Article extrait du Plein droit n° 80, mars 2009
« Sans papiers, mais pas sans voix »

Les sans-papiers licenciés ont-ils des droits ?

Véronique Baudet-Caille

Juriste, membre du Gisti
À plusieurs reprises en 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser les règles applicables à la rupture du contrat de travail d’un travailleur étranger employé sans autorisation de travail. Il est particulièrement intéressant dans le contexte actuel de revenir sur les solutions dégagées par la jurisprudence. Ce contexte est marqué d’une part, par la volonté gouvernementale affichée de lutter contre le travail illégal sous toutes ses formes, d’autre part, par le souhait de favoriser l’immigration dite de travail.

Selon l’article L. 8251-1 du code du travail, il est interdit de conserver à son service ou d’employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. La jurisprudence en a déduit que l’employeur doit vérifier, lorsqu’il embauche un étranger, que celui-ci est titulaire d’une autorisation de travail. S’il ne le fait pas volontairement, l’infraction est constituée. Depuis le 1er juillet 2007, et en application de la loi du 24 juillet 2006, les obligations de l’employeur ont été renforcées puisqu’il doit vérifier auprès de la préfecture que l’étranger qu’il envisage d’embaucher dispose d’une autorisation de travail. Au moins deux jours ouvrables avant l’embauche, il adresse au préfet une lettre datée, signée et recommandée avec avis de réception ou un courrier électronique, avec une copie du document fourni par l’étranger. Le préfet envoie sa réponse à l’employeur par courrier, télécopie ou courrier électronique dans les deux jours ouvrables suivant la réception de la demande. À défaut de réponse dans ce délai, l’obligation de l’employeur est réputée accomplie. Cette nouvelle obligation a été présentée comme un instrument de plus en faveur de la lutte contre le travail d’étrangers sans titre.

Afin d’augmenter l’immigration de maind’oeuvre, la loi Hortefeux du 20 novembre 2007, dans la continuité de la réforme votée en 2006, introduit une possibilité de régularisation au cas par cas des étrangers en situation irrégulière déjà installés en France qui travaillent ou disposent d’une promesse d’embauche dans des secteurs ou des métiers en tension listés par l’arrêté du 18 janvier 2008.

Il résulte du code du travail et de la jurisprudence que deux situations doivent être distinguées : celle où l’irrégularité de la situation intervient en cours d’exécution du contrat, et celle où l’embauche est intervenue alors que le salarié étranger n’avait pas d’autorisation de travail. C’est dans le second cas de figure que la jurisprudence apparaît particulièrement sévère.

Lorsque l’entreprise a embauché un étranger titulaire d’une autorisation de travail mais que celleci n’est pas renouvelée et que, par conséquent, l’irrégularité survient en cours de contrat, l’employeur qui licencie le salarié doit respecter la procédure et lui verser les indemnités de licenciement. En effet, toute rupture d’un contrat de travail à durée indéterminée par l’employeur, hormis les cas de rupture au cours de la période d’essai et les cas de force majeure et de mise à la retraite, constitue un licenciement. Toutefois, le salarié n’a pas droit à l’indemnité de préavis puisqu’il est dans l’impossibilité de l’exécuter faute de titre l’autorisant à continuer à travailler en France [1].

Lorsqu’il licencie un salarié en raison du non-renouvellement de son titre de séjour, l’employeur ne peut invoquer la force majeure pour ne pas lui payer une indemnité compensatrice de préavis non exécuté que si l’inexécution est due à un événement indépendant de sa volonté et présentant les caractères d’insurmontabilité et d’irrésistibilité. Dès lors que ce non-renouvellement est lié à une faute de l’employeur (il n’a pas remis au salarié le contrat de travail réclamé par le préfet), ce dernier doit payer une indemnité de préavis [2].

Un salarié comme un autre ?

