Article extrait du Plein droit n° 39, juillet 1998
« Une vieillesse illégitime »
Des amis disparus
Jamila Douis-Weyder
Tous ceux qui, au Gisti, ont travaillé, discuté, sympathisé avec Jamila ont été instantanément impressionnés par la densité, la force, le pouvoir d’entraînement et de conviction de ce personnage extraordinaire, dont ils n’oublieront de sitôt ni l’efficacité ni le sourire. Il y avait la personne qui donnait envie très vite de la compter parmi ses amis. Il y avait cette citoyenne hors du commun qui, le plus naturellement du monde, voulait la justice.
Tout cela faisait que, de temps à autre, on pouvait avoir besoin de l’appeler au téléphone ou de la rencontrer, juste pour le plaisir et parce qu’on savait à l’avance que ce contact vous redoperait.
Il va falloir se souvenir de Jamila pour tenir le cap. Faire, à l’aide de la mémoire, comme si elle était encore avec nous. Parce qu’il n’existe pas beaucoup de personnages de cette trempe, de cette solidité, de cette énergie. Parce qu’on continuera longtemps à avoir besoin d’elle, de sa confiance, de son amitié, de sa chaleur humaine, de son enthousiasme et de ses valeurs. Parce que Jamila était lumineuse.
Elle le fut jusque dans sa mort. La ville de Colombes, dans les Hauts-de-Seine, qui n’avait pas osé jusqu’alors créer un « carré musulman » dans son cimetière, a franchi le pas pour Jamila, qui avait milité en vain, de son vivant, en faveur de cette innovation.
Elle avait trente-sept ans.
Gérard Galano
Gérard a été, pendant plus de vingt ans, toujours présent dans tous les combats que nous avons menés pour la défense de nos libertés et de notre dignité d’hommes.
J’ai connu Gérard pour la première fois en juillet 1977. Je venais encore une fois me concerter avec Mireille. J’étais alors tout jeune délégué du comité de coordination des foyers Sonacotra en grève.
Cinq ans durant, il a mis à contribution son énergie et ses convictions à nous aider à résister à l’arbitraire. C’était cela aussi la vie de Gérard : un engagement humain authentique, fait de refus sans concession de toute injustice sociale et aussi et surtout de solidarité forte avec ceux qui se battent pour leur dignité.
C’est autour de ces convictions essentielles que nous nous sommes retrouvés, des années durant, pour soutenir le droit à la dignité des clandestins turcs de la confection, la rébellion des nettoyeurs immigrés de la RATP, les grèves de la faim des Africains de Saint-Hippolyte, des sans-papiers de Saint-Bernard, et tant d’autres causes encore ! Le jour de sa mort, il a vigoureusement exhorté Mireille et ses amis présents à ses côtés à rejoindre le cortège des manifestants contre le Front national.
En fait, Gérard a vécu comme cette autre de nos amies, dont il était très proche et dont le souvenir peuple encore notre quotidien : je veux parler d’Arlette, ancienne présidente du Gisti.
Une vie d’humilité faite de mille petites solidarités directes et sans exclusive, d’amitiés fidèles et sans frontière, où les hommes valent d’abord parce qu’ils existent, et les cultures parce qu’elles sont égales et se conjuguent pour nourrir notre identité commune d’êtres égaux et universels.
C’est ce regard-là qu’ils ont croisé avec nous et c’est cette leçon qu’ils nous laissent.
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