Article extrait du Plein droit n° 76, mars 2008
« Hortefeux, acte 1 »

Amendez ! Il en restera toujours quelque chose...

Eric Millard

Professeur à l’Université Paris X Nanterre – Centre de Théorie et Analyse du Droit (UMR 7074)
Le sort subi par le projet de loi Hortefeux, dont le contenu a été profondément modifié par le jeu des amendements, amène à réfléchir sur le rôle des parlementaires. Doit-on se réjouir du processus démocratique que ce jeu semble révéler ou au contraire s’inquiéter du rapport entre gouvernement et assemblées ? L’amendement Mariani sur les tests ADN aura en tout cas servi à occulter le reste de la réforme et à polariser l’attention sur l’opprobre jetée, une fois encore, sur les regroupements familiaux.

La loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile est la cinquième loi portant sur la matière depuis 2002. Alors que le projet initial modifiait des textes antérieurs (la plupart intégrés dans le code des étrangers – CESEDA) et était de ce fait totalement illisible et incompréhensible directement, sa fabrication a donné lieu à un traitement médiatique (beaucoup) et juridique (un peu) assez révélateur de ce qu’est devenue la procédure législative, c’est-à-dire, ne l’oublions pas, le processus démocratique traditionnel de l’énonciation normative. Le moins inquiétant dans l’histoire n’est pas tant que le processus législatif ne fonctionne plus (en raison du fait majoritaire, de la prédominance de l’exécutif), mais au contraire qu’il continue à fonctionner formellement ; et qu’ainsi les opposants politiques dans ce processus restent victimes des illusions d’une démocratie parlementaire formelle, pour ne pas voir (et pouvoir efficacement s’opposer à) l’efficacité d’une politique médiatisée.

Le jeu des amendements dans cette histoire peut-être pris comme fil conducteur. Qu’est-ce qu’amender ? Exercer un « droit d’initiative limité », « corollaire du droit d’initiative de la loi », c’est-à-dire, lorsqu’il s’agit d’un amendement parlementaire, une manière d’associer les auteurs du texte, au sens juridique, au travail des auteurs du texte, au sens politique et textuel : ceux qui le présentent et le défendent. Très généralement, dans les démocraties parlementaires modernes, le gouvernement détenant en fait sinon en droit (mais en France aussi en droit : les irrecevabilités, la suprématie sur l’ordre du jour) une parfaite maîtrise de l’initiative législative, amender est devenu le principal moyen, pour les parlementaires, d’être présents dans la confection politique et juridique des lois, et d’être davantage que de simples organes d’approbation ou de désapprobation. Une lecture optimiste voit donc dans l’exercice du droit d’amendement une activité constructrice, dans le débat public (commission et/ou discussion en séance publique), de la représentation nationale. Bien entendu, le jeu majoritaire conduit à ce qu’il en est des amendements comme des propositions : elles doivent recueillir une majorité d’opinions favorables, en un certain sens, pour ne pas être seulement des incidents de procédure qui ne survivront pas à la discussion. Mais de cela, si on accepte les règles de la démocratie procédurale, nul ne saurait s’offusquer.

Scénarisation

Or cette lecture optimiste évacue en réalité le point essentiel : les règles de la procédure législative sont naturellement mobilisées dans des contextes politiques forts et, à l’heure où la politique s’interprète d’abord devant les caméras de télévision, par un exécutif surmédiatisé, le passage devant le parlement obéit davantage à une scénarisation digne des préoccupations modernes du storytelling [1], qu’à la libre improvisation. Dans cette perspective, il faut des bons et des méchants, éventuellement un justicier, et surtout des rebondissements : la monoforme requiert un rythme pour que l’attention ne s’évade pas, c’est-à-dire pour qu’elle ne comprenne rien d’autre que ce que justement on veut lui faire comprendre [2]. Ce sera ici la mise en scène autour de l’amendement Mariani.

