Article extrait du Plein droit n° 52, mars 2002
« Mineurs étrangers isolés en danger »

Mineurs isolés en Europe

Claudia Cortes-Diaz

Juriste, permanente au Gisti.
La question de l’accueil des mineurs isolés ne se pose pas uniquement en France. Tous les pays européens y sont confrontés, mais si certains d’entre eux y ont été exposés dès les années 1970, d’autres, comme l’Espagne ou la Finlande, n’y font face que depuis les années 1990. Autre différence mais d’ordre quantitatif : certains pays connaissent des arrivées bien plus nombreuses que d’autres. D’où des variations sensibles dans les conditions d’accueil et de traitement des enfants isolés entre les pays membres de l’Union européenne. Enfin, cette question n’échappe pas à la politique commune de l’asile et de l’immigration que les Etats membres élaborent depuis l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam.

Selon le Programme en faveur des enfants isolés en Europe [1], l’enfant isolé est « l’enfant de moins de dix-huit ans se trouvant en dehors de son pays d’origine, séparé de ses parents ou de son répondant autorisé par la loi ou par la coutume  ». Cette définition va bien au-delà de celle du « mineur non accompagné » pourtant bien souvent utilisée. En effet, l’enfant arrive parfois accompagné d’un adulte, membre de sa famille ou non, mais qui ne veut ou ne peut en assumer la responsabilité.

L’enfant devra donc être considéré comme isolé et recevoir le traitement et la protection que les circonstances exigent. Par ailleurs, cette question ne peut pas être traitée sans que l’on fasse référence à la Convention internationale sur les droits de l’enfant adoptée en 1989 et ratifiée par tous les Etats membres. Ce texte fondamental devrait être à la base de toute politique d’accueil des mineurs isolés aussi bien au niveau national qu’à l’échelle européenne, que l’enfant isolé soit ou non demandeur d’asile.

L’article 3-1 de cette Convention énonce en effet clairement que : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait d’institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale  ». Il faut souligner que cet « intérêt supérieur de l’enfant » n’est pas le même selon les Etats et n’est pas toujours un facteur déterminant dans les décisions prises à l’égard de cette catégorie d’enfants.

On pourrait être tenté de classer les pays européens en bons et mauvais élèves, en fonction de la protection qu’ils accordent à ces enfants. Cette classification serait toutefois simpliste et ne correspondrait pas forcément à la réalité. Certains Etats peuvent en effet présenter des défaillances lors de l’arrivée d’un mineur, mais lui offrir par la suite des garanties de protection assez étendues. D’autres, en revanche, sont dotés d’un système très protecteur mais, ont décidé, pour des raisons quantitatives, de le modifier dans un sens restrictif. C’est le cas assez significatif des Pays-Bas [2].

Nous n’allons pas passer en revue les politiques menées par l’ensemble des pays membres sur la question des mineurs isolés. En revanche, nous allons nous pencher sur certains aspects de l’accueil de ces enfants, depuis leur arrivée jusqu’à une éventuelle décision de retour au pays d’origine. Il ne faut pas oublier que ces enfants ne sont pas toujours des demandeurs d’asile. Certains peuvent débarquer sur le territoire d’un des Etats membres à la recherche d’une alternative à leur situation dans leur pays d’origine. Ce phénomène se présente surtout, mais pas uniquement, en Espagne et en Italie.

Les différents aspects de l’accueil des mineurs sur lesquels nous nous sommes penchés sont les suivants : Y a-t-il ou non enfermement ? Renvoi dans le pays d’origine ou de départ ? Comment est étudiée l’éventualité d’un retour au pays d’origine ? Quelle est la protection offerte dans le pays d’accueil ? Comment sont désignés les tuteurs ou les conseillers ? Comment les mineurs demandeurs d’asile peuvent-ils déposer leur demande ? Sont-ils soumis à une procédure particulière ?

