Article extrait du Plein droit n° 92, mars 2012
« Les bureaux de l’immigration (2) »

Médecins étrangers : sortir de l’invisibilité

© Bar Floréal / André Lejarre, extrait de « La grande nuit ». Service de réanimation de l’hôpital Lariboisière, Paris, 1993. La médecine a été l’une des premières professions à imposer des restrictions d’accès aux étrangers. En 1892 est exigée la détention du diplôme français d’État de docteur en médecine. En 1933, la nationalité française devient une condition supplémentaire pour l’exercice de la médecine en France. Cette double barrière de nationalité posée à l’accès à l’exercice de la médecine va perdurer tout au long du xxe siècle. Elle n’empêchera pas les médecins étrangers et/ou à diplôme étranger de pratiquer leur art à l’hôpital, au bénéfice d’aménagements de procédure au demeurant fort limités. Il faudra en effet attendre les années 1980 pour voir évoluer tant les pratiques que les dispositifs juridiques de recrutement. La baisse du numerus clausus du concours de fin de première année, l’intensification et la dévalorisation du travail hospitalier laissent des postes vacants, réalloués aux médecins à diplôme étranger qui les occupent sous des statuts spécifiques : attachés associés, assistants associés (créés respectivement en 1981 et 1987) et, pour les médecins en formation, « faisant fonction d’interne » [1]. Ces statuts n’accordent pas l’exercice plein et entier de la médecine : ces praticiens travaillent, théoriquement, sous la responsabilité d’un médecin dit senior même si, en réalité, ils font fonctionner les hôpitaux, notamment dans les spécialités et services délaissés.

En dépit de leur évidente utilité, la présence de médecins à diplôme étranger n’a jamais été considérée comme allant de soi par les médecins français [2]. Pourtant le mouvement de lutte des médecins à diplôme étranger n’a pas été déclenché par une volonté de reconnaissance par leurs pairs, mais contre les premières attaques des pouvoirs publics. Un décret du 20 novembre 1991 cherche à réduire drastiquement la présence des « faisant fonction d’interne » dans les hôpitaux publics. Le mécanisme en trois temps du dispositif vaut la peine d’être rappelé car il sera souvent réutilisé : 1) les conditions de recrutement sont durcies, 2) ceux qui ne les remplissent pas peuvent demeurer en poste jusqu’à une date butoir (ici le 1er janvier 1994), 3) la date butoir est constamment repoussée en raison des « sérieux problèmes de fonctionnement  » que la disparition de ces médecins occasionnerait [3]. Vient ensuite une circulaire de 1993 réactivant un arrêté de 1989. Ces textes prévoient la division par trois de l’indemnité de garde des attachés associés, statut réservé aux médecins à diplôme étranger [4] ; cette circulaire demeurera toutefois lettre morte.

Les médecins à diplôme étranger entendent ainsi siffler les premières balles et une organisation de type syndical voit alors le jour à Rennes : le Comité des médecins à diplôme étranger (CMDE). Il s’agit vraisemblablement de la première organisation à défendre leurs intérêts. Créé au début des années 1990, le comité dénonce les tentatives de discrimination salariale et revendique une intégration au corps médical de droit commun [5].

Peu de temps après, l’offensive se fait plus sévère : la loi du 4 février 1995 dite loi PAC crée, d’une part, un nouveau statut, celui de praticien adjoint contractuel (PAC). Pour en bénéficier, les médecins à diplôme étranger doivent réussir un examen, s’ils ont la chance d’en remplir les drastiques conditions d’accès. La loi interdit, d’autre part, tout recrutement de médecin à diplôme étranger qui n’a pas réussi cet examen, étant précisé que les sessions doivent se terminer en 1999. Dans les premiers mois de l’application de la loi, le renouvellement des contrats des médecins ne remplissant pas les conditions d’accès à l’examen semble largement compromis. On estime alors à plus de 4000 (sur un total de 8000) le nombre de médecins à diplôme étranger qui risquent de se voir interdits d’exercice soit à très court terme, soit à l’issue de la période d’examen. En raison de l’impossibilité de se passer d’eux pour faire fonctionner les hôpitaux publics, cette prévision ne sera pas réalisée. Néanmoins, les années 1996-1999 restent une période de précarité et d’incertitude sur le renouvellement des contrats. Du reste, certains médecins perdent leur emploi et, pour certains, leur titre de séjour.

