Article extrait du Plein droit n° 69, juillet 2006
« Immigration, paroles de trop »
Le tri des étrangers : un discours récurrent
Danièle Lochak
Professeur de droit public à l’Université Parix X-Nanterre
C’est lors de la présentation de son projet de loi, en 2003, que Nicolas Sarkozy a, pour la première fois, fait clairement la distinction entre l’immigration « que nous subissons, comme le regroupement familial et les demandeurs d’asile », à laquelle on peut imposer des exigences, et l’« immigration choisie […] en fonction des besoins de notre économie et de nos capacités d’intégration », qu’il convient d’encourager.
Depuis, l’opposition entre immigration subie et immigration choisie est devenue le leitmotiv du discours gouvernemental. L’exposé des motifs de la nouvelle loi Sarkozy, millésime 2006, réaffirme l’objectif de « lutter contre l’immigration subie » et de « promouvoir une immigration choisie ». On ne reviendra pas, ici, sur la légitimité d’un discours qui considère comme « subie » l’immigration fondée sur les droits, ni sur la capacité réelle de la France à « choisir » ses immigrés et à les attirer chez elle ; on se propose simplement de montrer que ce discours n’est pas aussi nouveau qu’il paraît et qu’il ne fait que réactiver une opposition qui a toujours été un élément structurant des représentations de l’étranger et de l’immigré.
Les sociétés, à travers l’histoire, ont de façon constante cherché à retenir les « bons » étrangers, tandis que les autres étaient, selon l’époque et l’état de mœurs, réduits en esclavage, persécutés ou simplement expulsés. Le sort réservé aux Barbares à l’époque athénienne, aux infidèles et aux Juifs dans la chrétienté médiévale, contraste avec la faveur accordée aux métèques ou aux marchands, utiles à la cité ou au commerce.
Ce partage dichotomique et cette vision instrumentale vont perdurer à l’époque moderne et contemporaine. La politique d’immigration des États-Unis en fournit un exemple emblématique. Les premières restrictions, en 1875, visent à proscrire les mauvais éléments pour protéger, dans un premier temps, la santé morale et physique des citoyens, puis l’homogénéité raciale du pays : seront progressivement exclus les prostituées et les condamnés, les fous et les indigents, plus tard les polygames, les extrémistes, les handicapés physiques ou mentaux, les tuberculeux, les illettrés…, plus tard encore les immigrants en provenance d’Asie. L’année 1921 marque le passage d’une sélection négative à une sélection positive – autrement dit, à une forme d’immigration choisie : la législation en vigueur jusqu’en 1965 fixait des quotas en fonction de l’origine nationale et du degré d’assimilation supposé des différents groupes ; en 1965, on a remplacé les quotas par pays par une sélection sur la base d’un système complexe de « préférences » privilégiant, dans l’ordre, les enfants de citoyens américains, les familles des citoyens ou résidents, les travailleurs possédant des qualifications correspondant aux besoins du pays, les réfugiés…
L’expérience montre que, à chaque fois qu’une politique d’immigration volontariste est mise en œuvre, ce sont les intérêts du pays d’accueil qui en constituent le moteur. Et c’est après tout logique : toute politique publique suppose qu’on s’assigne des objectifs et qu’on détermine les moyens qui permettront de les atteindre. Dans cette perspective, les immigrés sont envisagés comme une ressource – économique, démographique… – et les autres considérations, tirées notamment du respect de la personne humaine et des droits fondamentaux, restent soit absentes, soit secondes. Tout le problème – et on l’a bien vu en France à la Libération, on retrouve les mêmes débats aujourd’hui – est alors de savoir selon quels critères on va choisir les immigrés et par quels moyens on va attirer en France cette « immigration choisie ».
Mais pendant de longues périodes – la majeure partie de la IIIe République, puis l’époque des « Trente Glorieuses » –, il n’y a pas eu en France de véritable politique d’immigration, sauf à considérer comme telle le « laisser-faire, laissez-passer ». Dans un contexte où les flux migratoires obéissent d’abord à la loi du marché et où l’intervention de l’État est résiduelle, la thématique de l’immigration choisie passe au second plan ou disparaît : car il n’y a pas de « choix », sinon celui qui résulte de l’agrégation des décisions individuelles des acteurs économiques privés. Absence de volonté politique ne veut pas dire absence de discours : structurés autour d’une opposition entre « bons » et « mauvais » étrangers, ils s’efforcent de soupeser les bienfaits et les méfaits de l’immigration.
