Article extrait du Plein droit n° 36-37, décembre 1997
« La République bornée »

Pour une autre politique de l’immigration

Dominique Voynet

Porte-parole des Verts
Dominique Voynet, alors porte-parole des Verts, écrivait dans l’hebdo Les Inrockuptibles du 25 février 1997 le point de vue suivant.

Les « sans papiers » de 96 sont les « sans culottes » de 89, et leur lutte est celle de tous les mouvements d’émancipation, de même que le mouvement actuel d’appels divers à la « résistance civique », initié par les cinéastes et suivi par de multiples autres professions, montre que, contrairement à ce que l’on a pris l’habitude d’entendre, « tout n’est pas joué » en matière d’immigration, et que la « lepénisation rampante des esprits », n’est pas, non plus, une fatalité. C’est l’honneur de la société civile que d’avoir réagi avec cette force et cette ampleur, une force et une ampleur à la hauteur des enjeux. Reste maintenant au politique, défensif depuis trop longtemps sur cette question trop laissée à l’extrême droite et aux sondages, à passer à l’offensive, en replaçant cette mobilisation au cœur d’une réflexion nouvelle et avec des perspectives différentes, ce à quoi s’emploient les Verts depuis longtemps.

1. Le mouvement actuel d’appel à la désobéissance civique

Il s’agit bien là d’un mouvement d’une force particulière, dont l’histoire est remplie. C’est un appel à l’insurrection des consciences, tel de Gaulle contre Pétain en 1940, et à l’insoumission, tels les nombreux résistants anonymes qui cachèrent les juifs quant Vichy demandait de les dénoncer (la rédaction de l’article de la loi Debré sur les certificats d’hébergement pour étrangers est étonnamment proche de celle de Vichy pour les juifs !).

On pourrait encore rapprocher de cet épisode l’attitude du général de la Bollardière qui refusa d’appliquer la torture en Algérie, ou celle des femmes qui descendirent dans la rue dans les années soixante-dix en disant « Nous avons avorté ».

Certains se posent la question de la légitimité de l’appel à la désobéissance à la loi, puisque celle-ci est l’expression de la légitimité, issue de la volonté populaire.

Mais « la loi de la majorité n’a rien à dire là où la conscience a à se prononcer », disait Gandhi. La résistance à l’oppression, à la délation, est inscrite depuis toujours au cœur des mouvements d’émancipation. Quant c’est la loi qui est inique, alors il y a devoir de désobéir, et l’illégalité devient légitime. La constitution montagnarde de 1793, d’ailleurs, avait même prévu le cas, en instituant un article reconnaissant au peuple « le droit à l’insurrection » en cas de faillite des élus !

2. Le respect des droits

La paix du monde ne peut reposer sur l’épuration ethnique de la part des pays riches. La Yougoslavie vient de nous montrer ce à quoi aboutit le concept de pureté, largement véhiculé par l’extrême droite. Il faut, au contraire, plaider pour des sociétés multiculturelles, reposant sur le respect des droits inaliénables de la personne humaine, tels qu’ils ont été codifiés dans les traités et conventions internationaux, et qui fondent les relations internationales : Charte des Nations unies de 1945, Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, Convention de Genève de 1951, Traité de Rome de 1958. C’est par le respect de ces textes supranationaux qui fondent les droits élémentaires de la personne (droit de circulation, droit de travailler, droit de vivre…), c’est en luttant pied à pied contre les politiques nationales répressives qui fleurissent ici et là, et beaucoup en France, et qui tendent à vider les accords internationaux de leur substance, que nous mettrons en place d’autres relations entre les peuples.

Tout homme, quel qu’il soit et où qu’il soit, est porteur de droits, car « tous les hommes naissent libres et égaux en droit ». L’ultime droit de celui qui perd tous ses droits est le droit d’asile, universellement reconnu, et il s’agit là d’un combat à assurer au quotidien, à remettre cent fois sur le métier.

Une autre politique de l’immigration : le développement intégré

Ce néologisme repose sur deux volets : un autre type de développement « là-bas » et de nouvelles formes d’intégration « ici ». Le développement intégré, c’est un pont construit entre des cultures, des peuples, qui ne sont pas au même point de développement économique, qui ont des traditions culturelles différentes, mais qui décident de projets communs.

Un constat préalable : on n’a jamais tant parlé d’immigration que depuis qu’elle est arrêtée (officiellement depuis 1974). Mais chacun sait désormais que « l’immigration zéro » est impossible et que « l’immigration clandestine zéro » est illusoire.