Triptyque syndical

La situation provoquée par la loi du 4 février 1995 a conduit à une diversification de la représentation des intérêts des médecins. Schématiquement, trois organisations coexistent dans les premières années de lutte (1996-2000). Le CMDE, déjà évoqué et né avant la loi, porte des revendications assez radicales : intégration au corps des médecins de droit commun, refus du principe de l’examen PAC, revalorisation de la carrière. Le comité est très actif médiatiquement et juridiquement au moment de l’adoption de la loi PAC. Il introduit des recours contre les arrêtés et décrets d’application de la loi, en vain. Avec l’association des attachés associés, le CMDE organise une grève en octobre 1995. Si le mouvement est peu suivi, le recours à la grève est inédit ; il permettra l’ouverture de discussions avec le ministère de la santé.

Un autre collectif apparaît au cours de l’année 1997 : le collectif Metec (médecins étrangers à titre extracommunautaire). Le Metec (parfois écrit Metek ou Metecc selon les tracts et leur auteur) se crée à l’hôpital Marmottan à Paris. Marmottan est à l’époque une unité en pointe dans les traitements des toxicomanes, et son chef de service, le Pr. Olivenstein, une personnalité médiatique. La création du collectif répond à une double préoccupation : écarter la menace de congédiement qui pèse sur certains praticiens, et éviter que des médecins algériens perdent leur titre de séjour alors que la guerre civile fait rage. Des contacts sont pris avec le CMDE mais ils ne se concrétisent pas. Le collectif Metec a néanmoins des revendications assez proches de ce comité : refus d’un examen humiliant pour des praticiens déjà en poste, intégration des médecins, reconnaissance de leur travail, égalité des droits. En revanche, la stratégie diffère un peu. Le Metec, tout en rappelant que la nouvelle loi s’inscrit dans une politique de démantèlement du service public hospitalier, en souligne aussi les accents xénophobes. La stratégie consiste à sortir la question des médecins à diplôme étranger du monde médical pour la porter sur le terrain des droits de l’homme et de la discrimination.

Des liens sont noués avec différentes associations, notamment l’AMPSRF (Association pour la protection du personnel médical réfugié en France, devenue depuis APSR) et le Gisti. Les associations contactées se rassemblent alors dans une Commission pour l’égalité des droits des médecins exerçant en France, regroupant notamment la Ligue des droits de l’Homme, Médecins du Monde, la Cimade et France Libertés. L’UFMIC-CGT est également partie prenante. Au titre des actions de la commission, il faut mentionner un colloque à l’Assemblée nationale, en novembre 1998, au cours duquel, devant une salle remplie, les aspirations des médecins à diplôme étranger et la position du ministère du travail du gouvernement Jospin [6] sont exprimées. La commission parviendra à engager la discussion avec le ministère du travail et, indéniablement, la personnalité de certains de ses membres, tels que Joëlle Kaufmann, vice-présidente de la LDH et médecin, ou Marcel Legrain, fondateur de la néphrologie en France, lui a permis de se faire entendre et de porter certaines de ses revendications.

À côté du CMDE et du collectif Metec, naît un syndicalisme moins contestataire. En 1997, le Syndicat national des praticiens adjoints contractuels (SNPAC) se crée. Rappelons que le statut de praticien adjoint contractuel est inventé par la loi du 4 février 1995. Le syndicat entend l’améliorer et faciliter les passerelles vers des postes de « droit commun » à l’hôpital, notamment celui de praticien hospitalier (PH). L’acceptation d’une vérification des aptitudes imposée à des médecins déjà en poste constitue la divergence majeure entre le SNPAC et les autres. Pour le SNPAC, il n’est pas illogique de demander aux médecins à diplôme étranger d’attester leur compétence, alors que pour les autres syndicats, elle se prouve à la fois tous les jours et lors des renouvellements annuels des contrats les liant à l’hôpital.