Refus d’entrée et enfermement

Sur la question de l’entrée, la Déclaration de bonne pratique du HCR [3] selon laquelle « les enfants isolés en quête de protection ne devront jamais se voir refuser l’entrée au territoire ou être refoulés à la frontière. Ils ne seront jamais détenus pour cause d’immigration  » n’est pas réellement suivie par les pays membres de l’Union européenne. La presque totalité d’entre eux prévoient la possibilité de refuser l’entrée de leur territoire à des mineurs isolés.

Dans certains pays, cependant, ce refus d’entrer est soumis à la condition que l’enfant puisse être accueilli, dans son pays d’origine, par un membre de sa famille ou son représentant légal. Du moins en théorie. La pratique peut être différente, comme par exemple en Belgique. Mais dans d’autres pays où cette possibilité de refoulement est légale, comme au Danemark ou en Finlande, elle est très rarement appliquée.

Toujours en lien avec l’entrée sur le territoire, se pose la question de l’enfermement. Dans quelques pays membres, un enfant isolé peut être soit maintenu dans une « zone d’attente », soit dans un centre fermé. C’est le cas de l’Allemagne, de la France et de la Belgique. Cette privation de liberté est considérée comme une « restriction de la liberté de mouvement » dans l’intérêt propre de l’enfant pour le mettre à l’abri des réseaux de pédophiles ou de trafiquants divers. En revanche, au Danemark, au Luxembourg, aux Pays-Bas et en Suède, cette procédure n’existe pas. Dans ce dernier pays, une fois que le mineur isolé est enregistré, il est hébergé soit dans un centre d’accueil spécial, soit, le cas échéant, avec ses proches.

Une fois franchie la barrière de l’entrée, le mineur va se voir accorder une protection très variable suivant les Etats. A cet égard, le HCR affirme pourtant, dans sa Déclaration déjà citée : « Dès que l’enfant aura été identifié comme un enfant isolé, il conviendra de désigner – dans une perspective à long terme – un tuteur ou un conseiller pour le guider ou le protéger  ». De son côté, l’article 20 de la Convention des droits de l’enfant précise que « Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial ou qui, dans son propre intérêt, ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’Etat ».

Tuteur ou conseiller

La désignation d’un tuteur ou d’un conseiller chargé de protéger et de défendre les intérêts de l’enfant est pourtant un domaine où les différences entre les Etats, autant dans leur législation que dans leur pratique, sont le plus marquées. Ainsi, au Danemark, la désignation d’un tuteur pour un enfant étranger isolé en danger n’a lieu que très rarement, ce qui n’est pas le cas pour un enfant danois. En Autriche, c’est aux services sociaux de décider si cette désignation s’impose. En Allemagne, un tuteur est désigné jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge de seize ans. Au-delà, celui-ci est considéré comme « responsable ». En Belgique, la question vient juste d’être posée.

Dans d’autres pays, la situation est sensiblement meilleure. Ainsi, aux Pays-Bas, le code civil prévoit que le tribunal doit nommer un tuteur pour tout enfant isolé étranger demandeur d’asile âgé de moins de dix-sept ans et demi. Ce tuteur est chargé de toutes les questions qui concernent l’enfant : scolarisation, soutien financier, recherche des parents au pays d’origine. La situation suédoise est également remarquable dans la mesure où tout enfant isolé est pris en charge par un conseiller qui doit veiller de manière primordiale à défendre son intérêt supérieur, suivant l’expression contenue dans la Convention des droits de l’enfant. La désignation de ce tuteur se fait dans un délai de deux semaines à un mois.

La possibilité de retour dans le pays d’origine est également prévue par le HCR qui précise que : « Avant de rapatrier un enfant isolé, il faudra s’assurer de ce : – qu’il n’est pas dangereux pour l’enfant de rentrer dans son pays d’origine ; – que la personne responsable et le tuteur/ conseil dans le pays d’accueil reconnaissent qu’il en va de l’intérêt supérieur de l’enfant de rentrer dans son pays  ». Ceci suppose que des démarches en vue de rechercher la famille de ce mineur ont été entreprises et qu’il existe des éléments suffisants pour juger si ce retour est la meilleure solution pour lui. Tout ceci suppose un certain laps de temps.

