Article extrait du Plein droit n° 21, juillet 1993
« Les étrangers sous surveillance policière »
Des limites à l’investigation policière
Le 30 mars 1993, la presse révélait la décision prise par les services des Renseignements généraux de consulter les fichiers des caisses d’assurance maladie, notamment celles de la région parisienne, afin de détecter les étrangers clandestins porteurs de fausses cartes de séjour.
Interrogé par Gilles Johanet, directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), Jacques Fauvet, directeur de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a estimé que cette consultation n’était pas conforme aux dispositions de la loi informatique et libertés de 1978.
Nous publions ci-dessous de larges extraits de cet échange de lettres.
Le projet de loi sur l’entrée et le séjour des étrangers contourne cependant sournoisement cette décision en faisant obligation pour les caisses de vérifier périodiquement la régularité du séjour des assurés.
Lettre de la CNAM à M. Jacques Fauvet
Paris, le 31 mars 1993
Monsieur le Président,
Les Renseignements généraux [...] ont l’intention de saisir formellement la CNAMTS d’une demande de collaboration avec leurs services tendant à la détection des travailleurs immigrés clandestins utilisant une fausse carte de résident.
[...] [Cette] demande [...] pose toutefois un problème particulier dans la mesure où la sélection des personnes en cause ne peut reposer que sur l’observation de la consonance de leur patronyme puisque les fichiers de l’Assurance maladie ne contiennent aucune indication sur la nationalité des assurés actifs.
Le problème est donc double :
- d’une part, il conduit à effectuer un grand nombre de rapprochements concernant des citoyens français, probablement naturalisés dans un grand nombre de cas, dont la consonance du patronyme permet de présupposer leur origine ;
- d’autre part, la sélection suivant la consonance du patronyme peut être assimilée à une violation des dispositions législatives relatives à l’interdiction de toute discrimination pour des motifs raciaux ou religieux ou de nationalité.
En l’espèce, je m’interroge sur la compatibilité de cette recherche avec les dispositions de la loi informatique et libertés : la recherche d’infraction me paraît devoir être opérée par observations successives nécessitant l’usage de la globalité du fichier.
[...]
Réponse de la CNIL à M. Gilles Johanet
Paris, le 6 avril 1993
Monsieur le Directeur,
[...] J’observe, en premier lieu, que la recherche d’infractions relève de la police judiciaire et ne peut être opérée, en l’absence de tout indice apparent d’infraction, que sous la forme d’une enquête préliminaire. Or, l’article 76 du code de procédure pénale soumet les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction, à l’assentiment exprès de la personne chez laquelle l’opération a lieu et donc, s’agissant de la saisie de données faisant l’objet d’un traitement informatisé, à l’assentiment du maître du fichier [...].
Dans la mesure où la communication des données aux services de police et de gendarmerie, agissant en en quête préliminaire, est subordonnée au consentement du responsable du traitement et ne résulte pas d’une autorisation de la loi, les officiers de police judiciaire ne paraissent pas pouvoir, dans cette hypothèse, être considérés comme tiers autorisés à consulter les fichiers.
Dès lors, il m’apparaît [...] que tout responsable de traitement engagerait ses responsabilités civile et pénale s’il consentait à la communication des renseignements issus du fichier des personnes sur lesquelles des données nominatives ont été recueillies ou, à plus forte raison, s’il acceptait une consultation générale de celui-ci.
[...] En revanche, les officiers de police judiciaire agissant sur commission rogatoire délivrée par un juge d’instruction ou selon la procédure de flagrance doivent être considérés comme tiers autorisés au sens de l’article 29 de la loi et peuvent, à ce titre, obtenir communication d’informations issues d’un fichier sans que le responsable du traitement puisse s’y opposer.
Encore convient-il, dans une telle hypothèse, d’observer qu’il est de règle que la qualité de tiers autorisé ne soit conférée qu’à la condition que la communication soit sollicitée de manière ponctuelle et motivée et que les informations transmises ne portent que sur des personnes précisément désignées.
[...] Or, en l’espèce, opérer une sélection sur tel ou tel critère afin de fournir à l’éventuel tiers autorisé une liste d’assurés reviendrait à conférer au traitement une fonctionnalité n’entrant pas dans le cadre de son utilisation déclarée et autorisée, à savoir l’automatisation de la liquidation des prestations.
[...] En conclusion, s’il ne lui appartient pas de se prononcer sur le principe même de l’enquête projetée par les renseignements généraux, la Commission estime que les conditions juridiques et techniques dans lesquelles cette enquête semble à ce jour être envisagée ne respectent pas les dispositions de la loi du 6 janvier 1978. [...]
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