Article extrait du Plein droit n° 25, juillet 1994
« La famille au ban de l’Europe »

Face à la fermeture des frontières aux Algériens

A l’occasion de la crise algérienne, la France mène, une fois de plus, une politique absurde. La plupart des Algériens menacés attendent d’elle une protection “souple”, c’est-à-dire le bénéfice d’un droit au séjour et au travail leur permettant de faire des allers-retours dans leur pays, de garder contact avec lui et de s’y réinstaller dès que les dangers qui les visent s’estompent. Autant dire que beaucoup veulent partir momentanément en France avant de reprendre leur place en Algérie et d’y défendre les valeurs démocratiques auxquelles ils tiennent.

La peur obsessionnelle que des milliers d’Algériens profitent des circonstances pour s’installer dans l’Hexagone pour de pures raisons économiques pousse Paris, depuis deux années, à compter chichement les visas : 11 000 auraient été délivrés depuis 1992. Combien d’Algériens, dans ces conditions, auront été assassinés, comme Abderrahmane Fardeheb, économiste d’Oran, abattu le 26 septembre alors qu’il s’apprêtait à gagner enfin l’université de Grenoble où l’attendait un poste de professeur associé ? Et combien d’autres sont contraints à une entrée et à un séjour clandestins ?

Bricolage absurde

La France maintient par ailleurs les Algériens “accueillis” dans la précarité, leur infligeant, dans le meilleur des cas, ces mêmes autorisations provisoires de séjour renouvelables de trois mois en trois mois qui ont marginalisé et marginalisent encore les exilés de l’ex-Yougoslavie. Et, comme toujours, l’arbitraire tient lieu de règle : chaque préfecture agit selon son inspiration pour les délivrances comme pour les renouvellements.

Ce bricolage a notamment pour conséquence d’empêcher toute fluidité, interdisant aux Algériens parvenus en France de regagner volontairement leur pays quand ils le jugent possible, tant ils craignent de ne pas obtenir de nouveau visa. Plus absurde encore, il contribue à une fragilisation de la société algérienne elle-même en contraignant nombre de démocrates à abandonner leur combat pour les libertés en Algérie ou à vivre à l’étranger sans guère d’espoir de retour.

La France aurait-elle décidé qu’il n’y a pas lieu de protéger les démocrates ? Que tout arabe, tout maghrébin et tout Algérien est “islamiste” par nature, comme son ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, a essayé de le suggérer à la faveur de sa mise en scène estivale de Folembray ? Alors que le gouvernement français mégote l’asile aux défenseurs des libertés (98,5% d’entre eux ont été déboutés de leur demande du statut de réfugié en 1993 et 98,7% dans les sept premiers mois de 1994), il paraît attendre l’heure du cataclysme politique en Algérie et se contenter de bâtir secrètement un disposif de réception des milliers d’exilés qui ne manqueront pas alors de traverser la Méditerranée [1].

Une plateforme de revendications

Face à cette inertie, une soixantaine d’organisations associatives, syndicales et politiques ont signé une “Plateforme de revendications” qu’elles ont transformée en pétition nationale [2]. Elle défend l’instauration d’une politique dynamique de visas à entrées multiples qui permettent aux Algériens de se protéger sans avoir à s’exiler plus longtemps qu’ils ne le souhaitent et de revenir en France si le besoin s’en fait sentir. La plateforme s’oppose également à une interprétation purement française de la Convention de Genève, selon laquelle la situation en Algérie ne justifierait pas la reconnaissance du statut de réfugié parce que l’Etat n’y serait pas le principal persécuteur.

Sur les conditions du séjour des non réfugiés statutaires, la plateforme plaide en faveur d’un droit au séjour d’un an assorti d’un droit au travail sans opposabilité de la situation de l’emploi et d’un droit à la protection sociale. Elle revendique des regroupements familiaux automatiques pour les exilés, pour les membres algériens des familles des Français et pour les binationaux auxquels des certificats de nationalité seront délivrés sans délai.

Compte-tenu de la situation, la plateforme exige la suspension de toute mesure d’éloignement et la régularisation des Algériens en situation irrégulière. Enfin, elle souligne que toutes ces dispositions doivent être définies par “des textes publics qui soient publiés au Journal officiel et acquièrent ainsi une autorité juridique non contestée”.

Accueil en France des demandeurs d’asile et exilés d’Algérie

Plateforme commune de revendications



ORGANISATIONS ACTUELLEMENT SIGNATAIRES
(liste provisoire)

