Article extrait du Plein droit n° 24, avril 1994
« Familles interdites »

Un accouchement particulier

Lorsqu’une jeune femme enceinte de près de neuf mois arrive du Maghreb ou d’Afrique noire, elle sait qu’elle donne une chance à cet enfant qui aurait pu naître dans un ailleurs plus difficile. Les taux de mortalité des femmes des suites de couches et des nouveau-nés restent encore très élevés aujourd’hui dans ces régions.

Ce qu’elle ne sait pas, c’est que l’amélioration des plateaux techniques médicaux coûte très cher et que, faute de ressources propres ou de couverture sociale, elle peut se trouver confrontée à des problèmes de prise en charge des frais d’accouchement (près de 20 000 F. ou plus selon les cas).

Si l’aide médicale hospitalière est demandée systématiquement par la maternité pour les non-assurés sociaux, il arrive cependant qu’elle soit refusée (voir encadré) ; alors, ces frais restent à la charge de l’hôpital si la famille n’est pas solvable.

Et on voit apparaître, ici ou là, des pratiques qui, par le dérapage qu’elles représentent font craindre qu’on en arrive un jour à des discriminations à grande échelle.

Dans certains départements, en effet, ou dans certains hôpitaux, il est proposé à ces jeunes mères étrangères, en situation irrégulière bien sûr, d’accoucher anonymement (c’est-à-dire sous X) et de se séparer de leur bébé. Les frais hospitaliers sont alors entièrement à la charge de l’aide sociale à l’enfance du département de domiciliation.

Certains personnels hospitaliers proposeraient cette solution en toute bonne foi, convaincus que l’adoption de l’enfant sera son ultime chance... tant l’avenir de celui-ci semble incertain, sans régularisation du séjour de la mère, sans droits réels à l’aide sociale, et tant semble bienvenue la « libération » pour la jeune femme qui ne saurait ni ne pourrait assurer les besoins de l’ enfant.

Des pressions intolérables

Proposition, pression, non-information sur les aides possibles, les jeunes femmes qui nous racontent ces pressions à un moment où elles sont isolées, fragilisées psychologiquement peu de temps avant ou après l’accouchement, ne se sont pas senties soutenues, aidées, mais plutôt enfermées dans un processus . Peut-on espérer au moins que toute l’information nécessaire leur a été donnée, à savoir qu’elles ont trois mois de réflexion pour revenir sur leur « décision », ou est-ce se bercer d’illusion ?

La juxtaposition de l’intérêt de l’enfant et de l’intérêt financier de l’hôpital semble suspect. L’accouchement sous X, l’abandon de l’enfant ne peut être la seule solution concrète proposée par les services de la protection maternelle et infantile. Nous serions alors bien loin d’une des missions premières de la protection de l’enfant : prévenir l’abandon, favoriser la relation mère-enfant.

N’est-il pas possible, à l’heure où la loi Pasqua rappelle le droit aux prestations de l’aide sociale à l’enfance des étrangers même en situation irrégulière, donc le droit, pour les bébés étrangers, de vivre et d’être élevés par leur mère, que tous les personnels se mobilisent pour prévenir l’abandon, d’autant que des solutions existent, même si on peut déplorer leur insuffisance. Rien ne remplace, et ces mêmes personnels le savent, les premiers moments, les premiers mois passés entre l’enfant et la mère.

A l’heure de la mise en oeuvre de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, ces accouchements « pas comme les autres » font mesurer la distance entre l’adhésion à ces principes qui reflètent notre vision de l’enfant dans sa famille, et le regard qui est porté sur les enfants de familles étrangères.

Un des motifs de refus de l’aide médicale



Lorsqu’une femme arrive en France, le plus souvent elle est hébergée par des compatriotes en « urgence » et elle donne cette première adresse à l’administration (à l’hôpital, par exemple, pour la demande d’aide médicale). La naissance arrive ; le premier hébergement ne peut durer, la mère change d’adresse une fois, deux fois, ...

Il faut savoir que le bureau d’aide sociale (BAS) qui étudie la demande d’aide médicale va envoyer une convocation à la première adresse. On constate alors très souvent que le premier hébergeant n’a plus de contact avec la femme et l’enfant, qu’il ne peut faire suivre le courrier et qu’il ne signale pas cet état de fait au bureau d’aide sociale, par ignorance des conséquences.

Or, la non-réponse à la convocation du BAS entraîne systématiquement le refus d’aide médicale, donc la prise en charge des frais d’hospitalisation ; les BAS, surchargés, ne peuvent peuvent prendre le temps de faire des rappels (qui resteraient d’ailleurs lettre morte).

Sachons informer.



Article extrait du n°24

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Dernier ajout : vendredi 23 septembre 2022, 15:25
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