Après 1974, l’adoption durable d’une politique de « maîtrise des flux migratoires » provoque toutefois une inflexion du discours, dans la mesure où elle va progressivement conduire à considérer l’immigration en soi comme un fléau : dans ce contexte, l’immigration est a priori subie, la représentation dominante étant celle d’un mal contre lequel il faut lutter, ou à la rigueur celle d’une réalité qu’il faut bien accepter ou tolérer.
Bienfaits et méfaits de l’immigration
Dans la France de la fin du XIXe siècle, la chute de la natalité conjuguée avec les besoins nés de l’industrialisation conduisent à considérer favorablement l’immigration, qui apparaît comme une solution pour combler le déficit démographique du pays et faire face aux besoins de main-d’œuvre de l’agriculture et de l’industrie. Ceci n’empêche pas les discours accusateurs de prospérer. De façon récurrente on dénonce les risques que charrie la main-d’œuvre étrangère : risques sanitaires, criminalité et, bien sûr, à chaque fois qu’une crise se profile, la concurrence faite aux travailleurs nationaux et l’aggravation du chômage. Sur ce dernier terrain, la gauche et les syndicats emboîtent le pas, en faisant toutefois retomber la faute sur les patrons, accusés d’utiliser les étrangers pour peser à la baisse sur les salaires et choisir les ouvriers les plus dociles. De fait, même dans les périodes de récession économique, le patronat restera attaché à l’immigration dans laquelle il voit un réservoir de main-d’œuvre moins revendicative.
La thèse de Georges Mauco [1], qui deviendra un des spécialistes les plus réputés de l’immigration (et qu’on retrouve en 1945 parmi les experts du Haut Comité de la population chargé d’élaborer la future politique d’immigration), rend bien compte de la vision dominante de l’immigration : une vision strictement utilitariste et qui véhicule, malgré les prétentions scientifiques de l’ouvrage, tous les stéréotypes classiques.
L’ouvrage, paru en 1932, vante les mérites de l’immigration qui s’adapte étroitement aux besoins et donne au marché du travail une grande souplesse : en temps de crise, en effet, on peut fermer les frontières et rapatrier les immigrés, avant de les rouvrir en période de prospérité. De plus, les immigrés sont très travailleurs car ils veulent gagner beaucoup d’argent et ils sont habitués à une vie rude. Plus dociles et moins exigeants que les Français, ils aident à freiner les prétentions des « indigènes » (sic : il faut bien sûr comprendre des « Français »).
Certes, il faut aussi faire la part de certains inconvénients : un rendement moindre au début, l’aggravation du chômage en temps de crise, le transfert des épargnes, la présence d’éléments inaptes au travail manuel « qui ne viennent en France que pour y employer leurs dispositions innées au trafic et au négoce » (Mauco désigne explicitement ici les Juifs, les Arméniens, les Levantins, dont il stigmatise ailleurs la « déliquescence morale »). Mais, au total, le bilan reste malgré tout très positif, en dépit du coût engendré par les problèmes sanitaires, de la criminalité et de la présence d’agitateurs politiques. Le préoccupe néanmoins l’« avenir de la race », dans une optique eugéniste caractéristique de l’époque : il craint que, notamment par le biais des mariages mixtes, « des éléments physiquement inférieurs ou trop différents ethniquement abâtardissent la race et y apportent des germes de maladies qu’elle était parvenue à éliminer. »
D’une immigration triée à une immigration choisie
Après la Première Guerre mondiale, dans un contexte où la crise de la natalité française est source d’angoisse et où on évalue à 11% de la population active masculine les pertes dues à la guerre, il existe un accord sur le besoin impérieux de recourir à la main-d’œuvre étrangère. Mais pas n’importe laquelle : ainsi va-t-on s’empresser de renvoyer chez elle la main-d’œuvre « exotique » et coloniale qu’on avait fait venir pendant la guerre et s’efforcer de sélectionner les immigrants parmi les Européens : d’où les conventions passées avec la Pologne, l’Italie et la Tchécoslovaquie en 1919 et 1920, sur la base desquelles le patronat ira chercher là-bas les bras dont il a besoin.
