Article extrait du Plein droit n° 72, mars 2007
« Le travail social auprès des étrangers (2) »

Du SSAE à l’Anaem, une liquidation annoncée

Alain Morice

Chercheur à l’URMIS (Unité de recherche Migrations et société)
Lors de la disparition du Service social d’aide aux émigrants (SSAE), les membres de son défunt comité d’entreprise font don au Gisti de leur trésorerie. Par la suite, le 18 mars 2006, une table-ronde réunira dans les locaux du Gisti six salariés de l’ex-SSAE, démissionnaires ou non de la nouvelle structure, pour faire le bilan. Rarement facile sur le plan affectif, ce type d’exercice intellectuel et rétrospectif sert ici de base à une réflexion pessimiste sur le devenir du service social auprès des étrangers.

Agé de quatre-vingts ans, le Service social d’aide aux émigrants (SSAE) est mort en avril 2005, englouti par la hiérarchie pesante et disciplinée de l’Office des migrations internationales (Omi). La nouvelle Agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (Anaem) est officiellement le « nouvel opérateur » qui « fusionne les moyens et les compétences » de ces deux entités. Personne n’est dupe : il ne s’agit pas d’une fusion mais d’une absorption, et le SSAE, association privée, a bel et bien été digéré par une administration publique [1].

La présentation quelque peu « langue de bois » de cet événement le confirme : « En apportant leur longue expérience et leur savoir-faire, dans le domaine administratif pour l’Omi, dans le domaine de l’action sociale pour le SSAE, les deux organismes donnent à l’Anaem les moyens de mettre en place efficacement la politique migratoire définie par les pouvoirs publics. » On connaît trop les tendances autoritaires de cette politique : entre les lois Sarkozy I (2003) et II (2006) sur l’immigration, cette « efficacité » exprime la volonté de soumettre plus complètement que dans le passé non seulement le travail social en direction des immigrés, mais, à travers lui, ces derniers eux-mêmes. Et comme l’ambiance est plutôt à un désengagement de ses fonctions d’assistance, il n’est pas vain de se demander pourquoi l’État choisit ce moment pour récupérer un service social en son sein.

Pour qui portait autrefois un regard critique sur le SSAE, ses ambivalences et ses déchirements, le plus étonnant n’est pas sa disparition, mais plutôt que ce « service » (une association, rappelons-le) ait pu survivre aussi longtemps à l’inconfort d’une activité qui, quoique exercée en dehors de l’Administration, s’apparente à ce que Pierre Bourdieu appelait la « main gauche de l’État », et qui consiste à essayer de rendre les choses « moins pires » [2]. Ayant cet État pour premier partenaire, et instrument privilégié de sa politique « sociale » vis-à-vis des migrants, le SSAE s’est constamment trouvé pris entre des exigences contradictoires, avec le renouvellement de ses subventions pour horizon. Affirmer quotidiennement le principe d’hospitalité qui vous motive et qui vous fait travailler, face à une xénophobie d’État toujours présente (même dans les périodes de croissance, plus fastes aux étrangers), voilà une tâche acrobatique pour des travailleurs sociaux ainsi tiraillés entre leur idéal du bien public et le respect de la consigne.

Entre professionnalisme et idéalisme

Né en 1924 dans la mouvance de la bourgeoisie chrétienne internationale, déclaré en 1926, reconnu d’utilité publique en 1932 [3], le SSAE a traversé sans avoir à rougir, mais avec un rare sens du compromis, la grande récession des années trente, l’occupation allemande, la Libération avec ses « manches retroussées », puis la cascade de mesures de plus en plus dures visant les étrangers des années soixante-dix à nos jours. Il est vraisemblable que la constance du SSAE venait d’une mise en œuvre très décentralisée et très flexible de ses ressources, et avant tout d’un équilibre, pragmatiquement acquis au cours des ans et de crise en crise, entre un professionnalisme qui le rendait indispensable et le remarquable idéalisme de ses quelque quatre cents salariés.

Dans l’après-guerre, le SSAE n’a plus la relative latitude financière de ses tout débuts, où les contributions patronales côtoyaient à parts égales celles des membres. Il navigue avec l’État de convention en convention, où s’inscrivent les orientations du moment. Progressivement, l’« assimilation » des familles étrangères (en 1946) deviendra « adaptation » dans la convention de 1976, et enfin « intégration » dans celle de 1996 – où l’on verra apparaître aussi l’objectif de « faciliter leur retour dans le pays d’origine ou leur émigration dans un autre pays » – toute une terminologie dont l’évolution annonce, derrière les euphémismes, une mainmise directe des pouvoirs publics sur l’accueil des immigrants. Cependant, la soumission croissante des « programmes triennaux » du Service aux objectifs de la politique migratoire se heurtera souvent à l’indocilité d’un personnel farouchement attaché à son statut associatif, et toujours irrité que l’on puisse confondre – confusion courante – le SSAE avec une administration. Car, malgré les couleuvres avalées jour après jour, c’est qu’ils y tenaient, ses salariés, à leur statut privé et à l’autonomie qui symboliquement s’y rattachait ! Plus dure fut la chute.

