Article extrait du Plein droit n° 52, mars 2002
« Mineurs étrangers isolés en danger »

Débat avec la salle

Emmanuelle Piette,

Collectif féministe contre le viol. Je remercie vraiment le Gisti pour cette journée, mais c’est un peu désespérant et j’avais envie de poser la question, en guise de boutade : et si on était carrément dans une Europe proxénète ? En plus des mineurs isolés, en 2000, huit cents enfants ont disparu en France et, selon les statistiques du gouvernement français publiées l’année dernière, les affaires de proxénétisme sont passées de six cents à huit cents !

Et s’il s’agissait là du résultat d’une volonté politique officielle puisque, dans le même temps, on supprime les moyens de l’OCRET (l’office de répression de la traite humaine) ? Je me pose vraiment des questions : et si ces mineurs isolés qu’on libère à 95 %, ce n’était pas de la chair fraîche officielle ? Et je me demande vraiment si, avec cette politique vis-à-vis de la prostitution, avec l’augmentation du nombre de pays qui deviennent réglementaristes on n’est pas en train de se faire avoir.

Johanne Vernier,

Gisti C’est vrai qu’aujourd’hui, il y a une tendance au réglementarisme par rapport à l’abolitionnisme. L’abolitionnisme ce n’est pas l’abolition de la prostitution, mais l’abolition d’une réglementation de la prostitution, de mesures spécifiques aux prostituées. Des pays réglementaristes il y en a, comme les Pays-Bas. Il y a des mineurs isolés qui passent par les Pays-Bas et c’est vécu comme un dressage. C’est de l’abattage, il n’y a pas vraiment de contrôle policier par rapport aux réseaux. Face au silence des autorités françaises, on peut devenir un peu paranoïaque et se demander s’ils ne sont pas tous clients ! Mais il faut résister : on a signé la Convention de 1949 qui est abolitionniste et donc la France est encore, pour le moment, abolitionniste.

Chloé Cattelain

, association Pierre Ducerf On travaille avec les jeunes chinois dans le 13ème arrondissement. Je voudrais apporter un témoignage sur l’arrivée croissante de mineurs isolés. C’est un peu toujours le même profil : des jeunes qui viennent seuls par des réseaux, qui arrivent ici avec un vague tonton qui ne s’occupe pas d’eux . Alors, ils viennent nous chercher pour qu’on les emmène à l’orphelinat. Ce qu’on remarque parallèlement à cette augmentation de mineurs isolés, c’est l’augmentation des préjugés, des réticences de l’administration vis-à-vis de ces jeunes... Quant à l’aide sociale à l’enfance, je n’ai pas forcément envie de lui jeter la pierre parce que je crois qu’il y a besoin d’explication des deux côtés. Par contre, j’ai toujours été personnellement très mal reçue par la brigade des mineurs, j’ai toujours eu l’impression d’accompagner des criminels alors que j’accompagnais des mineurs isolés. Ma question concerne le travail des enfants. On constate qu’il y a énormément de jeunes qui travaillent. Qu’est-ce qu’on peut faire concrètement sachant qu’il n’y pas forcément de possibilité de placement à l’aide sociale à l’enfance ?

Johanne Vernier,

Gisti Quand il s’agit d’enfants qui travaillent dans leur famille, ça pose le problème de la politique migratoire de la France. Les parents sont des sans papiers, donc des personnes qui sont volontairement ignorées et cela pose la question des mineurs qui, par voie de conséquence, sont ignorés en même temps que leurs parents. Et donc, tous les problèmes conflictuels de la famille qui pourraient être traités sous l’angle de la protection de l’enfance ne le sont pas.

Par rapport au mineur isolé qui travaille quotidiennement, c’est une situation d’esclavage qu’il ne faut pas hésiter à dénoncer. Les inspecteurs du travail ne sont peut-être pas suffisamment interpellés là-dessus, par manque de moyens matériels bien souvent, comme l’a souligné la mission parlementaire, mais il ne faut pas hésiter à faire connaître ce genre de situation.

Dominique Pinot,

éducatrice. Ce n’est pas parce qu’un mineur est en situation irrégulière même avec sa famille qu’il ne peut pas être pris en charge par la protection de l’enfance. S’il est en danger dans sa famille, les services d’aide sociale à l’enfance doivent intervenir.

Johanne Vernier,

Gisti. La crainte est quand même qu’il y ait alors des mesures prises à l’égard de la famille.