L’organisation en triptyque des médecins à diplôme étranger, qui domine jusqu’aux années 2000, va se brouiller ensuite. Le CMDE perd peu à peu de son influence pour disparaître complètement vers 2002. Des associations plus catégorielles surgissent. Ainsi, sont représentés les médecins en attente d’autorisation d’exercice, les attachés associés… Le collectif Metec s’institutionnalise en devenant un véritable syndicat : le Syndicat médical plus (SMplus) créé en 2000. Il sera ensuite intégré dans le Syndicat national des praticiens à diplôme hors de l’Union européenne (SNPADHUE) vers 2005, après deux années de sommeil. Des liens sont néanmoins noués entre le SMplus et les associations plus locales. C’est ainsi que le SMplus soutient la grève de la faim entamée par des membres du collectif des attachés associés en 2001 à l’hôpital Lariboisière. Le SNPAC, quant à lui, va se transformer pour devenir vers 2005 la Fédération des praticiens de santé (FPS).

Derrière les changements d’appellation, les créations, les fusions, les absorptions, les rapproche ments, il reste en réalité deux orientations l’une contestataire et mettant en avant des revendications tenant à la dignité et à l’égalité, incarnée par le SNPADHUE, l’autre plus proche de la négociation et du lobbying, que représente la FPS. Ces deux courants sont désormais reconnus dans des commissions chargées de donner un avis avant la délivrance de l’autorisation ministérielle d’exercice de la médecine à des médecins à diplôme étranger (L.4111-2 du CSP, arrêté du 19 mai 2008). Cette reconnaissance ne s’est toutefois pas faite sur des bases très justes, le syndicat peu contestataire ayant gonflé les chiffres de ses adhérents sans que le ministère de la santé y trouve à redire [7].

L’activité syndicale a eu un poids non négligeable lors de discussions avec les ministères et avec l’ordre des médecins. Mais les besoins de personnel médical, même en temps de réduction du service public de santé, sont restés importants. Les postes vacants ont bien souvent été comblés par les médecins à diplôme étranger sans que soient nécessairement respectées les règles et procédures de recrutement. La situation quotidienne a donc été largement régie par les pratiques locales dépendantes des directions d’hôpitaux et du poids des chefs de service. Un système de dérogation permanente et officieuse d’exercice hospitalier de la médecine en France par des praticiens diplômés à l’étranger, a ainsi prospéré.

Principe de réalité

Ainsi, une loi du 27 juillet 1999, amendant le statut PAC, prend en compte les durées de service de médecin entre 1996 et 1999 pour l’accès de la médecine en France, alors même que le recrutement de médecins à diplôme étranger était interdit durant cette période. Cette bizarrerie juridique a du reste été répétée puisque la loi du 27 juillet 1999 interdisait tout nouveau recrutement après le 28 juillet et que les lois suivantes ont pris en compte les durées de service de médecins recrutés après 1999. Même s’il faut se méfier des chiffres souvent fondés sur des envois de questionnaires, une autre comparaison est étonnante. En 1995, à la veille de la première interdiction de recrutement des médecins à diplôme étranger, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) estimait leur nombre à 7500 [8]. Fin 2007, alors que le recrutement est juridiquement interdit depuis 1996 (sauf quelques centaines de places à partir de 2004), les médecins à diplôme étranger étaient près de 14000 [9] et plus de la moitié avaient été recrutés après 1999 [10]. Pourtant, une circulaire de la même année [11] proclamait que le principe de non-recrutement de personnel depuis 1999 « rest[ait] d’actualité et [devait] être scrupuleusement respecté  ».

De cette rapide exploration des quinze dernières années de mouvements des médecins à diplôme étranger, on peut tirer quelques enseignements. D’abord, bon an mal an, la lutte des médecins à diplôme étranger a été victorieuse. Du risque d’exclusion de la moitié d’entre eux en 1995, l’autre moitié étant condamnée à un statut uniquement hospitalier, on est parvenu à une situation où la grande majorité a accédé à la plénitude d’exercice et où se dessine une perspective d’intégration de la totalité des médecins en poste. Un système de régularisation conduisant à l’accès à l’exercice plein et entier de la médecine a en effet été mis en place à partir de 2007, pour tous les médecins recrutés avant le 10 juin 2004, et la loi du 1er février 2012 permet un maintien en poste jusqu’en 2016 de tous les médecins recrutés avant 2010.

