Témoignage n° 1 - Devant la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile (PADA) à Paris
Le 12 janvier 2017 : plus de 120 personnes attendent devant la PADA ; il fait très froid. Les rendez-vous qui sont donnés sont à plus de 3 semaines pour revenir à la PADA au lieu des 3 jours prévus par la loi. Plus d’un tiers des personnes n’auront pas été reçues ce jour. Une personne de FTDA a expliqué à une personne qui n’avait pas pu entrer qu’il fallait dormir sur place pour être sûr de rentrer...
Paris, 127 boulevard de la Villette, plateforme d’accueil des demandeurs d’asile (PADA) gérée par France Terre d’asile (FTDA).
23 novembre 2016.
C’est là, d’après la loi [1], qu’il faut se rendre, lorsqu’on se trouve à Paris, pour faire enregistrer sa demande d’asile.
La loi dit aussi que les autorités ont trois jours pour enregistrer les demandeurs et demandeuses d’asile isolé.e.s [2] qui se manifestent auprès d’elles pour déposer une demande de protection en France.
La loi précise enfin que si une personne n’enregistre pas sa demande d’asile dans les 120 jours après son arrivée en France, elle est placée en procédure accélérée (ce qui entraîne un traitement expéditif de sa demande et une privation possible de ses droits).
Le témoignage ci-dessous illustre les dysfonctionnements chroniques qu’on observe depuis la mise en place des PADA, plateformes d’accueil des demandeurs d’asile, en 2015, qui ont été confiées à divers opérateurs.
La situation à Paris n’est pas représentative de ce qui se passe ailleurs en France ; elle n’est pas non plus unique.
Et les défaillances qu’on observe ici ou là sont plutôt un symptôme de l’absence de volonté d’accueillir les demandeurs d’asile...
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Je suis arrivée un peu avant 9h, l’heure indiquée pour l’ouverture des portes de la PADA. Deux files de personnes : une à droite avec environ 80 personnes, une à gauche, environ 180 personnes.
Les personnes de la file de droite ont des rendez-vous donnés précédemment par la PADA, matérialisés par un ticket. Elles ont dû être très persévérantes et chanceuses car il faut être passé par l’autre file (voir ci-dessous) pour obtenir ce fameux ticket. Il y a peu de temps, ces tickets, très difficiles à obtenir, étaient donnés pour des rendez-vous à plusieurs semaines. Aujourd’hui, le délai serait tombé à quelques jours. A priori, les personnes de la file de droite vont entrer : c’est ce qui se passe après un contrôle des tickets par un agent de FTDA. Elles sont arrivées tôt ce matin car, même avec un rendez-vous, elles savent qu’il est très difficile d’entrer dans la PADA. C’est seulement après être entrées dans la PADA qu’elles seront considérées comme demandeurs d’asile puisque le rendez-vous débouche sur une convocation dans une préfecture d’Île-de-France.
Dans l’autre file, celle de gauche, des exilé.e.s venu.e.s pour demander l’asile « sans rendez-vous » (avec l’espoir d’en obtenir un pour une prochaine fois). Les exilé.e.s sont arrivé.e.s très très tôt. Un Afghan m’explique avoir essayé à neuf reprises d’être reçu, mais que les portes se sont toujours fermées avant qu’il ait pu rentrer. Il a donc choisi de dormir à proximité pour augmenter ses chances d’accéder au guichet.
On rencontre dans cette file des femmes isolées, des hommes, des couples et des jeunes voire très jeunes hommes et femmes [3]. Tout le monde est debout, compressé entre le mur de la PADA et des barrières en métal qui ont été installées par FTDA pour délimiter la file. La police nationale est présente. Cinq policiers sont placés près de l’entrée de la PADA, équipés d’une « gazeuze » qu’ils dégainent volontiers , prêts à s’en servir pour faire régner le calme. C’est le travail de la police : que les demandeurs et demandeuses d’asile attendent « dans le calme ».
Les agents de FTDA, vigiles et autres, saluent les policiers en allant leur serrer la main. Personne, en revanche, ne salue les 260 exilé.e.s qui attendent devant les locaux depuis des heures et dans le froid.
Avant l’ouverture de la porte, il faut se ranger, ne pas dépasser de la file – pour les exilé.e.s et pour les gens qui accompagnent, il ne faut pas gêner, rester sur le trottoir d’en face, ne pas prendre de photos, ne pas filmer… une privatisation du trottoir qui devient un espace où l’arbitraire règne en maître.
Trois policiers viennent dire à des gens qui se trouvent à côté de moi – mais qui n’ont pas la même couleur de peau – qu’il ne faut pas rester là. Qu’ils peuvent attendre plus loin mais qu’il ne doivent pas rester sur cette partie de trottoir. A moi, personne ne dit rien – parce que j’ai la bonne couleur ? Visiblement, je gêne, mais on me tolère.