Au départ, il y a sans doute peu à dire du projet de loi déposé au nom du gouvernement de François Fillon par Brice Hortefeux, le 4 juillet 2007 : mise en œuvre du parcours d’intégration républicaine pour les familles, dans le prolongement du contrat d’accueil et d’intégration rendu obligatoire par la loi du 24 juillet 2006 ; et conséquences à tirer de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme [3] pour défaut d’un recours juridictionnel de plein droit suspensif, ouvert aux étrangers dont la demande d’asile à la frontière a été refusée, pour l’essentiel. Même si ces dispositions n’étaient pas nécessairement suffisantes dans leurs garanties, ou satisfaisantes dans leurs modalités (déjà une exigence accrue des ressources minimales en matière de regroupement familial, et la création d’un contrat d’accueil « spécial famille », sous la sanction d’une suspension des prestations familiales), il n’y avait pas de quoi faire durablement la Une.

C’est devant la commission des lois que va se nouer l’intrigue et débuter ainsi l’histoire à raconter : réunie le 18 juillet 2007, elle nomme comme rapporteur Thierry Mariani, dont la modération des opinions sur la question n’est généralement pas la caractéristique la plus volontiers reconnue ; de concert avec la commission des affaires étrangères, qui s’est saisie pour avis, elle procède, le 25 juillet, à l’audition du ministre Brice Hortefeux ; enfin, l’urgence est déclarée le 11 septembre et la commission se réunit à nouveau les 12 et 18 septembre pour examiner le texte sur le rapport de Thierry Mariani d’abord, les amendements ensuite. Le texte sera discuté en première séance à l’Assemblée nationale, les 18 et 19 septembre, qui l’adopte.

Durant cette semaine apparaissent les amendements : les car si le processus politico-narratif vise à placer la lumière sur un amendement Mariani, dit des tests ADN, celui-ci n’est qu’un parmi d’autres, proposés par le même rapporteur, par d’autres parlementaires ou par le gouvernement. Presque quarante amendements sont adoptés par la Commission, annexés au projet de loi initial, en modifiant évidemment la portée et la signification. D’un projet à dix-huit articles, on terminera avec une loi de soixante quatre articles (soixante cinq si on compte l’article invalidé par le Conseil constitutionnel). Ainsi, d’un projet présenté comme répondant principalement à des nécessités d’adaptation juridique (on en conviendra : discutable, et peu libéral – voyez l’idée d’une évaluation de la maîtrise du français et de la connaissance des valeurs de la République), on passe (et dans quel délai ! et par quelle initiative !) à un arsenal de mesures suffisamment coordonnées pour constituer une véritable politique durcissant systématiquement l’entrée et le séjour des étrangers, diminuant leurs garanties et renforçant considérablement les pouvoirs de l’exécutif.

La machine médiatique en marche

Ainsi sont durcies notamment les restrictions au regroupement familial par une augmentation supplémentaire du seuil des ressources exigibles, et est exigée une seconde vérification du niveau de connaissance linguistique ou civique en cas de besoin, après formation ; est également renforcé le contrôle sur le renouvellement des cartes de séjour ; autorisation est donnée à l’administration de décider le maintien d’un étranger en zone d’attente pour une durée de quatre jours, plutôt que pour une durée de quarante-huit heures renouvelable, « afin d’alléger la procédure » ; la Commission des recours des réfugiés cède la place à une Cour nationale du droit d’asile ; la possibilité de recueil de données statistiques sur la diversité (dites statistiques ethniques) est introduite, avec bien sûr les test ADN.

Certes, quelques amendements peuvent apparaître dissonants, et la majorité sait faire preuve d’équilibre (en dispensant par exemple de tests de connaissances linguistiques les membres de la famille de l’étranger souhaitant bénéficier du regroupement familial âgés de plus de soixante cinq ans) : il est bon dans toute histoire de diversifier les personnages pour ne pas tomber dans le manichéisme, qui en soulignerait trop les fins.

À ce stade, la machine médiatique s’enclenche. Il est possible de désigner le méchant (le rapporteur) comme les faits qui conduisent à cette désignation : l’amendement Mariani, entendons le seul que l’on retient, celui sur les tests ADN, et cela d’autant plus aisément que l’amendement, ne modifiant pas le CESEDA, est lui à peu près compréhensible directement ; qu’il se prête donc facilement à installer la polémique. Le mécanisme de simplification est efficace : une faute et un coupable, et c’est autour de cette faute que tous se mobilisent. Qu’il y ait raison de se mobiliser n’est pas contestable, et on ne disconviendra pas que pareil amendement est inacceptable. Ce qui est plus discutable, en revanche, au point de constituer une véritable faute politique, c’est que l’entrée dans ce mécanisme de simplification conduit à occulter le reste – ou presque. Presque, parce que des associations moins médiatisées ont su conserver un esprit critique et combatif, mais on a vu à cette occasion à quel point elles manquent de relais efficaces au Parlement. Presque, parce qu’un autre amendement a fait débat, celui sur les statistiques ethniques, mais de manière au départ moins visible car soulevant des questions plus complexes.