Le tournant qui présage la fin du Service est sans doute à situer en 1993, année des lois Pasqua durcissant le contrôle des étrangers, avec la mise en place, à titre expérimental, de quelques plans départementaux d’accueil des familles rejoignantes, plans impliquant le personnel du SSAE sous l’égide de l’Omi et préfigurant les futures plates-formes d’accueil [4]. L’élargissement territorial du dispositif et sa généralisation à tous les primo-arrivants en 1999 consacrera le rôle central des services de l’État : le SSAE n’est plus cité que comme un de leurs « partenaires », et enjoint d’« évoluer selon les nouvelles orientations », tandis que la circulaire annonce une « montée en charge de l’intervention de l’Omi », qui « se fera progressivement » [5]. Les « nouvelles orientations » ? : citons entre autres l’extinction progressive du suivi social spécialisé et, pour l’étranger, l’apprentissage des « droits et devoirs » et « des règles de la vie commune », la connaissance de la langue française comme label de bonne « intégration ». Et l’on parle de plus en plus d’incitation au retour.

Dès lors, les plates-formes d’accueil, au nombre de deux en 1998, vont se multiplier, et bientôt le fameux Contrat d’accueil et d’intégration (CAI) sera au cœur de cette évolution, qui débouchera sur la décision, prise lors du Comité interministériel du 10 avril 2003, de créer un établissement public unique chargé d’« accueillir » les migrants et de leur faire signer le contrat (cf. infra). Des migrants en situation régulière, nécessairement : ni les sans-papiers ni les demandeurs d’asile en instance d’examen ne sont visés par le CAI. Une note de la Direction de la population et des migrations (ministère des affaires sociales) relative à la mise en œuvre du CAI ne mentionne même pas le SSAE parmi les « acteurs » de cette expérimentation [6].

« Lâchés » par la direction

Quoique sa mise en alerte puisse sembler un peu tardive, il n’a pas échappé au personnel de l’association que, pour la première fois depuis la fondation, c’est un fonctionnaire public qui fut nommé en 2001 à sa direction, avec de plus en plus clairement la fonction de liquidateur. La nouvelle conception de l’« accueil » qui se dessine alors paraît remettre en cause certaines traditions qui font la spécificité de l’« esprit » SSAE : le dialogue, l’autonomie, le travail à l’international. En outre, des inquiétudes planent sur le nouveau statut (salaire, carrières, etc.) des travailleurs sociaux dans le cas d’une intégration à la fonction publique en tant qu’agents non titulaires de l’État, tandis que les cadres s’attendent à une placardisation. Le sentiment régnera chez beaucoup d’avoir été endormis puis « lâchés » par leur direction.

Lors du transfert officiel des personnels, le 1er octobre 2005, un tiers des salariés, assistants sociaux [7], secrétaires et interprètes refusent d’intégrer l’Agence, ainsi que la loi les y autorise, et le comité d’entreprise du SSAE décide de remettre son reliquat budgétaire au Gisti. Une somme importante, que ce dernier interprète comme un « legs » à haute valeur symbolique [8].

Résumons la situation jusqu’en 2005 : branche française du Service social international (SSI), le SSAE se consacre traditionnellement à tout ce qui relève de l’accueil, l’installation et l’adaptation des étrangers, sans aucune distinction d’origine ou de statut, mais en concentrant prioritairement son attention et son énergie sur les plus vulnérables d’entre eux. Tout travailleur social est placé dans un champ de tensions entre, d’un côté, une déontologie basée sur des valeurs telles que l’écoute des personnes, le respect de leur dignité et de leurs droits et, de l’autre, les limites fixées par le cadre législatif et les moyens dont il est doté. Il vit dans une permanente négociation entre son éthique et les exigences normatives, voire répressives d’un État qui est bien souvent lui-même à la source des difficultés rencontrées par les personnes qu’il lui donne pour mission de secourir. Dans le cas de l’accueil des étrangers, ces contradictions sont aggravées par la nécessité d’adapter son travail à la politique migratoire du moment : les restrictions institutionnelles à l’action sociale que connaît le pays depuis un quart de siècle, ajoutées au slogan de la lutte contre l’« immigration subie » (terme qui vise les candidats à la vie familiale ou à l’asile, plus les irréguliers de toute sorte, c’est-à-dire presque tous les postulants à un titre de séjour), rendent l’exercice de ce travail de plus en plus problématique.

Devant ces contraintes grandissantes, l’assistant social du SSAE, qui est le pivot du dispositif, a longtemps pu mobiliser les ressources d’une tradition qui, précisément, en raison de l’ambivalence de sa position, entre statut associatif et mission de service public, lui offrait de précieuses marges de manœuvre.

Un exemple caractéristique est celui de l’accueil et du suivi des migrants en séjour irrégulier. Fidèle à ses principes, le SSAE n’a pas à faire de discrimination dans l’accueil selon le critère du statut. Évoluant de façon parfois délicate sur une crête entre le devoir professionnel et le risque d’un rappel à l’ordre, l’assistant social exerce dans certains départements une action primordiale en direction des sans-papiers : examen de la situation, information sur les droits (protection sociale et médicale, scolarisation des enfants), éventuellement aide pour des démarches en vue d’un régularisation ou pour un recours contre une décision, maintien des liens avec la famille à l’étranger – tout cela en liaison avec des entités parfois nettement plus impliquées dans l’action militante. Comme personne n’ignore que la surenchère dans la répression ne va pas résorber le nombre des « clandestins », il faut bien qu’on s’en occupe : par un accord tacite avec une autorité publique bien contente d’être débarrassée à bon compte de la gestion d’un problème structurel, et pourvu que les assistants sociaux ne fassent pas figurer cette activité dans les bilans, cette tâche entre de facto jusqu’en 2005 dans les attributions du SSAE.

