Article extrait du Plein droit n° 27, juin 1995
« Dénoncer et expulser »

Interview : Un juge d’application des peines en Guadeloupe

Propos de Madame Lebrun, juge d’application des peines à Basse Terre, recueillis par Anne Gout-Lacomblez

 

1. Quelle est la situation en matière d’immigration clandestine en Guadeloupe et dans ses dépendances ?

Cette situation est en fait liée à la proximité de la Guadeloupe avec des îles étrangères dans lesquelles le niveau économique est nettement plus défavorable. En outre, la Guadeloupe étant un département français, elle attire l’immigration également en raison de la réputation de la France « terre d’accueil ».

Ainsi, dans la partie française de l’île de Saint-Martin où une très forte politique de développement et de construction a été menée à bien jusqu’aux environs de la fin de l’année 1992, on a assisté à une très forte immigration de personnes venues chercher du travail et accompagnées de leur famille.

Le taux de personnes étrangères sur l’île était très important : je crois que sur environ 33 000 habitants, il y avait à peu près 25 000 étrangers, la plupart du temps en situation irrégulière. Cela engendrait des problèmes critiques notamment en matière de santé puisque ces personnes, déshéritées, étaient très souvent porteuses de maladies graves et beaucoup de leurs enfants naissaient en état de séropositivité.

C’est pourquoi les pouvoirs publics locaux ont décidé, au cours de l’année 1993, de mener une politique de régularisation importante et de délivrer des titres de séjour et de travail aux étrangers qui justifiaient d’un emploi, d’un logement, etc. Les refus de régularisation ont été pris à l’encontre des étrangers qui avaient déjà été condamnés.

Cette régularisation générale a permis d’assainir la situation sociale et également de mettre un terme à de nombreuses situations d’exploitation de ces étrangers par des personnes se comportant en véritables « marchands de sommeil ».

Depuis la fin de cette période et au cours de l’année 1993, l’immigration clandestine que nous avons pu rencontrer au fil des audiences correctionnelles est celle d’une immigration liée à la délinquance et notamment au trafic de stupéfiants.

En réalité, les étrangers qui seraient tentés de venir s’installer ici pour travailler ne le font plus beaucoup, sachant que les possibilités d’emploi sont maintenant minimes.

2. En votre qualité de juge d’application des peines, quels types de difficultés rencontrez-vous dans ce domaine ?

Les difficultés rencontrées par les étrangers détenus sont de nature différente :

Premièrement, ils ne peuvent bénéficier d’aucun aménagement de peine en cours de détention. Ils ont par contre les mêmes droits que les autres en matière de formation professionnelle ou d’activités rémunérées à l’intérieur des prisons.

Deuxième difficulté : les étrangers dont le titre de séjour régulier à leur entrée en détention est devenu caduc pendant leur incarcération ne verront pas ce titre renouvelé en raison d’une interdiction judiciaire du territoire ou sur décision du préfet, sauf pour ceux qui bénéficient d’appuis particuliers, grâce notamment à leurs bons rapports avec les services de police.

La troisième difficulté concerne les mineurs étrangers. Il y a quelque temps, l’un d’entre eux, devenu majeur, a été expulsé en Haïti, pays d’origine qu’il ne connaissait pas. Maintenant, les jeunes sont remis à leur famille si celle-ci réside en Guadeloupe ; dans le cas contraire, ils sont laissés libres. Il appartient aux services sociaux de faire en sorte qu’ils aient les moyens financiers de retourner dans leur île d’origine.

Il reste enfin le dramatique problème des étrangers qui, bien qu’installés régulièrement et depuis longtemps en Guadeloupe, se voient condamnés à une interdiction du territoire français par un tribunal, et de ce fait, expulsés en fin de peine, alors qu’ils ont une compagne et des enfants.

Il faudrait d’ailleurs que les avocats insistent, dans leur défense, sur cet aspect familial du problème car cela éviterait par la suite d’engager des procédures plus aléatoires en relèvement d’interdiction.

3. Les droits des ressortissants étrangers sont-ils respectés (procédure pénale, interprète…) ?

Dans le cadre de l’enquête par les services de police ou de gendarmerie, la difficulté est que l’interprète est, la plupart du temps, également un policier ou un gendarme et que l’étranger arrêté se sent interrogé par une personne en la neutralité de laquelle il ne peut croire.

En outre, beaucoup ne savent ni lire ni écrire le français et signent le procès-verbal qui leur est lu par cet interprète policier ou gendarme dont, par hypothèse, ils se méfient et auquel ils n’osent pas demander de précisions.

Lors de l’instruction ou du jugement, l’interprète est extérieur aux services de police ou de gendarmerie.

À une époque, on a également pu constater que des étrangers étaient éloignés du territoire et que, simultanément, alors que l’autorité judiciaire avait pleinement connaissance de l’exécution de cette mesure, l’étranger était convoqué devant la juridiction répressive par OPJ. Dès lors, l’étranger était condamné par jugement contradictoire à signifier en mairie. Il n’avait pas connaissance de cette sanction et lorsqu’il revenait sur le territoire français, il se faisait arrêter et devait exécuter cette peine sans jamais avoir été entendu par un tribunal, sans recours et sans aménagement de peine. Ce genre de pratique a heureusement disparu.

La présomption d’innocence me semble malmenée par les circulaires qui font obligation à l’administration pénitentiaire de signaler à la préfecture tout étranger écroué. De ce fait, tout prévenu est fiché avec la première qualification retenue par le juge d’instruction. Peu importe que, par la suite, il y ait non lieu, que la personne soit reconnue innocente ou que l’acte soit disqualifié de crime en délit. La préfecture aura trace des faits reprochés.

Les demandes de titre de séjour des mineurs délinquants devenus majeurs seront examinées par les services préfectoraux qui ont eu connaissance de ces faits, lesquels ne devraient pourtant jamais figurer sur les extraits de casier judiciaire que l’administration a le droit d’obtenir.

Enfin, lors de l’incarcération, se pose bien évidemment le problème de la langue et de la communication.

4. Quel sort a pu être réservé aux Haïtiens en situation irrégulière en Guadeloupe avant et après les derniers événements politiques en Haïti ?

À une certaine époque les détenus haïtiens en fin de peine n’étaient pas expulsés vers Haïti. Après le retour du Président Aristide et les vols réguliers vers Port-au-Prince, les expulsions ont repris.

Il y a peu de Haïtiens détenus ici, en Guadeloupe.



Article extrait du n°27

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Dernier ajout : jeudi 26 juin 2014, 18:11
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