Article extrait du Plein droit n° 3, avril 1988
« Quels discours sur l’immigration ? »
Sortie des foyers : danger !
Une circulaire en date du 25 septembre 1987 portant sur « les procédures de contrôles d’identité et de vérifications de situation des étrangers » a été adressée à toutes les directions départementales des polices urbaines.
Soucieux d’éviter que des procédures de reconduite à la frontière mises en œuvre sur la base de contrôles d’identité illégaux ne soient annulées par le juge, comme cela s’est déjà produit, le directeur central des polices urbaines rappelle les règles qu’il convient de respecter en la matière. Le passage le plus instructif de la circulaire concerne les contrôles effectués dans les foyers – problème particulièrement épineux puisqu’il s’agit déjà d’une pratique à la fois courante… et d’une légalité plus que douteuse [1].
Bien que la loi du 3 septembre 1986 (article 78-2 du Code de procédure pénale) ait considérablement élargi les conditions dans lesquelles l’identité de toute personne se trouvant sur le territoire national – Français et étrangers pour une fois confondus – peut être contrôlée, puisque ce contrôle peut désormais intervenir partout où un risque potentiel existe, en vue de prévenir une atteinte à l’ordre public, elle n’autorise pas pour autant, en l’absence de délit flagrant ou d’information judiciaire, à effectuer des contrôles dans des lieux privés.
La circulaire rappelle donc fort opportunément l’impossibilité absolue d’effectuer un contrôle d’identité à l’intérieur d’un foyer de travailleurs dans le cadre de procédures civiles, mentionnant comme exemple « l’assistance aux huissiers chargés de procéder à la vérification des conditions d’occupation du foyer ». On attend donc avec intérêt l’arrêt que rendra la Cour de cassation dans le litige dont elle est actuellement saisie et qui porte précisément sur ce point de droit. Il serait pour le moins paradoxal que la Justice soit moins regardante que la Police sur ce qui constitue de toute évidence un détournement de procédure !
La circulaire précise de surcroît que la protection accordée au domicile s’étend non seulement aux chambres mais aussi au hall d’entrée et aux parties communes. Ce rappel est bienvenu, même si en droit la solution ne faisait aucun doute, quand on sait que certains procureurs ont considéré ces lieux comme des « lieux ouverts au public » sous prétexte qu’ils ne sont pas verrouillés !
Conseils aux policiers
Mais les autorités de police ne sont pas pour autant désarmées. Tout d’abord, le ministère leur rappelle que les contrôles d’identité sont possibles dans les lieux privés sous le couvert d’une commission rogatoire délivrée par le juge d’instruction dans le cadre d’une information judiciaire ayant pour objet de constater les infractions à la législation sur le séjour ou la commission d’autres délits.
Mais de toute façon la suite de la circulaire montre – et c’est là qu’elle trouve toute son « utilité » – qu’il n’est même pas nécessaire de pénétrer dans les foyers. Ce que conseille en effet implicitement le ministère, c’est d’effectuer les contrôles à la sortie du foyer, donc sur la voie publique. Le directeur central des polices urbaines ne va pas jusqu’à cataloguer la proximité des foyers comme des endroits où des infractions seraient susceptibles d’être commises en raison de la configuration des lieux – ce qui justifierait des contrôles d’identité sur le seul fondement de l’article 78-2 du Code pénal, mais risquerait d’apparaître comme une interprétation excessivement large dudit texte. Il fait mieux, et sort la botte – plus tout à fait secrète – qui vient tirer les pouvoirs publics de l’impasse : les fameux décrets du 19 mars et du 30 juin 1946, qui obligent les étrangers à présenter à toute réquisition des agents de l’autorité les pièces et documents sous le couvert desquels ils sont autorisés à résider en France, et que l’on ressuscite opportunément, alors qu’on aurait pu les croire condamnés à l’oubli, l’article 78-2 du Code pénal (qui fait d’ailleurs explicitement référence au contrôle des étrangers) semblant suffire amplement désormais à tous les usages.
Restait un dernier obstacle allègrement surmonté. La Cour de cassation a en effet subordonné la légalité de contrôles d’identité effectués sur la base des décrets de 1946 à l’existence d’éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l’intéressé (c’est-à-dire ne se fondant pas sur son apparence physique) de nature à faire apparaître sa qualité d’étranger (Cass. Crim. 25 avril 1985, Bogdan et Vuckovic). Mais la parade est vite trouvée : « En l’occurrence, dit la circulaire, l’élément d’extranéité sera constitué à l’égard des personnes qui entrent dans le foyer et qui en sortent, s’il est exclusivement réservé aux étrangers ». Autrement dit, toute personne sortant d’un foyer où ne sont logés que des immigrés est présumée étrangère, et peut donc se voir réclamer ses papiers.
Que d’imagination dépensée pour tenter d’opérer des contrôles d’identité au faciès sous l’apparence de la légalité ! D’autant plus qu’en réalité la plupart des foyers de travailleurs migrants ne sont pas exclusivement réservés aux étrangers mais sont au contraire aussi bien ouverts aux Français, et qu’en plus tous les foyers devraient être des lieux de convivialité dans lesquels entrent et sortent quotidiennement de nombreuses personnes qui n’y résident pas forcément.
En tous cas, conclusion pratique : se méfier des agents de police judiciaire embusqués à la sortie des foyers !
Notes
[1] Voir Plein Droit n° 2 p. 13. Rappelons que la Cour de cassation est actuellement saisie d’une affaire de contrôles d’identité dans les foyers – ce qui explique sans doute aussi l’envoi de cette circulaire.
Partager cette page ?