Du fait de la répartition très inégale sur le territoire de la charge du travail social en direction des immigrés et des réfugiés, les structures locales ont pris des habitudes spécifiques : ici, le travail à distance, là les visites à domicile, et partout un partenariat, multiple et sur mesure, avec des entités publiques, des ONG, des associations, permettant de résoudre bien des problèmes individuels. (Quitte à abuser parfois, et ce n’est sans doute pas un hasard si, depuis 1998 et les premières plates-formes d’accueil, les bénévoles du Gisti ont souvent à se plaindre que certains assistants sociaux du SSAE commencent à avoir le téléphone un peu trop facile – le SSAE n’a pas de service juridique et n’emploie qu’un juriste pour tout le pays ! [9]). Ces bricolages résultent d’un réseau dense et souple, doté d’une initiative autorisée. La variabilité des publics et des tâches d’une antenne à l’autre, combinée à un statut associatif qui faisait du service une sorte de mutualité, a permis la création d’un gros capital de connaissances communes. Structure de droit privé, le SSAE est libre de côtoyer, au sein de regroupements comme la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA), des organisations plutôt mal vues des pouvoirs publics pour leur action en faveur du droit et des droits.

Ces fragments de liberté ont leurs limites. Contingenté par une sujétion contractuelle qui pèse lourd sur le renouvellement des crédits annuels, l’esprit professionnel tend à refouler l’esprit militant hors de l’espace de travail, au bénéfice d’une dévotion au système sans fin du « cas par cas ». Souvent virulent en interne (notamment à l’égard d’une direction et d’administrateurs devenant pusillanimes à mesure que l’échéance se rapproche), l’esprit critique des salariés dépasse moins volontiers les murs de l’association. Dans la pratique quotidienne des assistants sociaux ou des binômes assistant social-secrétaire – où les secrétaires n’auront jamais eu reconnaissance de la qualification du travail qu’elles effectuent –, les interventions sur les dossiers individuels empêchent de prendre du recul et donnent assez de résultats pour maintenir la croyance qu’un jour les pouvoirs publics donneront des orientations positives et des moyens adéquats – croyance vitale par ailleurs si l’on veut exercer ce métier. Lucienne Chibrac a souligné combien la peur des « difficultés financières qui, à plusieurs reprises, ont menacé l’existence même de l’association » contribue à « cette “obsession” de reconnaissance auprès des décideurs », ajoutant que cela se combine avec « une vision plutôt “naïve” » de son « statut d’influence » susceptible d’améliorer le « sort des “protégés du SSAE” » [10].

Se voyant non comme subversifs, mais utiles, à la limite un peu « dérangeants », les salariés du SSAE sont dans une culture de l’inconfort qui se retournera contre eux lorsque, voués à se consacrer à des tâches de moins en moins valorisées (l’aide à l’hébergement par exemple, alors qu’on leur suggère de faire plutôt de l’aide au retour), attachés à leurs initiatives locales, ils se verront brutalement signifier qu’il est temps de mettre un peu d’ordre dans tout cela.

Le service social en coupe réglée

La création de l’Anaem en 2005 résulte de la convergence de deux idées et de deux moyens. Les idées : rationaliser l’accueil des primo-arrivants en créant un service administratif unique et favoriser leur intégration en vue d’empêcher qu’ils soient victimes de discriminations. Les moyens : mettre en place des plates-formes d’accueil et un contrat d’accueil et d’intégration, ayant tous deux vocation à devenir obligatoires [11]. Derrière un programme dont l’apparente légitimité aura anesthésié bien des gens, se cache un projet de mise en coupe réglée du service social aux étrangers doublé d’une volonté de domestication de la population concernée, avec la connaissance du français comme point d’appui.

Ce projet n’est pas nouveau. Il est présent dans des rapports non publiés de la Direction de la populations et des migrations. Le rapport Weil (1997) proposait déjà de « renforcer le rôle de l’Omi dans la procédure d’accueil des familles rejoignantes » et de « sensibiliser les demandeurs à la nécessaire intégration de leur famille » ; le rapport Belorgey (1999) préconisait la « création d’une agence de l’intégration et de lutte contre les discriminations » ; la même année, le rapport annuel de la Cour des comptes évoquait le SSAE pour dire que « la question du maintien de son statut associatif peut être posée » [12]. Enfin, le rapport du Haut commissariat à l’intégration pour 2001 demande que soit « mis fin à l’éclatement (…) entre les structures qui sont chargées des primo-arrivants ». Consacrée, en octobre 2002, par un discours de M. Chirac, la « politique d’accueil et d’intégration » est devenue en avril 2003, on l’a vu, une priorité effective du gouvernement, avec la décision de créer une Agence française de l’accueil et des migrations internationales, qui deviendra Anam puis Anaem. Il serait difficile de dire que l’on n’a pas vu le vent se lever.