Dans la deuxième hypothèse, celle où l’étranger embauché est dépourvu d’autorisation de travail, celui-ci est assimilé, à compter de la date de son embauche, à un travailleur régulièrement engagé. C’est le code du travail qui le dit (article L. 8252-1). Ce qui signifie que la réglementation du travail lui est applicable et en particulier celle relative à la durée du travail, au repos, aux congés, à l’ancienneté. Le salarié étranger a droit, au titre de la période d’emploi illicite, au paiement de son salaire. En revanche, la règle de l’assimilation ne joue pas si le contrat de travail est rompu. Selon l’article L. 8252-2, le salarié a droit à une indemnité forfaitaire égale à un mois de salaire, quelle que soit son ancienneté dans l’entreprise, ou aux indemnités légales prévues en cas de rupture du contrat de travail si elles sont plus élevées. L’étranger ne peut pas être débouté de ses demandes d’indemnités parce que son contrat de travail serait nul, la lettre de licenciement invoquant comme motif de rupture la situation irrégulière du salarié [3]. Il peut également demander en justice une indemnisation supplémentaire s’il justifie d’un préjudice non réparé, le droit à cette indemnité n’étant pas subordonné à une rupture abusive du contrat de travail [4].

C’est cette dernière disposition qu’un ressortissant macédonien invoque devant les prud’hommes. Embauché comme chauffeur routier, son contrat de travail prend fin à l’initiative de l’employeur trois mois plus tard au motif qu’il n’avait pas le droit d’exercer une activité salariée en France. Aucun entretien préalable au licenciement n’est organisé par l’employeur. Les juges n’accordent au salarié que l’indemnité forfaitaire d’un mois de salaire prévue par l’article L. 8252-2 du code du travail. Devant la Chambre sociale, le salarié invoque l’article 7 de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), selon lequel un travailleur ne peut pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu’on lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées. Le salarié considère en effet qu’il n’a pas pu s’exprimer sur les motifs de la rupture de son contrat de travail avant que cette mesure soit prise et qu’il y a donc violation de l’article 7. La Cour de cassation rejette l’argument, considérant que cet article ne vise que les licenciements pour des motifs liés à la conduite ou au travail du salarié et ne s’applique pas à la rupture du contrat de travail d’un étranger motivée par son emploi sans autorisation de travail. Elle conclut que l’application des dispositions relatives à l’entretien préalable au licenciement est exclue dans ce type de rupture [5]. Il en résulte que le salarié étranger licencié pour défaut d’autorisation de travail à l’embauche ne peut obtenir une indemnité en raison de l’absence d’entretien préalable au licenciement. S’agissant du montant de l’indemnisation accordée au salarié, la cour précise que l’indemnité forfaitaire ne se cumule pas avec l’indemnité de préavis ; le salarié a droit à la plus élevée des deux sommes. En admettant que le contrat de travail d’un salarié sans papiers puisse être rompu sans entretien préalable, la jurisprudence ouvre une première brèche. Ce type de rupture n’est donc pas un licenciement comme un autre. En effet, dans le droit commun du licenciement, les juges considèrent que l’absence de convocation à un entretien préalable cause nécessairement un préjudice au salarié concerné.

En juin 2008, la Chambre sociale confirme sa jurisprudence relative à l’absence d’entretien préalable en cas de rupture du contrat de travail d’un salarié dépourvu d’autorisation de travail [6]. Dans cette affaire, seize salariés embauchés comme manoeuvres, entre juin 2000 et avril 2003, en présentant de fausses cartes de résident, avaient été licenciés, en septembre 2004, en raison notamment de l’irrégularité de leur situation au regard de la législation sur le séjour et l’exercice d’une activité salariée en France et de la présentation de faux documents. Les salariés, qui avaient saisi les prud’hommes pour licenciement irrégulier, avaient été déboutés de leurs demandes d’indemnité de préavis et d’indemnité de licenciement. Ils n’avaient pas obtenu non plus l’indemnité forfaitaire parce que l’employeur les avait embauchés dans l’ignorance de la falsification des cartes de résident, ce qui, selon lui, excluait l’octroi de cette indemnité forfaitaire. Pas du tout, estiment les juges. L’indemnité forfaitaire est due même si les documents présentés à l’embauche sont falsifiés.