Selon une étude faite par le Programme des enfants isolés en Europe [4], certains pays ont adopté une politique de retour pour ces enfants. En pratique, il semble qu’en Autriche, en Belgique, en Allemagne, en Grèce, en Italie et au Royaume-Uni, des enfants aient été renvoyés sans que les précautions nécessaires aient été prises. Toutefois, l’auteur de cette étude révèle la difficulté d’obtenir des statistiques ou des informations générales dans ce domaine.

Des procédures différentes mais des critères identiques

Une des questions les plus épineuses quand il est question des mineurs isolés estcelle de l’asile. Bien que la plupart soient des demandeurs d’asile, ils n’occupent pas une place très importante par rapport à l’ensemble des demandeurs qui arrivent sur le territoire d’un des Etats membres de l’Union européenne : leur taux de reconnaissance sur l’ensemble des Etats n’est que de 1 % à 2 %.

Dans la plupart des pays, les mineurs sont soumis à une procédure spécifique. En Allemagne, un mineur de seize ans ne peut déposer de demande d’asile s’il n’est pas assisté d’un représentant légal. C’est également le cas pour les mineurs de dix-huit ans en Autriche, en Italie et au Luxembourg. Aux Pays-Bas, l’enfant reçoit une assistance légale dès l’introduction de sa demande d’asile, il est aidé par le Conseil aux réfugiés et, si son cas est compliqué, il a droit à l’assistance d’un avocat. En Belgique, aucune condition particulière ne semble s’imposer lorsque le demandeur est un mineur isolé.

En revanche, les critères utilisés pour déterminer la qualité de réfugié, sont, dans certains pays, les mêmes pour les enfants ou les adultes. L’expérience a pourtant montré d’une part que la plupart des enfants éprouvaient beaucoup de difficultés à exprimer les faits dont ils avaient été victimes, directement ou indirectement, d’autre part qu’ils pouvaient être l’objet d’un type particulier de persécutions : enrôlement dans des milices, violences sexuelles, mutilations physiques. Malgré cela, la plupart des Etats, leur appliquent les mêmes critères. Ainsi, le Programme en faveur des enfants isolés en Europe révèle le cas du Danemark où des enfants Sri-Lankais ou Afghans devaient démontrer, pour obtenir le statut de réfugié, qu’ils étaient victimes de tortures physiques, la seule crainte d’être enrôlé de force par les Tigres ou par les Talibans n’était pas suffisante.

Tous ces points que nous venons d’aborder de manière relativement sommaire révèlent les différences parfois profondes qui existent – non seulement au niveau des législations mais également dans les pratiques – entre les Etats européens à propos de l’accueil des mineurs étrangers isolés. En dépit de ces disparités, l’Union européenne tente, depuis deux ans, d’élaborer une politique « commune » en matière d’asile et d’immigration dans laquelle seront inclus les mineurs étrangers isolés.

Un texte protecteur

Il y a en effet une absence quasi totale de textes « européens » consacrés à la situation des mineurs isolés. Avant l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam (qui prévoit la communautarisation des politiques d’immigration et d’asile), un seul texte a été adopté sur cette question. Il s’agit d’une résolution du Conseil de l’Union européenne sur « les mineurs non accompagnés ressortissants de pays tiers », en date du 26 juin 1997 [5]. Cette résolution a été prise sur la base de ce que l’on appelle le « troisième pilier » (coopération intergouvernementale dans les domaines de la justice et des affaires intérieures), créé par le traité de Maastricht et dont faisaient partie les politiques de l’asile et de l’immigration. Dépourvue de portée juridique, cette résolution a quand même une valeur politique dans la mesure où les Etats ont pris l’engagement d’intégrer, dans leur législation interne, les principes contenus dans la résolution.