Et ceci pour trois raisons : la « fracture mondiale » économique ne fait que s’accentuer entre le Sud et le Nord ; le nombre de zones déstabilisées augmente, jetant de plus en plus de réfugiés sur les routes et poussant l’asile ; la loi française fabrique des clandestins au travers des obstacles multipliés à l’obtention de papiers ou de la nationalité. En fait, on peut affirmer, après vingt-trois ans de fermeture des frontières, que le socle idéologique sur lequel reposait celle-ci est faux. Non seulement la fermeture des frontières n’a pas arrêté l’immigration, mais elle a en plus précarisé la situation des immigrés installés, permis l’émergence d’une pensée dangereuse et unique, celle de l’extrême droite, autour de laquelle, tant bien que mal, tout le monde de situe, et installé des lois qui mettent en danger la démocratie. Mais alors, que faire ? Agir là-bas et agir ici !

Là-bas en mettant en place une autre forme de développement, basée sur leurs besoins propres, et respectant leurs cultures aux deux sens du terme : agricole et sociale.

Cela passe avant tout par les immigrés eux-mêmes, qui le font d’ailleurs depuis longtemps, individuellement ou par le biais d’associations de « développement des villages » (il en existe 300 en région parisienne). Il faut, non pas aider les pays à se développer – ce qui se fait toujours sous la coupe et l’épée de Damoclès des pays du Nord, notamment par le biais de la technologie et de la dette (qui nous a prouvé que ce n’était pas la bonne solution) –, mais aider les immigrés à aider leur pays. D’ailleurs, l’argent qu’ils envoient déjà dépasse toute l’aide publique réservée au développement.

Plutôt que d’accorder à fonds perdus des prêts au États, qui se retrouvent souvent sur des comptes suisses de dictateurs inamovibles et soutenus par nos élus, l’État pourrait doubler les fonds envoyés aux pays d’origine par l’intermédiaire des immigrés eux-mêmes. Ainsi, quand un Sahélien envoie 150 F par mois pour construire une école ou irriguer un champ de riz, ce serait 300 F qui arriveraient par son intermédiaire. Ce surplus pourrait être géré collectivement par une association de village, genre « tontine », comme les Africains savent très bien le faire.

Il faut aussi connaître la place de l’animal dans la communauté, quelle langue on parle, comment est enterré l’ancêtre avec qui on continue d’entretenir des relations… Qui, mieux que les immigrés eux-mêmes, peut le savoir ? Cette valorisation des cultures d’origine n’est d’ailleurs pas un obstacle à leur intégration ici. Quand les individus sont reconnus, ils s’intègrent. A l’aide internationale d’État à États, anonyme et conditionnelle (c’est souvent par des clauses annexes – type d’achat d’armes – qu’elle est accordée !), il faut préférer la multiplication des micro projets, par l’intermédiaire des villes jumelées, des associations, des ONG et des immigrés.

Agir ici, second point. Pour que ce développement intégré soit viable, la place de l’immigré, de l’autre, doit changer dans notre culture. Il faut d’abord parler clairement : rouvrir les frontières est la condition indispensable d’un changement de politique. Il n’y aura pas d’invasion ! La possibilité d’allées et venues n’incite pas à l’installation définitive avec sa famille, contrairement à la fermeture des frontières. Faire des immigrés des citoyens à part entière, notamment par le droit de vote. Agir encore ici en luttant contre notre propre propension colonialiste exportatrice, qui fait, par exemple, que le blé subventionné que nous leur vendons est moins cher que celui qu’ils cultivent !

La France et l’Europe ont des dettes historiques : l’esclavage, qui a « exporté » 150 millions d’Africains vers l’Amérique via l’Europe, le pillage qui s’ensuivit par la colonisation (or, diamant, pétrole…) et le massacre, en cinq siècles, de tout ce qui portait le nom d’Indien.

Les démocraties dont nous sommes si fiers portent un poids d’une lourdeur incommensurable. Elles ne s’en sortiront pas en remettant au goût du jour un darwinisme social fondé sur l’inégalité des races, la xénophobie ou l’exclusion. Sans porter aucunement la culpabilité des générations précédentes, sachons ensemble mettre en place des projets culturels pour nos générations, afin que les générations futures vivent dans une plus grande harmonie à l’échelle planétaire.



Article extrait du n°36-37

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Dernier ajout : jeudi 19 juillet 2018, 15:57
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