Article extrait du Plein droit n° 51, novembre 2001
« Entre ailleurs et ici : Quels droits pour les femmes et les enfants étrangers ? »

Les « p’tites fantaisies » de l’Intérieur

Nathalie Ferré

 
Le 11 octobre 1999, une circulaire du ministère de l’intérieur venait donner aux préfets des instructions destinées à multiplier les contrôles et les arrestations d’étrangers. Le Gisti a contesté, devant le Conseil d’Etat, la légalité de cette circulaire et des consignes données pour effectuer les contrôles d’identité. Or, dans son mémoire en défense, le ministère de l’intérieur donne de la position de la Cour de cassation sur le risque d’atteinte à l’ordre public une interprétation non seulement erronée mais totalement fantaisiste. Dans quel but ?

Le Gisti a décidé, il y a plusieurs mois maintenant, de contester la légalité de la circulaire du 11 octobre 1999 relative à l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, adressée aux préfets. Dans cette circulaire, le ministre de l’intérieur y annonçait le temps de la rigueur : la période des régularisations était terminée, comme celle nécessaire à la juste application des nouvelles dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945, issues de la loi du 11 mai 1998. Il fallait désormais interpeller et reconduire à la frontière ceux qui n’avaient pas été admis à séjourner. Des instructions bénéficiant d’un large écho médiatique – c’était le but – étaient donc données pour contrôler, identifier, retenir… C’est la présence d’un paragraphe, ayant trait spécifiquement aux interpellations, qui a conduit le Gisti à déposer une requête aux fins d’annulation de la circulaire. Le ministre écrit : « Tout en évitant le risque de contrôles systématiquement sélectifs, vous rappellerez aux services de police et de gendarmerie la nécessité d’effectuer des vérifications répétées dans les endroits qu’ils vous auront indiqué comme étant ceux où se concentrent les irréguliers. Ces vérifications seront fondées ou bien sur l’article 8 (2e alinéa) de l’ordonnance de 1945 ou bien sur les dispositions du Code de procédure pénale relatives au contrôle d’identité. A cet égard, vous devez motiver et sensibiliser les services de police compétents pour procéder aux interpellations, qui sont actuellement en nombre insuffisant. Il a été fait montre d’une grande circonspection durant la régularisation. Il convient d’y mettre fin car elle n’est plus justifiée ».

A l’appui de son recours, le Gisti tentait de démontrer l’illégalité de la circulaire : des instructions à caractère réglementaire modifiaient le régime légal des contrôles d’identité en posant de nouvelles obligations à la charge des préfectures. En effet, les conditions posées par la loi pour procéder à des contrôles d’identité ou à des vérifications de la situation administrative des étrangers ne permettent pas, en elles-mêmes, d’effectuer des interpellations là « où se concentrent des irréguliers », sauf à sélectionner, dans certains quartiers de la capitale ou de grandes villes, ceux qui sont présumés être des étrangers sur la base d’éléments tenant à la couleur de la peau ou à la morphologie, ce qui est strictement condamné tant par la Cour de cassation que par le Conseil constitutionnel. Au-delà des considérations purement juridiques, on peut se demander quels sont ces lieux où sont censés se rassembler les sans-papiers…

Toujours est-il que le ministère de l’intérieur, en juillet dernier, a déposé à son tour son mémoire en défense. Si l’on ne peut préjuger du résultat – le Conseil d’Etat reste maître de la décision à intervenir –, il est manifeste que le ministère de l’intérieur entend le tromper de façon si grossière que cela peut prêter à sourire, voire à rire franchement. Ce que nous avons fait en apprenant que, selon l’auteur du mémoire en défense, la Cour de cassation avait, par un arrêt en date du 23 mai 2001, jugé que désormais il n’était plus nécessaire de motiver les contrôles d’identité administratifs…

Ainsi, selon le ministère de l’intérieur, la police n’a plus besoin d’invoquer des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public pour procéder à des interpellations de nature administrative : « la Cour de cassation a considéré qu’en subordonnant la régularité du contrôle opéré sur le fondement de l’article 78-4 du Code de procédure pénale à la justification par l’autorité administrative de circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public, la Cour d’appel avait ajouté une condition non prévue par la loi  ».