Deux femmes, âgées d’environ une trentaine d’années, rejoignent leurs copines qui font la queue. Elles étaient là avant, sont parties, puis revenues. Une policière leur dit d’aller à la fin de la queue ; « qu’elle les a bien vues, elles essayent de passer devant tout le monde ces petites malignes ; elles ne respectent pas les autres ; vous bougez à la fin ; moi vivante vous ne rentrerez pas » « la prochaine fois faut arriver plus tôt ». Les femmes essayent de s’expliquer mais que faire faire face à un mur qui ne parle que le français. Ces deux femmes isolées seront ramenées par un policier en fin de file. Elles ne rentreront pas aujourd’hui. Ces femmes sont isolées et ont dû arriver par le premier métro. C’est le système mis en place par FTDA aujourd’hui. Qu’on soit mineur, femme isolée ou femme isolée enceinte, « pas de favoritisme ».
9h20. La porte s’ouvre. Les gens se tassent un peu pour espérer entrer. Et là c’est le déchaînement.
Les policiers, en particulier une policière, hurlent : « ne poussez pas sinon je vous gaze », « si vous poussez on referme la porte et personne n’entre » ; « arrêtez où je gaze et là vous allez courir pour quelque chose ». La même policière décide ensuite de monter sur une barrière métallique, gazeuse à bout de bras, et hurle : « arrêtez où je vous gaze ».
Les personnes qui sont dans la file de gauche et qui ont des rendez-vous commencent à entrer.
Celles qui n’en ont pas attendent. Et elles vont attendre longtemps. Des policiers se mettent alors à discuter à voix haute en parlant des exilé.e.s qui attendent dans la file : « regarde comme ils sont dégueulasses, ils ne ramassent même pas leurs merdes » (leurs « merdes » étant des cartons sur lesquels ils ont été obligés de dormir cette nuit pour espérer obtenir un rendez-vous, et quelques bouteilles d’eau) ; « ils sont pires que des animaux » ; « ils se marchent dessus ».
Une « riveraine » âgée vient se plaindre auprès des policiers car elle en a assez de tout ces gens qui laissent leurs cartons.
Le directeur de la PADA vient me demander ce que je fais là. Je lui dis que j’accompagne quelqu’un. Il me dit qu’il n’y a pas besoin d’accompagnant. Que je peux partir. Si je suis là pour aider à la traduction ce n’est pas la peine, ils s’en occupent [4].
Que ce soit les vigiles ou la police, le discours est le même : « si vous poussez on ferme la porte », « tout le monde va entrer ».
Le directeur de la PADA parle à une personne solidaire venue voir ce qui se passe. Il lui explique que les gens ont maintenant des rendez-vous à la PADA dans les 2 ou 3 jours puis un rendez-vous à la préfecture assez vite. Les faits démontrent le contraire (voir plus loin).
10h. Le vigile demande à une femme enceinte qui se trouve après le premier tiers de la file de s’approcher. Après avoir attendu des heures dans le froid et debout, elle sera prise en priorité ; tout ça pour ressortir quelques minutes plus tard… car pour les femmes enceintes ce n’est pas ici qu’il faut faire la queue mais à la CAFDA dans le 20ème arrondissement de Paris. Personne n’a pris le temps de lui dire avant.
Dès 10h, les personnes qui arrivent et qui ne sont pas blanches sont empêchées d’approcher par les policiers, toujours gazeuse à la main. La police veut éviter que des exilés ne grossissent la file ou ne s’installent sur le trottoir pour camper en espérant entrer le lendemain [5] .
Rappelons encore une fois que tout cela est illégal. L’accès à la PADA doit être inconditionnel et la demande enregistrée par la préfecture dans les trois jours.
De l’autre côté de la file, d’autres policiers expliquent à des gens qu’il faut partir et ne pas rester devant la PADA. Qu’il faut revenir un autre jour. Qu’après « la dame au foulard jaune les gens ne pourront pas entrer aujourd’hui » (la « dame au foulard jaune » est l’une des deux femmes repoussées en fin de file. Elle ne pourra pas non plus entrer ce jour-là).
Les gens qui sont dans la file entrent, en général 10 par 10. A chaque fois que la porte s’ouvre, c’est le même scénario. Les policiers menacent : « Si vous poussez on ferme et on gaze », « tout le monde va entrer ». Le vigiles de FTDA disent aussi que la porte restera fermée. Les policiers interviennent maintenant dans la file. Ils poussent les gens et leur demandent de se mettre tous les uns derrière les autres. Ils serrent ensuite les barrières en métal contre la file.
À 10h20 une trentaine de personnes sont entrées.
Des gens commencent à ressortir. Ceux qui avaient des rendez-vous sortent avec des convocations qui peuvent être pour n’importe quelle préfecture d’Île-de-France. Une personne ressort avec un rendez-vous à Nanterre pour le 21 décembre (soit un délai de plus de vingt-neuf jours, auxquels il faut ajouter les jours durant lesquels elle s’est fait refouler de devant la PADA). Pour les autres, pas de rendez-vous non plus pour la préfecture dans les trois jours, comme le prévoit la loi, mais des tickets pour revenir à la PADA vendredi matin. Il faudra donc changer de file la prochaine fois.
À 11h30 la porte est fermée définitivement. Il reste une centaine d’exilé.e.s sur le carreau. Pour eux rien. Pas de ticket et pas d’explication non plus sur ce qui se passe [6] .
