Accès aux soins pour les chibanis et chibanias : assez de fake news ! respectons leurs droits

La désinformation bat son plein : « Les chibanis retraités peuvent désormais être soignés en France où qu’ils vivent » [1]. Cette petite musique, portée par le blog [2] et les interventions d’une parlementaire [3] et par la communication gouvernementale [4] a de nouveau été complaisamment relayée à la suite d’une récente conférence de presse à l’Assemblée nationale le 23 juillet 2019.

Il s’agit de faire l’éloge d’un texte promulgué fin 2018 [5], qui modifie les conditions de la prise en charge par l’assurance maladie des frais engagés en France par les personnes retraitées qui n’y résident pas. Or ce texte, s’il améliore la condition de quelques-unes d’entre elles, en exclut beaucoup d’autres. Et surtout il ne change rien à un problème majeur : l’application discriminatoire de la réforme intervenue en 2016, qui aboutit à exclure de la prise en charge des frais de santé la plupart des personnes retraitées non ressortissantes d’un pays de l’UE.

La désinformation doit cesser. Les personnes retraitées résidant à l’étranger doivent voir leur droit à une prise en charge des frais de santé respecté. Et pour cela il faut des actes, pas des paroles trompeuses au service d’une communication politique cynique

Le 26 juillet 2019
Voir aussi la Note de synthèse de l’ODSE, 17 avril 2018 : « Procédure CNAREFE et ressortissants étrangers non-UE »

Pour aller plus loin

La réforme législative dont il est question découle de l’article 52 II. 4° de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, adoptée en décembre 2018, qui modifie l’article L. 160-3 du code de la sécurité sociale (CSS).

L’article L. 160-3 du code de la sécurité sociale prévoit déjà, depuis le 1er janvier 2016, la prise en charge par l’assurance maladie des soins engagés par les personnes titulaires d’un régime français de retraite et qui se trouvent en séjour temporaire en France alors qu’elles n’y résident pas [6]. Cette prise en charge est logique puisque ces personnes, quelle que soit leur nationalité, ont travaillé et cotisé au régime d’assurance maladie pendant de longues années, et continuent du reste à le faire puisque des cotisations spécifiques sont prélevées à cette fin sur les pensions des personnes non-résidentes. La désinformation dénoncée ici porte sur deux points : • la modification de l’article L. 160-3 CSS améliore certes le droit pour quelques-unes, mais en excluant beaucoup d’autres (I) • surtout, cette réforme ne change rien au problème majeur, à savoir l’application discriminatoire par les administrations de la réforme entrée en vigueur en 2016, qui conduit à empêcher l’accès de la plupart des personnes retraitées d’un régime français qui sont non ressortissantes d’un pays de l’UE (II)

(I) La réforme facilite l’accès au droit pour certaines personnes retraitées mais en exclut beaucoup d’autres

Les organes de presse bien informés ne s’y sont pas trompés en titrant « Mauvaise surprise pour les retraité s vivant à l’étranger ! » [7] et en relayant l’explication donnée à l’occasion de l’entrée en vigueur de la modification législative au 1er juillet 2019 par l’administration en charge de ces questions, le Centre des liaisons européennes et internationales de sécurité sociale (CLEISS) : « Couverture maladie en France des retraités résidant à l’étranger (hors UE/EEE/Suisse) : durcissement des conditions d’accès »CLEISS, 1er juillet 2019 - www.cleiss.fr/actu/2019/1907-15-ans-acces-maladie-retraites.html.

Avant la réforme, la prise en charge prévue par l’article L. 160-3 CSS était conditionnée au fait de ne pas pouvoir être pris en charge par la sécurité sociale du pays de résidence, dans le cadre d’une convention bilatérale de sécurité sociale passée entre la France et ce pays (il en existe une quarantaine). Cette limitation interdisait donc l’accès à cette prise en charge par le système français - un problème qui concerne des personnes retraitées « bi-pensionnées » percevant à la fois une pension d’un régime français et d’un régime de leur pays de résidence, parmi lesquelles un nombre croissant de personnes de nationalité française [8] installées dans un pays hors UE/EEE/Suisse [9].

La réforme a supprimé cette limitation, surtout pour les Français de l’étranger [10]. Mais elle l’a fait en durcissant simultanément les conditions d’accès puisque la validation d’au moins quinze années de cotisations au titre de la retraite du régime français est désormais exigée. Le progrès pour certaines personnes retraitées se fait donc au prix de l’exclusion de celles ne justifiant pas de quinze années de cotisations en France, en particulier celles qui résident dans un pays non UE/EEE/Suisse non couvert par une convention bilatérale de sécurité sociale. Cette nouvelle exclusion va toucher en pratique des personnes de nationalité française ou européenne, puisque les personnes ressortissantes d’un pays non membres de l’UE/EEE/Suisse sont quant à elles déjà exclues pour la plupart par des pratiques administratives restrictives contestables.

