Édito extrait du Plein droit n° 143, décembre 2024
« Étrangères : liberté reproductive sous contrôle »

« Pas une chance pour la France »

ÉDITO

« Je pense que l’immigration massive, ça n’est pas une chance pour la France ». De qui, cette déclaration ? Du nouveau ministre en charge de l’immigration, Bruno Retailleau. Ainsi s’est-il empressé de s’exprimer le soir-même de sa nomination à l’Intérieur, le 23 septembre, au JT de TF1. Or cette phrase reprend quasiment mot pour mot celle prononcée en 1995 par un certain… Jean-Marie Le Pen : « L’immigration n’est pas une chance pour la France, c’est même un fléau ». On peut prendre acte de ce que le nouveau locataire de la Place Beauvau a précisé que c’est le caractère « massif » de l’immigration qui, selon lui, pose problème et non pas, comme pour le fondateur du Front national, toute immigration…

Cependant, les déclarations fracassantes que M. Retailleau a multipliées dès les jours suivants, et les admonestations adressées à son administration ne font que confirmer une proximité avec les thèses de l’extrême-droite, proximité qu’il entretient depuis des années, ce qui conduit à considérer que le chef du gouvernement n’a pu le nommer qu’en toute connaissance de cause.

Encore tout récemment, en mai 2023, l’actuel ministre de l’intérieur, alors président du groupe Les Républicains (LR) au Sénat, s’était associé à Éric Ciotti, à l’époque président du parti LR, et Olivier Marleix, président du groupe LR à l’Assemblée nationale, pour porter deux propositions de loi destinées à « changer totalement de cadre en matière de politique migratoire ».

« Les Français nous le disent dans tous les sondages : il y a trop d’immigrés. Il faut reprendre le contrôle [1] », insistait M. Retailleau, détaillant les mesures défendues : inscrire dans la Constitution « la possibilité de déroger à la primauté des traités et du droit européen […] quand “les intérêts fondamentaux de la nation” sont en jeu, en considérant que l’immigration entre dans cette case », restreindre l’accès aux aides sociales et médicales, rétablir le délit de séjour irrégulier, expulser les étrangers auteurs de crimes ou délits… Par la suite, il a joué un rôle important dans l’élaboration d’amendements à la loi Darmanin, se désolant que la plupart de ceux-ci, pourtant votés par le parlement, aient été censurés par le Conseil constitutionnel comme « cavaliers législatifs ».

Dès sa nomination, le ministre s’est efforcé de donner le maximum de visibilité à son projet politique. Il proclame qu’il compte « baisser l’immigration en France », demandant aux préfets « d’expulser plus et régulariser moins ». Il mêle sa voix au tumulte qui suit le meurtre de la jeune Philippine pour dénoncer les obligations de quitter le territoire non exécutées [2]. Le 28 septembre, il déclare au JDD : « L’État de droit, ça n’est pas intangible ni sacré. C’est un ensemble de règles, une hiérarchie des normes, un contrôle juridictionnel, une séparation des pouvoirs. Mais la source de l’État de droit, c’est la démocratie, c’est le peuple souverain. ». Cette phrase, par laquelle le ministre feint de confondre État DE droit et état DU droit en vigueur, suscite des protestations dans le monde associatif, mais aussi de la part de juristes, de la conférence des bâtonniers, du procureur général près la Cour de cassation... Face à ces voix contraires, le ministre, dans un communiqué du 1er octobre, fait mine de reconnaître son erreur, tout en affirmant : « Lorsque les textes en vigueur ne garantissent plus tous les droits – à commencer par le premier d’entre eux, le droit d’être protégé –, ils doivent évoluer… ».

Et il poursuit sur sa lancée : il se rend à la frontière franco-italienne sous l’œil des médias ; à Mayotte, il ordonne la reconduite à la frontière par vols groupés de ressortissant·es du Congo RDC. Il accompagne le président de la République au Maroc, d’où il fait fuiter une circulaire rappelant aux préfets les outils de lutte contre l’immigration irrégulière dont ils disposent, les enjoignant de les utiliser sans retenue et même – perle de cynisme – « de veiller à assurer l’information des organismes de sécurité sociale pour que toutes les conséquences [d’une décision de refus de séjour] en soient tirées en termes d’affiliation ou d’ouverture de droits sociaux. »

Enfin, pris par le virus qui touche tous les ministres de l’intérieur – il leur faut être les auteurs d’une « grande » loi sur l’immigration – et qui vaut à la France de connaître, depuis 1945, une réforme en moyenne tous les deux ans, il annonce le dépôt d’un nouveau projet de loi dès le début de l’année 2025, alors même que la dernière réforme ne date que de janvier 2024. Y figureront des mesures que son parti prône depuis longtemps : rétablir le délit de séjour irrégulier (supprimé en 2012), allonger à 210 jours (contre 90 actuellement) la durée maximale de rétention des personnes étrangères visées par une mesure d’éloignement, supprimer la présence des associations dans les centres de rétention, transformer l’aide médicale d’État en aide médicale d’urgence pour limiter l’accès aux soins des personnes sans papiers, restreindre le droit du sol en matière de nationalité. Enfin, « anticiper l’application de six mois du paquet asile immigration dès janvier 2026 [3] ». Sans craindre de se contredire puisqu’il déplore par ailleurs sans cesse la perte de souveraineté que génère l’Union européenne sur la politique migratoire.

Car les ennemis de M. Retailleau, en dehors des personnes étrangères, ce sont bel et bien l’Union européenne et les textes consacrant quelques droits aux ressortissant·es d’États tiers à l’Europe, les Conventions de l’ONU et du Conseil de l’Europe, le Conseil constitutionnel, les États qui refusent de délivrer les laissez-passer consulaires que leur demande la France...

Plus de deux tiers des Français ont constitué, au second tour des législatives, un large front pour contrer l’accès au pouvoir du Rassemblement national et ses refrains identitaires et xénophobes. Le gouvernement nommé à l’issue de ce scrutin, non content de surfer sur ces obsessions, menace de saper ce qui garantit un tant soit peu le fonctionnement d’une démocratie libérale.




Notes

[1JDD, 20 mai 2023.

[2« Féminicides : refuser le prisme xénophobe », Gisti, 9 octobre 2024.

[3Le Parisien, 9 octobre 2024.


Article extrait du n°143

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Dernier ajout : mardi 24 décembre 2024, 14:55
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