Accueil et Promotion, Alternative libertaire, Alternative Rouge et Vert, Amicale des combattants de la cause anticoloniale, Association des foyers de jeunes travailleurs de Béziers, Association française des juristes démocrates, Association des Marocains en France (AMF), Association nationale des élus originaires du Maghreb (ANEOM), Association nationale des Françaises à l’étranger (ANFE), Association Nouvelle génération immigrés (ANGI-RESA), Association pour l’égalité devant la loi (APEL), Association des travailleurs marocains en France (ATMF), Association des Tunisiens en France (ATF), Athénée libertaire (Bordeaux), Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale (CEDETIM), Cercle Frantz Fanon (Martinique), Citoyens solidaires, Collectif anti-fasciste (Bordeaux), Collectif Haïti de France (CHF), Collectif de Paris contre la purification ethnique, Collectif Pluri-Elles Algérie, Collectif Tiers-Monde de Versailles et des Yvelines, Comité d’aide aux réfugiés (Colombes), Comité albigeois de solidarité avec les réfugiés (CASAR), Comité international de soutien aux intellectuels algériens (CISIA), Comité de liaison pour l’alphabétisation et la promotion (CLAP), Comités de lutte contre la répression au Maroc, Communauté de l’Arche, Confédération générale du travail (CGT), Confrontations, Conseil national des associations familiales laïques (CNAFAL), Convention nationale des comités contre la purification ethnique (Commission réfugiés), Coup de soleil, Délégation nationale des Missions catholiques italiennes, Droit au logement (DAL), Fédération audoise des œuvres laïques, Fédération des associations de solidarité avec les travailleurs immigrés (FASTI), Fédération démocratique internationale des femmes (FDIF), Fédération syndicale unitaire (FSU), Femmes et Développement en Algérie (FEDA), France-Algérie (Brest), France Terre d’asile (FTDA), Groupe Accueil et Solidarité (GAS), Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI), Groupe de réflexion et d’action municipale (GRAM, Noisy-le-Sec), Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), La Défense libre (Lyon), La Vie nouvelle, Les Huit de Paris, Les Verts, Ligue communiste révolutionnaire (LCR), Ligue des droits de l’homme (LDH), Maison des peuples et de la paix (Angoulême), Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (MRAX, Belgique), Mouvement de solidarité pour les îles du Cap-Vert (MSCV), Observatoire Femmmes-Maghreb-Méditerranée (OFMM), Rassemblement pour l’Algérie des femmes démocrates (RAFD, Marseille), Regards de peuples en Europe (Mantes-la-Jolie), Réseau international de solidarité avec les femmes algériennes (RISFA), Solidarité algérienne en Europe (SAE), SOS Racisme, Service national de la Pastorale des migrants (SNPM), Syndicat des avocats de France (SAF), Syndicat des correcteurs CGT, Syndicat de la magistrature (SM), Syndicat national de l’éducation physique (SNEP), Syndicat national des enseignants du second degré (SNES), Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNEsup), Syndicat national unitaire des instituteus, professeurs des écoles et PEGC (SNUIPP), Temps présent, Union des femmes françaises (UFF), Union nationale des étudiants de France - Indépendante et démocratique (UNEF-ID), Union des travailleurs immigrés tunisiens (UTIT). SOUTIENS : Confédération française démocratique du travail (CFDT), Fédération de l’Education nationale (FEN), Syndicat national des journalistes (SNJ).

Comment demander un visa en Algérie ?



Après avoir fermé ses consulats en Algérie à la suite de l’attentat du 5 août 1994 contre son ambassade à Alger et gelé presque toutes les procédures d’examen de demandes de visas en Algérie, la France a décidé de mettre en place une nouvelle procédure rendue publique le 28 septembre par le ministère des affaires étrangères.

« La nouvelle procédure d’instruction des demandes de visas à Nantes sera mise en œuvre à partir du jeudi 6 octobre. Les demandes devront être adressées par la poste à l’adresse suivante :

Ministère des affaires étrangères - 44942 Nantes Cedex 9

 » A cet effet, un formulaire spécial, qui sera seul admis dans la procédure d’instruction des demandes, précisant également les pièces qui devront être jointes à chaque demande ainsi que la marche à suivre pour introduire son dossier, sera mis à disposition du public.

 » Ce formulaire est déjà disponible sur le territoire algérien dans les agences et compagnies aériennes (Air France et Air Algérie) et maritimes, ainsi que dans les principales agences de voyage. Il est donc inutile de s’adresser à nos consulats généraux, à l’ambassade ou au bureau des visas à Nantes.

 » Tous les demandeurs recevront une réponse. Les personnes dont la demande aura été jugée recevable recevront par la poste à leur domicile une invitation à se présenter à date fixe aux services consulaires.

 » Dans l’immédiat, les visas demandés par des personnes résidant dans la circonscription du consulat général de France à Oran seront délivrés à Alger.

 » Afin de faciliter et d’accélérer le fonctionnement de cette nouvelle procédure, les demandeurs de visas sont invités à se conformer strictement aux indications figurant sur le nouveau formulaire de demande de visa.

 » Les demandes de visas déjà adressées par la poste soit à Paris, soit à Nantes, soit aux consulats généraux de France en Algérie avant l’entrée en vigueur de cette nouvelle procédure ne pourront être satisfaites. Les personnes ayant déjà présenté une demande de visa sont donc invitées à présenter une nouvelle demande, selon la nouvelle procédure.

 » Ces dispositions visent à satisfaire les besoins de circulation des personnes entre l’Algérie et la France. Elles seront appliquées avec le plus grand souci d’efficacité et de rapidité.
 »




Notes

[1“Le dispositif secret de Paris si Alger devient islamiste”, Libération, 27 septembre 1994.

[2Durant l’été, cette plateforme a été envoyée pour signature aux membres et correspondants du Gisti, ainsi qu’aux abonnés de Plein Droit. Les uns et les autres la recevront à nouveau prochainement. Merci de signer et de faire signer ce texte. Le Gisti assure le secrétariat du collectif qui soutient cette pétition.


Article extrait du n°25

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Dernier ajout : samedi 5 avril 2014, 00:51
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