(II) Une réforme qui ne change rien au principal problème : les pratiques d’exclusion discriminatoires pour les étrangers non UE

Avant ou après la réforme, la plupart des personnes retraitées non UE et ne résidant pas en France sont toujours exclues de la prise en charge des frais de santé lors de leur séjour temporaire, non parce qu’elles seraient bi-pensionnées, mais en raison de l’application contestable de l’article L. 160-3 du code de la sécurité sociale, et ce depuis son entrée en vigueur le 1er juillet 2016.

L’article L. 160-3 CSS est conçu comme une dérogation au principe général qui exige que seules peuvent voir leurs soins de santé pris en charge par l’assurance maladie les personnes remplissant la condition de résidence stable et régulière [11]. Or, l’administration – via le Centre National des Retraités de France à l’Étranger (CNAREFE) chargé d’examiner les demandes - exige des personnes non ressortissantes d’un pays de l’UE qu’elles remplissent cette condition, non prévue par les textes, en demandant la production d’un titre ou document de séjour [12]. Pire, elle refuse même des documents attestant de la régularité du séjour, en limitant à certains documents que la plupart de personnes ne détiennent plus et ne peuvent plus obtenir puisqu’elles ne résident plus en France parfois depuis très longtemps. Cet obstacle est rédhibitoire pour la très grande majorité des personnes étrangères non UE qui résident à l’étranger.

L’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE) a saisi en 2018 la ministre et la CNAM de ces dénis de droit, en produisant une analyse détaillée [13], et en demandant qu’il y soit remédié. Aucune réponse, malgré de nombreuses relances, n’y a été apportée.

Au vu d’un courrier de juin 2019 envoyée par la ministre à une parlementaire [14], il semblerait qu’un petit progrès pourrait intervenir avec l’acceptation des visas Schengen, refusés depuis 2016 alors qu’il s’agit souvent de la pièce que peuvent produire les étrangers non UE lors de leur séjour temporaire en France. Mais, à ce jour, l’administration concernée n’a toujours pas modifié ses exigences sur ce point [15].


[4Courrier de la Ministre des solidarités et de la santé du 9 juin 2019. Première page reproduite dans l’article « France : La mesure en faveur des chibanis rendue publique à l’Assemblée nationale », Yabiladi, 24 juillet 2019, www.yabiladi.com/articles/details/81477/france-mesure-faveur-chibanis-rendu.html

[5Article 52 II. 4° de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 (loi n°2018-1203 du 22 décembre 2018)

[6Ceci concerne également les titulaires d’une pension d’invalidité ou d’une rente d’accident du travail ou maladie professionnelle servie par un régime français de sécurité sociale.

[8Un problème soulevé dans le rapport « La mobilité internationale des Français » remis par la députée Anne Genetet au premier ministre en septembre 2018.

[9Les personnes retraitées résidant dans un autre pays UE/EEE/suisse sont couvertes lors de leur séjour temporaire en France dans le cadre de la coordination européenne des systèmes de sécurité sociale.

[10Faciliter la vie et la mobilité des Français de l’étranger était bien l’objectif comme en atteste la réponse de la Direction de la sécurité sociale, citée par la presse (Capital, 23 juillet 2019 précité) : « cette nouvelle mesure ne devrait affecter que très peu de Français, puisque selon les dernières statistiques publiées par la Dress, Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) les retraités résidant à l’étranger nés en 1926 valident en moyenne 19,75 années, tandis que ceux nés en 1946 en valident 28,25 années en moyenne ».

[11Articles L.160-1 et L.160-5 du code de la sécurité sociale.

[12Ces exigences figurent notamment sur le site de la caisse dédiée (CNAREFE) où les demandes doivent être faites www.ameli-rfe.fr et confirmées par une Lettre réseau de la CNAMTS (LR-DDGOS-64/2017 du 3 aout 2017) non publiée, mais figurant sur cette page : www.gisti.org/spip.php ?article2413

[14Courrier de la Ministre des solidarités et de la santé, 9 juin 2019 (première page publiée par Yabiladi, 24 juillet 2019).

[15Voir le FAQ sur le site d’inscription du Centre National des Retraités de France à l’Étranger (CNAREFE) www.ameli-rfe.fr

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Dernier ajout : vendredi 26 juillet 2019, 15:03
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