Édito extrait du Plein droit n° 9, décembre 1989
« Loi Joxe : qu’est-ce qui va changer ? »

Édito

ÉDITO

A voir le discours politique s’emballer à nouveau sur l’immigration et les res- ponsables politiques souffler tour à tour le chaud et le froid dans un domaine aussi sensible, on est fondé à éprouver quel- ques inquiétudes.

Intervenu après de longues hésitations, le vote de la loi Joxe semblait témoigner d’une volonté réelle d’améliorer la situation juri- dique des étrangers établis en France, et les progrès qu’elle apporte sont loin d’être né- gligeables, comme le montre l’analyse que nous en proposons dans le présent numéro de Plein Droit.

Mais pour le reste, que d’ambiguïtés et d’incohérences dans le traitement des pro- blèmes liés à l’immigration ! « Le nouveau pouvoir sera aussi jugé sur sa capacité à tracer les grandes lignes d’une véritable po- litique d’insertion - professionnelle, écono- mique, sociale et politique - de la population immigrée résidant en France », écrivions-nous en juillet 1988, (Plein Droit n° 4), ajoutant qu’après quinze ans d’attentisme il y avait désormais urgence, la crise ayant fragilisé le tissu social et accru les tensions. Mais il a fallu les remous provoqués par l’affaire du foulard pour que le Premier ministre se dé- cide - bien tard ! - à promettre un calendrier et un programme en matière d’intégration. Espérons, au moins, qu’on dépassera cette fois le stade des promesses. Car, comme le rappelait récemment Michel Noir, qui sur ce point parle d’or, « quand on ne traite pas concrètement les choses de la vie quotidienne
 l’urbanisme insupportable, le logement dans lequel on entend la télévision du voi- sin, l’absence de tissu associatif, l’échec scolaire -, il n’y a aucune chance de dimi- nuer les peurs et l’agressivité qui en dé- coule, ce sur quoi joue le Front national » (Le Monde du 1er décembre 1989).

Si au moins le gouvernement, à défaut d’agir, tenait sur l’immigration des propos fermes et rigoureux ! Mais là encore c’est l’inverse qui se produit, et l’on constate depuis deux mois une dérive inquiétante du discours officiel. On a d’abord entendu les propos contestables du président de l’OMI (voirLe Monde du 10 octobre 1989) - con- testables, mais aussi dangereux, car il n’est jamais bon, lorsqu’on occupe des fonctions officielles, de faire passer pour des vérités objectives un ensemble d’approximations et de jugements subjectifs. Les lecteurs pressés auront surtout retenu de cette interview - que la droite ne s’est pas fait faute d’exploi- ter - que 120.000 nouveaux immigrants entraient chaque année en France. Indé- pendamment même de la fausse précision des chiffres avancés, c’est l’amalgame ré- sultant de l’addition de chiffres n’ayant aucun rapport entre eux que l’on peut con- tester : quel sens cela peut-il avoir, sinon d’impressionner une opinion publique prompte à réagir, que d’ajouter au nombre dérisoire de travailleurs permanents admis au séjour chaque année les membres des familles venant rejoindre un travailleur déjà installé en France, les demandeurs d’asile, et même les étudiants qui, quoi qu’en dise le président de l’OMI, ont non seulement les plus grandes peines du monde à obtenir le droit de rester en France après leurs études, s’ils souhaitent y travailler, mais aussi à obtenir chaque année le renouvellement normal de leur titre de séjour ?

Or non seulement personne, au gouverne- ment, n’a cru bon d’atténuer la portée des propos ainsi émis, mais plusieurs ministres - Claude Evin, bientôt suivi par Pierre Joxe, puis par le Premier ministre lui-même - se sont empressés de lui emboîter le pas sur la question des demandeurs d’asile, en répan- dant l’idée que les quatre cinquièmes des demandes d’asile ne sont pas fondées. Que l’accroissement sensible du nombre des de- mandeurs d’asile préoccupe le gouverne- ment, cela se conçoit ; que, parmi les deman- des présentées à l’OFPRA, il y en ait de mal fondées, c’est certain. Mais contrairement à ce que laisse sous-entendre ce qu’il faut bien, hélas, considérer désormais comme l’expression des thèses officielles en la ma- tière, il n’y a pas de lien nécessaire entre les deux : ce n’est pas parce que le nombre de demandes s’accroît que le taux des deman- des mal fondées s’accroît également. Et si 65 % (et non 80%) des demandes ont été rejetées par l’OFPRA en 1988, il est pour le moins hâtif d’en déduire qu’une proportion identique émane de « faux réfugiés », lors- qu’on sait que parmi les demandeurs d’asile déboutés figurent bon nombre de Haïtiens, de Sri-Lankais, de Zaïrois, et autres ressor- tissants de pays où l’on ne sache pas que règnent la paix et la démocratie. Quant à prétendre qu’ils viennent grossir le nombre des clandestins, cela revient tout simplement à reconnaître qu’on n’ose pas les renvoyer chez eux, mais qu’on ne veut pas pour autant les régulariser. Où est la cohérence  ?

Dans le dernier état du discours officiel, le gouvernement nous promet - propos mille fois entendu lui aussi - une fsévérité accrue à l’égard des clandestins. Mais ce n’est pas en fermant encore un peu plus les frontiè- res, ni en multipliant les reconduites à la frontière qu’on viendra à bout du pro- blème. Comme l’a reconnu lui-même le ministre de l’Intérieur devant l’Assemblée nationale, dans ce domaine « la lutte contre les filières d’immigration clandestine est le principal remède » ; car s’il y a des tra- vailleurs clandestins, « c’est parce qu’il y a des employeurs clandestins » qui sont prêts à les exploiter et qui les mettent « dans une situation qui n’est pas très éloignée de l’esclavage ». Toute la question est donc de savoir si on est décidé à lutter contre les employeurs clandestins, ou si l’on pense, en réalité, que l’économie française a en- core besoin de main-d’oeuvre étrangère. Auquel cas, mieux vaudrait le dire claire- ment, et faire en sorte qu’elle soit recrutée et employée dans le respect des lois.

Masquer ou travestir les problèmes n’est pas la meilleure façon de les résoudre. Mais si l’on décide de « parler vrai », il ne faut surtout pas s’arrêter en chemin.

Questions d’actualité, Débats Ass. Nat. J.O. du 9 novembre 1989.



Article extrait du n°9

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Dernier ajout : lundi 24 mars 2014, 23:27
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