Article extrait du Plein droit n° 51, novembre 2001
« Entre ailleurs et ici : Quels droits pour les femmes et les enfants étrangers ? »
La protection de l’enfant en danger
Christophe Séraglini
Professeur de droit privé à l’Université de Picardie.
Si les services de l’aide sociale à l’enfance, dont l’une des missions est d’accueillir les enfants déliés de tout lien familial ou retirés de leur famille, n’assument pas toujours le rôle que la loi leur confie face aux mineurs étrangers, ils ne se retranchent généralement pas derrière une prétendue incompétence. Il n’en est pas de même pour le juge des tutelles. Celui-ci a notamment pour fonction d’organiser, en cas de besoin, la tutelle des mineurs considérés légalement comme des incapables. La question se pose inévitablement pour les mineurs qui se retrouvent seuls en France, sans famille apte à les représenter. En vertu de l’article 433 du code civil, « si la tutelle reste vacante, le juge des tutelles la défère… au service de l’aide sociale à l’enfance ». Or, en pratique, il n’est pas rare que certains juges refusent d’intervenir en brandissant le « statut personnel » des enfants étrangers, en se gardant bien de toute explication supplémentaire.
Une telle attitude traduit une méconnaissance du droit positif français en matière de protection des mineurs. Certes, le droit international privé français commun consacre depuis longtemps, à titre de principe, la compétence de la loi nationale de l’enfant pour l’organisation d’une tutelle, qu’il s’agisse d’un enfant légitime ou naturel [1] . Mais le droit français a toujours permis au juge de prendre des mesures d’urgence en vue d’assurer la protection des mineurs qui se trouvent en danger sur le territoire français.
De plus, la France est partie à des conventions internationales qui permettent au juge de prendre un certain nombre de mesures. Ceci étant, les pouvoirs du juge français seront différents selon que le mineur peut, ou non, être considéré comme ayant sa résidence habituelle en France. Il faut donc distinguer les deux hypothèses.
La Convention de la Haye
Une étape importante dans l’élaboration de la réglementation actuelle a été l’affaire Boll, dans laquelle la Cour internationale de justice a dû se prononcer, le 28 novembre 1958 [2] , sur des mesures d’éducation protectrice prises par le gouvernement suédois à l’égard d’un mineur de nationalité néerlandaise résidant sur le territoire suédois. La Suède et les Pays-Bas étaient liés par la Convention de la Haye du 12 juin 1902 sur la tutelle des mineurs, qui donnait une compétence de principe à la loi nationale du mineur. Malgré cela, la Cour a admis les mesures administratives prises par les autorités du pays de la résidence, appliquant leur loi, au titre de l’éducation protectrice.
Cette affaire a inspiré l’adoption de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961, concernant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des mineurs. Cette Convention, entrée en vigueur en France le 10 novembre 1972, a un champ d’application très large, puisqu’elle vise tant la protection de la personne du mineur que celle de ses biens.
Le terme de « protection » vise toutes les mesures individuelles, de droit public ou de droit privé, prenant en considération la faiblesse de l’intéressé et visant sa personne ou ses biens. On peut donc y inclure l’autorité parentale, la tutelle, l’assistance éducative, la déchéance de l’autorité parentale, la garde des enfants dans le divorce, etc.
Tous les mineurs concernés
La Convention vise tous les mineurs, quelle que soit leur nationalité, à condition qu’ils aient leur résidence habituelle dans l’un des Etats contractants. Enfin, elle entend par mineur toute personne qui a cette qualité tant selon la loi interne de l’Etat dont elle est le national que selon la loi interne de l’Etat de sa résidence habituelle. En France, la Convention s’applique donc dans la plupart des cas.
