Article extrait du Plein droit n° 36-37, décembre 1997
« La République bornée »

La situation des médecins à diplôme étranger : Entre fonctions et statut, le hiatus

Cyril Wolmark

Étudiant à l’IEP de Paris
Assurant une part importante du fonctionnement des hôpitaux publics français, les médecins à diplôme étranger – dont 75 % sont français – se heurtent depuis toujours à une non-reconnaissance de leur formation et de leurs compétences. La réglementation les concernant, bien que modifiée à plusieurs reprises, n’a pas fondamentalement changé la précarité de leur situation, qui débouche parfois sur une exclusion totale.

Au début de l’année 1995, les médecins à diplôme étranger représentaient le quart des effectifs des médecins employés dans les hôpitaux publics et assuraient près de la moitié des gardes de nuit dans les différents services de l’hôpital, dont les services d’urgence.

Indispensables au fonctionnement du service public, ils allaient pourtant devenir les victimes désignées de la réforme des hôpitaux. Le gouvernement Juppé préparait en effet une réduction du nombre de lits par une baisse drastique du nombre de médecins à diplôme étranger.

Les syndicats de médecins traditionnels ont toujours empêché toute forme de reconnaissance de leurs collègues titulaires de diplômes extracommunautaires. De leur côté, les autorités politiques ont laissé se développer une situation à la limite de la légalité. Même si elles reconnaissent les diplômes étrangers comme ayant un niveau équivalent aux diplômes français, elles n’ont jamais considéré les médecins titulaires de ces diplômes comme médecins à part entière : n’étant pas inscrits au tableau de l’Ordre, ils ne peuvent pas exercer en ville ; payés à un niveau largement inférieur à celui de leurs collègues à diplôme français, ils sont liés aux établisssements de santé par des contrats précaires ; l’appui du chef de service est quasi indispensable pour le renouvellement de leur contrat ; enfin, les possibilités de promotion au sein de l’hôpital sont pratiquement inexistantes.

La seule chance, pour ces médecins, de mettre fin à la précarité de leur statut est de passer une sorte d’« épreuve du feu » qui consiste en une procédure d’autorisation individuelle du ministre de la santé doublée d’une épreuve d’admissibilité avec passage devant une commission. Mais qu’ils ne se fassent pas d’illusions ! Cette commission ne délivre les autorisations qu’au compte-gouttes : quarante à quatre-vingt par an sur deux mille dossiers en attente, soit 2 à 4 % des demandes. Les élus sont alors traités à égalité de droit avec leur collègues titulaires de diplôme français.

Pour tous les autres, une nouvelle réglementation, défendue par le ministre de la santé de l’époque, madame Simone Veil, a été mise en place par la loi du 4 février 1995. Le nouveau système est cependant loin d’être satisfaisant : largement discriminatoire, il interdit de fait aux médecins à diplôme étranger d’accéder à une pleine reconnaissance de leur travail.

Pour pouvoir être admis à présenter le concours de Praticien Adjoint Contractuel (PAC), ils doivent, au moment de l’entrée en vigueur de la loi, avoir exercé pendant trois ans, être toujours en fonction et avoir rempli un certain nombre de vacations par mois, sachant que les dépassements d’horaires ne sont jamais pris en compte. Différentes sessions sont organisées, la dernière devant avoir lieu en 1999.

Pour les pouvoirs publics, ce concours se justifie par la nécessité de contrôler les compétences des médecins à diplôme étranger. Est-ce à dire que les chefs de service qui ont des médecins ou des étudiants étrangers dans leur service ne sont pas aptes à juger de leur compétence ? Que les personnes s’adressant aux hôpitaux français ont une chance sur quatre d’être soignées par des médecins dont la compétence n’est pas établie ? Que les ministres de l’éducation nationale et de la santé commettent une erreur quand ils reconnaissent la valeur scientifique des diplômes de ces médecins, préalable nécessaire à leur entrée en fonction ?

La réponse à toutes ces questions est évidemment non, car ces médecins ont déjà fait la preuve quotidiennement de leurs capacités professionnelles. Reconnus tous les jours dans l’exercice de leurs fonctions par leurs collègues et leurs patients comme des médecins hautement qualifiés, ils constituent un des piliers du système de santé publique, de la recherche médicale et des échanges scientifiques.

Un statut toujours précaire

Présenté comme un examen de capacités professionnelles, ce concours n’est en réalité qu’un prétexte pour une purge délibérée. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur 8 000 médecins à diplôme étranger exerçant en France, 4 254 ont postulé au concours PAC, 2 126 ont été admis à passer l’examen, 1 035 ont été reçus [1], et seulement 500 postes ont été créés au 25 avril 1997 [2].