La « contractualisation » du séjour, consacrée par les mots accueil et intégration et mise en œuvre par une agence publique, avait de quoi inquiéter, dans une conjoncture où un intense travail idéologique est fait pour convaincre l’opinion des dangers du communautarisme inhérent à toute présence étrangère. Derrière ces mots, les agents démissionnaires du feu SSAE ont lu sans s’y tromper : formatage et mise au pas. S’il est top tôt pour faire un bilan circonstancié des plates-formes d’accueil, on sait déjà, à partir de leur expérience de la période de transition, qu’il s’annonce désastreux à tous égards, et avant tout par rapport aux objectifs affichés.

Dans le nouveau dispositif, l’assistant social n’a plus sa place comme acteur. Surgit désormais la figure de l’auditeur social, nouvel interlocuteur de l’étranger dans les plates-formes d’accueil. En quelques heures, quelquefois loin de leur hébergement, dans une ambiance qualifiée de tous côtés comme surréaliste, souvent sans interprète, les immigrants vont devoir subir un sermon sur les valeurs de la République suivi d’un film sur ce qu’est la France, une visite médicale, un entretien débouchant sur un « positionnement linguistique » avec l’auditeur social qui, s’il le juge bon, propose une visite à l’assistant social.

Le profil de l’auditeur social ? Un bac + 2 à 4 ou un recyclé de l’Omi, aucune expérience du travail social pour l’étranger, juste (croit-on à l’Anaem, en attendant les prévisibles révoltes d’auditeurs sociaux) une aptitude à intérioriser la consigne. La consigne ? Officiellement, informer l’arrivant sur la nécessaire signature du contrat d’intégration, avec formations civique et linguistique à la clé. En voix off, dépister les gens à problème à travers tout ce qui, chez le candidat au séjour (polygamie et port du voile, par exemple, et avant tout difficultés de langage), pourrait justifier une intégration à marche forcée. Désormais la tâche est d’« informer » le migrant, non plus sur ses droits et les possibilités qui s’offrent à lui, mais sur les droits de l’État envers lui. Ravalé au rang de sous-traitant, l’assistant social voit sa mission inversée : là où il tentait d’aider les gens à identifier et résoudre leurs problèmes, on lui envoie désormais les gens qui posent problème à la République (et même pas tous ! – cf. infra).

La généralisation progressive des cartes de séjour précaires est paradoxalement le support matériel et psychique du CAI. Même si l’interlocuteur de l’auditeur social ne comprend rien à cet « accueil » qui lui est fait et à ce « contrat » qu’on lui fait signer, cela lui sera toujours assez pour comprendre que sa signature – au demeurant devenue obligatoire depuis le 1er janvier 2007 – lui sera indispensable pour, peut-être, ultérieurement transformer son titre de séjour d’un an en carte de résident ou obtenir la nationalité. Sans même évoquer la légitimité douteuse d’une démarche dite d’« intégration » [13] qui commence par la brusque injonction faite au migrant, à peine débarqué, de se renier soi-même, les travailleurs sociaux ont de quoi douter de l’efficacité de l’opération, et l’on peut craindre les réactions en retour qui finiront par se produire, de par la perverse circularité que toute politique basée sur la négation des personnes porte en elle.

Agent non titulaire, mis en deuxième ligne, l’assistant social de l’Anaem n’en est pas moins souvent obligé d’être présent sur les plates-formes d’accueil, qui sont devenues l’alpha et l’oméga du dispositif d’accueil. Quoique les pratiques restent localement diverses, la doctrine de l’Agence est que là se situe désormais son activité. Nous l’avons laissé entendre : sur les plates-formes d’accueil, l’accueil des sans-papiers et même des demandeurs d’asile ne fait plus partie du travail – ce qui va accélérer le processus de clochardisation et de rejet social des exclus du séjour. Le rétrécissement du champ d’intervention des assistants sociaux est considérable : il concerne aussi bien les visites à domicile que cette activité importante qu’était l’accompagnement des personnes en difficulté (notamment sur les questions vitales du logement, des soins, de l’emploi et des papiers). La logique des plates-formes d’accueil est ponctuelle et arithmétique : il s’agit d’engranger les contrats d’accueil et d’intégration et d’en produire une statistique. Peu importe que – ce dont les agents de l’Anaem ne font pas mystère – la formation linguistique, présentée comme une pièce maîtresse du dispositif, soit fréquemment une imposture, faute de moyens. Peu importe que la langue, moyen de se comprendre entre humains, puisse ainsi devenir un instrument de punition (« qui ne parle pas s’en va », dit en substance le CAI) : la plate-forme d’accueil est vite devenue un but à elle-même.