Ce texte est plutôt positif et protecteur à l’égard des mineurs isolés demandeurs d’asile. Il l’est moins pour les autres enfants isolés. En effet, il y est prévu que les Etats membres peuvent, selon leur législation, refuser l’entrée sur leur territoire aux mineurs non accompagnés, notamment s’ils ne sont pas en possession des documents et autorisations requis. Or, toute décision de refoulement sans examen préalable de la situation personnelle du mineur est contraire à l’article 3-1 de la Convention sur les droits de l’enfant qui précise, comme nous l’avons vu, que « … l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale  ».

Le texte prévoit également la possibilité de maintenir ces mineurs aux frontières jusqu’à ce qu’une décision d’admission sur le territoire, ou de retour vers le pays d’origine, soit adoptée. Les enfants isolés demandeurs d’asile doivent bénéficier de garanties considérées comme « minimales » : la demande doit être introduite par le mineur qui a un représentant ou un tuteur légal, lequel doit l’accompagner pendant la procédure. Les autorités chargées d’examiner les demandes doivent tenir compte de l’âge, du développement mental et de la maturité du mineur.

Enfin, le texte en question permet le renvoi de ces mineurs isolés (qui n’ont pas obtenu le statut de réfugié) mais à la condition que l’enfant puisse « être accueilli et pris en charge de manière appropriée, en fonction des besoins correspondant à son âge et à son degré d’autonomie, soit par ses parents, soit par les instances gouvernementales ou non gouvernementales » (art. 5, § 1).

Après 1999 et l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam, aucun texte relatif à l’accueil des mineurs isolés n’a été adopté, ni même proposé. Seule la proposition de directive sur le droit au regroupement familial, présentée par la Commission européenne en décembre 1999 [6] et non encore adoptée, y fait référence de manière indirecte. Elle prévoit, pour ceux qui sont reconnus réfugiés, la possibilité de demander et d’obtenir le regroupement familial au bénéfice des membres de leur famille.

Le Conseil de justice et affaires intérieures (JAI) – composé des ministres de l’intérieur et/ou de la justice des Etats membres – en date des 28 et 29 mai 2001 a adopté des « conclusions » relatives au contrôle des mineurs aux frontières extérieures. Il y souligne « qu’il convient de sensibiliser les compagnies de transport et les voyagistes aux risques potentiels qu’implique le transport des mineurs non accompagnés et à la nécessité de disposer d’informations correctes et exhaustives concernant les documents de voyage et les autorisations requises pour les mineurs qui voyagent  ».

Voilà en quoi peut être résumée la politique européenne à l’égard des mineurs isolés. D’une part, ils ne font pas l’objet d’un traitement spécifique bien qu’ils représentent une catégorie particulière. Ils sont inclus dans « la masse », laquelle n’est pas bien lotie. La politique européenne d’immigration et d’asile est celle de la fermeture des frontières avec tout ce que cela implique. D’autre part, lorsque les autorités des Etats membres décident de se pencher sur la situation de ces mineurs, c’est pour leur appliquer le même traitement qu’aux autres étrangers : éviter avant tout leur arrivée, peu importe qu’ils aient besoin d’une protection internationale.




Notes

[1Programme élaboré de manière conjointe entre le HCR et l’association européenne Save the Children Alliance.

[2Voir Migrations News Scheet, mai 2001.

[3Déclaration de bonne pratique, HCR et Association Save the Children, février 1999.

[4« Les enfants isolés demandeurs d’asile en Europe : un programme d’action », Sandy Rouxton, Programme en faveur des enfants isolés en Europe, 1999.

[5Résolution du Conseil du 26 juin 1997 concernant les mineurs non accompagnés ressortissants de pays tiers (97/C 221/03), JOCE n° C 221 du 19 juillet 1997.

[6Commission des Communautés europeéennes, proposition modifiée de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial, com (2000) 624 final.


Article extrait du n°52

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:58
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