Article extrait du Plein droit n° 95, décembre 2012
« Des familles indésirables »

Couples de même sexe : que dit la loi ?

Florence Ostier ; Manuela Salcedo et Michal Raz

psychosociologue,doctorante en sociologie, Iris-EHESS, ; doctorante en sociologie, Cermes3-EHESS, membres de l’Ardhis
Les couples binationaux de même sexe pacsés naviguent en plein brouillard législatif. La loi ne dit rien du droit au séjour du conjoint étranger et il faut démêler l’écheveau des circulaires, des textes européens et de la jurisprudence qui en découle pour faire valoir ses droits. Si des représentations fortes hétéronormatives sous-tendent ces textes juridiques, elles influent surtout sur les pratiques administratives au mépris du droit à la vie privée et familiale.

Le droit au séjour des étranger·e·s lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT), pacsé·e·s avec des Français·es, est historiquement lié au combat pour le Pacte civil de solidarité (Pacs). La reconnaissance de leur droit au séjour dans le cadre de la « vie privée et familiale » (VPF) remonte à une première circulaire de décembre 1999, notamment obtenue par la lutte du collectif Homos sans papiers né en 1998 et devenu l’Association pour la reconnaissance du droit des personnes homosexuelles et transsexuelles à l’immigration et au séjour (Ardhis) [1]. Ce combat militant aboutit avant l’alternance de 2002, à la rédaction d’un télégramme ministériel, faxé au président de l’Ardhis. Cette instruction aux préfets assouplit la durée de vie commune nécessaire aux étranger·e·s signataires d’un Pacs avec un ressortissant français pour obtenir un titre de séjour.

Le 30 octobre 2004, une circulaire confirme le télégramme de 2002 et mentionne l’Ardhis comme interlocuteur. L’admission au séjour au titre de la VPF est alors ouverte aux demandeurs pacsés pouvant justifier d’une relation stable sur le territoire, que le partenaire soit français, citoyen de l’Union européenne (UE) ou étranger titulaire d’une carte de séjour en cours de validité. Quelle que soit la date du Pacs, le couple doit justifier d’une durée de vie commune minimale d’un an en France et/ou en partie à l’étranger et, pour l’étranger·e, d’un an de présence sur le territoire. Confirmée par deux circulaires en 2007, la circulaire de 2004 a valeur de référence pour l’examen administratif du droit au séjour des couples binationaux pacsés. Par contre, comme il s’agit d’une circulaire et non d’une loi, en cas de contentieux, le juge administratif ne peut s’appuyer que sur les critères d’appréciation définis par le Ceseda que sont l’intensité, l’ancienneté, et la stabilité des liens personnels et familiaux. Or ces critères ne mentionnent ni durée requise de vie commune, ni obligation de vie commune, ni même le Pacs.

Les droits des couples pacsés binationaux établis en France dont un des membres est ressortissant de l’UE ont été renforcés par la circulaire du 10 septembre 2010 en application de la directive du 29 avril 2004 de l’Union. Cette directive prévoit que la définition des « membres de famille » inclut les partenaires « enregistrés » si la législation du pays membre d’accueil considère le partenariat « enregistré » comme équivalent à un mariage. C’est pourquoi, la France n’assimilant pas le Pacs à un mariage, les préfectures ne délivrent pas au partenaire extracommunautaire un titre de durée équivalente à celui de son partenaire communautaire, voire tendaient à lui refuser le séjour par le passé. La circulaire de septembre 2010 clarifie ces questions : elle argumente la limitation française apportée à la notion de « membres de famille » et dit que les conditions d’accès au séjour pour un étranger pacsé sont les mêmes que celles énoncées dans la circulaire d’octobre 2004, ce qui a le mérite d’une certaine logique. La circulaire de septembre 2010 prévoit aussi que les simples concubins hors UE de Communautaires peuvent être admis au séjour si leur relation est dûment attestée et durable ; dans ce cas la durée minimale de vie commune est de cinq ans. Enfin elle précise la position de l’administration vis-à-vis des conjoint·e·s marié·e·s de même sexe lorsque ces unions ont été conclues dans un État non membre de l’UE : examen possible mais vigilance particulière sur la « durabilité » de la relation, sans pour autant définir cette notion.