Les responsables de la nouvelle structure sont censés veiller à ce que les assistants sociaux n’aient ni le temps ni les ressources pour se consacrer aux catégories de migrants indésirables – pourtant, en certains lieux, les réfugiés et les sans-papiers représentaient le principal de leur activité. Dès la mise en place des plates-formes d’accueil, des associations telles que la Cimade ou le Gisti ont vu débarquer les dossiers que l’Anaem ne traite plus. L’affaire est potentiellement explosive car, au-dessus d’un seuil raisonnablement admis de part et d’autre, l’État se défausse ainsi très hypocritement d’un désordre par lui créé auprès d’organismes qu’il ne se prive pas par ailleurs de fustiger, et qui n’ont pas vocation à le résorber. Ce même État saura-t-il longtemps mobiliser ses agents sur des objectifs clairs, cohérents et légitimes ? De nouveaux départs d’assistants sociaux de l’Anaem sont survenus, d’autres suivront, et l’embauche est largement inférieure aux prévisions initiales (vingt et un assistants sociaux nouveaux pour cinquante postes budgétés). Quant aux auditeurs sociaux, agents non titulaires soumis à une période d’essai de neuf mois renouvelable, les voilà mis dans l’alternative devenue classique du travailleur à qui l’on dit : « Tu te soumets ou tu t’en vas ». Comme les immigrants dont ils ont à traiter.

Quelques lectures



CHIBRAC Lucienne, Les pionnières du travail social auprès des étrangers – Le service social d’aide aux émigrants des origines à la Libération, ENSP, 2005

MORIEN Mélanie, Les formes de la mise en œuvre localisée d’une politique publique en matière d’immigration – l’action du Service Social d’Aide aux Emigrants à Lille, Université de Lille 2, 2003 (Maîtrise de science politique)

GONZALEZ José Manuel, Les assistants sociaux et leur rôle dans la mise en œuvre des politiques d’accueil et d’intégration des immigrants : l’expérience des professionnels de l’ANAEM, Université Paris 7, 2006 (Master de sociologie des migrations)

GUÉLAMINE Faïza, Intervenir auprès des populations immigrées, Dunod, 2000

ROUX Suzanne (coord.), Action sociale et migration – Expérience et méthode d’un service spécialisé, Ssaé-l’Harmattan, 2005)

La table-ronde du 18 mars 2006 (extraits) [14]



La culture SSAE

– J’ai passionnément aimé ce que j’ai fait au SSAE, la diversité des possibles. Dans ma région, l’encadrement était une catastrophe, donc il fallait tout assumer, et on a pu développer ce qu’on voulait avec les partenaires qu’on voulait. Nous étions des généralistes de la spécialisation.

– On peut critiquer les insuffisances du SSAE, mais je trouve quand même qu’il y avait une capacité de liberté, d’innovation. Ce n’était peut-être pas partout pareil, mais on était écoutées par l’encadrement. A l’époque [1992-1993], l’aide au récit [des demandeurs d’asile], ce n’était pas du tout le truc du SSAE et on a commencé à réfléchir avec des collègues AS et secrétaires. Du coup, après, il y a eu un groupe de travail au niveau national là-dessus. Peut-être que j’avais une vision idéalisée, mais je trouve qu’on avait une place particulière entre militants et personnes qui travaillaient dans le droit commun, je veux dire dans le service social.

– Le SSAE s’est toujours servi des secrétaires comme il voulait, ça m’a toujours choquée. Parfois, elles avaient le droit de recevoir des demandeurs d’asile, parfois pas. Aucune reconnaissance, un mauvais salaire. De ce fait, elles n’ont pas pu partir, parce qu’elles n’avaient pas été formées pour faire autre chose. Elles avaient une richesse autre.

La reprise en main

– L’expérience pilote de 1993 [l’accueil de familles rejoignantes sur sites Omi], j’étais volontaire, je l’ai faite avec plaisir et j’ai beaucoup appris. Ça a été beaucoup critiqué à l’intérieur du SSAE. Il y avait un risque de contrôle dans cet accueil. C’était l’époque où on allait voir les gens à leur domicile : c’était l’inverse d’aujourd’hui, c’était eux qui nous accueillaient chez eux. Et après, il y avait la bagarre pour obtenir des choses. Rien à voir avec leur foutue plate-forme d’accueil. Puis ça a basculé. On nous a dit : c’est très bien ce que vous faites mais ce n’est pas exhaustif [ni pour tout le monde, ni dans tous les départements], donc on va arrêter.

– On nous disait que tous les nouveaux arrivants n’ont pas besoin d’une aide sociale, mais qu’ils ont tous besoin d’une information précise : comment fonctionne le pays, quelle est votre place, voilà ce que vous devez faire et ne pas faire. Et on nous a dit : il n’est pas nécessaire de confier ça à un service social. Donc on changeait doublement d’échelle.

– L’État s’est servi de l’expérience du SSAE pour la dénaturer et donner cela à un service public. Une agence, ce n’est pas une association, c’est la mainmise de l’État.

– Quand il y a eu l’annonce [de la création de l’Agence], je savais qu’ils ne maintiendraient pas nos bureaux. On nous a dit directement qu’on ne voyait pas l’utilité de ce qu’on faisait. C’est un travail de casse, plus ou moins violent selon les lieux.

– Il y avait ce type de la DPM [Direction de la population et des migrations] qui nous réunissait pour nous mettre en difficulté, et notre directeur ne disait rien. Comment on occupait notre temps, combien de temps et de postes pour les familles rejoignantes ? Il fallait rentrer dans les normes de la comptabilité analytique et on ne rentrait pas dedans.

