Article extrait du Plein droit n° 86, octobre 2010
« Santé des étrangers : l’autre double peine »

Le saturnisme : une maladie de pauvres

Morgan Pinoteau et Fatoumata Khoma

Membres de l’Association des familles victimes du saturnisme (AFVS)
Apparu sur la scène publique au milieu des années 80, le saturnisme est une maladie du mal logement et de la précarité. Or, malgré la volonté affichée des pouvoirs publics de le considérer comme une priorité nationale, les moyens n’ont pas suivi. Le combat que mène depuis sa création, en 1998, l’association des familles victimes du saturnisme, a permis de remporter des victoires juridiques importantes. Beaucoup reste à faire cependant en matière d’accès au logement social et de dépistage.

Le saturnisme est une maladie extrêmement grave liée à l’intoxication par le plomb touchant principalement les enfants chez lesquels il entraîne des troubles irréversibles du système nerveux. Connu historiquement comme maladie professionnelle (frappant les ouvriers, les mineurs, etc.), il s’est répandu avec l’avènement de la peinture à la césure (au sel de plomb) utilisée jusqu’en 1 948. Les enfants, du fait de leur comportement d’oralité et de leur absorption digestive plus importante que l’adulte, s’intoxiquent en ingérant les poussières en suspension ou plus directement les fragments de peinture se détachant des murs.

Les conséquences : retard de croissance, retard intellectuel, troubles du langage, trouble du comportement, atteinte des reins peuvent, dans les cas les plus graves, mener à des retards psychomoteurs pouvant laisser les enfants handicapés à vie. Le saturnisme concerne aussi les générations futures, puisque les fillettes contaminées aujourd’hui transmettront la maladie à leurs enfants. En effet, le plomb stocké dans l’os est encore présent à 50 % vingt ans après l’intoxication, et se transmet au foetus via le placenta durant la grossesse et à l’enfant pendant l’allaitement.

Malheureusement, le saturnisme ne présente pas de symptômes spécifiques. Les signes éventuels sont souvent tardifs et peuvent être confondus avec d’autres troubles : anémie, maux de tête, de ventre, fatigue, troubles de la mémoire, problèmes scolaires… Il est pour cette raison mal détecté. Le test de dépistage existant est limité par le fait qu’il ne détecte que la plombémie, c’est-àdire le taux de plomb présent dans le sang, or 90 % du plomb est stocké dans les os.

En France, le seuil d’intervention a été fixé à 100 μg/L [1], bien que les travaux récents montrent que les effets neurotoxiques du plomb sont sans seuil. Il n’existe pas de traitement du saturnisme. Dans les cas les plus graves, une chélation, c’est-à-dire une désintoxication de l’organisme des métaux nuisibles est prescrite, mais elle se limite à réduire le niveau de plomb dans le sang sans toucher au stock de plomb dans les os et ne permet pas de restaurer les fonctions cognitives.

Le saturnisme réapparaît sur la scène publique il y a près de vingt ans suite au décès en 1 985-1 986 de deux enfants par encéphalopathie saturnine. À l’initiative de la CFDT, de la Confédération syndicale des familles et du Gisti, un collectif se constitue en 1 988, le collectif anti-plomb, regroupant une vingtaine d’organisations : syndicats, associations familiales, associations d’immigrés, associations de défense des droits de l’homme et de l’environnement. Ce collectif alerte l’opinion publique sur la gravité de la pathologie et sur son ampleur. Très vite, l’Action pour l’insertion pour le logement (Alpil) à Lyon et Médecins sans frontières dans la région parisienne engagent des actions importantes.

« Priorité nationale » mais moyens limités

Le saturnisme infantile est considéré depuis les années 90 par les pouvoirs publics comme une priorité nationale. Malgré une volonté affichée de lutte contre cette maladie, les moyens d’actions sont limités dans un contexte de pénurie de logements sociaux et d’augmentation de la précarité. Face à cette situation, Médecins du monde se mobilise et crée à Paris, en 1 993, la mission saturnisme infantile. En 1 997, son rapport très alarmiste est largement relayé dans la presse.