Ainsi, se dessine en creux le traitement applicable aux couples binationaux de même sexe dont le mariage a été conclu dans un pays membre de l’UE. La directive CE 2004 s’appliquant alors, le conjoint extracommunautaire se voit reconnaître la qualité de « membre de famille » de communautaire et se voit délivrer un titre de séjour d’une durée équivalente à celui de son conjoint. Nous verrons ci-dessous que c’est loin encore d’être le cas.

La circulaire de 2004 reconnaît aussi aux couples pacsés binationaux établis en France dont les deux membres sont issus de pays tiers le droit à une vie privée et familiale.

Parcours du « combattant »

Les couples franco-étrangers qui souhaitent s’installer en France se heurtent à de nombreux obstacles (conditions de ressources [2], instruction opaque des dossiers, corruption, retards répétés) à l’instar des couples hétérosexuels sollicitant un visa long séjour (VLS) depuis le pays d’origine. L’arbitraire est régulièrement observé et les refus de visa donnent lieu à contentieux. Quand la séparation des couples s’éternise, certains ne résistent pas à ce « parcours du combattant » [3]. Selon la jurisprudence CE 2010 [4], le partenaire étranger devait d’abord obtenir, preuves d’ancienneté du lien à l’appui [5], un premier visa (court séjour ou visiteur) pour se pacser en France, puis, une fois pacsé, retourner dans son pays d’origine y chercher un VLS valant titre de séjour (VLS TS) contraignant ainsi le couple à se séparer deux fois alors que son projet est de vivre ensemble. Les possibilités d’enregistrement d’un Pacs dans le pays d’origine du partenaire étranger semblaient limitées au cas où le partenaire français était enregistré de longue date comme résident dans ce pays. Or une modification de l’article 515-3 du code civil introduite en 2009 semble produire ses effets : la possibilité d’enregistrer le Pacs dans le lieu de résidence de l’étranger·e, à condition que le couple y fixe provisoirement sa résidence commune le temps de l’instruction de la demande du VLS TS [6]. Dans ce nouveau schéma, les consulats, suivant alors la jurisprudence CE 2010, et sous réserve des preuves du maintien du Pacs (aide mutuelle et matérielle, échanges épistolaires, visites), sont privés d’arguments pour justifier le refus de délivrance du VLS TS : la saisine par le partenaire étranger de la Commission de recours des refus de visa (CRRV) devient exceptionnelle. Mais cette procédure « simplifiée » (suppression de l’étape du visa court séjour au profit d’un Pacs dans le pays d’origine suivi d’une délivrance rapide du VLS TS) a ses limites. Le partenaire français n’a pas toujours la possibilité matérielle de partir vivre à l’étranger quelques mois pour y faire enregistrer son Pacs. Par ailleurs, déclarer une résidence commune dans un pays qui pénalise l’homosexualité peut s’avérer très risqué. Quand la ou le partenaire étranger LGBT candidat au Pacs est issu d’un de ces pays, il est vital que la France lui délivre sans délais un visa pour ne pas mettre en danger les deux partenaires, comme le prouvent des cas d’emprisonnement de Français au Sénégal ou en Tunisie. Une fois admis en France, la procédure du VLS TS prive pendant un an le titulaire d’un titre « visiteur » de l’accès au travail, disposition qui accroît la dépendance du partenaire étranger et pénalise économiquement les couples pacsés LGBT en les obligeant à choisir entre vie privée ou professionnelle. C’est pourquoi l’accès au VLS TS mention « vie privée et familiale » (VPF), qui autorise le travail, est aujourd’hui une revendication majeure des couples binationaux pacsés.

Difficile changement de statut

En dépit de la diversité des parcours individuels d’étrangers pacsés qui souhaitent voir reconnu leur droit à une vie privée et familiale et obtenir une carte de séjour temporaire (CST), il est fréquent qu’après un an de vie commune, la personne étrangère, en situation régulière, souhaite obtenir un changement de statut – d’étudiant, de salarié, de visiteur ou de malade à VPF –, ou, lorsqu’elle n’a pas de titre de séjour, qu’elle souhaite régulariser sur place sa situation administrative [7].

Bien que la circulaire de 2004 soit censée répondre à ces cas, trois difficultés sont à signaler. Premièrement, lors d’une demande de changement de statut, les autorités administratives tendent à exiger au minimum un an de vie commune après le Pacs, ce qui est contraire à l’esprit et la lettre de la circulaire de 2004 et ses suivantes.

