Édito extrait du Plein droit n° 8, août 1989
« La gauche et l’immigration un an après »

Édito

ÉDITO

Les alternances se suivent et ne se ressemblent pas. L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 s’était traduite par un changement radical d’attitude vis-à- vis de la population immigrée et par des avancées législatives importantes. Puis les choses s’étaient gâtées : le gouvernement, en butte aux critiques virulentes de l’opposition et soucieux de donner des gages à l’opinion publique, avait, sous couvert de lutter contre l’immigration clandestine, progressivement durci sa politique. Contrôle policier accru sur la population immigrée, accélération des procédures de reconduite à la frontière, restrictions à l’immigration familiale : si ces mesures n’avaient pas suffi à assurer le succès électoral de la gauche, elles avaient en revanche sensiblement dégradé la situation des étrangers résidant en France.

En mars 1986 le retour de la droite au pouvoir se traduit, comme il était prévisible, par une politique à la fois répressive et déstabilisatrice à l’égard des immigrés, dont la loi Pasqua, adoptée dès le 9 septembre 1986, représente à la fois l’instrument et le symbole. La gauche proteste contre un texte qu’elle juge gravement attentatoire aux principes constitutionnels. En vain, bien entendu.

Arrive alors mai 1988 et la réélection de François Mitterrand : compte tenu de la politique menée par la gauche entre 1983 et 1986, et de l’absence d’engagement ferme pris au cours de la campagne électorale en matière d’immigration, on ne s’attend pas, certes, à la réédition de l’euphorie qui avait suivi mai 1981 ; mais on s’attend au moins à ce que le nouveau gouvernement exprime son intention d’abroger les dispositions les plus choquantes de la loi Pasqua, et à ce que, dans l’intervalle, il donne aux services compétents des instructions en vue d’une application plus souple et plus humaine des textes.

Or rien de tout cela ne se produit. Sauf en matière d’expulsions, où l’on constate un net changement d’attitude par rapport à la période précédente, l’alternance ne se traduit par aucune amélioration véritable du sort des immigrés, toujours en butte aux mêmes difficultés et aux mêmes pratiques abusives de la part de la police des frontières ou des préfectures.

L’attente devenant intolérable, les pressions sur le gouvernement s’accentuent. Est-ce la mobilisation des organisations qui a convaincu les pouvoirs publics de la nécessité de changer de cap et d’abandonner leur attitude frileuse et attentiste, ou des considérations plus tactiques ? Toujours est-il que l’intervention du Président de la République, émettant le souhait, dans ses vœux de Nouvel An, que « soient révisées sans tarder » les dispositions « ni équitables, ni justifiées » de la loi Pasqua, va contraindre le gouvernement à prendre des initiatives sur un terrain où il avait jusque là soigneusement évité de s’engager, le considérant sans doute comme miné.

Ce seront d’abord les circulaires Joxe, de décembre 1988 et janvier 1989, assouplissant - sans libéralisme excessif... - les conditions de délivrance des titres de séjour aux catégories d’étrangers particulièrement malmenées par la loi Pasqua et plus encore par sa circulaire d’application. Puis l’annonce qu’un projet de loi modifiant l’ordonnance de 1945 est en préparation.

À partir de là, les choses se précipitent : entre la rédaction du premier avant-projet, au début du mois d’avril, et le vote définitif de la loi, il s’écoule moins de trois mois ; et le texte final, s’il reste insuffisant ou ambigu sur certains points, parfois importants, représente un progrès considérable non seulement par rapport à loi Pasqua, mais aussi par rapport à la première mouture du projet communiqué aux associations et qui avait suscité de vives critiques de leur part.

Étonnant contraste, donc, avec l’attentisme et la prudence observée au cours des sept premiers mois du nouveau septennat. Est-ce à dire que tous les problèmes sont réglés ? Évidemment non. D’abord, le nouveau dispositif législatif, que nous analyserons en détail dans le prochain numéro de Plein droit, comporte, comme on vient de le rappeler, des failles. L’une de ces failles, et qui n’est pas des moindres, étant que deux des principales dispositions de la loi ne s’appliqueront pas dans les DOM : exclusion inacceptable, mais qui ne surprendra que les esprits non avertis de la façon dont les choses se passent sur place.

Ensuite, ce texte ne règle pas - et ne pouvait pas régler - deux des problèmes les plus difficiles et les plus urgents qui se posent actuellement : l’immigration familiale et le sort des demandeurs d’asile.

Sur le premier point, la situation restera bloquée aussi longtemps qu’on persistera à subordonner l’exercice d’un droit - le droit au regroupement familial - à des conditions que la plupart des intéressés ne peuvent pas remplir : les gouvernements successifs ayant fait la preuve de leur incapacité à garantir aux immigrés l’accès à un logement décent (voir Plein droit n° 2), on aimerait qu’ils se décident à en tirer les conséquences en supprimant des textes toute référence à des normes de logement.

Sur le second point, les inquiétudes sont plus vives encore, car la situation n’est pas seulement bloquée, mais se dégrade chaque jour un peu plus (voir Plein droit n° 6). Et ce qui se discute en ce moment au niveau de l’Europe, plus particulièrement à Schengen, n’est pas de nature à nous rassurer. Si nous n’y prenons pas garde, l’espace unique européen risque d’être aussi un immense bunker avec ses policiers en guise de sentinelles et ses ordinateurs en guise de barbelés, inaccessible à quiconque n’est pas persona grata, à commencer par les demandeurs d’asile. Ce n’est pas cette Europe-là que nous voulons.



Article extrait du n°8

→ Commander la publication papier
S'abonner

[retour en haut de page]

Dernier ajout : mercredi 4 juin 2014, 17:02
URL de cette page : www.gisti.org/article3530