La machine est bien rodée. Le méchant désigné, il faut que les bons se manifestent. La secrétaire d’État à la Ville, Fadela Amara, la première, se dit « choquée », « heurtée en tant que fille d’immigrés », dès le dimanche 16 septembre, par l’intégration des tests ADN dans la procédure du regroupement familial. Suivent ensuite Martin Hirsch, Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté (qui, cependant, comme Fadela Amara, ne croit pas utile de quitter le gouvernement), plusieurs parlementaires de la majorité, quelques anciens ministres... Le Sénat se découvre une âme de frondeur, pour s’auto-discipliner rapidement en assemblée de sages, qui réécrit l’amendement en version « light » : qui réécrit mais ne supprime pas, quand il ne surenchérit pas (l’exclusion des sans-papiers de l’hébergement d’urgence, mais il ne peut y avoir deux intrigues dans une histoire et c’est autour de l’amendement ADN que la narration est construite ; ou l’exclusion des magistrats administratifs de la commission du titre de séjour, amendement qui, lui, est demeuré)... Le Comité national consultatif d’éthique réagit... Voilà les bons qui, par leurs réactions, accréditent quelques idées : le test ADN est issu d’un amendement et le gouvernement ne présente pas un front uni face à une initiative isolée ; le gouvernement est respectueux du droit d’amendement des parlementaires qui devront en définitive trancher ; le test ADN n’est qu’un « détail » (le Premier ministre, le 7 octobre) séparable du reste du texte, et minimisé par rapport au reste du texte.

On peut se perdre en conjectures pour décider jusqu’à quel point le rapporteur a exercé une réelle initiative personnelle et jusqu’à quel point le dépôt de cet amendement a été coordonné, suggéré, ou simplement organisé avec l’aval de l’exécutif : ministre, gouvernement, Présidence de la République ? Mais cela importe finalement peu parce que l’idée des tests ADN n’est pas si neuve, et l’on en veut pour exemple que la Commission consultative des droits de l’homme, notamment, avait pu noter, plusieurs mois avant que la proposition ne soit formalisée, qu’elle était en germe dans les sphères politico-administratives ; parce que, surtout, ce qui va importer est de savoir comment cet amendement aura été géré. Guy Carcassonne a justement observé que si l’amendement Mariani avait été indispensable ou au moins utile, il appartenait au gouvernement de l’inscrire dans le projet de loi, initialement ou en reprenant l’amendement à son compte ; qu’en revanche, s’il n’était ni utile, ni nécessaire, ce même gouvernement disposait des moyens juridiques et politiques pour éviter qu’il ne soit discuté longuement et stérilement [4].

Il ne faut pas s’étonner qu’en dépit des protestations audibles, que l’on veut bien croire sincères, et des divisions apparentes de la majorité, le gouvernement ait conservé ce « détail » au cœur du débat politique et médiatique ; notamment, il ne faut pas s’étonner que ce gouvernement n’ait employé aucune des armes que le droit parlementaire met à sa disposition pour mettre fin, en quelque sens que ce soit (forcer à l’adoption rapide, exclure rapidement l’amendement) au spectacle de la division : c’est là que l’amendement était utile, c’est pour cela que l’amendement était utile : pour que soient produits l’effet et la situation que l’on veut mettre à l’avant-scène, pour que le ressort de l’histoire fonctionne, et pour que l’on continue à raconter la même histoire.

L’amendement Mariani, ses évolutions



1 - Version initiale adoptée par la commission des lois :

« Toutefois, par dérogation aux dispositions de l’article 16-11 du code civil, les agents diplomatiques ou consulaires peuvent, en cas de doute sérieux sur l’authenticité ou d’inexistence de l’acte d’état civil, proposer au demandeur d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois d’exercer, à ses frais, la faculté de solliciter la comparaison de ses empreintes génétiques aux fins de vérification d’une filiation biologique déclarée avec au moins l’un des deux parents.

