Article extrait du Plein droit n° 49, avril 2001
« Quelle Europe pour les étrangers ? »

La présidence française : quelles priorités en matière d’immigration ?

Claudia Cortes-Diaz

Juriste, permanente au Gisti.

La France a assumé la présidence de l’Union européenne du 1er juillet au 31 décembre 2000. Comme la tradition l’exige, elle a présenté, au début de son mandat, un programme de travail dans lequel trois actions ont été annoncées comme prioritaires :

concilier la modernisation économique et le renforcement du modèle social européen ;

  • préparer l’élargissement de l’Union et renforcer la place de l’Europe dans le monde ;
  • rendre l’Europe plus proche des citoyen.

C’est dans l’exposé du dernier point que la France a dévoilé ses priorités en matière d’immigration. Trois directions y ont été définies :

La maîtrise des flux migratoires : « La présidence française animera une réflexion au sein du Conseil sur la prise en compte des causes des flux migratoires et sur le développement d’une politique coordonnée avec les pays d’origine ». Il s’agit donc là de la suite des travaux du Groupe de haut niveau : « Asile et Immigration » (voir article précédent).

  • L’intégration des ressortissants des pays tiers résidant régulièrement sur le territoire d’un des États membres : « Elle [la présidence] s’efforcera d’améliorer l’intégration des étrangers régulièrement installés sur le territoire européen, notamment par la définition d’un statut juridique des résidents de longue durée, lequel serait assorti d’un ensemble de droits en matière d’emploi, de santé, d’éducation et de libre circulation ».
  • Enfin, la lutte contre l’immigration illégale. A ce propos, la France a annoncé son intention de proposer plusieurs directives portant sur les trois questions suivantes : la reconnaissance mutuelle des mesures d’éloignement afin de les rendre plus efficaces, la pénalisation de l’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers, enfin le renforcement des sanctions aux transporteurs.

Où est-on aujourd’hui, à quelques semaines du sommet de Nice ?

I. La lutte contre l’immigration illégale

Comme on pouvait s’y attendre, c’est sur ce thème que se sont concentrées les initiatives des autorités françaises pressées d’aboutir à l’adoption de directives.

1. La reconnaissance mutuelle des décisions d’éloignement des ressortissants des pays tiers

a été la première de ces initiatives [1].2 L’objectif poursuivi étant de permettre une plus grande efficacité dans l’exécution des mesures d’éloignement, la France a quand même pris le soin d’invoquer, dans ses considérants, la Convention européenne des droits de l’homme, la Convention de Genève et les principes constitutionnels de chacun des États membres.

Le texte fait ensuite une distinction entre la décision d’éloignement fondée sur la menace grave et actuelle à l’ordre public ou à la sécurité et à la sûreté nationales (cas dans lequel la possession d’un titre de séjour ne fait pas obstacle à l’exécution de la décision), et la décision d’éloignement fondée sur l’irrégularité de l’entrée et/ou du séjour. L’État qui doit exécuter la mesure d’éloignement doit, selon le texte, procéder à une analyse de la situation personnelle de l’intéressé au regard des textes internationaux et de la loi nationale applicables. Il doit également lui donner la possibilité d’exercer des recours. Si ceux-ci ne sont pas suspensifs, la décision sera effective. Dans le cas contraire, la décision ne pourra être exécutée qu’une fois toutes les voies de recours épuisées.

Cette initiative appelle trois remarques. Tout d’abord, il est assez intéressant de constater que la première préoccupation des autorités françaises a porté sur la coordination de l’éloignement au niveau européen. Souvenons-nous que, peu de temps auparavant, en octobre 1999, ces mêmes autorités avaient, par une circulaire (non publiée…), donné aux services compétents des instructions afin qu’ils obtiennent un plus grand taux de réussite dans l’exécution des mesures d’éloignement françaises. S’agirait-il d’une obsession ?

En deuxième lieu, le texte prévoit que l’État membre responsable de l’exécution de la mesure d’éloignement doit analyser la situation personnelle de l’intéressé au regard de textes internationaux et des lois nationales en vigueur. Comment pourra-t-on garantir qu’une personne recevra un traitement équitable dans l’ensemble des États membres ? Si on connaît les textes français et, surtout, la jurisprudence des juridictions françaises en la matière, on ne peut affirmer que les choses se passent de la même manière dans l’ensemble des États.