Démontrer clairement un risque d’atteinte à l’ordre public

Evidemment, c’est plus simple ainsi : si l’on supprime cette condition, il n’y en a plus d’autre et vive les contrôles d’identité enfin libérés du joug du législateur. Seulement voilà, la Cour de cassation ne dit absolument pas ça. D’abord, elle ne mentionne pas l’article 78-4 du Code de procédure pénale, comme le prétend le ministère, qui ne parle en aucune manière des conditions de fond subordonnant la légalité des contrôles d’identité. C’est l’article 78-2 qui est ici applicable, et plus précisément son alinéa 4 qui traite des contrôles d’identité frontaliers.

Ensuite, la deuxième chambre civile dit seulement que les contrôles effectués dans la zone frontalière ou dans les ports, aéroports et gares ferroviaires et routières ouverts au trafic international n’ont pas besoin d’être motivés. En conséquence, en exigeant – ce que ne fait pas le législateur – que les interpellations opérées dans ces lieux strictement énumérés par arrêté soient motivées par des risques potentiels d’atteinte à l’ordre public, les juges du fond ont ajouté une condition non prévue par la loi. C’est ce qu’énonce de façon transparente la Cour de cassation dans sa motivation pour casser l’ordonnance rendue par le premier président de la Cour d’appel. Les contrôles d’identité dits administratifs, régis par l’alinéa 3 de la disposition précitée, n’étaient pas concernés par les faits de l’espèce ; ils supposent clairement, pour être justifiés, que soit démontré un risque d’atteinte à l’ordre public. La loi l’exige, comme la Cour de cassation qui opère un contrôle strict en ce domaine. Rappelons – même si l’on s’écarte un peu de l’histoire – que celle-ci a considéré que la seule référence au plan Vigipirate pour justifier des interpellations préventives ne constituait pas une motivation suffisante et ne dispensait pas les policiers de dire en quoi leur intervention permettait de prévenir une atteinte à l’ordre public (Cass. civ. 2ème, 18 mars 1998, Bull. civ. II n° 94).

Soit les services concernés du ministère de l’intérieur – rien de moins que la direction des libertés publiques et des affaires juridiques ! – n’ont pas eu le courage de lire la décision jusqu’au bout, soit ils ont choisi de faire dire à la Cour de cassation ce qu’ils avaient envie d’entendre, ce qui est tout aussi regrettable. A moins que le ministère de l’intérieur ne se laisse aller à une certaine fantaisie dans l’interprétation des décisions de justice, en optant pour une confusion entre toutes les formes de contrôle. Pourquoi faire compliqué lorsqu’on peut faire simple…

Cadres légaux

L’auteur du mémoire en défense reproche pourtant au Gisti les propres turpitudes du ministère de l’intérieur, en affirmant que notre recours recèle des « confusions constantes entre les notions de vérifications d’identité et de contrôles d’identité  » et « un amalgame entre les notions de contrôle d’identité de police administrative et des contrôles d’identité de police judiciaire  ». Outre que la circulaire attaquée emploie indistinctement les termes de contrôle et de vérification d’identité, c’est bien le ministère de l’intérieur qui, dans son commentaire, essaie d’étendre l’interprétation de l’arrêt de la Cour de cassation à l’ensemble des contrôles d’identité et non aux seuls cas prévus par l’article 78-2 alinéa 4.

Pourtant, malgré des pratiques policières contestables, subsistent plusieurs cadres légaux pour les interpellations, déclinant des conditions de fond propres à chaque hypothèse de contrôle, qu’il convient de respecter. N’en déplaise à la direction des libertés publiques, hors des zones frontières et de certains lieux ouverts au trafic international, les contrôles d’identité administratifs doivent toujours être justifiés par des circonstances particulières établissant un risque d’atteinte à l’ordre public. ;



Article extrait du n°51

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Dernier ajout : mardi 3 novembre 2015, 12:40
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