Les conditions de mise en œuvre de l’alinéa précédent, notamment les conditions dans lesquelles sont habilitées les personnes autorisées à procéder à des identifications par empreintes génétiques, sont définies par décret en Conseil d’État ».

2- Version après débat parlementaire, dans le projet de loi adopté par le Parlement

« Le demandeur d’un visa pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d’un pays dans lequel l’état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l’un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 ou ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, peut, en cas d’inexistence de l’acte de l’état civil ou lorsqu’il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l’existence d’un doute sérieux sur l’authenticité de celui-ci qui n’a pu être levé par la possession d’état telle que définie à l’article 311-1 du code civil, demander que l’identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d’apporter un élément de preuve d’une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. Le consentement des personnes dont l’identification est ainsi recherchée doit être préalablement et expressément recueilli. Une information appropriée quant à la portée et aux conséquences d’une telle mesure leur est délivrée. Les agents diplomatiques ou consulaires saisissent sans délai le tribunal de grande instance de Nantes pour qu’il statue, après toutes investigations utiles et un débat contradictoire, sur la nécessité de faire procéder à une telle identification. Si le tribunal estime la mesure d’identification nécessaire, il désigne une personne chargée de la mettre en œuvre parmi les personnes habilitées dans les conditions prévues au dernier alinéa. La décision du tribunal et, le cas échéant, les conclusions des analyses d’identification autorisées par celui-ci sont communiquées aux agents diplomatiques ou consulaires. Ces analyses sont réalisées aux frais de l’État. »

3- Réserves d’interprétations du Conseil constitutionnel :

« Les dispositions critiquées ne trouveront à s’appliquer que sous réserve des conventions internationales qui déterminent la loi applicable au lien de filiation ; il ressort des travaux parlementaires que le législateur n’a pas entendu déroger aux règles du conflit des lois définies par les articles 311-14 et suivants du code civil, lesquelles soumettent en principe la filiation de l’enfant à la loi personnelle de la mère ; les dispositions déférées n’ont pas pour objet et ne sauraient, sans violer l’article 1er de la Déclaration de 1789, avoir pour effet d’instituer, à l’égard des enfants demandeurs de visa, des règles particulières de filiation qui pourraient conduire à ne pas reconnaître un lien de filiation légalement établi au sens de la loi qui leur est applicable ; dès lors, la preuve de la filiation au moyen de “la possession d’état telle que définie à l’article 311-1 du code civil” ne pourra être accueillie que si, en vertu de la loi applicable, un mode de preuve comparable est admis ; en outre, ces dispositions ne pourront priver l’étranger de la possibilité de justifier du lien de filiation selon d’autres modes de preuve admis en vertu de la loi applicable ».

« Les dispositions de l’article 13 de la loi déférée ne modifient pas les conditions du regroupement familial et, en particulier, la définition des enfants pouvant en bénéficier telle qu’elle résulte des articles L. 314-11 et L. 411-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; elles ont pour seul objet d’autoriser le demandeur de visa à apporter par d’autres moyens un élément de preuve du lien de filiation lorsque ce dernier conditionne le bénéfice de ce regroupement et que l’acte de l’état civil dont la production est exigée pour prouver le lien de filiation est inexistant ou a été écarté par les autorités diplomatiques ou consulaires ; elles ne modifient pas davantage les dispositions de l’article 47 du code civil qui réglementent la force probante des actes de l’état civil établis à l’étranger et auquel renvoie le premier alinéa de l’article L. 111-6 précité du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; l’application de ce nouveau dispositif dans les États désignés par décret en Conseil d’État ne saurait avoir pour effet de dispenser les autorités diplomatiques ou consulaires de vérifier, au cas par cas, sous le contrôle du juge, la validité et l’authenticité des actes de l’état civil produits ; sous cette réserve, ces dispositions ne portent atteinte ni directement ni indirectement au droit de mener une vie familiale normale garanti par le dixième alinéa du Préambule de 1946 ».