*****
Les personnes reparties sans avoir pu enregistrer leur demande, se retrouvent dans une situation de grande précarité.
- En cas de contrôle - et les contrôles sont très nombreux à Jaurès, Stalingrad et La Chapelle en ce moment -, elles seront emmenées au commissariat et la police leur remettra une obligation de quitter le territoire (OQTF), puisque, n’ayant pas pu obtenir le statut de demandeuses d’asile, elles se trouvent en situation irrégulière sur le territoire.
- Si elles sont relâchées (ce qui est souvent le cas car elles viennent en général de pays vers lesquels il est difficile voire interdit de les renvoyer), cela ne les empêchera pas de demander l’asile mais elles seront placées en procédure accélérée (procédure plus expéditive). L’Ofii, comme il fait de plus en plus systématiquement, coupera brutalement leurs droits (allocation et hébergement), et une bataille devra s’engager pour les faire rétablir.
Dissuadées quotidiennement d’accéder au guichet, celles qui se heurtent aux barrières des PADAs sont donc sanctionnées alors même qu’elles ont essayé de faire valoir leurs droits dans les délais.
De nombreux contentieux ont été menés par des associations pour faire condamner la préfecture et permettre aux exilé.e.s d’avoir des rendez-vous car l’accès à la PADA de Paris [7] est difficile, voire quasi-impossible, depuis novembre 2015 [8] ; pour la plupart, ces contentieux ont été des succès.
Les conditions d’accès aux démarches d’asile des exilé.e.s ont toujours été difficiles en région parisienne. Ce qui a changé, c’est que ce sont désormais les associations prestataires qui font ce travail d’accueil des nouveaux arrivants aux lieu et place de la préfecture. Ainsi, avant de voir sa demande enregistrée par le guichet unique (préfecture et Ofii), il faut être passé par la case PADA, très difficile d’accès.
La PADA gérée à Paris par FTDA a accepté de faire ce travail de pré-accueil en répondant à un marché public ; elle est donc devenue prestataire de l’Ofii, donc de l’État .
Laisser les gens à la rue, sans qu’ils puissent enregistrer leur demande d’asile est illégal. C’est pourtant une pratique qui existe depuis des années. La différence, c’est qu’avant la réforme de 2015 c’est la préfecture qui assumait cette illégalité. Aujourd’hui c’est FTDA à Paris, et d’autres structures associatives en Île-de-France (Coallia, Facem) qui ont accepté de faire ce travail de tri et de contrôle, dans des conditions qui ne respectent pas la loi.
Depuis plusieurs mois, la police est devenue une pièce à part entière du dispositif, ce que tout le monde a l’air de trouver normal, voire même légitime. Elle est présente à la demande de FTDA, qui y a fait appel lorsqu’un campement de réfugiés s’est installé juste en face de la PADA. Or dormir sur place est la seule solution pour essayer d’être bien placé dans la file le lendemain... Pour FTDA, le système fonctionne mieux grâce à la police (sic).
Quand on est face à une telle machine d’État où règnent l’arbitraire et la répression, faire reconnaître ses droits et obtenir une protection en France est un parcours du combattant, aussi épuisant et inhumain que tout ce que les réfugié.e.s ont vécu lors de leur parcours d’exil.
Pour aller plus loin :
Voir les fiches pratiques du Gisti « Demander l’asile en France »
1. L’accueil des demandeurs d’asile (la plate-forme d’accueil PADA) :
2. Les premières démarches au guichet unique de demande d’asile (GUDA : préfecture et Ofii)
Notes
[1] Ceseda, Art. L. 741-1. Voir aussi Gisti, 1. L’accueil des demandeurs d’asile (la plate-forme d’accueil PADA)
[2] Une autre plateforme, gérée par la CAFDA, est prévue pour les familles et femmes enceintes.
[3] Lors d’une réunion avec les associations au mois de juillet 2016, le directeur de la PADA avait pourtant expliqué que FTDA essayait de protéger en priorité les jeunes femmes isolées.
[4] En grande majorité, les exilés qui sont entrés à la PADA se plaignent de l’absence interprète à l’intérieur. Pourtant le cahier des charges signés par FTDA prévoit une assistance à l’aide au récit et à l’interprétariat.
[5] Dans de nombreuses PADAs d’Île-de-France, les exilés qui dorment devant la PADA ne sont pas accueillis, les agents des PADAs expliquent qu’il faut aller dormir un peu plus loin. Comme si cacher les exilés à la rue permettait de résoudre le problème.
[6] Elle est pourtant simple : les rendez-vous sont donnés par les préfectures d’Île-de-France. FTDA distribue des tickets en fonction des places affichées comme disponibles dans les différentes préfectures sur une base de données commune, sachant que toutes les PADAs d’Île-de-France font la même chose en même temps. Une fois qu’il n’y a plus de rendez-vous disponibles dans la base de données, la porte de la PADA se referme.
[7] Les mêmes constats sont fait dans toutes les PADAs d’Île-de-France et dans certaines PADAs en province.
[8] Date d’entrée en vigueur de la loi précitée
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