– Notre responsable [à l’Anaem] est à la botte du préfet. Il nous met la pression pour organiser les retours. Pour lui, comme c’est des faux demandeurs d’asile, leur intérêt est de repartir, et s’ils refusent l’aide [au départ], tant pis pour eux, c’est la police qui viendra les chercher. Dans les foyers qui accueillent les demandeurs d’asile, il y a une incitation à les préparer à accepter le retour. On y fait même de la délation. C’est tous des faux, voilà l’état d’esprit : méconnaissance totale de pourquoi les gens sont venus et pourquoi ils refusent l’aide au départ.

Endormis puis lâchés : la débâcle

– A partir du moment où le SSAE a été prestataire de l’Omi, déjà dans les années 1998-2000, on sentait bien le danger. Mais de là à imaginer l’Agence, ça non ! En tout cas, à notre niveau de salariés, je ne pense pas qu’on pouvait [imaginer]. À l’intérieur de l’institution, il y avait toujours ce discours sur les changements qu’on pouvait faire de l’intérieur, en participant à ce genre de truc.

– Au départ, quand les plates- formes d’accueil ont été présentées, c’était comme un contrepoint au durcissement de la législation sur les étrangers.

– Le cabinet du ministre des affaires sociales nous a dit : vous [les AS] êtes notre caution pour que l’Anaem ne soit pas avalée par le ministère de l’intérieur. – La hiérarchie disait qu’on se battrait, même au sein de l’Anaem, pour maintenir des choses qui étaient de l’ordre de la déontologie, qu’on arriverait à les persuader de l’utilité de nos positionnements, blablabla, il y a eu plein de discours, et en même temps on nous incitait à abandonner petit à petit un certain nombre de tâches.

– Au niveau de la direction, on n’a pas du tout senti de soutien. Les membres du conseil d’adminis-tration, leur position, c’était que l’État ne peut pas se tromper (enfin, il y avait deux clans). Après ils ont été piétinés, car eux aussi ont été maltraités, aussi violemment que nous, et quand ils ont vu qu’on ne voulait pas leur laisser leurs millions, là ils se sont rendu compte.

– Et en plus quand on a pris les quarante mille euros pour les verser au Gisti, alors qu’on aurait pu les donner à leur association... [rire général].

Moins d’accueil, trop d’AS

– Ça devenait incohérent pour moi, le fait de ne plus pouvoir accueillir de façon indiscriminée le public quel qu’il soit.

– C’est parti en déconfiture. On a vu venir tout ça. Les sans-papiers, l’accès aux droits, on a compris que cela ne pouvait plus continuer. Ce qu’on nous disait de faire en priorité, c’est le regroupement familial et surtout le retour. Le reste, si on a du temps. Comme nous sommes moins nombreuses, on nous a dit : vous fermez la porte aux autres publics et vous mettez sur répondeur.

– Là où j’étais, les sans-papiers et demandeurs d’asile, c’était entre 80 et 90 % du public, et en fait c’était un public qu’on ne pouvait plus accueillir à partir du 1er octobre [2005]. Après cette date, le temps a été long. Elles ne sont plus que trois, alors ça va, elles arrivent à bosser, mais à six, on ne faisait plus rien. On passait notre temps à dire aux gens qu’on ne pouvait plus les recevoir, c’était difficile !

– C’est vicieux comme système, parce que tu as toutes tes missions, mais tu ne peux pas les faire et c’est ça : c’est toi toute seule qui vas fermer la porte à certaines personnes, et ça je trouve ça ignoble. Et après on nous dit : si on a fermé des bureaux, c’est que les gens sont partis.

Un contrat de dupes

– Au départ, l’ambition, c’était que chacun puisse bénéficier, dès l’arrivée, des informations absolument nécessaires pour réussir sa première insertion, intégration en France. Une vision alibi. On donne des infos, on rappelle les droits et les devoirs, et puis après il ne reste plus que les devoirs.

– Ce n’est pas un contrat. Un contrat, c’est comme pour le RMI, c’est basé sur un diagnostic partagé, on se met d’accord sur un certain nombre de démarches pour que la situation évolue. C’est basé aussi sur une compréhension. Moi, en ce qui concerne le contrat d’accueil et d’intégration, j’ai assisté à des plates-formes d’accueil où je voyais des réfugiés soudanais ne comprenant absolument rien, sans interprète. [Tous :] Les interprètes, il n’y en a pas. Le jour où la ministre est venue, il y en avait.

– Le type, il ne sait même pas ce qu’il signe.

– Ils ne savent pas où ils sont.

– Franchement, je serais l’usager, je me dirais : mais qu’est-ce qu’ils font ?

– Le film, je l’ai vu une fois, je ne le regarderai pas deux. La catastrophe. Qu’est-ce qui est représenté comme classes sociales ? Tu leur montres quoi comme loisirs ? La danse classique !

– « Accueil », le terme est dévoyé. Nous sommes dans le fonctionnement d’une machine. Ça tourne. La signature est extirpée. Beaucoup d’étrangers savent que s’ils ne signent pas ils vont peiner à avoir la carte de dix ans. Faut que ça fonctionne.

De l’AS à l’auditeur social

– L’auditeur social ne part pas de la personne. L’État vous dit quelle est la règle du jeu.