Au-delà évidemment de ces jeux politico-communicationnels, cette histoire a rapidement contribué à produire un autre effet : le fantasme de l’amendement Mariani, qu’il faut combattre, débouche sur une acceptation quasi implicite de ce à quoi l’amendement Mariani prétend répondre : l’existence d’importants dysfonctionnements dans les modes d’établissement de l’état civil générant ou permettant de nombreuses fraudes par les candidats au regroupement familial, est érigée au rang de vérité démontrée, de fait incontestable et non discutable. L’argument des « bons » est que la réponse est disproportionnée, que la réponse remet en cause nos principes juridiques et humanistes ; mais il ne permet pas l’interrogation sur la question, sur la réalité des phénomènes concernés, et notamment une appréciation en termes de proportionnalité ou disproportionnalité de la mesure. On discute alors sur la manière dont il faut agir sans discuter sur la nécessité d’agir ; et cette absence de discussion produit sa propre démonstration : puisque personne ne le discute, c’est bien qu’il faut agir ; c’est bien que nombre de ces enfants qui entrent en France au titre du regroupement familial sont des fraudeurs, dépourvus de tout lien véritable de filiation. L’argument du droit comparé (regardez ce que font nos voisins) devient argument d’autorité de la part de ceux que l’on a connus plus soucieux de se réclamer d’une identité nationale.

L’opposition de son côté suit alors, contrainte ou aveuglée, le recentrage exclusif du débat sur cet amendement, et se fait happer par la mécanique de la simplification : pétitions, grandes soirées de résistance, chacun se mobilise pour sauver l’essentiel, pour faire obstacle au danger imminent, pour en appeler à la figure ultime du sauveur et du justicier, le Conseil constitutionnel. Tous, y compris en définitive le gouvernement, qui ne va pas faire un excès de zèle pour défendre ce « détail » dans ses observations devant le Conseil. Mais tous dans l’idée que c’est bien ce « détail » qui fait principalement problème, ce que révèle hélas l’indigence des saisines parlementaires, tant sur les dispositions critiquées (les tests ADN, les statistiques ethniques, comme si ni le projet, ni les autres amendements n’avaient plus d’importance) que sur les moyens invoqués.

Le Conseil sera dans son rôle [5]. Censurant l’amendement sur les statistiques ethniques sur un plan formel (« si les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l’article 1er de la Constitution, reposer sur l’origine ethnique ou la race  ») et procédural (« l’amendement dont est issu l’article 63 de la loi déférée était dépourvu de tout lien avec les dispositions qui figuraient dans le projet dont celle-ci est issue  »), il confirme que la loi satisfait à l’objectif d’intelligibilité, mais émet des réserves d’interprétation sur l’amendement Mariani, limitant l’application d’un texte qui, au fil de la discussion, avait déjà perdu en cohérence et intensité ce qu’il avait gagné en volume (voir ci-contre). Surtout, le Conseil constitutionnel considère qu’il n’y a pas lieu de soulever d’office d’autres questions de conformité à la Constitution. L’acteur n’est pas l’auteur et le Conseil ne va pas introduire un rebondissement que personne n’a préparé.

Regrettant le symbole que constitue la validité des tests, une partie de l’opposition parlementaire s’est pourtant félicitée d’avoir su être vigilante, et voit la décision du Conseil constitutionnel comme une forme de victoire. Il est permis de ne pas croire à cet Happy End, de regretter pareil manque de distance et de discernement, ou de reconnaître aussi le sens politique qui y conduit : il est probable qu’effectivement l’amendement Mariani n’était qu’un détail, et qu’il n’ait servi que de repoussoir, pour mieux faire passer et le projet de loi et son durcissement généralisé par les amendements. Quand la lumière se rallume, ce n’est plus sur des histoires mais bien sur la réalité : dans celle-ci, les fantasmes provoqués par l’amendement Mariani cèdent devant les dispositions bien réelles de la loi Hortefeux, et le doute jeté sur la légitimité des regroupements familiaux s’installe dans les représentations collectives au-delà des réserves d’interprétation du Conseil constitutionnel.

Amendez ! amendez ! Il en restera toujours quelque chose...




Notes

[1Ch. Salmon, Storytelling, une machine à raconter des histoires, La Découverte, 2007.

[2Sur la monoforme, voir évidemment les travaux critiques de Peter Watkins, réunis dans Media crisis, éditions Homnisphères, 2004, et surtout ses films (en dernier lieu la reprise de La Commune).

[3CEDH, Gebremedhin c/France, 26 avril 2007. Voir aussi, p. 22 dans ce numéro.

[4Guy Carcassonne, « Les test ADN », Recueil Dalloz 2007 p. 2992.

[5Décision n° 2007- 557 DC – 15 novembre 2007. Loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile.


Article extrait du n°76

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:59
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