Enfin, ce qui paraît nettement plus inquiétant, c’est qu’on parle de menace grave et actuelle à l’ordre public et à la sécurité et à la sûreté nationales, alors qu’il n’existe aucune définition de cette notion dans l’ordre juridique français et, a fortiori, au niveau des États membres. Si un étranger fait l’objet d’une mesure d’éloignement française, comment, par exemple, une autorité allemande (administrative ou juridictionnelle) pourra-t-elle apprécier la réalité d’une menace à l’ordre public français, ou, pire encore, une menace à la sécurité et à la sûreté nationales ?

2. L’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers

La deuxième initiative est relative à la définition de l’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers ainsi qu’au renforcement du cadre pénal réprimant cette infraction. Cette initiative a fait l’objet de deux textes intitulés : « Projet de directive concernant la définition de l’infraction d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers  » [2] et « Projet de décision-cadre en vue de l’harmonisation des sanctions (pénales ou non) à l’encontre de cette infraction  » [3].

D’après leurs auteurs, ces deux textes s’inscrivent dans l’objectif défini comme « prioritaire » par le Conseil européen de Tampere : celui de la lutte « contre le trafic des êtres humains, en rapprochant en tant que de besoin les règles du droit pénal des États membres  ». Or, le premier de ces textes énonce d’emblée et de manière très claire : « Il convient, par conséquent, de s’attaquer à l’aide apportée à l’immigration clandestine, que celle-ci porte sur le franchissement irrégulier de la frontière stricto sensu ou que cette aide soit destinée à alimenter des réseaux d’exploitation des êtres humains  ». On est ici en présence d’une déclaration qui, non seulement dépasse largement l’objectif posé par le Conseil de Tampere, mais va aussi au-delà de la convention de Schengen qui stipule que l’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers doit poursuivre des fins lucratives.

Le projet de directive envisage de sanctionner l’aide directe ou indirecte à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers, ainsi que l’instigation et la complicité.

A l’article 4, il est prévu que chaque État peut exonérer certaines catégories de personnes, en raison de l’existence d’un lien de filiation :

les ascendants, descendants, frères et sœurs ainsi que leurs conjoints ;

  • le conjoint ou celui qui vit maritalement avec la personne concernée.

Ces catégories sont d’ailleurs les mêmes que celles prévues à l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945. Pas une ligne ne concerne une éventuelle exonération des ONG.

Quant à la décision-cadre, elle prévoit de sanctions pénales (pouvant aller jusqu’à la privation de liberté) et non pénales, telles que la confiscation du moyen de transport ayant servi à la commission de l’infraction ou l’adoption d’une interdiction du territoire. Le texte dit qu’en tout cas les sanctions devront être effectives, proportionnées et dissuasives. Ces agissements seront passibles de peines privatives de liberté :

si l’infraction a été commise en bande organisée ;

  • si elle a été commise dans un but lucratif.

Est également prévue la possibilité de sanctionner les personnes morales ou, du moins, la possibilité de les tenir pour responsables.

3. Les sanctions aux transporteurs

Enfin, la troisième initiative de la présidence française concerne l’harmonisation des sanctions pécuniaires imposées aux transporteurs acheminant sur le territoire des États membres des ressortissants de pays tiers démunis des documents nécessaires pour y être admis [4].

Dans les considérants de ce texte il est dit : « Afin de lutter efficacement contre l’immigration clandestine, il est essentiel que tous les États membres se dotent d’un dispositif fixant les obligations des transporteurs acheminant des ressortissants étrangers sur le territoire des États membres. Il convient également, pour assurer la pleine efficacité de cet objectif, d’harmoniser les sanctions actuellement prévues par les États membres, en établissant un montant en cas de violation de ces obligations qui incombent aux transporteurs  ». Le transporteur aérien, maritime ou terrestre doit donc réacheminer la personne, prendre en charge tous les frais que cela occasionne et payer une amende qui ne peut être inférieure à 5 000 euros par personne.

Ce texte appelle un certain nombre d’observations. Disons tout d’abord que le fait de sanctionner les transporteurs qui acheminent des personnes sans les documents requis est déjà prévu dans la législation française depuis 1992 à l’article 20 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945.

Il est par ailleurs évident que cette proposition a été faite en réponse à des faits tragiques comme celui de Douvres, en juin 2000, où 58 ressortissants chinois sont morts étouffés dans un camion. Ce drame a donné une occasion en or aux autorités européennes pour souligner l’importance de la lutte contre les passeurs d’immigrants clandestins. Ce que n’ont pas dit les mêmes autorités c’est que ces sanctions ont déjà été prévues dans la convention d’application de Schengen de 1990 mais que, dix ans après, on n’est toujours pas capable d’éviter de telles tragédies. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce type de mesure génère non par un seul Douvres mais des milliers de Douvres, qui s’appellent Melilla, Calais, les Pouilles, la Calabre, etc.

