Article extrait du Plein droit n° 4, juillet 1988
« L’emploi immigré dans la crise »
Réinsertion et protection sociale
Le retour dans la dignité et le respect des droits acquis suppose, en matière de protection sociale, de sérieuses modifications des législations appliquées actuellement.
– En ce qui concerne le chômage, une élémentaire justice voudrait que la totalité des droits à l’assurance chômage restant à courir soit versée. L’UNEDIC ne prévoit à l’heure actuelle que le versement des deux-tiers.
– Le contenu des conventions bilatérales en matière de sécurité sociale est très inégal. C’est ainsi que pour beaucoup d’immigrés rentrant au pays mais ne reprenant pas d’activité salariée, le bénéfice de la couverture soins de santé, maladie, maternité est définitivement perdu. Dans le cadre des conventions existantes, il serait possible de prévoir que, pendant une année, le travailleur et les membres de sa famille conservent le bénéfice de la couverture sociale. Il en va de même pour les allocations familiales.
Que les théoriciens du soi-disant déficit de la sécurité sociale ne viennent pas évoquer le coût d’une telle perspective. Le transfert des droits pendant cette période est de très loin inférieur à celui qu’il est nécessaire d’assurer lorsque le travailleur et sa famille sont en France. Il est important de rappeler que beaucoup d’immigrés, au moins les premières générations, sont arrivés en France à l’âge adulte. Les coûts de formation et de protection sociale durant toute leur jeunesse ont donc été supportés par leur pays d’origine. L’économie ainsi réalisée par la France a été estimée par A. Sauvy, sur la base des années 60-65, à l’équivalent de 25 fois le budget de la coopération entre la France et les pays dont ces migrants sont originaires.
De plus, le coût social des migrants est moins élevé que celui des nationaux : en salaires donc en charges sociales, en matière d’indemnisation du chômage puisque celle-ci se réfère aux salaires, en consommation médicale — sans même évoquer tous les autres aspects de la vie collective, culturelle, etc.
Des économies, en terme de coût pour la collectivité, sont réalisées chaque année du fait que 200 000 familles (600 000 enfants), 300 000 retraités, 95 000 accidentés du travail et 25 000 invalides, résidant hors de France, touchent de ce fait des prestations moins élevées que celles auxquelles ils auraient normalement droit.
– La maladie, l’invalidité, le décès ou, phénomène heureux, une naissance, peuvent survenir peu de temps après le retour. Il apparaît indispensable d’effectuer avant le départ un bilan de santé des intéressés : le travailleur, son conjoint et ses enfants. Ainsi la visite médicale à l’entrée trouverait son prolongement naturel à la sortie.
Cette mesure permettrait de vérifier l’état de santé de ceux qui étaient
« en bonne santé » à leur arrivée en France, et de préserver dans de meilleures conditions leurs droits à la sécurité sociale pour le cas où leur santé viendrait à s’altérer dans un délai plus ou moins long après leur retour dans leur pays. C’est aussi le plus sûr moyen d’éviter les conflits qui ne manqueraient pas de surgir entre les organismes de sécurité sociale, principalement en matière d’invalidité.
– Autre problème particulièrement important : la garantie des droits acquis en matière de pension vieillesse et de réversion. Les cotisations vieillesse et celles versées aux caisses de retraite complémentaire permettent, à 60 ou 65 ans, d’obtenir une pension. La liquidation des pensions n’est pas automatique : il faut la demander et, même lorsque le migrant est en France, les formalités ne sont pas toujours simples. Les difficultés sont encore bien plus grandes lorsqu’il réside dans un autre pays. Quant aux veuves, elles ignorent le plus souvent leurs droits.
Il faut que chaque travailleur concerné, avant le départ de France, puisse obtenir une reconstitution complète de sa carrière, tant du point de vue de la sécurité sociale que des retraites complémentaires. En outre, une protection sociale bien conçue devrait comporter la remise à l’intéressé d’une notice explicative dans sa langue, lui permettant ultérieurement d’accomplir avec succès les formalités administratives auxquelles il sera soumis obligatoirement.
Il conviendrait également de supprimer la clause de résidence en France à l’âge de la pension pour les ressortissants des pays avec lesquels il n’existe aucune convention de sécurité sociale.
Cette dernière réflexion conserve aussi toute sa valeur pour les rentes accidents du travail, notamment pour les ressortissants des pays avec lesquels la France n’a pas passé de convention et qui n’ont pas ratifié la convention n° 19 de l’OIT. Donc ce dernier cas, en effet, les personnes qui cessent de résider sur le territoire français reçoivent pour toute indemnité un capital égal à trois fois le montant annuel de leur rente. Des mesures doivent donc être prises pour assurer le transfert normal des rentes accidents du travail, sans aucune exclusive ou restriction.
Les Pays-Bas ont adopté une loi en 1987 qui permet aux immigrés de repartir chez eux en continuant à percevoir les allocations chômage, les pensions d’invalidité ou de retraite. Il serait important que la France, dans l’esprit des conventions internationales qu’elle a ratifiées, réfléchisse à ce que veut dire égalité des droits entre Français et immigrés quand ceux-ci envisagent de rentrer dans leur pays d’origine.
Arrivés en France adultes, en bonne santé, ils ont cotisé comme tous les travailleurs, payé leurs impôts comme tous les citoyens. En toute justice, ils doivent pouvoir conserver le droit à la même protection sociale que ceux qui restent en France.
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