Article extrait du Plein droit n° 130, novembre 2021
« Étrangers au ban de la fac »

Mobilités étudiantes internationales : l’attractivité de la France

Lama Kabbanji, Antonina Levatino et Sorana Toma

Chargée de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), UMR CEPED et LPED, membre de l’Institut Convergences Migrations (ICM) et de l’observatoire MobÉlites ; Chercheuse, département de sociologie, Université autonome de Barcelone ; Professeure adjointe, Center for Migration and Refugee Studies, Department of Public Health and Primary Care, Université de Gand

Sixième pays d’accueil des étudiants étrangers à l’échelle internationale, et troisième en Europe derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne [1], la France s’est engagée depuis 2018 dans la mise en place d’une nouvelle « stratégie d’attractivité pour les étudiants internationaux », dénommée « Bienvenue en France » – réponse supposée au constat d’un ralentissement des mobilités étudiantes vers le pays. Comment la place relative de la France a-t-elle évolué ces deux dernières décennies dans un contexte international de compétition accrue pour ce type de migrants ? Et quelles sont les raisons qui conduisent les étudiants internationaux à choisir la France par rapport à d’autres pays ?

L’un des plus grands défis de l’étude de la mobilité étudiante est lié aux différentes manières dont celle-ci est définie dans les bases de données nationales qui comptabilisent dans certains cas les « étudiants étrangers », soit ceux qui étudient dans un pays dont ils n’ont pas la nationalité et dans d’autres, les « étudiants internationaux », ceux qui n’ont pas leur résidence permanente dans le pays où ils étudient. Ce groupe est aussi parfois désigné, notamment dans les bases de l’OCDE, comme « étudiants non résidents » et peut comprendre ceux qui ont terminé leurs études secondaires dans un autre pays.

La mobilité internationale pour études a connu une croissance constante et rapide ces deux dernières décennies, de manière plus marquée que les autres formes de migration : si en 1998 il y avait près de deux millions d’étudiants en mobilité, ils étaient 5,6 millions en 2018 selon les données de l’Unesco. Cette augmentation s’explique à la fois par la progression du nombre d’inscriptions dans l’enseignement supérieur dans le monde et par les mesures mises en place dans différents pays pour attirer des étudiants internationaux [2]. Pour les pays de l’OCDE, dont la population est toujours plus vieillissante, ils viennent combler la pénurie d’étudiants dans certaines formations et offrir un vivier de recrutement d’une main-d’œuvre jeune et qualifiée dans le cadre d’un marché du travail de plus en plus tertiarisé. Les étudiants internationaux représentent par ailleurs une manne financière pour les pays d’accueil, en raison des nombreuses dépenses auxquelles ils doivent faire face (consommation, logement, visa…) et des frais d’inscription parfois très élevés. La capacité à les attirer est également devenue un indicateur clé pour mesurer l’excellence des établissements d’enseignement supérieur, accroître leur prestige ainsi que leurs revenus. Des enjeux géostratégiques entrent aussi en ligne de compte.

L’Europe constitue la première destination des étudiants étrangers : 39,8% d’entre eux y ont été accueillis en 2018 selon les données de l’OCDE. Longtemps fondé sur l’ancienneté et le prestige de ses institutions universitaires, cet attrait a été renforcé récemment par les programmes de mobilité mis en place au niveau communautaire et les stratégies d’internationalisation adoptées par la majorité des pays européens. Les principaux pays de destination sont des pays anglophones, ce qui reflète l’importance acquise par l’anglais dans le monde globalisé. Selon les données de l’Unesco, les États-Unis sont la destination qui attire de loin le plus grand nombre d’étudiants (17,7% du total en 2018), suivis par le Royaume-Uni (8,1%), l’Australie (8%), l’Allemagne (5,6%), la Russie (4,7%) et la France (4,1%).