C’est alors qu’en 1998, l’Association des familles victimes du saturnisme (AFVS [2]) voit le jour, regroupant quelques familles intoxiquées et des membres de Médecins du monde, du Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités (Catred), de l’association La Bellevilleuse et du Gisti. Elle se place plus spécifiquement sur le terrain juridique et se bat pour obtenir la reconnaissance du problème par les pouvoirs publics. Elle mène un travail d’information et d’accompagnement auprès des familles, de suivi des procédures (relogement, suivi médical, action en justice) et de mobilisation de l’opinion publique. Aux cotés de Médecins du monde, l’AFVS est en grande partie à l’origine du volet saturnisme de la loi contre les exclusions votée en 1 998, loi imposant le signalement et la notification des cas de saturnisme infantile aux autorités sanitaires, et impliquant des travaux dans le logement et les parties communes.

Depuis, de nombreux textes ont permis de faire évoluer la législation. Le dispositif de lutte contre le saturnisme a été pour l’essentiel intégré au code de santé publique [3] en 2 004 et plusieurs obligations en découlent : le préfet doit par exemple diligenter une enquête environnementale, notifier au propriétaire son intention de faire procéder à des travaux de mise en sécurité, et s’assurer de l’hébergement des occupants durant la réalisation des travaux ; un médecin qui dépiste un cas de saturnisme chez une personne mineure doit en informer le médecin inspecteur de santé publique de l’Agence régionale de santé.

L’AFVS a des objectifs plus ambitieux : obtenir des pouvoirs publics une véritable politique de santé publique, des mesures de prévention et de réparation des risques liés au saturnisme infantile, l’arrêt des travaux en site occupé et un protocole de travaux réellement contraignant, le relogement des familles quand les habitations sont trop vétustes, l’indemnisation des victimes. En effet, l’éradication du saturnisme passe par une politique forte en matière de logement et d’éradication des sources d’exposition, tant au niveau de l’hébergement d’urgence (alternative que l’on souhaiterait immédiate quand un enfant présente une plombémie importante) qu’au niveau des travaux de réhabilitation ou du relogement des familles touchées par la maladie. Le relogement est souvent le seul traitement durable contre le saturnisme. Pourtant, malgré l’arsenal juridique existant et l’adoption de la loi sur le droit au logement opposable (loi Dalo), on constate que de nombreuses familles qui vivent dans des logements qui cumulent sur-occupation, insalubrité et présence de plomb attendent toujours un hypothétique relogement. Le saturnisme est véritablement une maladie de la pauvreté qui touche donc les plus précaires.

Pour les étrangers en situation irrégulière ou bénéficiant d’un titre précaire, il est nécessaire de trouver une alternative permettant le relogement. Les textes actuels prévoient d’accorder à l’un des deux parents seulement un titre de séjour provisoire de 6 mois sans droit au travail, au titre d’accompagnant d’enfant malade. Ce titre ne permet pas aux familles de solliciter la commission de médiation prévue par la loi Dalo alors même qu’elles disposent d’une demande de logement social. Ce qui veut dire concrètement que le droit au logement opposable ne leur est pas applicable.

L’impossible accès au logement social

De plus, nous assistons à des pratiques de plus en plus restrictives concernant le dépôt de demande de logement social. Les couples dont un seul membre dispose d’un titre de séjour ou ceux qui n’ont qu’une autorisation provisoire de séjour de 3 mois, ne peuvent en faire la demande. Un arrêté du 15 mars 2 010 restreint les conditions permettant d’accéder à un logement social pour tous les étrangers en situation précaire de séjour, ce qui pénalise d’autant plus les familles victime de saturnisme. En effet, certains titres de séjour sont désormais exclus de la liste qui existait jusqu’alors. C’est notamment le cas des bénéficiaires d’une autorisation provisoire de séjour d’une durée maximale de 3 mois délivrée aux accompagnants d’enfants malades [4]. Ainsi, les familles ne peuvent plus accéder au logement social ni au relogement qui constituent pourtant la seule mesure efficace pour lutter contre le saturnisme. L’AFVS a demandé l’annulation de cet arrêté devant le Conseil d’État.

Pour lutter contre ces discriminations, l’AFVS incite les familles à engager des procédures auprès de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI). Les tribunaux accordent, depuis juillet 2 006, des indemnisations aux victimes et à leurs parents en relevant l’infraction d’omission de porter secours. La jurisprudence, constante dans ce domaine, accorde des indemnisations en réparation du préjudice subi par les enfants intoxiqués par le plomb alors que les pouvoirs publics avaient connaissance de leur situation et n’ont pas agi pour y remédier. Depuis 2 006, 26 familles et 82 enfants ont vu leur préjudice indemnisé et une quinzaine de dossiers sont en attente.

