Article extrait du Plein droit n° 36-37, décembre 1997
« La République bornée »

Histoires de visas...

De la politique des visas comme moyen de contourner la loi sur les étrangers.

Abdelkrim K., Algérien, attend depuis bientôt deux ans qu’on veuille bien lui délivrer le visa d’entrée en France pour lequel il a déjà déposé trois demandes. Rien d’original, certes. Mais Abdelkrim est né en France, et y a toujours vécu. Ses deux parents y ont travaillé et sont aujourd’hui à la retraite, ses frères et sœurs ont presque tous la nationalité française. Il y était lui-même résident, jusqu’à ce qu’un arrêté d’expulsion, datant de 1987, lui soit notifié alors qu’il faisait renouveler son certificat de résidence à la préfecture, en 1992 — cinq ans plus tard ! Renvoyé de force, à deux reprises, en Algérie, il en est revenu clandestinement, jusqu’à la dernière reconduite en avril 1995. Depuis, à distance, il multiplie les démarches : le ministère de l’intérieur finit par abroger, en janvier 1996, l’arrêté d’expulsion dont il est frappé. Plus rien ne s’oppose à ce qu’il puisse de nouveau vivre, légalement, en France. Plus rien, sauf le silence du Bureau visas Algérie de Nantes : le fameux « pouvoir discrétionnaire » de l’administration consulaire permet de s’asseoir sur l’ordonnance de 45, même modifiée par le gouvernement Jospin pour mieux respecter le droit au respect de la vie privée et familiale…

NB : pour Jean-Pierre Chevènement, le reproche qui lui est fait de maintenir la double peine dans son projet de loi est « excessivement polémique » puisque « l’interdiction du territoire ne s’applique qu’à des délits très graves et exclut quiconque a ses attaches en France » (Le Nouvel Observateur, 4 septembre 1997). Voilà de quoi rassurer Abdelkrim K.


Marié à une Française depuis juin 1996, K. G. suit sans doute avec intérêt, depuis l’Algérie, les débats parlementaires sur la loi Chevènement. Celle-ci prévoit en effet qu’il fait partie des catégories d’étrangers auxquels l’administration devra donner les motifs pour lesquels on leur refuse un visa. Lui a dû se contenter pour l’instant des « regrets » du chef du Bureau visas Algérie, qui lui a fait savoir qu’il n’avait pas été possible de réserver une suite favorable à sa demande de visa long séjour. Tous les démarches depuis formées par son épouse, enceinte de quatre mois à la fin 97, sont restées depuis sans réponse. Elle continuera donc à aller le voir en Algérie aussi souvent que le contexte le lui permet, afin de maintenir le « droit à vivre en famille » que la France est censée garantir à ses ressortissants, comme aux étrangers.


De l’inertie comme instrument de contrôle des flux migratoires

Résident régulier en France depuis 1991, F. L. voit rejeter en octobre 1994 la demande de regroupement familial qu’il a déposée pour sa femme et ses enfants. Motif : ses conditions de logement ne sont pas conformes à la loi. En réalité, on lui reproche de n’être pas locataire en titre de l’appartement — parfaitement conforme sur le plan de la salubrité et de la superficie — qu’il occupe. Il est mis à sa disposition par l’amie française qui en est propriétaire, à titre gracieux, ce que la loi n’interdit pas.

Ayant appris, en mars 1997, que la plus jeune de ses filles souffre d’une maladie grave et nécessite d’urgence des soins qui ne peuvent lui être assurés au Zaïre, son pays d’origine, F. L. sollicite pour elle et sa mère la délivrance d’un visa. Pour l’instruction de cette demande, le ministère des affaires étrangères a besoin (entre autres pièces) d’un devis prévisionnel des frais d’hospitalisation pour la durée des soins dont aura besoin sa fille, pour qui un rendez-vous est déjà pris à l’hôpital. L’hôpital évalue le coût à 110 000 francs, dont il demande le provisionnement à M. L. avant de confirmer la date d’hospitalisation.

M. L. étant incapable de fournir une telle somme, le ministère des affaires étrangères refuse de délivrer le visa. Fin mai 1997, M. L. renouvelle sa demande de regroupement familial : si celle-ci aboutissait, sa fille, régulièrement admise au séjour en France, pourrait être prise en charge comme ayant droit puisqu’il cotise à la sécurité sociale. De multiples interventions seront nécessaires pour qu’en septembre 1997 le ministère des affaires sociales, eu égard à la situation de l’enfant, donne son accord au regroupement familial. Comme c’est la règle, cet accord est transmis à l’ambassade de France au Zaïre, devenu entre temps République démocratique du Congo, qui doit convoquer les bénéficiaires pour l’établissement de leurs visas. Longue période de silence. Il faudra que le ministère intervienne expressément auprès de l’ambassade pour demander que l’instruction des visas de toute la famille soit réalisée dans les plus brefs délais possibles, afin que la vie de l’enfant ne soit pas mise en péril par un retard de son transfert en France. La situation sera débloquée fin novembre 1997.


Parfois, le ministère des affaires étrangères répond vite

Il serait injuste de prétendre que le silence est la seule réponse aux demandes de visa. Madame S., Algérienne résidente en France, dont les deux enfants vivent avec leur père en Algérie, souhaiterait les faire venir en France pour les vacances. Une demande, en ce sens croit-elle, est déposée au mois d’août 1997 par leur père auprès du Bureau visas Algérie. Réponse, presque immédiate : si la mère vit en France, c’est à elle qu’il appartient de déposer une demande de regroupement familial. Le 10 décembre 1997, le Gisti, saisi par Madame S., intervient auprès du BVA pour préciser que la procédure de regroupement familial conseillée ne répond pas au souhait de l’intéressée, qui veut simplement faire venir ses enfants pour une courte durée en France.

Là encore, le BVA est en mesure de répondre, dans les cinq jours : pour envoyer au Gisti copie de la demande initiale de M. S. Au lieu de la simple demande de visa, il avait effectivement sollicité l’admission en France au titre du regroupement familial, ce que sa femme ignorait.

Moralité : lorsque le demandeur est dans son tort, il est sûr d’obtenir très rapidement une réponse du service des visas. Faut-il en conclure, quand ce service ne répond pas, que la demande de visa est parfaitement fondée ?



Article extrait du n°36-37

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Dernier ajout : mardi 20 mai 2014, 14:38
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