Quel est le nouveau statut pour ces quelques élus ? Recrutés comme contractuels pour trois ans, ils sont moins payés que leurs collègues français praticiens hospitaliers pour des attributions équivalentes ; de plus, incrits sur une liste spéciale de l’Ordre des médecins, il leur est interdit d’exercer en ville.

Concours à part, statut à part : la discrimination est érigée en mot d’ordre pour les médecins à diplôme étranger qui auront le droit d’exercer à l’avenir.

Quant aux autres – ceux qui ne peuvent pas passer le PAC ou qui n’ont pas réussi les épreuves du concours – ils se retrouvent complètement exclus non seulement de la profession de médecin mais de toutes les professions puisqu’on leur retire l’autorisation de travail. Il faut d’ailleurs faire remarquer que, contrairement à la circulaire du 29 février 1996 et à la lettre de la loi, l’administration refuse parfois de délivrer des autorisations de travail aux personnes qui ne sont pas inscrites au concours, alors qu’elles ont jusqu’à 1999 pour le faire, et que chacun est libre de s’y inscrire ou non.

Pour les médecins étrangers à diplôme étranger, le retrait de l’autorisation de travail signifie le retrait du titre de séjour. Pour les médecins français à diplôme étranger (qui représentent 75 % de l’ensemble), l’impossibilité d’exercer les condamne au chômage. Ils pourront toujours passer d’autres concours pour devenir infirmiers ou aide-soignants…

Très rapidement, l’impossibilité d’appliquer la loi sans porter atteinte à la continuité des soins est apparue aux yeux de l’administration.

La loi qui instaure le concours concerne entre autres les attachés associés, l’une des catégories de médecins dont le gouvernement veut voir le nombre diminuer. Pourtant dès le 17 mars 1995 – soit un mois après le vote de la loi – la durée du contrat de ces médecins était allongé de deux ans pour passer de quatre à six ans.

De même, devant les difficultés rencontrées par les chefs de service pour faire venir des médecins à diplôme étranger à des fins de recherche universitaire, un rectificatif à la loi initiale était voté. Une loi du 28 mai 1996 permettait ainsi aux « chefs de cliniques associés » de déroger aux conditions établies par la loi du 4 février 1995.

Les conditions de recrutement restent toutefois dominées par le bon vouloir du chef de service qui fait venir ou qui souhaite garder un médecin à diplôme étranger dans son service et par celui du ministre de la santé, seul compétent pour délivrer les autorisations individuelles d’exercice de la médecine.

En empêchant tout recrutement de nouveaux médecins, la France se prive de compétences extérieures. Les études du ministère de la santé montrent qu’entre 2005 et 2015, la France manquera de médecins.

Que signifie donc une loi dont la durée de vie sera nécessairement très courte ? Une fois de plus, les flux migratoires sont traités au coup par coup et une politique cohérente à long terme ne peut voir le jour en raison de considérations électoralistes et clientélistes.

Cette réglementation contredit, par ailleurs, la volonté de codéveloppement que l’actuel gouvernement semble appeler de tous ses vœux. Comment rendre possible la formation de médecins sans les autoriser à venir se former en France et à exercer en France ?

Des paroles aux actes

La carte mention « scientifique », nouveau gadget du projet de loi, ne leur sera d’aucune utilité si elle ne les autorise pas à travailler en France. Pourtant, l’exposé des motifs du projet de loi indique clairement que « L’intérêt de la France aussi bien que son prestige lui commandent d’accueillir réfugiés, étudiants, chercheurs ». Le rapport Weil allait dans le même sens et mentionnait même le cas particulier de la médecine. Une fois de plus, le fossé entre le discours tenu par le gouvernement et ses actes se creuse.

L’actuel secrétaire d’Etat chargé de la santé semble toutefois plutôt favorable à un déblocage de la situation des médecins à diplôme étranger. Les médecins appelés pour la réouverture du service anesthésie de l’hôpital de Pithiviers sont des médecins à diplôme étranger, ce qui montre à quel point ils sont indispensables à la continuité des soins. De plus, les négociations entamées par le collectif des médecins, appelé « METEK », semblent avoir reçu un écho favorable au ministère.

Après un décret du 30 juillet 1997 qui ne modifiait en rien la logique qui présidait aux anciens décrets – sélection discriminatoire, suspicion d’incompétence, toute cela dans l’unique but de rationnaliser ou plutôt de rationner l’accès aux soins – une circulaire du 17 octobre 1997 est venue améliorer la situation des médecins.

Selon ce texte, les médecins déjà recrutés dans les hôpitaux pourront exercer jusqu’au 31 décembre 1999. Après cette date, les médecins en formation (préparant un DIS ou Faisant Fonction d’Interne) ne pourront plus travailler en France ; pour les autres, la circulaire reste volontairement floue.

