Article extrait du Plein droit n° 92, mars 2012
« Les bureaux de l’immigration (2) »
Ève et Monique, permanentes des luttes
À première vue, tout les opposait : Monique Duval était discrète et effacée, ayant toujours l’air de s’excuser d’être là, attendant la fin des réunions pour proposer à l’une ou l’autre ses services du bout des lèvres, comme si elle ne s’estimait pas assez compétente. Èvelyne Deutsch, que l’on appelait simplement Ève, était « grande gueule », exubérante, chaleureuse et affectueuse, n’hésitant pas à donner son avis en public et à affirmer ses convictions avec virulence.
Deux figures contrastées du militantisme au Gisti, qu’animaient pourtant le même refus des injustices, le même souci d’égalité, la même révolte contre les discriminations de toutes sortes dont sont frappées les personnes étrangères. Avant de rejoindre le Gisti, l’une comme l’autre avaient mené d’autres bagarres, et continuaient à le faire : pour Ève, la cause des femmes et la lutte contre l’illettrisme, pour Monique la défense des travailleuses et des travailleurs à travers le syndicalisme. Chez les deux, nous avions perçu les avancées de la maladie, nous avions accompagné, de loin, leur combat pour lui résister. Jusqu’au dernier moment, l’une et l’autre étaient impliquées dans la vie du Gisti : quelques jours avant sa mort, Monique, notre précieuse informatrice, alimentait encore nos messageries électroniques des dernières nouveautés réglementaires. Dans un dernier souffle avant de rendre les armes, Ève avait trouvé le moyen de communiquer une liste de contacts à qui elle suggérait que le Gisti envoie un appel à dons, et de nous appeler pour résoudre un cas de nationalité qu’on lui avait soumis. Pour chacune, nous avons pu vérifier, après qu’elles nous ont quittés, à quel point elles comptaient pour leurs proches. Nous n’en doutions pas. Nous avons su, de Monique, l’opiniâtreté à entreprendre, adulte, et l’énergie à poursuivre, pendant de longues années, les études qu’elle avait été empêchée de mener dans sa jeunesse ; le goût des voyages et de la marche à pied ; le plaisir à cuisiner pour ses amis ; celui de photographier, et de montrer ses photos ; le soutien affectueux apporté à sa filleule togolaise. D’Ève, nous avons appris l’image éblouie de la « femme moderne et aventurière » qu’elle a laissée à ceux qui l’ont côtoyée ; l’appétit pour la lecture, la danse africaine, les discussions philosophiques et le ski ; le rôle unique qu’elle a joué auprès de générations d’enfants de son entourage ; l’amour qu’elle portait à sa petite-fille de la pampa.
Pour tout cela, pour ce que nous avons connu, et pour ce que nous avons su trop tard, elles nous manquent.
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