Lucie Barros,

responsable du dictionnaire permanent du droit des étrangers. Je voudrais apporter un élément d’information sur le droit européen, en particulier sur son volet répressif. Une communication est sortie en novembre 2001 qui peut paraître assez inquiétante pour les mineurs étrangers : il est prévu que la Commission présentera une proposition sur l’octroi d’un permis à court terme aux victimes de la traite humaine à condition que ces personnes acceptent de coopérer avec les autorités de lutte contre les trafics d’immigration clandestine. Or, les mineurs étrangers ne sont pour le moment absolument pas pris en compte par le droit européen. Je ne sais pas si, dans le cadre de ce texte, on pensera à eux, en tout cas je trouve cela relativement inquiétant. Mais, d’un autre côté, cela pourrait vouloir dire aussi que si on leur demande de coopérer avec les autorités on va leur donner une certaine capacité juridique.

X.,

travailleur social à l’ASE de Paris. Je trouve que dans le discours de la journée, il a été fait un amalgame au niveau de l’institution de l’ASE. Au cours de l’année 2000,nous avons reçu quatre cents demandes de jeunes mineurs étrangers. On a quand même répondu à trois cent cinquante d’entre elles. En tant que travailleurs sociaux, on fait notre travail. On s’occupe des mineurs étrangers comme des autres enfants. Mais, évidemment, les places ne suivent pas au niveau des établissements éducatifs et on demande des moyens supplémentaires. Mais on n’a pas l’impression de jouer les flics, ni de refuser de nous occuper de ces jeunes. On essaie de faire tout ce qu’on peut, d’innover au niveau des prises en charge. J’aimerais bien quand même que ce soit un petit peu entendu. Aujourd’hui, on a l’impression qu’à l’aide sociale à l’enfance, on est presque des bourreaux alors qu’on travaille pour ces enfants.

Gabrielle Fruchard,

foyer n’appartenant pas l’ASE mais qui reçoit des jeunes de l’ASE. Je suis bien contente d’entendre l’intervention de l’ASE parce que depuis un moment j’ai l’impression qu’on tire sur les ambulances. La première chose que je voudrais dire, en tant qu’usager, c’est qu’un gros travail est fait dans ce sens. Dans les foyers, il arrive qu’on prenne pas mal de mineurs isolés. Actuellement, on en six sur vingt quatre, ce qui est un quota important, si on veut que ces jeunes apprennent le français et ne restent pas en sous-groupe.

La deuxième chose que je voudrais dire – qui peut avoir un aspect un peu provocateur, mais je tiens à le dire quand même – c’est que, dans un foyer de l’ASE, c’est souvent très intéressant d’avoir des jeunes mineurs étrangers parce qu’ils représentent une population assez différente des autres et qu’ils permettent d’équilibrer quelque chose au niveau culturel, au niveau des problématiques. Contrairement à ce qui a été dit, je trouve qu’ils ne présentent pas les mêmes problématiques que les autres jeunes qu’on reçoit, et c’est pour nous très intéressant d’avoir cette différence de population et d’une certaine manière ce sont des éléments moteurs dans une institution.

Johanne Vernier,

Gisti. Aux éducateurs de l’ASE qui ont pu se sentir visés, je voudrais dire que c’est surtout un mécanisme qu’on dénonce, un mécanisme en échec et qui, soit ne fonctionne pas, soit manque de moyens. C’est un constat global qu’on a voulu faire.

Alain Morice,

URMIS - CNRS. Il a été question plusieurs fois aujourd’hui de foyer sécurisé. Comment cela se traduit-il concrètement ? Comment est-ce compatible avec la liberté d’aller et venir ?

Johanne Vernier,

Gisti Pour le moment, cela ne se concrétise pas et c’est bien là le problème. C’est un moyen de remplacer de manière légale ce qui existe déjà de manière officieuse, c’est-à-dire l’utilisation par les associations, sur le terrain, des couvents, des familles d’accueil, des voisins, des connaissances. C’est une façon légale de limiter la liberté d’aller et venir de mineurs mais dans leur intérêt, pour les protéger.

Geneviève Lefevre,

juge des enfants. Je voudrais juste apporter deux informations. La première concerne la perspective de création de ce foyer parisien pour accueillir des mineurs isolés. L’idée de ce foyer émane du tribunal pour enfants et elle concernait à l’époque les mineures prostituées sierra-léonaises qui arrivaient en France. L’idée du tribunal pour enfants était de créer un petit foyer comme un sas très sécurisé pour les protéger de proxénètes et de déboucher sur des hébergements hors Paris, pour assurer et garantir leur protection et celle aussi des établissements de menaces mafieuses.