Le texte précise d’autre part que les sanctions prévues ne s’appliquent pas lorsque l’étranger acheminé est un demandeur d’asile. Mais il ne dit pas comment les transporteurs ou leurs employés pourront les reconnaître. Devront-ils se substituer aux autorités de police ou au ministère des affaires étrangères pour savoir s’il ont ou non en face d’eux un demandeur d’asile potentiel ? Et qui va leur garantir que leur choix sera au bout du compte reconnu ? La PAF (en ce qui concerne la France) peut porter un jugement totalement différent, considérer que le demandeur d’asile qui se présente à la frontière (ou du moins celui considéré comme tel par le transporteur ou son employé) n’en est pas un, et lui notifier un refus d’entrée, avec toutes les conséquences qu’une telle décision entraîne pour le transporteur. Face à un tel dispositif, les personnes qui essaient d’obtenir une protection à laquelle elles ont droit n’ont et n’auront d’autres moyens que d’avoir recours à des passeurs.

Dernière remarque, enfin, cette proposition de directive va à l’encontre des conclusions du Conseil européen de Tampere qui énonçait : « Le Conseil européen réaffirme l’importance que l’Union et ses États membres attachent au respect absolu du droit de demander l’asile  ».

II. La réflexion sur la maîtrise des flux migratoires

Cette réflexion se situe, comme nous l’avons déjà dit, dans la continuité des travaux du groupe de Haut niveau sur l’asile et l’immigration.

Par ailleurs, le 4 juillet 2000, la présidence française a adressé au Comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile, un « Plan d’action pour améliorer la maîtrise de l’immigration », dans lequel il est prévu que des agents de liaison seront chargés des questions d’immigration dans les pays d’origine. Ce qui signifie tout simplement que des fonctionnaires des États membres auront la possibilité de se déplacer dans des pays dits « à risque » avec pour mission à court ou à moyen terme la formation pour la détection des faux documents ou le travail auprès de compagnies aériennes.

III. Troisième priorité : l’intégration des ressortissants de pays tiers.

Disons tout d’abord que, sur ce sujet, la France n’a déposé aucun projet de texte. Elle s’est contentée d’organiser, les 5 et 6 octobre dernier, un séminaire sur « L’intégration des ressortissants de pays tiers en situation légale  », séminaire qui n’a d’ailleurs bénéficié d’aucune publicité. D’après les discours prononcés à cette occasion par M. Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, et Monsieur Vittorino, commissaire européen pour les affaires intérieures et la justice, il s’agissait plutôt d’un exercice de réflexion dont les conclusions devaient servir de base pour la proposition d’une future directive.

Il est assez surprenant de voir que sur un sujet qualifié depuis longtemps de « prioritaire », aucune mesure n’ait jamais été prise et qu’aujourd’hui encore aucune proposition concrète ne soit faite. La Commission européenne avait déjà abordé le sujet en 1991, lorsqu’elle a présenté sa communication sur la « Politique d’immigration et d’intégration sociale des immigrés dans la Communauté européenne » [5]. Elle proposait, à cette époque, d’accorder à ces ressortissants la reconnaissance d’un statut de résident permanent et l’égalité de traitement avec les nationaux en ce qui concerne les conditions de travail, la rémunération, la sécurité sociale, le logement, l’éducation. En fin de compte, elle envisageait la possibilité de leur accorder la liberté de circulation sur l’ensemble du territoire européen.

Avec le traité de Maastricht, cette question relevant des domaines d’intérêt commun, la Commission a repris le thème dans une communication sur « Les politiques d’immigration et d’asile » présentée au Conseil de l’Union européenne et au Parlement européen le 23 février 1994 [6]. La Commission y reprenait les idées exposées en 1991 et y ajoutait la possibilité d’accorder aux ressortissants des pays tiers la liberté de circulation dans le but d’exercer une activité économique.

Le Conseil ne se prononcera sur le sujet qu’en 1996 [7], lorsqu’il adoptera une résolution le 4 mars de cette même année. Il acceptait l’idée d’accorder aux ressortissants des pays tiers résidant de manière régulière depuis longtemps (dix ans) un statut de résident permanent. Toutefois, l’accès à ce statut était soumis à de telles conditions que l’effectivité de cette mesure allait être tout à fait limitée.

