Article extrait du Plein droit n° 8, août 1989
« La gauche et l’immigration un an après »

Manifeste de la Commission de Sauvegarde du droit d’asile face aux Accords de Schengen et autres

(Groupe de TREVI, Projet de directive de la Communauté européenne)

Les représentants du groupe du Bénélux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg), de la République fédérale d’Allemagne et de la France, ont signé en juillet 1985 à Schengen (Luxembourg) un accord approuvé par la France et publié au Journal officiel du 5 août 1986, en vue de l’harmonisation des politiques d’immigration et d’asile.

Certaines des dispositions de cet accord devaient être précisées par des accords ultérieurs. Tel est le but des négociations actuellement en cours, et qui devraient aboutir très prochainement, sur la « sécurité et le contrôle aux frontières ».

Par ailleurs, les ministres de l’Intérieur et de la Justice (ou leurs représentants) des douze pays de la C.E.E. ont formé le groupe dit de TREVI en 1975 pour une coopération entre les services de police et de renseignements. Il a abordé les problèmes de l’asile dans la même optique que le groupe de Schengen.

Enfin, la Commission des Communautés européennes a élaboré un projet de directive dont les tendances en matière d’asile ne diffèrent guère de celles des deux autres groupes.

Toutes ces négociations ont été menées depuis de longs mois dans le plus grand secret, hors de tout contrôle parlementaire, sans concertation avec les ONG défenseurs de l’asile et des réfugiés, ni avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés.

La Commission de Sauvegarde refuse le secret et exige un débat public démocratique sur ces accords. Il serait inacceptable que les Parlements nationaux ne puissent se prononcer que sur la ratification, après signature, d’accords dont les parlementaires n’auraient pas eu l’opportunité de débattre.

En effet, les projets d’accords complémentaires de Schengen et autres déjà cités ne contiennent pas seulement des mesures applicables aux frontières des États contractants, tendant à renforcer les contrôles aux frontières extérieures des pays concernés, pour compenser l’abolition des frontières internes entre ces pays. Ils auront un impact négatif sur les droits fondamentaux de l’homme, ce qu’aucun citoyen ne doit ignorer ou admettre, et tout particulièrement en ce qui concerne les demandeurs d’asile. Ils affecteront le respect de la Convention de Genève de 1951 et du Protocole de 1967, que tous les pays européens ont ratifiés.

Les propositions contenues dans ces textes rendent de plus en plus difficile l’accès au territoire européen pour y trouver protection à tous ceux dont la liberté est menacée ou qui craignent pour leur vie.

Principe directeur de l’accord de Schengen

Les États membres veulent constituer un « territoire commun » au sein duquel les décisions prises par l’un des États seront contraignantes pour les autres États membres.

Les frontières intérieures entre ces États disparaissant, les problèmes des demandeurs d’asile seraient traités aux frontières extérieures.

Une étude détaillée du projet d’accord de Schengen, tel qu’il a pu nous parvenir par des voies non officielles, est jointe en annexe.

Par ailleurs, les principaux risques qui découlent pour les demandeurs d’asile de l’économie des différents textes d’accords sont les suivants :

  • aucune garantie d’accès sur le « territoire commun », donc pas de garantie contre le refoulement ;
  • aucune garantie d’accès à une procédure de détermination du statut de réfugié ;
  • un seul État sera responsable de l’examen de la demande d’asile : celui qui aura accordé un visa ou, en absence de visa, celui sur le territoire duquel le requérant sera entré en premier ;
  • tout État ayant refusé un requérant aura la responsabilité de lui faire quitter le « territoire commun » couvert par les accords ;
  • généralisation de l’obligation de visas (assortie d’une restriction dans l’octroi des visas) ;
  • obligation pour les transporteurs (aériens, maritimes, terrestres), sous peine d’amendes, de vérifier avant l’embarquement que les passagers sont munis des documents requis (passeports, visas) dans les pays de destination ;
  • listes de personnes jugées « indésirables » établies et communiquées à tous les États membres ;
  • refus d’entrée pour des motifs d’ordre public (non définis) ;
  • établissement d’un système d’échanges d’informations portant atteinte aux droits et libertés des demandeurs d’asile et risquant de mettre en danger leurs familles restées dans le pays d’origine.

La Commission de Sauvegarde du Droit d’Asile rappelle que l’Europe a été le creuset de l’élaboration d’une protection juridique et sociale solide pour les réfugiés, dont le rayonnement dans le monde entier a été un élément de fierté justifiée pour les Européens.

La Commission de Sauvegarde du Droit d’Asile déplore que les pays qui s’apprêtent à signer ces accords préparent désormais une Europe fermée aux demandeurs d’asile et réfugiés, risquant d’entraîner les autres pays, et en particulier ceux du Tiers-monde, qui accueillent 95 % des réfugiés dans le monde, à dresser à leur tour des barrières contre les réfugiés.

La Commission de Sauvegarde du Droit d’Asile met en garde les gouvernements contre les risques de troubles graves au plan international susceptibles de naître du désespoir d’êtres humains ne sachant plus où ni comment sauver leur vie ou garantir leurs libertés.

La Commission de Sauvegarde du Droit d’Asile est consciente de la nécessité d’harmoniser certaines règles au plan européen.

Toutefois, outre le débat public démocratique qui s’impose, la Commission de Sauvegarde du Droit d’Asile demande que les accords en cours d’élaboration garantissent :

a) le non-refoulement des demandeurs d’asile qu’ils soient ou non en possession des documents requis ;

b) l’accès des demandeurs d’asile au « territoire commun » et à une procédure régulière et complète de détermination du statut de réfugié ;

c) le respect des principes des droits de l’homme et des traités internationaux et régionaux concernant les droits de l’homme ;

d) une période décente (trente jours) laissée au demandeur d’asile déclaré, après son arrivée sur le territoire d’un pays membre, pour parvenir dans un autre pays membre où il souhaite faire examiner sa demande de statut de réfugié ;

e) la limitation et le contrôle rigoureux des informations susceptibles d’être nécessaires aux pays membres auxquels s’adressent les demandeurs d’asile ;

f) qu’aucun transporteur (maritime, aérien ou terrestre) ne sera pénalisé pour avoir amené sur le « territoire commun » des demandeurs d’asile démunis des documents requis ;

g) la restauration de l’application de la Convention de Genève de 1951 dans l’esprit humanitaire recommandée par son préambule.

Il est grand temps, mais il est encore temps, d’obtenir le retour à une politique d’asile humanitaire garantissant les droits fondamentaux des demandeurs d’asile et réfugiés, dont le traitement est révélateur du fonctionnement réel des droits démocratiques dans les pays d’Europe.

La France ne doit pas se laisser enfermer dans des accords faisant fi de ses traditions les plus nobles. Elle se doit, en cette année de commémoration des droits de l’homme, de montrer la voie du véritable droit d’asile et du devoir d’accueil.

Avril 1989



Article extrait du n°8

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