L’idée que les immigrés doivent être soigneusement triés – pour éviter aussi bien l’arrivée d’ouvriers inaptes ou instables que l’afflux des « agitateurs » – reste une évidence dans l’opinion. La thématique de l’immigration choisie, elle, est surtout développée par les spécialistes et les experts. La plupart sont partisans d’une sélection des immigrants [2]. Sélection ethnique, tout d’abord, la préférence étant accordée à certains peuples sur la base d’une hiérarchie à laquelle un médecin, le Dr Martial, prétendra donner une assise scientifique. Sélection démographique, ensuite, complémentaire de la précédente, puisqu’elle consiste, non seulement à favoriser les étrangers accompagnés de leur famille mais aussi à préférer l’introduction des races particulièrement prolifiques. Sélection professionnelle consistant à recruter une main-d’œuvre témoignant d’un bon niveau de qualification et adaptée aux besoins économiques du pays. Sélection médicale pour s’assurer que les immigrants sont sains de corps et d’esprit. Sélection morale, pour éliminer les délinquants. Sélection politique, enfin, pour qu’ils ne deviennent pas un ferment de troubles.
La mise en œuvre de ces critères de sélection, base d’une immigration choisie, supposait un préalable : une volonté politique des pouvoirs publics d’organiser l’immigration plutôt que d’en laisser la responsabilité au patronat. En l’absence d’une telle volonté, ces spéculations étaient vouées à rester à l’état… de spéculation.
Choisir, mais sur quels critères ?
À la Libération, en revanche, cette volonté existe bel et bien. Encore faut-il définir les objectifs et les moyens de la politique qu’on veut mettre en place. Les économistes, favorables à une immigration de main-d’œuvre, parlent de faire venir en France un million et demi d’ouvriers dans les cinq ans, les démographes, qui souhaitent favoriser une immigration de peuplement, évoquent le chiffre de quatre ou cinq millions de personnes [3]. De Gaulle lui-même est tenté par l’option démographique : en mars 1945, il informe l’Assemblée consultative qu’un grand plan est tracé « afin d’introduire au cours des prochaines années, avec méthode et intelligence, de bons éléments d’immigration dans la collectivité française ». Et le journaliste Jacques Fauvet de commenter, dans Le Monde : « L’immigration d’hier répondait immédiatement à des nécessités économiques, celle de demain est, en plus, commandée par des considérations démographiques. » ; dans ce contexte, « bons » veut dire « sains, assimilables et prolifiques » [4]. L’alternative peut se formuler ainsi : faut-il choisir de jeunes hommes célibataires, qui apporteront leur force de travail, sans se préoccuper de leur origine ? ou bien faut-il donner la priorité aux familles pour repeupler la France, en sélectionnant des étrangers assimilables, dont les caractères se rapprochent de ceux qu’on prête à l’« ethnie » française ?
L’ordonnance du 2 novembre 1945 et la mise en place de l’ONI (Office national d’immigration) seront finalement bâties sur l’hypothèse d’une immigration de main-d’œuvre. La tentation d’une politique visant à choisir les migrants sur des critères raciaux, sur la base de leurs capacités d’assimilation supposées, est repoussée, même si des pratiques administratives, sinon occultes, du moins discrètes permettront par la suite une sélection des migrants en fonction de l’origine [5].
Quelles que soient leurs divergences, le débat qui met aux prises démographes et économistes est tout entier axé, on le voit, autour de l’idée d’une immigration choisie. Mais il reste confiné à un petit cercle d’experts qui, grâce à la promulgation in extremis de l’ordonnance de 1945, réussissent à faire échapper la question de l’immigration à un débat parlementaire et à éviter que les partis politiques ne s’en emparent.
La discussion sur les critères de naturalisation – même s’il s’agit de choisir les futurs Français et non pas simplement des immigrés – soulève des débats assez similaires [6]. Finalement, en juin 1945, de Gaulle signe une directive au garde des Sceaux dans laquelle il invite à « subordonner le choix des individus aux intérêts nationaux dans les domaines ethnique, démographique, professionnel et géographique ». Cela conduit à « limiter l’afflux des méditerranéens et des orientaux » en accordant une priorité aux naturalisations « nordiques », à privilégier les travailleurs producteurs : agriculteurs, mineurs, plutôt que les professions libérales et les commerçants, à naturaliser de préférence des individus jeunes ou ayant des enfants.
Les réfugiés eux-mêmes vont être sélectionnés à la fin de la guerre en fonction de deux critères : les besoins de main-d’œuvre et la préférence pour les Européens. On envoie des délégations visiter les camps de réfugiés situés en Europe orientale pour y choisir les individus jugés les plus intéressants, en laissant de côté ceux qui sont inaptes au travail mais aussi ceux qui exercent des professions libérales ou intellectuelles [7].