Puis, à l’occasion de tout le roman qu’a provoquée la découverte de la prostitution des mineurs roumains, le parquet de Paris qui intervient dans l’élaboration du contrat local de sécurité a saisi cette idée et l’a proposée au conseil de Paris pour avoir des réponses en ce qui concerne les mineurs roumains. Le parquet de Paris a saisi, je crois, cette opportunité parce qu’il savait qu’il y avait de l’argent à la clé. Il s’agirait d’un foyer d’une dizaine de places accueillant des mineurs sur une durée variable, entre quarante-huit heures et dix jours (il y a d’ailleurs une discussion à ce sujet), mais via d’autres hébergements, extérieurs évidemment, pour faire un premier point sur la situation de ces mineurs et pouvoir prolonger leur prise en charge.

Actuellement, tout ça est en discussion avec la mairie de Paris, Paris département, l’ASE, la préfecture de police mais dans le cadre de la prévention des mineurs victimes, avec toute l’ambiguïté que soulignait une personne tout à l’heure, c’est-à-dire que dans la prévention des mineurs victimes il y aussi la recherche de renseignements concernant les auteurs qui les agressent et là, effectivement, les mineurs se trouvent parfois dans une position très compliquée à la fois de protection d’eux-mêmes, de protection des leurs, et ont du mal à adhérer à un système où ils seront peut-être amenés à dénoncer des proches.

Je pense que cet établissement verra le jour, peut-être pas très rapidement, vers la fin du premier semestre. Le tribunal pour enfants de Paris avait couplé ce projet d’hébergement immédiat, sécurisé, avec un centre d’accueil de jour pour des mineurs qui n’avaient pas besoin de protection physique immédiate mais qui avaient besoin qu’on les aide à décanter leur situation, à réfléchir à leur avenir et à prendre un certain nombre de contacts pour voir dans quelle situation ils se trouvaient, si un retour était possible, quel type de prise en charge, avec un effet d’apprivoisement. Malheureusement, cette idée de centre de jour, parce qu’elle ne relève pas d’une urgence de sécurité, est pour l’instant restée lettre morte.

Deuxième information : je voudrais dire que, dans le cadre du Conseil de l’Europe, il y une ONG, dont j’ai oublié le nom, qui élabore un projet, appelé projet Ulysse, qui viserait à mettre en synergie des services sociaux de différents pays pour étudier la faisabilité d’un retour des enfants dans leur pays d’origine dans des conditions dignes. Actuellement, c’est à l’état d’embryon, mais ce sont des pistes sur lesquelles un certain nombre de gens réfléchissent.

Claudia Cortes-Diaz,

Gisti. A propos de la communication de la Commission sur la répression de l’immigration clandestine, je voudrais souligner que cela démontre une fois de plus qu’il n’y a pas une politique d’immigration et d’asile spécifique vis-à-vis des mineurs isolés.

Je voudrais vous sensibiliser à une question. D’ici trois ans, le ciel va nous tomber sur la tête parce qu’aujourd’hui cette politique d’immigration et d’asile est en train de se créer au niveau de la communauté européenne et que d’ici 2003 ou 2004, si les Etats le veulent, il y aura une politique commune. On va devoir non seulement traiter la question de la demande d’asile au niveau de la France mais aussi analyser, avec toute la complexité que cela comporte : les directives, les règlements européens sur la question migratoire et sur la question du droit d’asile. Je vous invite donc à faire l’effort, dès aujourd’hui, de commencer à étudier un peu la question parce que ça va faire partie demain de notre législation.

Danièle Lochak,

Gisti. Pour conclure cette journée, je voudrais rappeler à quel point, cela a été dit mais rapidement, la fracture nord-sud et la politique dite de maîtrise des flux migratoires pratiquée par les pays du nord pèsent sur toutes ces questions, et comment les politiques migratoires menées par les pays du nord, en tout cas ceux de l’Europe, sont assez peu compatibles avec le respect des droits de l’homme et, en l’occurrence ici, les droits de l’enfant qui n’en sont jamais qu’un aspect. Quand on rappelle tout ce qu’on a dit : la suspicion systématique, les difficultés pour accéder à la nationalité française, l’enfermement des enfants, on voit bien que tout ça n’est jamais qu’un aspect ou une conséquence de la politique menée par les pays européens.



Article extrait du n°52

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:58
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