appuie sur les préceptes évangéliques de solidarité envers les étrangers et les plus faibles.

En février 1994, lors de la rencontre œcuménique à l’Académie évangélique de Mulheim/Ruhr, une coordination provisoire s’est constituée. Intitulé « Asyl in der Kirche », ce mouvement s’appuie sur les deux cents communautés d’église volontaires et sur quelque deux mille cas d’asile dans l’Église déjà recensés. Les représentants d’« Asyl in der Kirche » n’entendent pas faire de l’Église une zone franche, mais s’inscrire dans un mouvement de désobéissance civile : l’engagement public d’une communauté doit déboucher, en lien avec les représentants des administrations, sur une solution humaine et conforme au droit pour ceux qui sont menacés d’expulsion.

En février 1996, dans la seule ville de Berlin, plus de soixante-dix communautés paroissiales et groupes d’église se sont organisés au sein de l’association « Asyl in der Kirche ».

Un engagement mutuel pleinement assumé

Un tel mouvement n’est pas né et ne s’est pas consolidé au fil de l’eau. Les premiers engagements d’abord isolés, puis bientôt suivis par d’autres ont contribué à instaurer un très large débat sur fond de conflit Églises/État. Le débat politique, largement amplifié par la presse, a été repris dans les églises sous la forme à la fois d’une réflexion théologique et d’une analyse du droit et de son évolution. Très rapidement, des règles pratiques ont été édictées concernant la préparation, l’organisation et les conséquences de l’exercice de l’asile dans l’Église.

Au stade de la préparation, la communauté qui s’engage dans un tel mouvement doit être profondément convaincue du caractère indispensable de l’aide qu’elle va apporter aux personnes et de la réalité de la menace qui pèse sur elles. À partir de là, des contacts sont pris avec les lieux d’accueil et d’information, les juristes, les organisations nationales et internationales. L’ensemble des démarches préalables est vérifié, une discussion approfondie est menée avec les demandeurs d’asile pour la plus grande clarté possible de l’engagement mutuel.

L’organisation de l’asile dans l’Église ne consiste par à cacher les réfugiés. Ceux-ci savent qu’ils ne recevront pas une protection totale contre l’expulsion, mais que, pour chacun d’entre eux, un groupe de soutien sera constitué qui prendra en charge les relations avec l’administration et l’organisation du quotidien (scolarisation, santé, soutien financier et moral). La vie quotidienne doit, en effet, pouvoir se dérouler le plus normalement possible sur la base d’une égalité de traitement des personnes.

Quelle que soit l’issue de l’action, il appartient à la communauté d’en tirer les enseignements.

Sur un plan pratique également, des critères sont établis pour l’hébergement provisoire dans des logements d’accueil qui permettent la mise à l’abri des personnes durant le temps nécessaire à l’instruction des dossiers des « candidats » à l’asile dans l’Église.

« Asyl in der Kirche » est aujourd’hui un mouvement œcuménique fédéral qui agit au grand jour avec, pour base, la Charte de Groningen. Celle-ci déclare :

1. La situation des réfugiés et des demandeurs d’asile en Europe est alarmante. Tous les gouvernements européens tendent à fermer leurs frontières pour stopper le flux toujours plus grand des réfugiés et demandeurs d’asile. Toutes sortes de mesures sont prises sur le plan législatif et administratif au niveau national et régional. Une interprétation restrictive de la notion de réfugié et des conventions de Genève de 1951 et 1967 se généralise.

Membres d’églises locales, paroisses, communautés et groupes de base, notre responsabilité de chrétiens nous pousse à agir. Les réfugiés et demandeurs d’asile sont le miroir de la violence qui règne dans le monde. Refuser de voir les difficultés et les durcissements qui affectent l’exercice du droit d’asile conduit à ignorer que cette violence et cette injustice sont des problèmes qui concernent tous les hommes. Notre foi en la volonté divine d’unification de toute l’humanité nous oblige à refuser de fermer les yeux et à prendre le parti des réfugiés et des demandeurs d’asile.

2. Pour prendre parti, nous entendons, en premier lieu, nous engager avec toutes nos forces, localement, pour l’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile. Nous voulons également accentuer notre pression sur nos gouvernements afin qu’ils ne fondent pas leur politique sur les seuls intérêts nationaux ou européens mais aussi sur une approche généreuse de la situation internationale. Nous réclamons de nos États qu’ils agissent en fonction de la place qu’occupe l’Europe dans le monde et dans l’histoire et à la situation qui en résulte.

3. Si nous estimons, à juste titre, que l’expulsion d’un réfugié ou d’un demandeur d’asile entraîne, pour son intégrité et pour sa vie future, des risques sérieux, alors nous nous engageons à l’accueillir et à le protéger. Nous ne craindrons pas, dans ce cas, le débat avec notre gouvernement, pas plus que les actions de solidarité ou de protestation nécessaires.

4. Nous nous faisons un devoir de rappeler également aux assemblées et aux mouvements d’Église locaux, nationaux et internationaux leur responsabilité face à la situation et aux problèmes des réfugiés et demandeurs d’asile et les inciterons à l’engagement avec leurs moyens et leurs possibilités.

5. En tant que membres d’un rassemblement d’églises locales et de groupes de base prenant le parti des réfugiés et demandeurs d’asile, nous nous engageons à la solidarité et au soutien mutuels. Nous nous efforcerons de rechercher le partenariat avec les communautés d’autres confessions.

Né dans l’action, le mouvement « Asyl in der Kirche » ne se considère pas comme une fin en soi. « L’asile dans l’Église ne peut être le correctif d’une politique de l’asile en question. Pour cela, une conscience nouvelle de la société et une position différente vis-à-vis de l’étranger en Allemagne sont indispensables ».

* De très nombreux documents écrits ou audiovisuels existent sur la question de l’asile dans l’église. Ils peuvent être obtenus à l’adresse suivante : Asyl in der Kirche, Kartäusergasse 9-11, D – 50678 Köln – Tél. 19/49/221 33 82-2 81 – Fax. 19/49/221 82-1 03




Notes

[1En juin 1993, le parlement a adopté une réforme restrictive du droit d’asile que le Conseil constitutionnel a approuvée pour une grande part le 14 mai 1996 (cf. Libération du 15 mai 1996).


Article extrait du n°32

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Dernier ajout : mardi 2 septembre 2014, 15:27
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