Plusieurs facteurs ont concouru à cette laborieuse victoire. Bien sûr, l’implacable nécessité de leur présence, une sorte de principe de réalité, a joué pour beaucoup dans leur maintien en poste. Mais d’autres éléments doivent être pris en compte. D’abord, un usage du droit assez intéressant. Au titre des revendications, le thème de la discrimination a très tôt été mis en avant par les syndicats de médecins à diplôme étranger, ce thème a été indéniablement porteur. Cette revendication a conduit à la saisine de la Halde et à la délibération du 27 février 2006 qui a reconnu et dénoncé l’inégalité de traitement dont sont victimes ces médecins. La volonté de faire inscrire dans la loi, et non dans des circulaires, certains droits et certaines procédures est également remarquable. Le collectif Metec, à la suite de discussions avec les associations de défense des droits des étrangers, a revendiqué une régularisation des médecins ayant dix ans d’exercice, à l’instar de celle existant à l’époque pour les sans-papiers. Cette revendication a été prise en compte lors du vote d’une des lois relatives aux conditions imposées aux médecins à diplôme étranger pour l’exercice de leur art (article 60-IV loi CMU 1999, complété par la loi de modernisation sociale du 18 janvier 2002). On peut noter aussi la victoire remportée pour les médecins européens diplômés hors de la Communauté grâce à la pugnacité d’un militant, Pierre Vuarin, soutenant ces médecins. Se fondant sur l’arrêt Hocsman du 14 septembre 2000 de la Cour de justice des communautés européennes, il a développé un argumentaire leur accordant l’exercice plein et entier de la médecine en France. Cette action a conduit, après la mise en place d’une cellule spécifique au ministère, à l’introduction des articles L. 4111-2 Ibis et § II du code de la santé publique qui aménage un dispositif particulier pour les médecins européens ayant un diplôme obtenu dans un État tiers. En revanche, l’utilisation des voies contentieuses a été plus parcimonieuse [12].

Surtout, il faut souligner que le processus d’organisation a largement contribué à la diffusion d’une image positive des médecins à diplôme étranger auprès de l’opinion. Ce faisant, ces médecins ont réussi à sortir d’un face-à-face déséquilibré avec leurs collègues à diplôme français qui, pour une partie, leur étaient hostiles [13], et avec leur ministère. L’existence de structures de défense des intérêts des médecins à diplôme étranger a permis finalement, indépendamment des rivalités et des dispersions syndicales, de sortir ces praticiens d’une invisibilité délétère.




Notes

[1Marc-Olivier Déplaude, « Une xénophobie d’État ? Les "médecins étrangers " en France (1945-2006) », Politix, 2011/3, n° 95, p. 207-231.

[2Sur le rôle des syndicats de médecins français à diplôme français, voir Déplaude, art. cit., p. 221 et s.

[3Alexis Dussol, « Clause de nationalité et médecine hospitalière », Revue de droit sanitaire et social, n° 2, 1996, p. 330-340. L’auteur est directeur d’hôpital.

[4Lucile Ettahiri, « Médecins étrangers : quel avenir en France ? », Plein droit n° 26, octobre-décembre 1994.

[5Lucile Ettahiri, art. cit.

[6Les actes du colloque n’ont pas été publiés. Une version numérique est accessible : http://splus.free.fr/archives/colloque98.htm

[8Magali Coldefy, « 7500 médecins à diplôme non européen dans les hôpitaux français en 1995 », Dossier Solidarité et Santé, Drees, n° 1, 1999, p. 49.

[9Plus de 7500 médecins ayant accédé à la plénitude d’exercice (PAC et CSCT) et 6087 exerçant sous des statuts d’associés ou de faisant fonction d’interne. Sources : DHOS, Enquête sur les médecins à diplôme hors Union européenne, juin 2007, p. 5. Yves Lochard, Chrystel Meilland, Mouna Viprey, La tête de l’emploi, Ires, 2006 (rapport pour la Dares), p. 51 et s.

[10Étude DHOS, p. 7.

[11Circulaire DHOS 2007/85 du 1er mars 2007.

[12Voir toutefois Conseil d’État 6 juin 1997, CMDE et autres, 1997, n° 170316 ; Conseil d’État, 27 juin 2001, Gisti et autres, n° 223571.

[13Les principaux soutiens des médecins à diplôme étranger ont été les médecins et syndicats de médecins de disciplines souvent délaissées où ils travaillaient. Certains syndicats de disciplines symboliquement mieux placées sur l’échiquier médical ont en revanche pris publiquement position contre eux.


Article extrait du n°92

→ Commander la publication papier ou l'ebook
S'abonner

[retour en haut de page]

Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 15:00
URL de cette page : www.gisti.org/article4524