Dispositions discriminatoires relatives à l’attribution des bourses à Mayotte
Annulation par le Conseil d’Etat à la suite d’une requête du Gisti du 16 décembre 2011
CE, 19 décembre 2012, n° 354947  


Requête du Gisti et pièces du dossier

La requête

La demande d’annulation porte sur le décret n° 2011-1305 du 14 octobre 2011 relatif aux modalités d’attribution et de calcul des bourses nationales de collège et au retrait des demandes de bourses nationales d’études du second degré de lycée à Mayotte.
Ce décret est applicable depuis la rentrée scolaire d’août 2011 à Mayotte.

Il comporte deux points importants :

  • L’exigence d’une attestation de paiement de prestations familiales pour l’attribution des bourses des collèges et des lycées à Mayotte seulement ;
  • Un plafond de ressources abaissé à Mayotte de 20%.

Le Gisti a déposé un recours portant sur ces deux points notamment sur le premier qui restreint très fortement l’accès à ces bourses nationales par rapport à ce qui prévaut en métropole et dans les autres DOM. 

En effet, alors que la législation prévoit que ces bourses sont versées sans autre condition qu’une condition de ressources de la personne qui assume effectivement la charge de l’enfant, charge qui s’entend comme une situation de fait, l’exigence d’attestation de paiement des prestations familiales revient à ajouter toutes les autres conditions exigées pour ces prestations fixées par un décret du 29 mars 2002 spécifique à Mayotte.

  • l’enfant de parents étrangers sans titre de séjour alors qu’aucune condition de régularité de séjour n’existe dans la législation en ce qui concerne l’accès aux bourses nationales ;
  • l’enfant d’un étranger en situation régulière ne justifiant pas d’une carte de résident de 10 ans, seul ce titre permettant l’accès aux prestations familiales à Mayotte, et alors même que ce titre est attribué de manière exceptionnelle à Mayotte ;
  • l’enfant, français ou non, dont la charge est assumée par une autre personne, française ou non, lorsque cette personne n’est ni le père, ni la mère ni une personne qui assume cette charge par décision de justice ;
  • l’enfant, français ou non, et de parents, eux-mêmes français ou non, qui pour toute autre raison ne parviennent pas à faire valoir leur droit aux prestations familiales : selon une étude de 2009 de la préfecture de Mayotte, ce sont plus de la moitié des personnes éligibles aux prestations familiales qui ne les perçoivent pas [1].

Selon les premiers témoignages recueillis auprès de professionnels de l’éducation nationale en poste à Mayotte, le nombre de bourses attribuées a chuté de l’ordre de moitié à la rentrée 2011/2012 par rapport aux années précédentes en conséquence directe de la nouvelle exigence posée, et alors même que les effectifs scolaires s’accroissent toujours fortement d’une année sur l’autre sur cette île.

Lire de texte de la requête

Et les textes mentionnés dans la requête


Réplique du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, 11 mai 2012

  • avec les pièces jointes

Observations du Gisti, 13 juin 2012

  • avec les pièces jointes

Saisine du défenseur des droits, 18 juin 2012

  • Demande d’intervention dans la requête présentée au Conseil d’Etat (référence : n° 354947) le 16 décembre 2011 visant à l’annulation du décret n° 2011-1305 du 14 octobre 2011 relatif aux modalités d’attribution et de calcul des bourses nationales de collège et au retrait des demandes de bourses nationales d’études du second degré de lycée à Mayotte
  • Demande d’intervention auprès du Vice-Rectorat de Mayotte s’agissant des pratiques du Vice-Rectorat et en particulier de son formulaire de demande de bourses exigeant, sans fondement légal, l’attestation CAF ainsi que le titre de séjour pour les ressortissants étrangers.

L’arrêt du Conseil d’État

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Extraits :

4. Considérant que le décret attaqué prévoit que, dans le département de Mayotte, le nombre d’enfants à charge ouvrant droit à l’obtention d’une bourse nationale de collège doit être déterminé par l’attestation de prestations sociales ; que l’article 4 de l’ordonnance du 7 février 2002 relative à l’extension et la généralisation des prestations familiales et à la protection sociale dans le département de Mayotte subordonne, s’agissant des ressortissants étrangers résidant dans ce département, le bénéfice des prestations familiales à la condition qu’ils soient titulaires soit de l’une des cartes de résident prévues, pour les citoyens de l’Union européenne, à l’article 13 de l’ordonnance du 26 avril 2000 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers à Mayotte ou, pour les autres ressortissants étrangers justifiant d’une résidence régulière non interrompue d’au moins cinq années, aux articles 19 et 20 de cette ordonnance, soit d’un titre de séjour régulièrement délivré avant l’entrée en vigueur de cette ordonnance ;

5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le requérant est fondé à soutenir qu’en prévoyant que le nombre d’enfants à charge doit être justifié par l’attestation de prestations sociales régie par l’ordonnance du 7 février 2002, le décret attaqué a illégalement restreint le bénéfice des bourses nationales de collège à Mayotte aux seules catégories de ressortissants étrangers susceptibles de détenir cette attestation ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête à l’appui de ces conclusions, il y a lieu d’annuler le décret en tant qu’il prévoit qu’il faut justifier du nombre d’enfants à charge par l’attestation de prestations familiales ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation du II de l’article D. 562-8-1 du code de l’éducation :

6. Considérant, en premier lieu, que, si le requérant soutient que la diminution de 20% des plafonds de ressources pour l’attribution des bourses à Mayotte est injustifiée, il ressort des pièces du dossier que, ainsi que le fait valoir le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, cette diminution a pour objet de compenser le fait que le revenu fiscal de référence des résidents de Mayotte, qui est retenu pour apprécier les ressources de la famille de l’élève en application des dispositions de l’article D. 531-4 du code de l’éducation, est calculé en appliquant une retenue d’un cinquième sur les revenus effectivement perçus ; que le montant de cette diminution des plafonds de ressources n’est pas manifestement injustifié ;

Considérant, en second lieu, que si le requérant soutient que le calcul des plafonds de ressources applicables à Mayotte aurait dû prendre en compte le fait que le coût de la vie y est plus élevé qu’en métropole, le principe d’égalité n’impose pas de traiter différemment des personnes dans des situations différentes ; que, par suite, ce principe n’imposait pas à l’auteur du décret d’adapter les plafonds de ressources au pouvoir d’achat des familles des enfants bénéficiant des bourses nationales de collège ;

7. Considérant que, dès lors, il y a lieu de rejeter les conclusions du requérant tendant à l’annulation des dispositions du II de l’article D. 562-8-1 du code de l’éducation ;

(...)

D E C I D E :

Article 1er : Les phrases " Le nombre d’enfants à charge est justifié par l’attestation de paiement de prestations familiales " et " Les enfants à charge considérés pour l’étude du droit à bourse sont les enfants mineurs ou infirmes et les enfants majeurs célibataires tels qu’ils figurent sur l’attestation de paiement de prestations familiales " de l’article D. 562-8-1 du code de l’éducation sont annulées.

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Notes

[1Voir : Préfecture de Mayotte 976, Direction des affaires sanitaires et sociales, « Accès aux droits des personnes en situation d’exclusion à Mayotte », ISM, rapport réalisé par David Guyot, juin 2009 - en PDF

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Dernier ajout : dimanche 19 juillet 2015, 13:40
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