Les données de l’OCDE [3] mesurent le nombre d’étudiants étrangers dans chaque pays jusqu’en 2012, et le nombre d’étudiants non résidents à partir de 2013 (les États-Unis fournissant, eux, des chiffres sur les non-résidents dès 2004), d’où la rupture de série pour la plupart des pays. Ces données montrent que les deux pays en tête ont toujours été les États-Unis et le Royaume-Uni. La mobilité étudiante vers la France semble, quant à elle, stagner [4]. Alors qu’elle occupait la quatrième position – derrière l’Allemagne – en 1998, la France a ainsi été successivement dépassée par l’Australie (en 2007) puis par la Russie (en 2017). Par ailleurs, l’évolution du taux de mobilité entrante [5] entre 2013 et 2018 indique que, à l’exception de la France, les destinations les plus prisées ont connu une augmentation substantielle de la part d’étudiants internationaux au sein de leur système d’enseignement supérieur [6].

Un attrait en déclin

Cette relative perte de vitesse de la France peut s’expliquer par des politiques migratoires de plus en plus sélectives, introduites depuis 2005 [7]. Elle pourrait aussi être liée au développement de l’enseignement supérieur transnational privé dans le monde, qui a permis l’émergence de nouveaux pôles d’attraction comme la Turquie, devenue l’un des dix principaux pays récepteurs de mobilité étudiante avec des taux de croissance importants. Plusieurs pays ont également encouragé l’ouverture de ce qui est devenu un marché de l’enseignement supérieur aux fournisseurs étrangers, avec pour certains l’ambition de se transformer en un pôle éducatif global (« global education hub ») : la Malaisie, Singapour, Hong Kong, les Émirats arabes unis, le Qatar, Bahreïn, le Bhoutan, la Chine, le Koweït, Maurice, Oman, l’Arabie saoudite et, plus récemment, la Corée du Sud, le Sri Lanka, Taïwan et le Viet Nam [8]. Ces nouvelles tendances mondiales de l’enseignement supérieur modifient profondément les dynamiques des flux internationaux d’étudiants en les dirigeant vers de nouvelles destinations, avec de possibles conséquences pour les pays de destination traditionnels, comme la France. On peut également y voir une moindre capacité de la France à attirer les populations d’étudiants étrangers qui avaient connu la plus forte expansion ces dernières décennies, notamment les étudiants asiatiques (Asie de l’Est et Asie du Sud).

Selon les données du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, la France, à la différence des autres principaux pays d’accueil, est une destination privilégiée pour les étudiants africains, dont l’effectif fluctue autour de 50% des étudiants étrangers entre 2000 et 2017. Alors que la France a réussi à attirer un nombre croissant d’étudiants asiatiques jusqu’en 2009 (leur part a augmenté de 14% en 2000 à 22% en 2009), cette tendance s’est inversée par la suite. Enfin, la progression des effectifs d’étudiants européens, autre groupe très mobile à l’échelle globale, reste modérée.

Pourquoi étudier en France ?

L’analyse des déterminants de la mobilité étudiante a permis d’identifier une multitude de facteurs d’ordre individuel, familial ou structurel [9]. S’il est vrai qu’une offre éducative insatisfaisante dans le pays d’origine joue souvent un rôle important, d’autres motifs comme la valeur d’un diplôme étranger sur le marché du travail local et international, le désir de vivre une nouvelle expérience ou le désir de s’installer dans un autre pays peuvent également expliquer le choix du pays de destination. Outre les frais de scolarité à payer et le coût de la vie, d’autres facteurs doivent également être pris en compte, tels que la distance avec le pays d’origine, la facilité d’obtenir le visa nécessaire, la connaissance de la langue, l’absence ou la présence de réseaux dans le pays de destination ou encore la probabilité d’être victime de racisme ou de subir des discriminations. Il faut aussi souligner que le choix est rarement une décision individuelle, les attentes et les conseils des parents jouant souvent un rôle fondamental.