Deuxièmement, nombre de couples binationaux récemment pacsés, mal informés, déposent, avant le délai d’un an, une demande de carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » pour l’étranger·e qui se voit alors opposer quasi automatiquement un refus de séjour assorti d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), parfois suivi d’un placement en rétention. En effet, la loi n’interdit pas de prononcer une mesure d’éloignement à l’encontre d’un étranger ayant déposé un dossier de Pacs avec un ressortissant français ou un étranger en situation régulière, y compris si ce Pacs est déjà enregistré. Pourtant, une jurisprudence du Conseil d’État de 2004, précise qu’en cas de Pacs, l’éloignement du partenaire étranger porte une atteinte excessive au respect de la vie privée et familiale : droit au séjour et éloignement y sont clairement distingués. D’où l’importance pour les couples pacsés concernés de bien contester auprès du tribunal administratif un refus de séjour assorti ou non d’une OQTF.

Enfin quand l’administration prend, au motif d’une vie commune et/ou d’une durée de Pacs insuffisamment longue, un arrêté de refus de séjour assorti d’une OQTF, le Ceseda ne prévoyant ni durée minimale de vie commune, ni durée minimale de Pacs, l’administration commet le plus souvent une simple erreur manifeste d’appréciation. Il arrive qu’elle commette une réelle erreur de droit, comme à Nancy envers un couple pacsé franco-marocain, en ajoutant au Ceseda l’exigence d’un an de vie commune, erreur qui conduisit la préfecture à abroger l’OQTF illégale et à délivrer le titre de séjour.

L’été 2011, nous rencontrons une Brésilienne mariée depuis quatre ans à une Espagnole vivant en France. Depuis leur mariage, la préfecture d’instruction leur refuse tout dépôt de dossier au motif, d’une part que ce mariage civil espagnol entre personnes de même sexe ne peut être reconnu en France, d’autre part que, quand bien même elles opteraient maintenant pour un Pacs, aucun droit à une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » ne peut être consenti à la compagne brésilienne. L’attitude de la préfecture est ambivalente : parce qu’elles sont mariées, celle-ci leur conseille de se pacser tout en leur disant que le Pacs est une impasse alors même que la circulaire de 2004 prévoit la possibilité de délivrer une CST-VPF au partenaire étranger pacsé avec un ressortissant européen. Le raisonnement de la préfecture est d’autant plus absurde qu’en leur conseillant de se pacser, elle les incite à une forme de parjure : en effet, tout projet de Pacs suppose d’être célibataire. Mais surtout, ce faisant, la préfecture méconnaît le droit européen relatif au droit de séjour des conjoints de citoyens européens édictés par la directive CE-2004 susmentionnée et par l’arrêt de la Cour de justice des cours européennes dit arrêt Metock du 25 juillet 2008 venu confirmer, le droit immédiat à la délivrance de titre de séjour de tout conjoint non communautaire d’un ressortissant européen établi dans un autre pays que le sien, quel que soit le mode d’entrée du ressortissant étranger. Conformément aux règles de l’UE, la préfecture se doit de délivrer un titre de durée équivalente à celui dont l’épouse espagnole peut se prévaloir (carte CE longue durée). La question de la reconnaissance ou non par la France des mariages entre personnes de même sexe ne peut entrer en ligne de compte s’agissant d’un mariage reçu par les autorités d’un État membre de l’Union. Confrontée à ce raisonnement, la préfecture concernée a délivré un récépissé de carte de dix ans, puis in fine une simple carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » d’un an.

« Vrai » couple

Des représentations sociales fortes sous-tendent ces textes juridiques et la pratique administrative à l’égard des couples binationaux. Les critères d’appréciation de « l’authenticité » du couple sont (hétéro) normatifs, réduits à la mesure de l’intensité, la stabilité et l’ancienneté de la relation [8]. Ces critères supposent, pour correspondre au « vrai » couple et obtenir la carte VPF, une durée de vie commune préalable de six mois en cas de mariage, contre un an en cas de Pacs. Comme pour tous les couples binationaux, rapporter la preuve d’un domicile commun (documents officiels où figurent les deux noms) – ce qui n’est pas toujours évident –, est une obligation aux yeux d’une administration prompte à récuser des dossiers de couples non cohabitants [9] à double résidence, alternée ou intermittente.