En application de cette Convention, les services de l’aide sociale à l’enfance peuvent songer à demander au juge des tutelles l’ouverture d’une tutelle à l’égard de l’enfant résidant en France. En effet, la Convention pose le principe de la compétence des autorités, tant judiciaires qu’administratives, de l’Etat de la résidence habituelle du mineur pour prendre, selon leur loi interne, les mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens. Certes, la Convention reconnaît la protection normalement exercée dans le cadre familial ; mais dès qu’une mesure est nécessaire, elle admet la compétence des autorités de la résidence habituelle, appliquant leur propre loi.
Deux difficultés pourraient toutefois sembler s’opposer à l’ouverture d’une tutelle : la première concerne l’existence éventuelle d’un rapport d’autorité sur l’enfant selon sa loi nationale ; la seconde est relative à la notion de résidence habituelle de l’enfant sur le territoire.
La première difficulté résulte de l’article 3 de la Convention, qui impose, en principe, au juge de vérifier s’il existe ou non un rapport d’autorité de plein droit sur l’enfant en vertu de sa loi nationale. En effet, cet article impose la reconnaissance, dans les Etats contractants, d’un rapport d’autorité « résultant de plein droit de la loi interne de l’Etat dont le mineur est ressortissant ». Un rapport doit être considéré comme étant « de plein droit » lorsqu’il ne nécessite l’intervention d’aucune autorité judiciaire ou administrative. L’autorité parentale dévolue de plein droit aux parents de l’enfant, ou à l’un d’eux en cas de décès de l’autre parent, est incontestablement un rapport d’autorité de plein droit au sens de la Convention. Si l’article 3 s’applique, la qualité et les pouvoirs de la personne représentant le mineur seront donc, en principe, reconnus. Ainsi, il y a une frontière entre le rapport d’autorité et les mesures de protection : les secondes ne sont possibles que lorsque le premier est déficient. On pourrait donc comprendre que le juge des tutelles français refuse d’ouvrir en France une tutelle s’il existe un tel rapport d’autorité, selon la loi nationale du mineur.
Mais encore faudrait-il que le juge vérifie l’existence d’un tel rapport et que ce rapport n’a pas cessé, du fait du décès des parents notamment. Autrement dit, il devrait vérifier s’il n’y a pas vacance d’autorité sur l’enfant, et ne pas se contenter de brandir l’étendard du principe de compétence de la loi nationale en matière de statut personnel. De plus, en principe, la loi nationale ne peut être compétente que si la dévolution et le fonctionnement de l’autorité parentale ne sont pas subordonnées à l’intervention d’une autorité judiciaire ou administrative, puisque le rapport d’autorité doit être né ex lege. Dans le cas contraire, la loi de la résidence habituelle devrait retrouver son empire.
L’attitude compréhensive de la Cour de cassation
En toute hypothèse, la Cour de cassation, compte tenu des difficultés et des problèmes de frontières qui peuvent naître de la confrontation possible de la loi de la résidence habituelle et de la loi nationale, semble avoir une interprétation très compréhensive et globalisante de la Convention, favorisant largement la compétence de la loi de la résidence habituelle française et, par conséquent, l’intervention du juge français.
Un arrêt récent du 6 février 2001 l’illustre parfaitement [3] . Dans cette affaire, un enfant mineur, né à Paris de deux parents de nationalité algérienne, avait perdu son père. La mère n’était pas présente en France après le décès. Le juge des tutelles avait confié l’enfant aux services de l’aide sociale à l’enfance, dans la mesure où le juge avait considéré que l’on était en présence d’un cas de vacance de tutelle. La grand-mère paternelle avait formé un recours contre la décision de vacance.
A l’occasion de cette affaire, la Cour de cassation a déclaré que « le juge des tutelles tient des articles 1, 2, 8 et 13, alinéa 1er, de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 le pouvoir de prendre des mesures de protection prévues par la loi française de la résidence habituelle du mineur pouvant conduire à l’organisation d’une tutelle ». Commentant cette décision du 6 février 2001, le professeur Boulanger a toutefois parfaitement démontré que la Cour de cassation n’a pas cherché à savoir si, en application de l’article 3 de la Convention de 1961 et de la loi algérienne, un rapport d’autorité de plein droit existait ou non, et qu’en réalité, selon cette loi, il n’y avait pas de véritable « vacance » de l’autorité.