Si les problèmes les plus urgents trouvent une solution, une question demeure : que va-t-il se passer après 1999 ?

Le collectif « METEK » a soumis un certain nombre de propositions au gouvernement, en particulier l’accès à un statut moins précaire que les statuts actuels après trois ans d’exercice, et la pleine égalité des droits avec leurs collègues à diplôme français après une période de cinq ou dix ans.

Enfin, le collectif dénonce l’obligation, pour pouvoir exercer la médecine en France, d’être français. Cette disposition, symbole du corporatisme médical, s’oppose à ce qu’un médecin de nationalité étrangère qui a suivi la totalité de ses études de médecine dans les universités françaises ou qui travaille depuis longtemps dans les hôpitaux français puisse exercer. Il faut enfin noter que, selon une circulaire du 27 avril 1995 [3], la naturalisation est refusée aux personnes dont la profession est soumise à un numerus clausus ; ce qui est le cas des médecins.

Ainsi, la seule façon, en France, d’être considéré comme un « vrai » médecin est d’être français muni d’un diplôme français. Pour les Français et les étrangers à diplôme étranger, une règle : la précarité d’exercice. Pour les étrangers à diplôme français, un principe : l’impossibilité d’exercice. La présence d’un seul élément d’extranéité suffit pour exclure un médecin de l’exercice de la médecine, quand bien même ses compétences et ses qualités seraient reconnues.

Docteur X.



Monsieur X vient d’Europe centrale. Son histoire ne commence pas à la frontière française. C’est ce que tous les médecins à diplôme non européen ont en commun.

Engagé dans le mouvement démocratique au cours de ses dernières années d’études médicales, il a subi des menaces d’exclusion de l’Université, des persécutions à l’armée, une perquisition à son domicile et, lorsqu’il a obtenu son diplôme de médecin, il s’est vu refuser les postes dans les hôpitaux. L’assignation en justice précipite son émigration. Parti alors pour « visiter » Budapest, il réussit à passer à l’Ouest par le rideau de fer qui commence à se fissurer. Maîtrisant le français, il décide de venir se former en psychiatrie en France où il a des amis.

Très vite, il obtient le statut de réfugié politique puis, en 1990, l’équivalence scientifique de son diplôme de médecin. Il commence alors à exercer en tant que Faisant Fonction d’Interne (FFI) dans un CHU parisien. Ultérieurement seulement, il obtient son diplôme inter universitaire de psychiatrie (DIS), la forme d’internat réellement accessible aux médecins à diplôme étranger, et il acquiert la formation et l’expérience qu’il espérait. Il se marie avec une Française et ils décident de s’installer en France.

Vient l’année 1996. Elle débute plutôt bien pour le docteur X. Il soutient son DIS et l’hôpital, dans lequel il exerce, souhaite le garder comme assistant spécialisé. Mais la loi de 1995 réglementant la situation des médecins à titre extra-Union européenne est passée par là. Impossible, pour cet hôpital rappelé à l’ordre par la DRASS (direction régionale de l’action sanitaire et sociale), de continuer à l’employer car le changement de statut de FFI en assistant est considéré comme une embauche interdite par la loi.

Il avait auparavant déposé un dossier de candidature pour passer l’épreuve de Praticien Adjoint Contractuel (PAC) sachant qu’il remplissait toutes les conditions (plus de trois ans d’exercice de FFI). Mais son dossier est rejeté par le ministère du travail sur un motif non prévu par la loi ; pendant dix mois d’exercice dans un hôpital universitaire, ses fonctions FFI n’ont pas été rémunérées (!).

Il se retrouve alors sans emploi : au bout de quelques mois d’indemnité de chômage, il ne touche plus que les « fins de droits ». Parallèlement, il réussit sa spécialisation en pédopsychiatrie et exerce bénévolement dans un dispensaire pour enfants. Entre-temps, il a essayé de faire entendre raison à l’administration : recours gracieux, lettres de soutien de ses anciens chefs de service, enfin recours administratif à ce jour non jugé.

Actuellement, cette loi le réduit à un état de « mort professionnelle ». A trente-six ans, passionné par son métier, et alors que trois services de psychiatrie ne demandent qu’à l’embaucher, il accueille des adolescents en difficulté dans une cité de banlieue, ce qui lui permet de survivre financièrement.

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Cinquante heures par semaine au bloc opératoire de l’hôpital Lariboisière à Paris

Patricia utilise souvent une expression : « La France ne m’aime pas ». Pourtant, elle a déjà beaucoup fait pour cette France qui semble lui faire tant de problèmes. Venue en France en 1991 elle s’est mariée avec un Français, ingénieur agronome. Ils ont aujourd’hui une petite fille.

