Article extrait du Plein droit n° 73, juillet 2007
« Le tri des étrangers »

La parole d’un chef d’entreprise

Claire Lévy-Vroelant

Pendant que s’ élaborait la deuxième loi Sarkozy sur l’« immigration choisie » contre laquelle les associations rassemblées au sein de l’Ucij se mobilisaient sans relâche, le patronat restait bien silencieux. Est-ce parce que la réforme répondait aux demandes des entreprises, comme le gouvernement l’affirmait ? La régularisation des sans-papiers présents en France ne répondrait-elle pas déjà à une partie de leurs besoins ? Pour avoir un premier éclairage sur ces questions, nous sommes allés interroger un patron, responsable de la Fédération française du bâtiment.

D’une façon générale, que pensez-vous du terme d’« immigration choisie » ?} Ce terme fait référence à une volonté politique de maîtrise ou de plus grande maîtrise de l’immigration. Il a pour corollaire la volonté de privilégier l’immigration de personnes « utiles » à la France. C’est aussi un terme assez médiatique et comme tel un raccourci sans beaucoup de nuances.

Ce « concept » a-t-il un sens pour votre entreprise ?} Au-delà des opinions personnelles de chaque chef d’entreprise, si l’on s’en tient au fonctionnement concret de l’entreprise, la notion d’immigration « choisie » n’a probablement pas grand sens pour les entreprises du secteur.

Tout d’abord, les mesures concrètes qui peuvent en être la traduction ne sont pas très lisibles pour l’instant ; la création d’une carte « compétences et talents » est une mesure encore peu connue dont on ne voit pas à qui elle va s’appliquer.

Mais surtout, cette notion risque de favoriser exclusivement la venue de catégories professionnelles d’un très haut niveau de qualification alors que le secteur souffre d’une grande pénurie de main-d’œuvre essentiellement dans la catégorie des ouvriers, beaucoup moins dans celle des techniciens et en tout cas pas dans celle des cadres.

Les personnes exclues (immigration non choisie) nuisent-elles selon vous au marché du travail ?} Bien qu’il soit difficile de répondre à cette question, il semble que non. La pénurie est telle dans le secteur qu’une personne entrée en France sans contrat de travail mais souhaitant se faire embaucher dans une entreprise du bâtiment permet de répondre à des besoins non satisfaits. En revanche, il n’est pas souhaitable que des personnes en situation irrégulière offrent leurs services en grand nombre à des employeurs qui ne pourront les employer en toute régularité. Cela ne peut que favoriser le recours par certains à l’emploi dissimulé.

L’immigration est-elle une solution aux pénuries de main-d’œuvre rencontrées dans certaines branches de l’industrie ? Quelles autres solutions sont envisageables ?} L’immigration peut paraître à certains employeurs comme une solution à leurs difficultés pour recruter de la main-d’œuvre mais pour d’autres, ce n’est pas la voie à privilégier en raison des nombreuses difficultés liées à la recherche de candidats (comment et où les trouver ?), à la barrière de la langue (le travail en équipe étant très important dans le secteur), et bien sûr à la procédure administrative qui pour beaucoup (notamment les PME et TPE) paraissent insurmontables.

Beaucoup d’employeurs sont également très sensibles au besoin de valoriser les investissements faits dans la formation des jeunes ou, plus récemment, vers le public des femmes.

Est-ce que le monde de l’entreprise était demandeur de nouvelles lois sur l’immigration ?

Il est très difficile de généraliser. Cela dépend des types d’entreprises, d’employeurs, des secteurs… Nous rencontrons des employeurs très demandeurs d’une ouverture de l’emploi de main-d’œuvre étrangère, d’autres pas du tout.

Est-ce que les organisations patronales étaient demandeuses de nouvelles lois sur l’immigration ?} Face aux difficultés très grandes en matière de recrutement, notre organisation était favorable à des assouplissements, en direction des nouveaux États membres de l’Union européenne notamment, mais ne souhaitait pas remettre pour autant en cause les dispositifs d’aide et les efforts très importants de la profession en faveur des jeunes, des femmes, des chômeurs.

Les lois récentes sur l’entrée et le séjour ont-elles apporté une réponse aux problèmes (de main-d’œuvre et autres) rencontrés par les entreprises ?} Il n’est pas possible d’avoir le recul suffisant pour juger de l’apport de la loi du 24 juillet 2006, dont tous les décrets ne sont pas parus. Les assouplissements en direction des ressortissants de l’Europe de l’Est sont une mesure positive mais de toute façon, les solutions aux problèmes de recrutement des entreprises ne peuvent être recherchées uniquement dans l’immigration comme on l’a vu plus haut.

Quelles seraient pour le marché du travail les conséquences d’une régularisation généralisée des sans-papiers ?} Cette question paraît dépasser de loin le seul monde du travail. Elle ne s’est jamais posée en ces termes pour notre organisation.

Quelles sont les secteurs où ils sont les plus nombreux et comment analysez-vous ce phénomène ?} Il n’appartient pas à notre organisation de déterminer les secteurs les plus concernés par l’emploi de main-d’œuvre irrégulière. Ceux-ci font suffisamment l’objet d’enquêtes (de la part du ministère du travail entre autres) pour être bien connus. Les causes sont certainement complexes mais il est probable que les personnes en situation irrégulière se tournent vers les secteurs où il y a le plus de pénuries de main-d’œuvre.

La dernière réforme du CESEDA permet de lier la durée de séjour au contrat de travail. Qu’en pensez-vous ? Est-ce une demande des entreprises ?} Il existe beaucoup de types de titres de séjour dont tous ne sont pas liés au travail, loin de là. Quant à l’autorisation provisoire de travail, elle était déjà liée au contrat avant la loi du 24 juillet 2006.

Du point de vue de l’employeur, quelles seraient les conditions idéales pour équilibrer le marché de l’emploi ?} Du point de vue de l’employeur, toutes les mesures apportant plus de souplesse, plus de flexibilité seraient favorables à l’emploi. Dans le domaine de l’immigration, les procédures d’introduction de la main-d’œuvre (comme de changement de statut) sont ressenties comme des procédures très lourdes, avec un délai de réponse pouvant être très long (4 mois) face au besoin de réactivité du monde économique.



Article extrait du n°73

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:59
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