Les intentions dirigistes de la Libération, on le sait, vont très vite céder devant l’ampleur des besoins de main-d’œuvre. Même si l’immigration ne fait pas beaucoup parler d’elle, on a conscience de ses bienfaits. Certaines phrases sont restées à cet égard célèbres. Ainsi, pour Georges Pompidou, « l’immigration est un moyen de créer une certaine détente sur le marché du travail et de résister à la pression sociale » (3 septembre 1963) ; pour Jean-Marcel Jeanneney, ministre du Travail, « l’immigration clandestine elle-même n’est pas inutile, car si on s’en tenait à l’application stricte des règlements et accords internationaux, nous manquerions peut-être de main-d’œuvre » (Les Échos, 28 mars 1966) ; pour Michel Massenet, directeur de la population et des migrations au ministère des affaires sociales, les jeunes immigrés algériens « ont le mérite d’être mobiles et de pouvoir être placés là où l’utilisation de la main-d’œuvre nationale risquerait de créer des rigidités ».
Des étrangers indésirables
Après la décision de suspendre l’immigration de main-d’œuvre, en 1974, la « nouvelle politique de l’immigration », formulée en 1976 par Paul Dijoud, secrétaire d’État à l’immigration, comportera deux volets : stopper l’immigration de travailleurs d’un côté, intégrer les immigrés régulièrement présents en France de l’autre. En conséquence, le discours officiel opposera désormais les immigrés en situation régulière, qu’il faut intégrer, et ceux qui sont en situation irrégulière, qu’il faut (pour)chasser.
Mais, à mesure que se met en place une politique tout entière polarisée sur la « maîtrise des flux migratoires », la tendance est de considérer que l’immigration est par essence et nécessairement subie, comme l’exprime bien le slogan « immigration zéro », lancé par Charles Pasqua en 1993. D’autant plus que, à partir de 1977, au nom de la lutte contre l’immigration clandestine, on donne à la police des moyens d’action de plus en plus importants qui encouragent l’amalgame entre immigrés et clandestins, entre immigration et insécurité. En 1986 encore, lorsque Pasqua présente son projet de loi à la presse, il explique qu’il faut « lutter contre l’immigration clandestine et contre la délinquance importée » et que « la nouvelle loi permettra de séparer le bon grain de l’ivraie ».
Certes, l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 induit des changements dans la politique d’immigration et le discours qui l’accompagne : on reconnaît alors la légitimité de la présence en France de la population immigrée et son droit d’y demeurer. Mais très vite, le discours va à nouveau opposer aux immigrés installés, « qui font partie de la réalité nationale » et dont il faut favoriser l’insertion, les clandestins qu’il faut renvoyer [8]. C’est la même opposition qu’on retrouve, quinze ans plus tard, lorsque Jean-Pierre Chevènement, à son tour, présente sa loi comme la mise en œuvre d’une « équation simple : oui à l’immigration régulière, non à l’immigration irrégulière », en ajoutant qu’il y a là la base d’un consensus possible entre la droite et la gauche, nul ne s’opposant d’un côté à la maîtrise des flux migratoires, de l’autre à « la nécessité de stabiliser, voire d’intégrer, les immigrés durablement établis sur notre sol ».
Au moment du vote de la « loi Chevènement », au printemps 1998, la façon d’appréhender l’immigration est toutefois en train de changer : on récuse officiellement l’objectif de l’« immigration zéro » au profit d’une ouverture sélective des frontières aux étrangers dont l’intérêt personnel coïncide avec les intérêts économiques de la France : investisseurs, intellectuels, chercheurs, boursiers du gouvernement français, artistes…
L’évolution se poursuit et la mutation du discours s’accélère [9] à mesure que des rapports d’experts de plus en plus nombreux tirent la sonnette d’alarme et montrent que la situation démographique et économique de l’Europe rend inévitable, à court ou moyen terme, le recours à l’immigration [10]. La même prise de conscience se fait jour au niveau communautaire.