Rupture obligée et non licenciement

Dans le dernier arrêt rendu au cours de l’année 2008, le 13 novembre, la Cour de cassation semble pousser son raisonnement plus loin. Une salariée de nationalité algérienne est engagée en qualité de lingère, d’abord sous contrat à durée déterminée, en 2001, puis sous contrat à durée indéterminée. Au moment de l’embauche, elle présente à l’employeur une demande d’asile territorial et la carte de sécurité sociale de son époux sur laquelle elle figure comme ayant droit avec ses deux filles. L’employeur était donc parfaitement informé de sa situation administrative ; le défaut de titre de travail était connu depuis l’embauche. Elle est licenciée en mai 2002, au motif que « vous nous avez dissimulé ne pas avoir obtenu les autorisations nécessaires pour travailler ». La salariée conteste ce licenciement. Selon elle, le caractère réel et sérieux des motifs invoqués dans la lettre de licenciement fait défaut. Il ne peut y avoir dissimulation imputée à la salariée puisque l’employeur connaissait sa situation depuis l’embauche. Mais les juges ne se prononcent pas sur le motif réel et sérieux du licenciement. Ils considèrent que les articles L. 1232–2, L. 1232–11 et suivants du code du travail régissant le licenciement ne s’appliquent pas à la rupture du contrat de travail d’un salarié étranger motivé par son emploi irrégulier : cette rupture ne serait donc pas un licenciement soumis à la procédure prévue par le code du travail et contrôlée par les juges. Exit la vérification du motif invoqué par l’employeur, l’exigence d’un entretien préalable, l’octroi de dommages et intérêts pour licenciement abusif, puisqu’il n’y a pas de licenciement, mais un autre mode de rupture en quelque sorte obligé en raison de la situation irrégulière du salarié.

La solution paraît critiquable et choquante, encore plus dans une affaire comme celle évoquée ci-dessus, lorsque l’employeur était informé depuis l’embauche de la situation du salarié. Est-ce à dire qu’un employeur peut embaucher un salarié sans autorisation de travail (quelle est alors la portée réelle de l’obligation de contrôle mise en place depuis le 1er juillet 2007 ?), l’employer pendant plusieurs mois voire plusieurs années puis rompre son contrat en n’ayant comme seule obligation que l’envoi d’une lettre de rupture non motivée et le versement d’une indemnité forfaitaire d’un mois de salaire ? Critiquable, la solution l’est également si l’on se réfère aux fondements mêmes du droit du licenciement. Depuis la loi du 13 juillet 1973, le licenciement n’est licite que s’il est justifié par une cause réelle et sérieuse, que le motif invoqué soit économique ou personnel. Les tribunaux veillent au grain, ce sont eux qui apprécient souverainement l’existence de cette cause réelle et sérieuse. En d’autres termes, l’employeur ne peut pas rompre le contrat de travail pour n’importe quel motif. Quant à la procédure, elle est très encadrée : exigence d’un entretien préalable, d’une information des représentants du personnel, de la remise d’une lettre de licenciement, l’ensemble étant également placé sous le contrôle des juges. Trouver un équilibre entre d’un côté, la protection du salarié et, de l’autre, la liberté de gestion du chef d’entreprise, c’est toute la difficulté du droit du licenciement. Que reste-t-il de la protection du salarié si le juge ne contrôle plus les motifs de la rupture, le respect de la procédure ?