L’enquête quantitative AIMS (Academic International Mobility Survey) [10], menée en 2016-2017, permet d’explorer les facteurs qui poussent les étudiants internationaux à choisir la France par rapport à deux pays voisins, l’Espagne et le Royaume-Uni, et d’examiner dans quelle mesure ces facteurs diffèrent selon les continents d’origine des étudiants. Cette enquête en ligne a été conduite auprès d’étudiants internationaux inscrits dans des formations de master ou de doctorat en France, en Espagne et au Royaume-Uni. En France, elle a été diffusée par Campus France auprès d’étudiants inscrits dans différents établissements d’enseignement supérieur et plus spécifiquement dans certaines universités ou centres de recherche. Au total, 1157 étudiants de master et doctorat y ont participé.

Il a été demandé aux étudiants de spécifier l’importance de plusieurs facteurs dans le choix du lieu de leur formation. La plupart ont placé en premier la valeur du diplôme sur le marché du travail, le prestige de l’institution diplômante, la maîtrise de la langue du pays d’accueil et la possibilité d’être financés. Le mode de vie dans le pays d’accueil, le montant des frais de scolarité, ou encore la facilité d’obtenir des documents de séjour occupent une position intermédiaire. Enfin, l’indisponibilité, la faible qualité ou la difficulté d’accès aux programmes souhaités dans les pays d’origine, la proximité avec les proches ou les conseils prodigués par la famille apparaissent en dernier.

Si cette hiérarchie des facteurs est assez similaire entre les trois pays de destination considérés, leur importance relative varie significativement. En France et en Espagne la possibilité d’améliorer sa future carrière au niveau international a été identifiée comme importante ou très importante par le plus grand nombre d’étudiants, alors que c’est le prestige de l’institution qui a attiré le plus au Royaume-Uni. La maîtrise de la langue du pays d’accueil est en troisième position auprès des étudiants internationaux en France et au Royaume-Uni alors que le mode de vie du pays de destination a été jugé comme plus important par ceux qui ont choisi l’Espagne. Approximativement deux tiers des étudiants dans chaque pays ont noté comme important ou très important dans leur choix la possibilité d’être financés pendant leurs études – facteur qui arrive en quatrième position au Royaume-Uni et seulement en sixième position en France.

Obtenir un diplôme en France était également perçu par une majorité d’étudiants internationaux comme un tremplin pour y entamer une carrière professionnelle, alors que pour les étudiants en Espagne ce sont les perspectives économiques dans le pays d’origine qui ont le plus compté. Enfin, la France s’est distinguée des deux autres destinations par l’importance plus grande que les étudiants internationaux ont accordé aux frais de scolarité réduits et à la connaissance préalable du pays – facteurs pragmatiques, qui réduisent les coûts de la mobilité. Le rang relatif des autres facteurs (tels l’existence d’un programme de coopération ou les conseils ou attentes de la famille) varie moins selon le pays d’accueil, et tient probablement plus aux différences entre pays d’origine.

De fait, en France, parmi les étudiants africains, c’est le prestige de l’institution qui est jugé primordial par le plus grand nombre d’entre eux (91%), tandis que les perspectives de carrière au niveau international sont arrivées en tête parmi les autres étudiants internationaux. Ils sont également plus nombreux que les autres – à l’exception des étudiants sud-américains – à considérer la maîtrise du français comme importante ou très importante dans leur choix.

Des différences apparaissent également dans l’importance accordée aux perspectives de carrière dans le pays d’origine par rapport au pays d’accueil – une distinction ignorée par les recherches antérieures. Les étudiants africains et sud-américains sont ainsi plus nombreux à choisir le lieu de leurs études selon les débouchés que ce diplôme offre dans leur pays d’origine plutôt que dans le pays d’accueil. Au contraire, les Européens semblent davantage enclins à considérer la possibilité de s’insérer sur le marché du travail français.