À Paris, les indemnisations s’échelonnent entre 2 900 et 118 850 euros par enfant. Un enfant a vu son préjudice fixé à 78 500 euros au vu de ses 16 hospitalisations, d’un taux d’invalidité évalué à 20 % et d’une plombémie qui a atteint 1 200μ/L. L’enfant le moins intoxiqué a vu son préjudice fixé à 2 900 euros, la plombémie ayant atteint 230μ/l et un taux d’incapacité évalué à 2 % lui ayant été reconnu. L’enfant le plus intoxiqué était âgé de deux ans et avait atteint un taux de plomb de 1 500μg/l. Quand sa plombémie a été découverte, la famille vivait dans un logement insalubre où la présence de plomb était connue puisque l’immeuble avait fait l’objet quelques mois auparavant d’un arrêté préfectoral indiquant que le logement était « reconnu inhabitable et déclaré interdit à l’habitation en raison d’un risque d’intoxication au plomb ». L’enfant a subi cinq cures de chélation et la famille a été relogée. Néanmoins les experts judiciaires ont conclu à l’existence d’un déficit fonctionnel permanent et d’une incapacité permanente partielle évaluée à 28 %. Les tests neuropsychiques pratiqués plus de quatre ans après la fin de l’exposition au plomb révèlent un déficit de l’efficience intellectuelle. Les difficultés intellectuelles de l’enfant sont définitives même si la plombémie est redevenue normale. L’AFVS considère qu’il s’agit d’une maigre compensation au regard du drame vécu par ces familles et des difficultés que ces enfants auront à affronter pendant toute leur vie. En effet, les intoxications au plomb provoquent des séquelles irréversibles dont les conséquences sont encore difficiles à évaluer.

L’Institut de veille sanitaire (InVS) a rendu publique fin mai 2 010 une étude [5] permettant d’estimer la prévalence du saturnisme chez les enfants de 1 à 6 ans en France en 2 008-2 009, et de décrire les niveaux d’imprégnation au plomb des enfants région par région. L’Inserm et le Réseau national de santé publique, lors de la précédente enquête réalisée en 1 995-1 996, avaient estimé à 84 000 le nombre d’enfants de 1 à 6 ans présentant une plombémie supérieure à 100μg/l, soit un taux de prévalence de 2,1 %. Dans cette nouvelle enquête, la prévalence nationale du saturnisme en France est évaluée à 0,11 % soit 5 333 enfants dont 4 361 en France métropolitaine. Cependant, on observe une grande disparité dans le dépistage en fonction des départements.

D’après le dernier rapport InVS, sur la période 2 005-2 007, l’Ile-de- France et le Nord-Pas-de-Calais, représentaient respectivement 64,3 % et 10,2 % des enfants testés pour la première fois. Dans certaines régions, le dépistage a été quasi inexistant, à savoir moins de 100 plombémies en 3 ans. C’est le cas en Bretagne, Franche-Comté, Basse-Normandie et Corse et dans les départements d’outre mer. Parmi ces plombémies, près de la moitié sont prescrites par les services de protection maternelle et infantile (PMI). Les auteurs rapportent que le dépistage du saturnisme touche un nombre très modeste d’enfants et que la probabilité moyenne pour un enfant en France d’avoir un test de plombémie avant l’âge de 7 ans est de 0,8 %. De plus, le rapport mentionne également que 248 cas de saturnisme n’ont pas été notifiés à l’InVS par les Ddass. Beaucoup de progrès restent donc à faire.




Notes

[1« Saturnisme – Quelles stratégies de dépistage chez les enfants ? » InVS–Inserm, juillet 2 008.

[2Voir le site de l’association www.afvs.net

[3Articles 1 134-1 et suivants du code de santé publique.

[4Article 311-12 du Ceseda.

[5BEHWeb n° 2, 27 mai 2 010 – Imprégnation des enfants par le plomb en France en 2008-2009.


Article extrait du n°86

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Dernier ajout : lundi 9 janvier 2017, 15:36
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