– Il y a une méconnaissance de ce que c’est qu’un service social. Ça me pose vraiment la question de comment on voit l’étranger, les personnes. Au niveau des auditeurs par exemple, ce que j’ai vu, bien sûr pas pour tous, c’est que les gens n’ont aucune formation, aucune sensibilisation à ce que c’est qu’un immigré. Un réfugié, dans leur tête, c’est comme un migrant. Les personnes avec leur parcours individuel, ça n’existe pas. C’est le troupeau, et il y a le résultat. On en revient à la main-d’œuvre des années 50, c’est tout juste si on ne regarde pas les dents.

– C’est un organisme de contrôle, pas d’accueil.

– L’auditeur social, c’est la première instance. Il peut orienter vers l’AS. L’AS n’est là que comme prestation apportée dans le contrat.

– Sur les plates-formes d’accueil, l’AS n’est utile que pour les auditeurs sociaux, qui ne font à appel à lui que quand eux-mêmes sont en difficulté devant une personne, quand ça gueule, par exemple quand ils ont pour consigne de décourager un regroupement familial et que ça commence à chauffer.

– Finalement, le service social, c’est pour protéger les femmes battues, empêcher les mariages forcés.

– L’auditeur t’envoie des gens problématiques : la femme voilée, le mari très vieux. Bien sûr, ça peut se travailler mais rien n’est prévu. D’emblée, ils [les auditeurs] ont ces schémas-là dans la tête, parce que c’est un truc à la mode, le foulard par exemple. Ils font ce qu’ils peuvent, mais il existe une vision du travail social qui est d’empêcher la déviance. Donc on va les remettre dans la norme. C’est comme cette histoire de repérer les gamins violents dans les maternelles.

– Finalement, le service social, il n’a rien à foutre là-dessus. Dès le début, on aurait pu penser que c’était cuit.

– C’est une souffrance énorme, chez les auditeurs. On les laisse se débrouiller.

– Il y a neuf mois d’essai pour tous les nouveaux, y compris les anciens SSAE qui changent de poste. Il y a un énorme turnover. Au début, ils se tiennent à carreau, à la fin aussi, pour la prime, et puis après ils partent.

– Un gâchis !

Le travail social face au racisme.
Contribution à la lutte contre les discriminations



par Faïza Guélamine, Rennes, Éditions de l’École nationale de la santé publique, 2006, 128 p., 20 €.

Les travailleurs sociaux sont souvent amenés à penser leur travail face aux minorités comme une pédagogie de la différence, où l’on espère à la fois « intégrer » ces minorités à partir des caractères particuliers qu’on leur attribue, et combattre ainsi les préjugés dont ils sont victimes. A l’opposé de cette démarche, l’objectif de ce petit livre clair et percutant est de « sensibiliser les travailleurs sociaux » aux interactions par lesquelles ces caractères et ces préjugés se déterminent et se figent, et ainsi de les amener à « appréhender les discriminations racistes comme l’expression d’un rapport social de domination, et non comme simple conséquence de croyances basées sur l’ignorance et le mépris de l’autre ».

Le renversement de perspective par rap- port au sens commun ne va pas de soi, d’autant moins que, rappelle l’auteure, c’est fréquemment l’État lui-même, employeur de ces travailleurs sociaux, qui trace pour eux la voie commode des interprétations et des consignes d’action où chacun est défini par ses origines (réelles ou dites telles). Assistante sociale et sociologue, Faïza Guélamine, aujourd’hui responsable de formations à l’Institut régional du travail social (IRTS) de l’Ile-de-France, est bien placée pour mesurer quotidiennement les risques idéologiques de l’intervention sociale sans principes théoriques. Prônant, à l’instar de ce qui se fait chez les chercheurs, un nécessaire « travail de déconstruction des catégories du sens commun et de celles élaborées à des fins médiatiques ou politiques », elle estime que les travailleurs sociaux « ne peuvent faire l’économie d’une réflexion large et avertie quant aux modes de catégorisation qui guident leur travail » : c’est ce à quoi est consacrée la majeure partie de l’ouvrage.

« Race », « ethnicité » et bien sûr « discriminations » sont l’objet d’un criblage rigoureux et salutaire. Il est rappelé que la race est une construction imaginaire, faisant intervenir des caractéristiques « naturelles » et les généralisant. L’ethnie de même est constamment l’objet d’une essentialisation par laquelle les individus sont assignés aux groupes auxquels ils sont censés s’identifier une bonne fois pour toutes, alors que « l’identité – je suis de cette famille, de ce village, de cette région, de ce pays – est par définition multidimensionnelle, immanquablement plurielle » et que « affirmation et assignation identitaires fonctionnent toujours dans une interaction fondamentale ». Sur ces bases théoriques jetées à l’opposé de l’omniprésence de la référence aux « origines » de la pensée dominante, il est dé- montré en quoi la référence à la race ou à l’ethnie produit nécessairement de l’exclusion et la constitution de groupes minoritaires.

