Article extrait du Plein droit n° 9, décembre 1989
« Loi Joxe : qu’est-ce qui va changer ? »
La réhabilitation des « plein droit »
On se souvient que la loi du 9 septembre 1986 avait limité de plusieurs façons l’accès automatique à la carte de résident. D’abord en prévoyant que la carte pouvait en tout état de cause être re- fusée si la présence de l’étranger constituait une menace pour l’ordre public. Ensuite en restreignant la liste des bénéficiaires : les conjoints de Français ne recevaient la carte de ré- sident qu’après un an de mariage et à condition que la communauté de vie soit effective entre les époux ; les étrangers entrés en France avant l’âge de dix ans perdaient leur droit à la carte de résident s’ils avaient fait l’ob- jet d’une condamnation à une peine d’emprisonnement de six mois fer- mes ou un an avec sursis (ou plusieurs peines égales au total à ces mêmes durées) ; enfin, si la condition de quinze ans de résidence en France était réduite à dix ans, seule était prise en compte la résidence régulière , et là encore sous réserve de n’avoir pas fait l’objet de condamnations pénales.
Mais plus encore que les textes, ce sont les pratiques administratives qui ont abouti à priver d’effet utile la notion de « plein droit » : appliquant sur ce point la circulaire du 17 sep- tembre 1986, les préfectures ont en effet systématiquement refusé d’exa- miner les demandes de titre de séjour - y compris lorsqu’elles émanaient de personnes ayant vocation à obtenir de plein droit une carte de résident - dès lors que l’intéressé n’était pas en situation régulière au moment du dépôt de son dossier, notamment parce qu’il avait laissé expirer le délai de trois mois à compter de l’entrée sur le terri- toire français au-delà duquel tout étranger séjournant en France doit être muni d’une autorisation de séjour, ou lorsqu’il se présentait à la préfecture dans le délai de trois mois mais avec un visa dont la validité était expirée (situation relativement fréquente, dans la mesure où les consulats délivrent couramment des visas d’une durée inférieure à trois mois).
Des conditions enfin supprimées
La loi du 2 août 1989 devrait per- mettre de lever une bonne partie des obstacles rencontrés par les étrangers ayant vocation à s’établir en France aux termes de l’article 15 de l’ordon- nance de 1945. Elle supprime en effet la réserve de l’ordre public, et surtout elle dit explicitement que le séjour irrégulier ne pourra pas être un motif de refus de la carte de rési- dent lorsque celle-ci est demandée au titre de l’article 15 : « La carte de résident est délivrée de plein droit sans que puissent être opposées les dispositions des articles 6 et 9 de la présente ordonnance », dit le nouveau texte. Or l’article 6 oblige les étran- gers à être titulaires d’une carte de séjour au bout de trois mois de pré- sence en France, et l’article 9 oblige les jeunes étrangers à détenir un titre de séjour à partir de (désormais) 18 ans.
Par ailleurs, la justification de l’entrée régulière reste exigible, sauf pour les catégories d’étrangers à l’égard desquelles cette exigence n’aurait pas de sens, tels que les ré- fugiés ou les étrangers résidant en France depuis plus de dix ans.
Enfin il apparaît, à la lecture de la circulaire d’application du même jour, que l’administration n’entend pas faire bénéficier de cette disposition favora- ble les Tunisiens (ni les Algériens), sans que la raison de cette exclusion apparaisse clairement (voir article p.7).
Toutefois, cette dispense ne joue évidemment pas dans les hypothèses où la régularité du séjour est une condition mise explicitement à la dé- livrance de la carte de résident (cf. les étrangers résidant régulièrement en France depuis plus de dix ans ou les apatrides résidant en France réguliè- rement depuis plus de trois ans).
De nouveaux bénéficiaires
La loi, par ailleurs, accroît le nom- bre des bénéficiaires de plein droit de la carte de résident.
D’une part elle supprime les condi- tions restrictives introduites par la loi Pasqua en ce qui concerne les con- joints de Français et les étrangers entrés en France avant l’âge de 10 ans ou y résidant depuis plus de dix ans (dans la rédaction nouvelle du texte, peut désormais prétendre à la carte de ré- sident à la fois l’étranger qui réside en France depuis plus de quinze ans, même en situation irrégulière, et celui qui y réside depuis plus de dix ans, en situation régulière).
D’autre part elle élargit le bénéfice de l’article 15 à de nouvelles catégo- ries d’étrangers, en assimilant le titu- laire d’une rente de maladie profes- sionnelle au titulaire d’une rente d’ac- cident du travail, et surtout en pré- voyant d’accorder automatiquement une carte de résident au conjoint et aux enfants des réfugiés et apatrides, ce qui a pour effet de les dispenser des conditions de fond et des formalités du regroupement familial.
Enfin, la loi revient partiellement sur une disposition introduite en 1986 et qui prévoit que la carte de résident se périme lorsque son titulaire quitte la France pendant plus de douze mois consécutifs, en portant cette durée à trois ans. Malgré cette amélioration notable, l’inconvénient de la péremp- tion est double : d’une part elle aboutit à des situations absurdes lorsqu’un étranger se voit retirer sa carte de résident en cours de validité alors qu’il peut prétendre en obtenir une de plein droit ; d’autre part, on a constaté que la crainte de perdre les droits attachés à la carte de résident pouvait dissua- der les étrangers de tenter une réinsertion dans leur pays d’origine, alors que la politique des pouvoirs publics tend précisément à encoura- ger cette réinsertion.
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