Le président Hollande et le gouvernement Ayrault ont annoncé l’ouverture du mariage à tous les couples. Comment la future loi impactera-t-elle les démarches des couples binationaux de même sexe [10] ? Cette avancée vers l’égalité des droits est souhaitable. Veillons cependant à ce que ce « droit au mariage » entre personnes de même sexe ne devienne pas demain, dans les démarches pour l’obtention d’un titre de séjour VPF, une « obligation ; », à l’instar de ce que vivent déjà les couples binationaux hétérosexuels, d’autant plus soupçonnés d’union « blanche » ou « grise » s’ils préfèrent le Pacs au mariage. Pourquoi demain ne pas offrir au Pacs les mêmes droits qu’au mariage en matière d’immigration, sachant que de nombreux couples hétérosexuels binationaux ne veulent pas se marier ?

Pour conclure, les procédures actuelles exposent encore les couples binationaux à l’exclusion, la précarité et la discrimination : refus de visas injustifiés d’où découle un risque accru de corruption ; séparations forcées ; privation du droit au travail pour le titulaire du VLS TS « visiteur » ; absence d’égalité entre la durée exigée de vie commune pour les mariés et les pacsés ; difficulté de contracter un Pacs à l’étranger lorsque l’on n’est pas résident et absence de reconnaissance civile en France des mariages contractés à l’étranger par deux personnes de même sexe. Revenir à la situation de 2002 où les consulats avaient l’obligation de justifier tout refus de visa [11], et sécuriser, dès l’entrée et dans la durée, y compris quand la communauté de vie est aménagée ou rompue, le droit au séjour des personnes étrangères LGBT en tenant compte de la diversité de leurs parcours, sont deux objectifs prioritaires. Pourtant, et une fois de plus, il semble bien que les conjoints ou partenaires étrangers de Français soient les grands exclus de la dernière circulaire, dite « de régularisation », qui ne fait que confirmer celle de 2004 [12].




Notes

[1L’Ardhis compte aujourd’hui 500 membres et mène des combats pour le respect du droit à la vie privée et familiale des conjoint·e·s de même sexe, du droit d’asile LGBT et du droit au séjour des étranger·e·s en général, particulièrement méconnus des personnes étrangères LGBT.

[2Selon le Migrant Integration Policy Index, le revenu minimum exigé de la personne qui prend en charge l’étranger·e est de 12840 euros par an en France : www.mipex.eu/blog/cant-buy-me-love ; la procédure pour obtenir un visa long séjour s’adresse de fait à un public LGBT de classe moyenne ou aisée.

[4Depuis 2008, l’Ardhis a rédigé de nombreux recours en référé devant le CE. Un de ces jurisprudences fait date en précisant la double procédure à suivre : CE, Juge des référés, 27/05/2010, n° 338507, Inédit au Lebon : legimobile.fr/fr/jp/a/ ce/ad/2010/5/27.

[5L’intrusion des consulats dans la vie privée des couples pour la constitution des dossiers de visa est sans limites : divulgation de factures téléphoniques, de transferts monétaires, de correspondances, de photographies et de courriels.

[6Allant dans ce sens, le juge des référés du tribunal administratif (TA) de Nantes a, dans son ordonnance n° 1201728 du 19 mars 2012, rejeté la demande de VCS d’un Colombien pour se pacser en France au motif que « les intéressés ont la possibilité dans un premier temps de conclure ce Pacs devant les autorités consulaires françaises en Colombie », sachant qu’au moment de la demande de VCS le partenaire français résidait en France. Le couple s’est donc pacsé en Colombie en y fixant sa résidence provisoire et le VLS a été délivré très rapidement.

[7Des personnes entrées de manière irrégulière sur le territoire français, ou qui ne sont plus en situation régulière au moment de la démarche.

[8Manuela Salcedo, « Bleu, blanc, gris… la couleur des mariages », L’Espace Politique, 13 | 2011-1 [En ligne].

[9Ce que les sociologues anglo-saxons de la famille nomment le « Living apart together » (LAT).

[10Voir dans ce numéro article p. 7.

[11Voir la demande de procédure uniforme, quel que soit le consulat, faite par les Amoureux au ban public et l’Ardhis dans leur plateforme, lors des élections présidentielles de 2012 : www.couples-binationaux.fr

[12Circulaire du 28 novembre 2012. Lire le communiqué des Amoureux au ban public et de l’Ardhis :www.amoureuxauban.net/2012/11/28/communique-de-presse-pas-de-regularisation-pour-les-etrangers-maries-a-une-ressortissante-francaise/. Voir aussi www.gisti.org/spip.php?article2957


Article extrait du n°95

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Dernier ajout : jeudi 20 août 2020, 14:15
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