Aujourd’hui, les discriminations les plus fortes et les plus patentes ne touchent pas que les migrants. En France, vieux pays d’immigration, le groupe minoritaire défini par son extranéité est double : ce sont les étrangers (ou « immigrés », catégories souvent confondues) mais ce sont aussi leurs enfants, français de nationalité et de passé, qui occupent le devant de la scène ethnique de tout le poids de leur « identité que l’on dit particulière » depuis les années 1980, produits d’une installation durable sur le sol français de personnes issues des anciennes colonies et victimes héritant du stigmate de l’étranger marquant leurs pères. Faïza Guélamine rappelle combien l’infériorisation péjorative et réductrice de ces enfants de l’immigration prolonge celle qui jadis frappait les populations colonisées. Les stéréotypes évoluent mais se reproduisent : c’est encore à cette source que s’alimente le travail social.

Le travail social en direction des minorités est-il donc aujourd’hui possible, et à quelles conditions ? De fait, qu’il s’agisse des nécessaires garde-fous (écouter, conceptualiser son travail et ses propres représentations de l’autre, identifier les déterminants sociaux subis par les interlocuteurs, et surtout sortir du déni des discriminations, trop souvent traitées comme un produit de l’imagination) ou des « marges de manœuvre », ou encore, et surtout, de la « démarche inter-culturelle », l’auteure laisse voir les écueils rencontrés et les distorsions possibles, ce qui replonge le lecteur dans une appréhension critique des métiers de l’action sociale.

La connaissance de ces limites est cependant la meilleure ressource pour les dépasser. De ce point de vue, cet ouvrage est salutaire et tout particulièrement approprié comme référence et comme soutien dans les milieux associatifs, voire universitaires. Mais ce sont avant tout les intervenants sociaux qui tireront de ce livre les clés qu’il leur faut pour comprendre et maîtriser leur travail car Faïza Guélamine – ce n’est pas le moindre compliment qu’on puisse lui faire – s’adresse intellectuellement et non comme à de simples exécutants aux acteurs (plus souvent actrices, on le sait) de cette profession mal considérée.

Alain MORICE




Notes

[1En réalité, l’association, avec son journal Accueillir, continue d’exister, mais elle n’est plus dotée d’une mission de service public.

[2« Tous ceux qu’on appelle les “travailleurs sociaux” […] constituent ce que j’appelle la main gauche de l’État, l’ensemble des agents des ministères dits dépensiers qui sont la trace, au sein de l’État, des luttes sociales du passé […], ceux que l’on envoie en première ligne remplir des fonctions dites “sociales” […] sans leur donner les moyens d’accomplir vraiment leur mission. » P. Bourdieu, Contre-feux I, Liber-Raisons d’Agir, 1998.

[3En contrepartie de cette reconnaissance, le Service international d’aide aux émigrants (SIAE) prend en 1932 le nom de SSAE : le mot « international » n’a plus de raison d’être. Mais, étrangement, « émigrants » reste : serait-ce surinterpréter que voir là le signe que déjà, l’État français répugnait à l’idée d’une immigration durable sur son sol ? Des fondations à la première moitié du XXème siècle, cf. L. Chibrac, Les pionnières… Voir encadré bibliographique.

[4Circulaire interministérielle 93/10 du 12 mars 1993.

[5Circulaire DPM-CI1 du 1er juin 1999.

[6Note DPM/ACI1 du 23 avril 2003.

[7Nous conservons le masculin par commodité, mais la profession est presque exclusivement féminine.

[8Cf. « Un legs lourd de sens », communiqué du Gisti du 3 octobre 2005. Il semble qu’il y ait eu dans ce communiqué – une fois n’est pas coutume, le Gisti étant attaché à la rigueur – une exagération : si en effet « 126 salarié(e)s sur 392 ont bien refusé d’intégrer l’Agence » le 1er octobre 2005, il ne paraît pas possible de dire que « 50% des travailleurs sociaux employés par le SSAE, découragés ou écoeurés, étaient déjà partis auparavant », c’est-à-dire depuis l’annonce de la fusion en avril 2003.

[9Information obtenue par le Gisti lors d’une réunion en juillet 2002 avec la direction nationale et la délégation Ile-de-France du SSAE, après que ce dernier lui eut envoyé, pour traitement, le dossier complet d’un débouté de sa demande d’asile territorial. Les cadres s’engagent alors à ce qu’on n’envoie plus les gens « comme des paquets » aux associations mais, avec le découragement programmé des assistants sociaux, cela ne fait qu’empirer pendant toute la période de transition, certains secteurs n’ayant même plus d’assistants sociaux pour traiter les dossiers urgents.

[10L. Chibrac, Les pionnières… Voir encadré bibliographique.

[11Ce n’est pas le lieu de poser cette question, mais un contrat qui n’implique pas le libre accord d’une des parties est-il un contrat ?

[12« L’étude de son adossement à un établissement public, tel l’OMI que le SSAE assiste déjà dans les plates-formes d’accueil, pourrait être approfondie » – on sait que dans le langage de la Cour des comptes, le conditionnel a valeur d’impératif.

[13Le concept d’intégration ne signifie pas la même chose pour tout le monde : certains l’emploient dans un sens assimilationniste, tandis que d’autres jugent que la première des intégrations, c’est celle de la société à elle-même, et que dans cet esprit il est normal et sain que tout nouvel arrivant puisse contribuer à y modifier les valeurs partagées.

[14Nous avons parfois pris quelques (rares) libertés avec le mot à mot, mais jamais avec le contenu – AM.


Article extrait du n°72

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Dernier ajout : mardi 6 mai 2014, 18:19
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