Agée aujourd’hui de trente-sept ans, Patricia a fait ses études de médecin-anesthésiste en Argentine, à Buenos-Aires. Après son internat, elle y a travaillé. L’Espagne manquant, comme la France, d’anesthésistes formés prêts à travailler dans les hôpitaux, des postes furent proposés à des anesthésistes argentins. Patricia est donc partie, comme d’autres compatriotes, travailler en Espagne.

Pendant trois ans, à Huelva, une des grandes villes d’Andalousie, elle a exercé comme anesthésiste. « J’ai beaucoup travaillé en Espagne. Ma compétence et ma disponibilité ont été utilisées au maximum. Il y avait un manque réel d’anesthésistes. Mais c’était fou de faire jusqu’à quinze gardes par mois, en plus de mon temps complet de travail à l’hôpital ». « Mais, précise Patricia, en Espagne nous étions payés et reconnus comme les autres médecins spécialistes ». Ayant obtenu, après le passage devant une commission, une validation complète de ses diplômes et de son expérience, Patricia a pu exercer pleinement sa profession de médecin, aussi bien dans le public que dans le privé.

C’est sur la base de ces diplômes et de cette expérience en Argentine et en Espagne, que l’hôpital Saint-Louis, à Paris, l’a embauchée en 1991 dans son service d’anesthésie comme « médecin attaché associé ». Avec six puis dix vacations par semaine (soit officiellement vingt et une heures puis trente-cinq heures) elle était payée sur la base de 8 500 F nets pas mois.

Patricia pensait que cette situation était transitoire et qu’elle pourrait obtenir assez rapidement le droit d’exercer en France en tant que médecin à part entière. Elle ne se doutait pas de la galère dans laquelle elle était engagée.

Depuis six ans maintenant, Patricia travaille comme anesthésiste au bloc opératoire, principalement en chirurgie orthopédique. Elle a la responsabilité, chaque jour, pour l’anesthésie, d’une salle d’opération à l’hôpital Lariboisière. « Notre service est particulièrement chargé. Nous manquons cruellement d’anesthésistes. Trois choses se conjuguent actuellement qui empêchent tout changement dans cette situation : les restrictions budgétaires, la difficulté de trouver des anesthésistes français pourvus de diplômes français prêts à travailler dans les hôpitaux publics, et l’impossibilité d’embaucher comme auparavant des médecins spécialistes français ou non français ayant un diplôme hors de l’Union européenne.

Nous sommes donc mobilisés plus de dix heures pas jour au bloc opératoire et dans le suivi des malades, au troisième sous-sol de l’hôpital. Le scénario de la série américaine « Urgences » n’est pas loin. Nous avons calculé, à partir de nos relevés journaliers, que nous faisions cinquante heures par semaine en moyenne, les gardes de nuit en plus. On comprend pourquoi les anesthésistes diplômés en France ne viennent pas travailler dans les hôpitaux publics ».

Mais pour des anesthésistes ayant un diplôme hors Union européenne, cette situation tourne à l’exploitation éhontée. Patricia travaille de fait, avec ce total d’heures, ce rythme infernal et cette responsabilité, pour un salaire horaire de 40 F !

« J’ai pratiqué des anesthésies depuis six ans en France et trois ans en Espagne sur plusieurs milliers de personnes. Et maintenant la France me demande de passer un examen-concours pour continuer à être exploitée, à être dans un statut discriminatoire en fonction de mon origine avec, en plus, le risque de ne plus avoir le droit, après 1999, si je rate cet examen-concours, d’exercer mon métier en France, métier pour lequel je me suis donnée corps et âme depuis quinze ans. Moi qui suis, en plus, devenue française, je suis écœurée. Pour pouvoir continuer à exercer mon métier de médecin-anesthésiste devrai-je obliger mon mari français et ma famille à s’expatrier en Espagne ou en Argentine avec tout ce que cela comporte comme énormes problèmes ? Devrai-je abandonner mon métier pour lequel j’ai consacré tous mes efforts pendant des années ? tout cela me paraît profondément injuste, hypocrite et très dangereux pour la société française, si elle accepte cet état de fait ».





Notes

[1Chiffres donnés en réponse à une question au gouvernement de M. Filleur, le 19 février 1996 (JOAN, 24 mars 1997, p. 1561)

[2Le Quotidien du médecin, n° 6056, 25 avril 1997

[3Cf. Plein Droit n° 28, septembre 1995, Médecin ou Français : il faut choisir !


Article extrait du n°36-37

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Dernier ajout : mercredi 28 octobre 2015, 15:35
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