La Cour de cassation paraît donc faire une appréciation factuelle de la notion de « vacance », assimilant l’éloignement de la mère à une « vacance », privilégiant ainsi le principe de proximité sur l’application orthodoxe de l’article 3 de la Convention. Elle anticipe ainsi l’application de la Convention de La Haye du 16 octobre 1996 (V. infra.).
En cas de « danger sérieux »
Par ailleurs, même lorsque existe un rapport d’autorité ex lege selon la loi nationale de l’enfant, l’autorité de la résidence habituelle peut néanmoins prendre des mesures de protection « pour autant que le mineur est menacé d’un danger sérieux dans sa personne ou ses biens ». Dans ce cas, le juge français n’aura pas à prendre en compte le rapport d’autorité résultant de plein droit de la loi nationale du mineur. Simplement, les autorités des autres Etats contractants ne seront pas tenues de reconnaître ces mesures. Mais ce défaut de reconnaissance est un moindre mal si l’enfant a, de toute manière, vocation à s’établir définitivement en France.
La difficulté pourrait être, à l’avenir, définitivement surmontée après l’entrée en vigueur de la Convention du 16 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants. Cette Convention a eu pour principal objectif de remédier aux difficultés d’application de la Convention de 1961. Aussi, a-t-elle abandonné le partage délicat de compétence entre l’Etat national et l’Etat de la résidence habituelle, au profit du second.
La Convention donne ainsi une compétence de principe aux autorités de l’Etat de la résidence habituelle du mineur, et, si le mineur n’a pas de résidence habituelle, à celles sur le territoire duquel l’enfant est présent. La référence aux rapports ex lege résultant de plein droit de la loi nationale du mineur est abandonnée. De plus, cette convention a une véritable portée universelle, puisqu’elle s’applique sans condition de résidence habituelle de l’enfant sur le territoire d’un Etat contractant, mais à tout enfant à partir de sa naissance et jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de 18 ans.
Reste cependant la seconde difficulté, celle relative à la notion de « résidence habituelle ». Cette notion a un caractère largement fonctionnel [4] . Son contenu est en étroite relation avec l’objectif poursuivi par la Convention internationale qui utilise la notion. Pour la Convention de La Haye de 1961, des juridictions allemandes ont retenu que la résidence du mineur doit être considérée comme « le lieu où les autorités peuvent apprécier le mieux ses besoins » et, de façon générale, comme le pays qui constitue le centre de gravité effectif de la vie de l’enfant, ce facteur variant en fonction des circonstances de la cause. Un élément de stabilité et de continuité paraît donc exigé. Toutefois, la Cour de cassation, qui a paru faire, par son arrêt du 6 février 2001 (V. supra.), en quelque sorte, une application anticipée de la Convention du 16 octobre 1996, pourrait à nouveau s’inspirer de l’esprit de cette Convention.
Le cas des enfants déplacés
Celle-ci a en effet envisagé le cas des enfants dont la résidence habituelle n’existe plus ou ne peut être établie. Il s’agit essentiellement du cas des enfants internationalement déplacés, d’un Etat dans un autre, à la suite d’évènements politiques ou de catastrophes naturelles. Dans cette situation, l’article 6 de la Convention prévoit que les autorités de l’Etat sur le territoire duquel se trouve l’enfant exerceront, à défaut de résidence habituelle, la compétence normalement attribuée à celles de l’Etat de la résidence habituelle.