Les étudiants asiatiques en France se distinguent aussi par l’attention portée aux possibilités de financement et au faible coût de la scolarité. Les programmes de coopération ou d’échange sont ainsi mis en avant par cette population – 36% jugent cet aspect important ou très important, contre 15% au Royaume-Uni et 25% en Espagne –, au même titre que la facilité d’obtenir des documents pour séjourner légalement dans le pays où ils veulent obtenir un diplôme. La France semble ainsi parvenir à détourner des étudiants asiatiques traditionnellement orientés vers des pays anglo-saxons en leur offrant des bourses, des titres de séjour et des frais de scolarité réduits. Les étudiants africains prennent plus en compte dans leur choix de mobilité la faible qualité de l’enseignement supérieur ou l’indisponibilité de la formation souhaitée dans leurs pays de naissance que les autres groupes. Ils sont aussi ceux pour qui les conseils ou les attentes familiales concernant la mobilité influent le plus, les étudiants européens se trouvant à l’autre extrême.

La France a été, jusqu’à une période récente, l’une des principales destinations des étudiants internationaux en raison de la valeur du diplôme français sur le marché du travail et de la réputation de ses établissements d’enseignement supérieur. La francophonie ainsi que le coût peu élevé des études et les possibilités de financement ont également contribué à favoriser cette attractivité. La mise en place du plan « Bienvenue en France » [11] risque fort de reconfigurer les mobilités étudiantes et la réputation du système éducatif français dans le monde. L’origine sociale et géographique des étudiants et les filières scientifiques choisies pourraient en être modifiées durablement. En introduisant la sélectivité sociale au cœur de sa stratégie d’attraction des étudiants étrangers, cette nouvelle politique risque non seulement de décourager les étudiants originaires du continent africain, qui constituent jusqu’à aujourd’hui environ 50% des flux, mais également ceux qui viennent d’Asie ou d’Amérique latine et que la France prétend vouloir attirer. Ce plan aura probablement aussi pour effet collatéral d’entraîner une baisse significative des inscriptions dans des disciplines comme les lettres, l’art, les sciences humaines et sociales, ou encore l’éducation, dont certaines reposent, pour partie, sur la présence d’étudiants étrangers.




Notes

[1Institut statistique de l’Unesco (ISU), avril 2021.

[2Hicham Jamid et al., « Les migrations pour études au prisme des mobilités sociales », Migrations Société, n° 180 (2), 2020.

[3Les données de l’Unesco montrent des tendances très similaires, mais sont moins complètes que celles de l’OCDE et ne renseignent pas clairement la population ciblée dans chaque pays et les changements dans sa définition au cours du temps.

[4Selon les données collectées par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, cette tendance à la stagnation apparaît en 2005, avec une croissance modérée des effectifs à partir de 2014.

[5C’est-à-dire le pourcentage d’étudiants internationaux par rapport à l’ensemble des effectifs d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur du pays.

[6Données de l’OCDE, « Répartition des étudiants en mobilité internationale et de tous les étudiants par domaine d’étude » [en ligne].

[7Lama Kabbanji et Sorana Toma, « Politiques migratoires et sélectivité des migrations étudiantes en France : une approche sociodémographique », Migrations Société, n° 180 (2), 2020.

[8Jane Knight, « Education hubs : A fad, a brand, an innovation ? », Journal of Studies in international education, vol. 15, n° 3, juillet 2011.

[9Pour une revue de littérature exhaustive sur les déterminants de la mobilité étudiante, voir Michel Beine, Romain Noël, et Lionel Ragot, « The determinants of international migration of students », CEPII Working Paper, n° 2013-30, septembre 2013.

[10Cette enquête a été menée par Lama Kabbanji, Antonina Levatino et Sorana Toma dans le cadre du projet européen Temper (Temporary versus Permanent Migration) (SHS-FP7-613468). Voir Antonina Levatino, Lama Kabbanji et Sorana Toma, « Academic International Migration Survey (AIMS) : A new dataset on international student and academic mobility in France, Spain and the UK » [en ligne].

[11Voir « “Bienvenue en France” : attirer… ou trier ? », de Marion Tissier-Raffin, in Plein droit n° 130.


Article extrait du n°130

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Dernier ajout : jeudi 24 février 2022, 18:31
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