La radicalisation… de l’ordre public

 Mercredi 6 novembre 2019 : la brigade de gendarmerie de Norrent-Fontes (Pas-de-Calais) mobilise sept gendarmes, un hélicoptère et trois véhicules pour confisquer deux tentes et trois bâches posées en plein champ entre une autoroute et une route nationale, en présence de six des exilé·es qui s’y s’abritaient et de quelques bénévoles venus leur apporter des crêpes ; l’une de ces bénévoles sera ensuite convoquée et entendue à la gendarmerie pour « dépôt d’immondices ». Ou quand le grotesque le dispute au honteux.

 Jeudi 14 novembre 2019 : le préfet du Val-de-Marne renvoie vers son pays d’origine un demandeur d’asile vénézuélien incarcéré à Fresnes - qui avait difficilement obtenu l’enregistrement de sa demande d’asile sur injonction d’un juge - alors qu’il était convoqué quelques jours plus tard à un entretien avec un officier de protection de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Ou quand un représentant de l’État s’assoit sur le droit d’asile.

 Samedi 16 novembre 2019 : à la sortie du tribunal qui vient de les relaxer de poursuites du chef de « groupement en vue de commettre des violences », une femme et un homme de nationalité belge interpellé·es pendant une manifestation des « gilets jaunes » sont enfermé⋅es en rétention par le préfet de police de Paris qui a délivré à leur encontre une obligation de quitter le territoire français ; motif ? leur comportement personnel constituerait, « du point de vue de l’ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l’encontre d’un intérêt fondamental de la société ». Ou quand, pour étouffer le droit de manifester, les textes protégeant les citoyen.nes de l’Union européenne contre une expulsion sont délibérément transgressés.

 Jeudi 21 novembre 2019 : le premier président de la cour d’appel de Paris valide le placement en rétention pour 28 jours, décidé par le même préfet de police de Paris et pour le même motif, d’un Italien établi en France, interpellé le 16 novembre au soir près de son domicile parisien alors que la manifestation des « gilets jaunes » est terminée et qu’aucune charge n’a été retenue contre lui à l’issue de sa garde à vue. Ou quand un juge prête la main à la violation du droit européen pour se ranger, coûte que coûte, du côté de la répression de la contestation.

Regrettables exceptions ? Simples bavures ? En réalité, il ne se passe pas de jour sans que des personnes étrangères soient la cible de la violence institutionnelle qui, s’exerçant indistinctement sur les plus précaires, va crescendo au fur et à mesure que l’exécutif se raidit. Sans surprise, elle s’étend aux étrangers et étrangères soupçonné·es de s’associer aux manifestations d’une opposition populaire.

La doctrine de maintien de l’ordre aujourd’hui à l’œuvre libère une violence policière assumée, destinée à dissuader d’apparaître ou de se maintenir dans l’espace public aussi bien des exilé·es dans le plus complet dénuement que des manifestant·es dont l’insistante détermination dérange.

En accumulant ces démonstrations de crispation autoritariste, des préfets et des juges se font les premiers de cordée d’une nouvelle conception de l’ordre public, un ordre public de combat qui maltraite, nasse, frappe disperse et expulse dans un même mouvement.

Instruments de contrôle des étrangers et de répression de la contestation sociale sont indifféremment activés par les tenants d’une politique également hostile aux un·es et aux autres. Comme s’ils anticipaient, en somme, la convergence des luttes de tou⋅tes celles et ceux qui subissent aujourd’hui la violence d’un ordre public radicalisé.

Le 2 décembre 2019

Voir notre dossier « Jungles, campements et camps d’exilés en France »

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Dernier ajout : jeudi 1er février 2024, 16:20
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