Des immigrés selon les besoins
En novembre 2000, une communication de la Commission préconise d’« ouvrir les canaux de l’immigration légale à destination de l’Union aux travailleurs migrants… compte tenu de la contribution positive que les migrants peuvent apporter au marché de l’emploi, à la croissance économique et à la pérennité de nos systèmes de protection sociale ». En janvier 2005, elle publie un « livre vert » sur une « approche communautaire de la gestion des migrations économiques », qui préconise d’« encourager des flux d’immigration plus soutenus pour couvrir les besoins du marché européen du travail et assurer la prospérité de l’Europe ». [11]
Cela au moment même où un débat s’engage, en France, sur l’opportunité de mettre en place des quotas d’immigration. En janvier 2005, à l’occasion de ses vœux à la presse, Nicolas Sarkozy, alors président de l’UMP, met sur le tapis la question des quotas qui doit faire l’objet d’un débat « sans tabou et sans exclusive » et parle d’une « politique volontaire de l’immigration fondée sur des professions ou des pays » [12]. Quelques jours plus tard, Dominique de Villepin, alors ministre de l’intérieur, tout en expliquant que les quotas ethniques vont à l’encontre de la tradition républicaine, se dit favorable à des accords de coopération avec les pays d’origine, « afin de définir les métiers et les formations qui correspondent à leurs besoins et aux nôtres ». Quelques mois plus tard, à l’occasion d’un colloque organisé par l’UMP sur le thème « Une immigration choisie pour une intégration réussie », les deux hommes se retrouvent d’accord, sans prononcer le mot de « quota », sur la nécessité de « fixer chaque année, catégorie par catégorie », le nombre d’immigrés autorisés à venir en France [13].
C’est finalement à Nicolas Sarkozy, à nouveau ministre de l’intérieur, qu’il reviendra, en juillet 2005, de présenter les axes de sa politique d’immigration choisie : fixer, en fonction des besoins de l’économie et de nos capacités d’accueil, le nombre de personnes admises à s’installer en France. Il évoque même un système de points attribués en fonction de critères d’âge, de diplômes, de connaissances linguistiques, d’expériences professionnelles – système qui pourrait s’appliquer d’abord aux étudiants avant d’être étendu aux actifs qualifiés [14].
Dans l’exposé des motifs du projet de loi déposé en avril 2006, on remarque qu’il n’est plus question de quotas ni de points. Il est seulement dit que le rapport que le gouvernement doit remettre chaque année au Parlement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration indiquera « à titre prévisionnel » le nombre, la nature et les différentes catégories de visas de long séjour et de titres de séjour qui seront délivrés au cours des trois années suivantes, en distinguant l’admission au séjour aux fins d’emploi, aux fins d’étude et pour motifs familiaux.
L’expérience montre qu’il est toujours plus facile de s’acharner sur l’immigration « subie », par des mesures restrictives et répressives, que de mettre en œuvre les politiques sélectives préconisées par les « experts ». Ce qui n’empêche pas de trouver à la rhétorique qui oppose l’immigration subie à l’immigration choisie des relents détestables.
Notes
[1] Les étrangers en France, leur rôle dans l’activité économique, Armand Colin, 1932
[2] Ralph Schor, L’opinion française et les étrangers, 1919-1939, Publications de la Sorbonne, 1985, p. 501 et s.
[3] Sur ces controverses, v. Patrick Weil, La France et ses étrangers, rééd. Folio, 1995, p. 75 et s. et Vincent Viet, « Qu’affluent les bras aux manches retroussées ! », Plein droit n° 29-30, novembre 1995 : « Cinquante ans de législation sur les étrangers ».
[4] Le Monde, 17 octobre 1945.
[5] Alexis Spire, Étrangers à la carte. L’administration de l’immigration en France (1945-1975), Grasset, 2005. On y trouve une description des mécanismes par lesquels « au cours des Trente Glorieuses, guichetiers, rédacteurs ou chefs de service en préfecture n’ont cessé de chercher à sélectionner les "bons" étrangers ».
[6] Patrick Weil, « Naturalisations : le bon grain plutôt que l’ivraie », Plein droit n° 29-30, précité.
[7] Gérard Noiriel, « Des réfugiés bien encombrants », ibid.
[8] Déclaration de François Mitterrand au Conseil des ministres du 31 août 1983.
[9] Sur cette évolution, Alain Morice, « De l’immigration zéro aux quotas », Le Monde diplomatique, novembre 2000.
[10] Rapport du Commissariat au Plan en 1995, rapport de l’OCDE à la fin de 1999, rapport des experts de la division de la population des Nations unies en janvier 2000, rapport du Commissariat au Plan à nouveau en janvier 2000.
[11] COM (2004) 811 (final), 11 janvier 2005.
[12] Le Monde, 14 janvier 2005.
[13] Le Monde, 11 juin 2005.
[14] Le Monde, 11 juillet 2005. En janvier 2005, une « note confidentielle » remise au ministre de l’Éducation propose de faciliter la venue d’étudiants prioritaires et de « décourager celle des autres par des instructions claires données aux postes diplomatiques, aux services préfectoraux et aux universités ».
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