Pincée d’asile de complaisance ici, coups de matraques là
Dans le Calaisis comme à Paris, l’invisibilisation mortifère des personnes persécutées

Qu’elle était commode l’interminable période où migrantes et migrants coulaient en Méditerranée ! Tellement commode qu’en septembre 2014, le ministre de l’intérieur n’avait pu se retenir de regretter la multiplication des secours. À ses yeux, si l’« opération de sauvetage de la marine militaire italienne [Mare Nostrum] a permis le sauvetage de nombreux migrants en mer, [elle] a aussi eu pour conséquence de créer des points de fixation des migrants dans le nord de la France » [1].

Que faire désormais en France des personnes ainsi rescapées, alors que, soucieuse d’améliorer son image dans la perspective de ses prochaines opérations militaires contre les passeurs de Libye, l’Union européenne pérennise ces secours ?
Les unes - de l’ordre de 3 000 actuellement - s’entassent dans l’immonde ghetto Jules-Ferry de Calais [2], d’autres - plusieurs centaines - dans les « jungles » de Norrent-Fontes ou de Steenvorde, et aussi au nord de Paris, au risque d’une visibilité que, depuis la fermeture du camp de Sangatte en 2002 par Nicolas Sarkozy, tous les gouvernements, y compris l’actuel, se sont efforcés de réduire à néant.

Dans le Nord-Pas-de-Calais, les 18 et 19 mai, les pouvoirs publics ont tenté la manière douce en cherchant à séduire, de façon discriminatoire, quelques dizaines d’Érythréens et d’Érythréennes éberlué·e·s, avec l’aide complaisante d’un Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) qui, pour les besoins de la cause, a soudain octroyé sa protection à celles et ceux d’entre eux qui se trouvaient au bon moment au bon endroit, alors qu’il l’avait refusée à 76 % des mêmes en 2014.

À Paris, le 2 juin, opération similaire de charme auprès du squat de La Chapelle où survivaient depuis des mois, sous la ligne de métro, près de 400 exilé·e·s notamment d’Érythrée, d’Éthiopie ou du Soudan. Là encore, le concours zélé de l’Ofpra appuyé par de supposés spécialistes du « diagnostic social » vise à conférer une coloration humanitaire à la dispersion d’un regroupement dont la visibilité croissante pouvait finir par susciter des questions politiquement gênantes.
Mais l’administration se comporte avec tant d’arbitraire et de désinvolture, notamment en matière d’offres d’hébergement, que les victimes de son escroquerie se regroupent à proximité de leur ancien refuge, sans cesse harcelées par des forces de police qui veillent au maintien des conditions de leur invisibilité. M. Cazeneuve, lui, est satisfait. Il juge, le 6 juin à Stuttgart, qu’il s’agit là de la « solution la plus humaine possible » [3], dans des termes identiques à ceux qu’il avait employés le 28 août 2014 après avoir donné son feu vert à la création du ghetto Jules-Ferry de Calais [4], confirmant ainsi que, s’agissant des personnes migrantes, « humanité » rime avec « invisibilité », autrement dit avec une sorte de mort civile.

Seulement voilà, ces personnes migrantes, qui ont fui leurs pays au nom de leur droit à l’existence en risquant leur vie, ne veulent d’aucune mort. Elles ont appris que leur éparpillement les condamnera au néant, que leur reconnaissance tient à leur regroupement. Et, face à cette détermination, fini de rire : l’usage de la force ne s’embarrasse plus de la moindre humanité. Les matraques pleuvent, le 8 juin, sur le parvis de la halle Pajol contre les récalcitrant·e·s qui entendent ne pas disparaître.
Qu’elle soit physique ou civique, la mort fait partie de l’arsenal que l’Union européenne déploie à l’encontre des personnes qui s’exilent pour vivre : en essayant de les empêcher de quitter leurs pays ou des pays de transit comme la Libye, en assistant les bras croisés à leurs naufrages en mer, ou, quand elles parviennent malgré tout sur son territoire, en les plaçant dans les plus mauvaises conditions pour prétendre à sa protection.
Et, dans ce registre, la France fait partie des États les plus déterminés comme en témoignent la situation dans le Calaisis et les violences des derniers jours dans sa capitale.

Le Gisti a saisi le Défenseur des droits sur la base des récits des nombreuses personnes (migrant·e·s, militant·e·s, élu·e·s) témoins ou victimes des violences policières qui se sont déchaînées devant la halle Pajol le 8 juin 2015 [5].

Paris, le 9 juin 2015

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Dernier ajout : jeudi 1er février 2024, 16:31
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