La question se pose désormais de savoir si cette évolution de la jurisprudence remet en cause les décisions antérieures de la Chambre sociale ainsi que la position plus nuancée qui semblait prévaloir jusqu’à présent dans certaines décisions de cours d’appel. En 1985, la Chambre sociale considérait en effet qu’en cas d’emploi d’un étranger non autorisé à exercer une activité salariée en France [7], ni la nullité absolue du contrat, ni le défaut de réalisation de la condition suspensive d’obtention de l’autorisation y figurant ne suffisaient à priver l’intéressé du droit de demander les indemnités de rupture des relations de travail. Par un arrêt rendu le même jour que celui qui a privé le salarié de la procédure protectrice de licenciement [8], curieusement, la Cour de cassation annule la décision d’une cour d’appel ayant débouté un salarié de sa demande de dommages et intérêts. Dans cette affaire, un ressortissant marocain avait été engagé, en juillet 1999, comme veilleur de nuit. En décembre 2000, il était licencié au motif qu’il n’était pas muni d’un titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. Le salarié conteste ce licenciement et demande des dommages et intérêts. La cour d’appel rejette sa demande d’indemnités estimant que l’interdiction d’emploi d’un étranger sans autorisation de travail, prévue à l’article L. 8251-1, constitue, à l’égard du salarié étranger employé, une cause réelle et sérieuse de licenciement. La Chambre sociale censure la position ainsi prise par les juges d’appel au motif qu’ils auraient dû rechercher « si l’irrégularité de l’emploi du salarié ne résultait pas d’une carence de l’employeur constituée par la remise d’un contrat de travail ne correspondant pas aux conditions d’emploi et empêchant toute régularisation de la situation administrative de l’intéressé ». Quelques décisions de cours d’appel prennent également en compte l’attitude de l’employeur. Dès lors qu’une entreprise a fait sciemment travailler un étranger non titulaire d’une autorisation de travail, elle a un comportement fautif et ne peut invoquer la situation irrégulière de l’étranger pour le licencier. Le licenciement est alors dépourvu de cause réelle et sérieuse [9]. Plus récemment, c’est la Cour d’appel de Paris qui jugeait, s’agissant de l’emploi d’un étudiant étranger, que l’employeur qui n’a pas rempli ses obligations contractuelles et légales envers un salarié étranger pour régulariser sa situation et lui permettre d’obtenir le renouvellement de son autorisation de travail, ne pouvait pas invoquer le défaut de titre de séjour en cours de validité pour justifier son licenciement [10].

Dans le contexte actuel marqué par les mouvements des travailleurs sans papiers en faveur de la reconnaissance de leurs droits (voir dans ce numéro, articles p. 26 et suiv.), il ne serait pas inutile que la Chambre sociale précise sa position. On peut d’ailleurs se demander si la décision du 13 novembre 2008 n’a pas été rendue justement compte tenu de ce contexte et du risque de voir ce contentieux croître. Cet arrêt de novembre 2008, s’il devait être confirmé, pourrait être lourd de conséquences. La rupture du contrat de travail d’un salarié embauché sans autorisation de travail est-elle un licenciement soumis au code du travail ou faut-il considérer qu’en raison de la situation irrégulière de l’étranger, le contrat est anéanti, l’employeur n’étant tenu de verser au salarié qui la demande qu’une indemnité forfaitaire, même si ledit employeur a bénéficié du travail effectué par son employé ?




Notes

[1Cass. soc., 14 octobre 1997, n° 94-42.604.

[2Cass. soc., 20 juin 1995, n° 92-40.807.

[3Cass. soc., 3 juin 1998, n° 96-4503.

[4Cass. soc., 22 novembre 1995, n° 92-42.070.

[5Cass. soc., 29 janvier 2008, n° 06-44.983.

[6Cass. soc., 26 juin 2008, n° 07-40.434.

[7Dans cette affaire, le contrat de travail du salarié stipulait qu’il ne prendrait effet que s’il était visé favorablement par les services du ministère du travail. L’employeur avait continué à faire travailler le salarié alors que l’administration avait refusé de lui délivrer une autorisation de travail, ce dont il avait été informé. Les juges avaient refusé d’accorder des dommages et intérêts au salarié aux motifs que le contrat était frappé de nullité absolue et qu’il n’avait pas pu prendre effet en l’absence de la réalisation de la condition suspensive expressément prévue (Cass. soc., 3 octobre 1985, n° 84-40.309).

[8Cass. soc., 29 janvier 2008, pourvoi n° 06-41059.

[9CA Dijon, ch. soc., 28 avril 2005, n° 04/00689, Rehab c/ SAS Euroguard.

[10CA Paris, 21 décembre 2007, 21e ch. C, n° 06/07990, Menouchi.


Article extrait du n°80

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Dernier ajout : lundi 7 avril 2014, 17:28
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