Cet Etat est, en effet, à coup sûr le mieux placé pour assurer la protection de l’enfant. Une solution identique pourrait être appliquée dans le cadre de la Convention de 1961. En tout cas, il faudrait considérer, dans ces situations de déplacement, que l’enfant n’a pas sa résidence habituelle dans un Etat partie à la Convention de 1961 et que celle-ci n’est pas applicable ; ce qui nous conduit à examiner, plus généralement, l’hypothèse du mineur ne pouvant être considéré comme résidant habituellement en France.
Ici, le juge français pourra prendre un certain nombre de mesures, certes en règle générale plus limitées, mais non inexistantes. Il suffit, pour cela, que le mineur se trouve en France. Le juge tient alors ses pouvoirs d’intervention, selon les cas, du droit commun ou des engagements internationaux de la France.
Protéger le mineur en cas d’urgence
Si l’enfant ne réside pas en France mais s’y trouve temporairement, et ne peut être considéré comme résidant habituellement dans un autre Etat contractant à la Convention de La Haye de 1961, le droit commun s’applique. Dans le droit commun, l’article 375 du code civil prévoit, au titre de l’assistance éducative, que si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par la justice.
Dans une situation internationale, la jurisprudence a décidé que ces mesures pouvaient être prises à l’égard de tous les mineurs se « trouvant sur le territoire », quelle que soit leur nationalité ou celle de leurs parents [5] . Le droit français prévoit, à cet égard, toute une panoplie de mesures, qui peuvent aller jusqu’au placement de l’enfant dans un établissement spécialisé. Le droit français permet donc au juge de protéger l’incapable en cas d’urgence, en attendant que l’enfant soit éventuellement reconduit dans son pays d’origine.
On retrouve un écho de ces solutions en matière de mesures d’urgence dans la Convention de La Haye du 5 octobre 1961. En effet, en cas d’urgence, les autorités de chaque Etat contractant sur le territoire duquel se trouvent le mineur ou des biens lui appartenant, prennent les mesures nécessaires, mesures qui ont toutefois, en principe, un caractère provisoire (art. 9). La Convention s’appliquera donc lorsque le mineur se trouve en France, mais a sa résidence habituelle dans un autre Etat contractant. Il s’agit toutefois de mesures temporaires, le juge français devant avertir les autorités de l’Etat dont le mineur est ressortissant et celles de l’Etat dans lequel il a sa résidence habituelle.
De même, dans la Convention de La Haye du 16 octobre 1996, les articles 11 et 12 autorisent les autorités de chaque Etat contractant sur le territoire duquel se trouve l’enfant ou ses biens, à déroger à la compétence des autorités de la résidence, pour prendre des mesures urgentes ou provisoires.
Le juge français a donc de nombreuses possibilités légales d’intervention pour assurer la protection des mineurs qui se trouvent, de façon plus ou moins continue, sur le territoire français. Aussi, nous aimerions à l’avenir donner tort à M. Baudouin, conseiller à la cour d’appel de Montpellier, qui, dans un article relativement récent [6], écrivait qu’en 1992, on aurait pu célébrer tout à la fois le vingtième anniversaire de l’entrée en vigueur de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961… et le vingtième anniversaire de sa méconnaissance par les juges des enfants français. ;
Notes
[1] Req. 10 novembre 1896, S. 1900, 1, p. 516 ; et plus récemment, Civ. 1ère, 7 novembre 1972, Rev. crit. DIP 1973, p. 301, note P. Lagarde.
[2] Rev. crit. DIP 1958, p. 358.
[3] Civ. 1ère, 6 février 2001, D. 2001, p. 2440, note F. Boulanger.
[4] Y. Loussouarn et P. Bourel, Droit international privé, Dalloz, 7e éd., 2001, n° 165-1, p. 184.
[5] Civ. 1ère, 27 octobre 1964, Maro, D. 1965, p. 81 ; 16 janvier 1979, Clunet 1981, p. 66, note Foyer.
[6] La protection du mineur étranger par le juge des enfants, Rev. crit. DIP 1994, p. 483.
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