En 1997, la Commission va reprendre le sujet, avec, cette fois-ci, la présentation d’un projet de convention relative aux règles d’admission des ressortissants d’États tiers dans les États membres et dans lequel un chapitre est consacré aux résidents de longue durée. Rappelons que nous sommes encore à l’époque du traité de Maastricht. Toutefois, ce projet est bien restrictif. A part l’attribution d’un statut, il prévoit d’accorder aux résidents de longue durée le droit d’aller sur le territoire d’autres États uniquement pour postuler à un emploi (à condition que ne se portent pas candidats à ce poste un national ou le ressortissant d’un autre État tiers résidant dans le pays en question) ou pour y faire des études. Pas un mot n’est dit sur la possibilité, par exemple, d’exercer une activité économique autre que salariée.

Lors du séminaire d’octobre 2000, que nous avons cité plus haut, M. Vittorino a affirmé :

« Enfin, j’examine sérieusement la possibilité de garantir, sous certaines conditions, à ceux qui posséderont le statut de longue durée, le droit de circuler et de séjourner dans un autre État membre que leur État de première résidence. […] Plus généralement, la mobilité des migrants à l’intérieur d’un espace de liberté, de sécurité et de justice, doit être également abordée dans la perspective d’une ouverture de nos politiques d’admission à la réalité économique et démographique du moment  ».

C’est-à-dire que, au vu de la reprise économique et des rapports alarmistes sur la situation démographique des pays de l’Union européenne, il faudrait commencer à envisager d’accorder aux ressortissants de pays tiers déjà installés de longue date dans un pays de l’espace européen la possibilité de circuler librement. Jamais l’autre question, celle de l’ouverture des frontières, n’est posée. Le ressortissant de pays tiers, qu’il soit ou non résident de longue durée, est un instrument purement économique, pas un être humain. Et on nous parle d’une charte des droits fondamentaux ?

Enfin, il faut noter que, même s’il ne s’agit pas d’une initiative de la présidence française, un projet de directive relative au regroupement familial a été déposé en décembre 1999. En octobre 2000, une nouvelle version a été présentée par la Commission qui a tenu compte des observations du Conseil de l’Union européenne, du Parlement européen, du Comité économique et social et du Comité des régions.

Ce projet de directive prévoit le droit au regroupement familial pour les ressortissants des pays tiers qui résident de manière légale depuis au moins un an sur le territoire d’un des États membres. Dans la version initiale, il avait été prévu d’inclure dans ce texte les « étrangers bénéficiant d’une protection subsidiaire  » ce qui, en France, aurait concerné les demandeurs d’asile territorial. Dans la nouvelle version, ces étrangers ne figurent plus, la Commission ayant considéré, à la suite des observations du Parlement européen, qu’il était préférable de traiter dans un texte relatif à cette catégorie de personnes, la question de leur regroupement familial.

Sur les conditions matérielles exigibles, l’initiative est plutôt ouverte. Les ressources seraient considérées comme suffisantes dès lors qu’elles seraient égales ou supérieures au niveau de la pension minimale de sécurité sociale versée par l’État membre, ce qui, en France, représente moins que le SMIC.

Quant aux bénéficiaires, l’éventail est élargi : il peut s’agir du concubin ou, pour les « pacsés » en France, du conjoint de même sexe ou pas ; les enfants peuvent être majeurs, mais ils doivent alors être à la charge du demandeur ; enfin, les ascendants à charge rentreraient également dans le dispositif.

La Commission s’est par contre montrée réticente à accorder l’autonomie de statut aux membres de famille bénéficiaires du regroupement familial. Celle-ci ne doit en principe être accordée que quatre ans après l’entrée sur le territoire au conjoint ou au partenaire non marié et aux enfants mineurs. Quant aux autres membres de famille, le texte ne prévoit aucun délai et laisse donc toute liberté aux Etats pour en fixer un. ;




Notes

[1JOCE C 243/2 du 24.08.2000

[2JOCE C 253/1 du 4.09.2000.

[3JOCE C 253/6 du 4.09.2000.

[4JOCE C 269/8 du 20.09.2000.

[5« Politique d’immigration et intégration sociale des immigrés dans la Communauté européenne  », SEC (91), 1957 final.

[6Commission des Communautés européennes, communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur les politiques d’immigration et d’asile, COM (94) 23 final, 23 février 1994.

[7JOCE n° C80/2 du 18 mars 1996.


Article extrait du n°49

→ Commander la publication papier
S'abonner

[retour en haut de page]

Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:58
URL de cette page : www.gisti.org/article4143